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05/12/2023

Club de lecture Filomer - 5.12.23

akroux.jpegQuinze ans maintenant que je restitue la thèse du nombre à chacune des rencontres littéraires, de Sierre en 2009 (ma première) au Cercle de lecture de Filomer, ce mardi 5 décembre. Même Quignard, en septembre, m’a rassuré sur ce point, avant que 150 personnes n’investissent l’auditorium du Conservatoire : «  Vous savez, Laurent, s’il n’y a que dix personnes qui viennent, on jouera quand même ». Hier, ils étaient une bonne quinzaine, moins qu’il y a quatre ans et – visiblement – moins qu’à l’habitude, mais ça a (encore) été un bon moment, animé, à ma demande, par Jean-Louis Cianni, le philosophe, sorti un poil frustré de la rencontre à la médiathèque. Parce que, selon ses dires, on a trop parlé de l’action et pas suffisamment de l’écriture. Il a raison, ceux qui ont lu le livre savent ce qu’il s’y passe, les autres, il est inutile de leur raconter. Alors, une fois les amabilités faites sur ma personne, il est allé au cœur des thèmes qu’il faut exploiter : pourquoi Aurelia ? D’où vient-elle? Une question à laquelle il est complexe de répondre parce qu’il ne faut pas se limiter à la réalité. L’histoire du groupe, pour ceux qui suivent, importe peu, il faut lui laisser sa part de mystère, en élue qu’elle est. Par sa mère, par sa culture, par un réseau de subcroyances qui fait qu’on peut quitter l’Ukraine, à 4 ans, pour des raisons de survie et l’incarner via tout ce qui fait qu’elle y jouera un rôle, un jour. Passé mais à venir, pour l’écrivain que je suis. On parle judéité, pogroms, inscription de la littérature dans le support de l’Histoire. Je réitère la méfiance que j’ai envers tout ce vers quoi on m’a orienté à l’origine – l’autofiction, principalement – j’arrive à ne pas mettre de nom quand je parle d’écrivains paresseux ou satisfaits d’eux-mêmes, je suis en net progrès. Je réitère mes modèles – Hugo, Flaubert, Proust – tout en contestant l’idée que les avoir lus pousse un auteur à se prendre pour eux. C’est juste la notion du sujet, qui importe, et j’avoue – rencontre après rencontre – la place qu’Aurelia a prise dans ma vie, depuis un peu plus de dix ans. Je souhaite à n’importe quel auteur d’avoir un personnage aussi conséquent dans son œuvre et son existence. Qui m’a poussé à m’intéresser à l’histoire de l’Ukraine, à sa culture, à la différence de perception entre Sartre et Lévinas sur la question de ce qu’est qu’être Juif. De sortir de soi, en somme. Je suis une nouvelle fois intarissable et je m’en désole, Jean-Louis Cianni parle du souffle du premier roman avec enthousiasme, j’ai la double impression d’être là où je devais être depuis longtemps et de me demander si c’est bien de moi dont on parle. Je ne suis pas sensible à la flatterie, ça tombe bien, ça n’en est pas. Je sens bien la limite de devoir convaincre quand je suis moi-même transporté, je regrette de ne pas avoir Clara avec moi pour emmener tout le monde vers des hauteurs esthétiques qui dépassent les lourdeurs du monde qu’Aurelia a d’ores et déjà explosées. Comme elle emporte tout sur son passage : j’explique à chaque fois l’épisode où j’ai cru la voir dans mon salon, en conseil de famille, me débloquant dans ma narration en m’apportant, sur un plateau, la relance d’un réseau de résistance russe à Zurich – auquel Lénine a participé – maquillé sous des allures de club littéraire. Peut-être pensent-ils que j’affabule, après tout, ils en ont le droit. Mes projets, les figures singulières, n’ont finalement que peu d’intérêt : il faudrait pouvoir donner rendez-vous, dans un club de lecture, avec un roman que ses membres auraient lu. Je signe quelques ouvrages, la preuve que j’en ai convaincu quelques-uns de suivre mon héroïne, qui passe bien avant moi. Je sais ce qu’il faut sacrifier à ces moments : qui n’ont aucune mesure au regard de ce qui se passe en soi quand on (re)traverse la ville, en rentrant, en se disant qu’on a encore parlé d’elle, et que c’est un privilège. Qu’on ne m’enlèvera plus, maintenant.

Photo: Christophe Roux.

 

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03/12/2023

Dernières Nouvelles d'Alsace.

affiche_thann.A3-4-page-001.jpgClara et moi poursuivons notre chemin sur les traces de mon héroïne de papier, à Mulhouse et à Thann, les 13 & 15 décembre, juste avant la trêve. L'occasion de se remémorer, là-bas, des épisodes des Jardins d'Ellington:

(...) L’officier désigné par l’État-major a d’abord renvoyé Anton à l’officier gestionnaire des formations sanitaires des Armées, à Mulhouse. Lequel l’a renvoyé aux registres de l’HOE, qu’il ne pouvait lui communiquer par courrier: il fallait contacter le Garnison-lazarett, l’hôpital militaire local. Qui le renverrait peut-être à l’hôpital civil du Hasenrain ou à celui des sœurs de Niederbronn, rue du Bourg. (...)

(...) — Vous dites qu’il a été touché à Mulhouse? Déjà, faudrait qu’il vous ait dit si c’était lors de la première ou de la deuxième attaque*, hein! Si ça s’est passé à Dornach, il sera au Reservelazarett, si c’est à Altkirch qu’il s’est pris un éclat, il aura peut-être été envoyé au Heinsenrien. C’est pas si simple, ma p’tite Dame, vous savez!

* Du 7 au 10 août, puis les 18-19 août 1914. (...)

(...) Aurelia s’était jurée, une fois dans l’aventure, de ne jamais soupirer à la moindre contrariété. Là, elle crut bien défaillir, néanmoins. La première piste qu’onlui proposait pour retrouver son frère l’emmenait à Zillisheim, à 5km de Mulhouse. On y avait monté, dans la précipitation, après les batailles d’août 1914, les diverses évacuations et retraites qui s’ensuivirent, un hôpital militaire français, dans une Alsace de nouveau annexée. C’est donc auprès des Allemands qu’Aurelia devait s’enquérir du sort d’un de leurs prisonniers, dont il faudrait remonter le pedigree, expliquer, dans le pire des cas, pourquoi ce jeune homme passé par la case autrichienne s’était mis en tête de défendre l’ennemi. Pourquoi elle-même était détachée par un bataillon français pour se soucier de lui. La question de l’identité, déjà prégnante chez cette jeune femme, ne manquerait pas de les intéresser, il allait falloir la jouer fine. Elle pourrait être constituée prisonnière, réquisitionnée au soin des vainqueurs, qui s’amuseraient de son humiliation. Le maire de la ville, disait-on, avait refusé de s’occuper des funérailles des soldats français, d’organiser l’évacuation des blessés légers, pour plaire aux Allemands. Par patriotisme, qui sait: la région avait une telle duplicité qu’Aurelia ne pouvait que penser à sa propre histoire, tiraillée entre deux langues, deux figures maternelles et deux romans nationaux. Mais là, il n’y avait pas d’erreur possible: il lui fallait aller vérifier d’elle-même si Igor s’y trouvait et 1) trouver le moyen de s’en occuper sur place, elle-même 2)préparer leur évasion, dès qu’il serait à peu près sur pied. Puisque ce devait être Zillisheim, ce le serait. Il fallait, déjà, trouver une voiture pour l’y emmener.Prétexter un rendez-vous avec le médecin inspecteur général pour intégrer le Petit séminaire dans lequel se trouvaient les brancardiers divisionnaires de la 66e division. La lettre de recommandation et ses états de service feraient le reste. Si Igor ne s’y trouvait pas, elle simulerait l’obligation de se rendre d’urgence dans son service d’origine et ne reviendrait pas. En temps de guerre, d’un côté comme de l’autre, on a peu à faire d’une brancardière qui se débine. On la compterait pour morte, on passerait à une autre et elle serait déjà en train d’explorer une autre piste. Tant qu’on n’aurait pas ouvert le caveau ou la fosse commune dans laquelle son frère reposerait, elle continuerait de chercher. Elle ne céderait à aucune lassitude. (...)

(...)  Anton et Despesses débarquèrent à Mulhouse, en plein no man’s land, dans une ville fatiguée d’être conquise et abandonnée tour à tour. Aux alentours, les Allemands n’avaient pas réoccupé tous les villages évacués. Ils se tenaient sur une ligne Burnhaupt- le-Haut/Aspach-le-Bas, ce qui avait fait sourire Despesses, pas le conducteur du taxi qui lui racontait l’historique récent. On les repère sur le Kahlberg, ils contrôlent les routes vers Mulhouse ou Belfort. Ça cartonne bien de temps à autre, mais le pire, c’est qu’on ne sait pas vraiment ce qu’ils veulent du coup. À part pour les gosses... 

— Quels gosses? s’inquiéta Anton, susceptible sur la question, lui qui en avait deux dans la place.
—C’est le Landsturm, les réservistes. Ça va de 17 à 45 ans, mais je peux vous dire que les Fritz, ils préfèrent les jeunes, même si on a sauvé les 17-20. Enfin sauvé.. (...)

affiche_mulhouse.A3-page-001.jpg

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26/11/2023

AKII, CRITIK1.

Elle vient de Yves Izard, ancien grand reporter sur Radio France, qui m'a interviewé à Sète le 17.11 et a rassemblé ses notes en une critique pleine et enthousiaste, ici.

PHOTO-2023-11-11-22-15-47 5.jpg« Aurélia Kreït -Les jardins d'Ellington » est le deuxième tome d'Aurélia. Après avoir fuit les pogroms avec sa famille depuis l'Ukraine jusqu'à Saint Étienne, Aurélia désormais jeune fille se retrouve au cœur de la Première guerre mondiale. Et très vite elle plonge dans « les champs d'horreur », là où il n'y a pas de place pour les rêveries… « dans ce camp médical où les éclats d'obus dominaient : rien de propre, des plaies souillées la gangrène gazeuse qui progressait, avec son lot de morts en deuxième cession, comme on les appelait là-bas. Au front, il n'y a qu'un enchevêtrement de corps suppliciés, de râles constants et d'ordres froids, ceux des médecins, des infirmiers.. qui devenaient des bêtes de guerre en triant ceux qui pourraient survivre. Avec parfois cette lucidité désespérée : « Ce qui me choque le plus moi, c'est ce qu'on renvoie, nous, dans les yeux des garçons quand ils arrivent avec leur gueule tordue. C'est qu'on a beau faire semblant ça transpire dans leurs yeux qu'on ne les regarde pas comme les gars qu'ils ont été et que toute leur vie ce sera comme ça.» c'est Suzanne qui le dit, l'une des trois de « la Manu » qu’Aurélia a retrouvées embarquées dans cette grande boucherie. Elle sont une branche de sa famille qu'elle va pourtant devoir quitter à nouveau pour une mission vitale, retrouver son frère Igor disparu; « sauf que retrouver un blessé de guerre relevait du parcours du combattant.»

On renoue ainsi dans ce deuxième tome, avec la nécessité d'expéditions où l'on risque sa vie, dans un contexte historique qui va mener nos personnages sur le front de l'est, au plus près de « la furie teutonne". Mais désormais, Aurélia n'est plus une victime expiatoire qui fuit la haine raciste, elle prend l'initiative et relève le défi d’une mission impossible, tout comme son père Anton joue de son côté une partie d'échec avec le diable, ce Von Koehler qui lui met le marché entre les mains : « si vous voulez vivre, il vous faudra tuer Igor » l'humanité touchait le fond à cet instant.

A mesure que les familles se reconstituent dans le drame, Laurent Cachard va nous projeter dans une histoire peu connue de cette guerre, celle du Corps expéditionnaire russe. Une des périodes rarement évoquée jusqu’à la mutinerie de la COURTINE en 1917. On va découvrir ces soldats qui, pour une compagnie,sont partis de Russie via la Chine, pour voguer vers Singapour, Djibouti à bord de «L' Himalaya » ou du « Latouche-Tréville » et rallier Marseille ou Brest pour se retrouver dans ce que les Français appelaient « le Grand Est…ce qui faisaient sourire les Russes qu'ils étaient ». C'est avec l'attelage ukrainien de la Première saga historique qu’on va vivre le drame de ces soldats désaccordés « ces hommes échangés par la Russie contre du matériel de guerre de la France, et qui très vite vont déranger et n'auront plus qu'un désir irrépressible: Retourner au pays en pleine révolution. Car ce qui se passe en Russie concerne au plus haut point la famille d'Aurelia, à commencer par Vladi qui veut venger son père Nikolai assassiné parce qu'il était juif. Vladislav éternel exilé, Russe vrai quand il est appelé à Moscou par Sacha , à défaut d'un vrai Russe, Ukrainien alors qu'il ne l'est plus, qui a été enrôlé très tôt dans « l'organisation » pour défendre les ouvriers juifs en Russie. Et qui désormais se retrouve envoyé spécial dans ce fameux camp de la Courtine pour prendre le poul de la mutinerie en cours et de l'affrontement qui vient entre les Rouges et les Blancs , les partisans de la Révolution bolchevique avec Globa, le représentant du Soviet et les russes Blancs qui continuent à soutenir le Tsar déchu . Le corps expéditionnaire ne sait plus qui commande, l’état major français n'a plus d'autorité et de toute façon après l’hécatombe du "chemin des dames", "les mêmes êtres n'ont plus aucun lien avec ce qu'ils étaient..le combat les a tués à eux-mêmes, et pour la plupart d'entre eux, il est désormais impossible d'obéir à nouveau."

On croise ainsi dans ce roman des figures historiques comme Globa qui rêve d'un monde plus juste. On se trouve confronté aux mêmes questions essentielles que se posent ces personnages de fiction comme Vladi sur le sens de la vengeance : Il faut tuer Medvedenko pour ne pas laisser le meurtre d'un juif s'installer dans la normalité mais comment s'y prendre sans s'abaisser au rang de celui qui avait tué son père ? On suit Aurélia qui a grandi depuis qu'elle disait, enfant, qu'elle voulait être Présidente de la République d'Ukraine, qui a plongé dans cette guerre comme une évidence. Deviendra-t-elle ce que sa mère avait prédit : Le symbole de cette identité ukrainienne. Dans sa course dans la France occupée, elle a su imposer qu'elle n’était pas une espionne mais une exilée iconique dans ce monde en plein bouleversement. Elle sait comme Vladi que « l' Ukraine est niée dans sa langue et sa culture au profit des Polonais à l'occident du Russe à l'orient, laissée dans une forme de ruralité inculte à leur dialecte de petit Russe » Même si le très grand Afanasie Petrovitch Globa ne l'a pas vraiment vraiment convaincu que l'Ukraine ne sera pas la grande oubliée de la Révolution bolchevique, Aurélia a aimé son rêve des « jardins d'Ellington » et sait que pour répondre au son des canons de l'ultimatum, il a ordonné à ses hommes qu'on joue la Marseillaise en Russe, et la Marche funèbre de Chopin exclusivement en mode mineur « avant le déluge de feu .

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23/11/2023

Un entretien avec Gaele Beaussier (Lyon Demain).

IMG_3163.jpgAurelia Kreit est le nom d’un groupe de rock néo punk des années 80 mais aussi celui d’une héroïne de papier. La destinée de cette jeune femme a été formalisée par le romancier Laurent Cachard dans un premier volume en 2018. Pour écouter l’itw qu’il nous avait accordée à l’époque c’est ici. Dans le premier roman, enfant, elle traverse l’Europe avec sa famille. Dans le second « Les jardins d’Ellington » parut cet automne aux éditions Le Réalgar , elle s’engage au plus prêt des combats en 1914. L’auteur nous propose de voyager dans le temps avec ce personnage attachant et déterminée. Nous avons pris plaisir à retrouver cet auteur né à Lyon très attaché à son territoire. (Lyon Demain)


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22/11/2023

Journal de bord.

Quand ils arrivèrent à Dalian, après l’interminable transsibérienne, les hommes ne surent pas à quel saint se vouer : l’Empire avait loué les environs de la Baie, l’avait reliée à la zone du chemin de fer, mais cette ville chinoise sous contrôle japonais tolèrerait seulement leur transfert vers les bateaux français qui les attendaient là. Le Latouche-Tréville , un croiseur cuirassé connu pour avoir provoqué, quelques années avant, la démission d’un Ministre de la Marine , et l’Himalaya, un paquebot-mixte de 136 mètres et de 3300 chevaux. D’autres, pour embarquer les 8942 hommes qui allaient découvrir la Cité phocéenne, au printemps. De quoi oublier que c’est justement l’hiver rigoureux qui les empêchait de prendre la route maritime nordique, d’Arkhangelsk jusqu’à l’Hexagone, de la mer de Barents jusqu’à la mer du Nord, en longeant la Péninsule scandinave. Las, ils devraient longer, une fois la mer de Chine dépassée, les côtes du Vietnam, s’infiltrer entre la Malaisie et l’Indonésie, prendre les mers des Laquedives et d’Arabie, atteindre Aden et la mer Rouge, débarquer en Égypte pour une courte traversée, s’engager en Méditerranée, entr’apercevoir les côtes de la Sardaigne pour remonter, enfin. Onze mille milles marins, quatre mille lieues sur les mers. Deux mois à bord, dans la promiscuité et les tensions qui montent, au fur et à mesure que l’étau se resserre. Sans y être préparés : Maurice Paléologue, Ambassadeur de France en Russie, écrit dans son journal que la gentillesse était une spécificité nationale du pays, sans instinct belliqueux et au cœur chaleureux, disait-il. Qui n’a jamais glorifié la guerre. Si on ajoute à ça un mélange de religieux et de paganisme, un rapport nébuleux au Tsar et une confiance inébranlable qui lui fait considérer la peur autrement qu’on le fait ailleurs… Qu’en pensaient-ils, ces jeunes gens qui patientaient sur le quai avant d’embarquer, peu empressés de s’entasser dans des cabines minuscules. 2500 sur l’Himalaya, par grappes déjà fatiguées, rompues aux ordres les plus mécaniques. Averties de ce qui allait se passer une fois à bord : en mer, on évalue différemment la course du soleil le jour et celle des étoiles la nuit, quand les quarts rythment le cours de la journée. Et la litanie des jours et des semaines qui s’enchaînent se fait au détriment de toute raison, considérant les faits suivant le moment où ils se déroulent. Une fois à bord, ils devraient garder, souvent livrés à eux-mêmes, un rapport précis au temps, des repères pour en mesurer l’écoulement – le même qu’à terre – et la chronologie. Avec l’idée qu’une fois arrivés, ces hommes retrouveraient la fonction pour laquelle on les avait formés, la mer n’ayant été qu’un intermède obligé.

Extrait de Aurelia Kreit - les jardins d'Ellington (le Réalgar, 2023)

Montage photo : Jean-Renaud Cuaz

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18/11/2023

Médiathèque Mitterrand -Sète 17.11.2023

Resized_20231117_1838431.jpgJe peux le dire maintenant, c’est un rendez-vous que j’appréhendais, la présentation d’Aurelia Kreit à la Médiathèque Mitterrand de Sète. Parce que nul n’est jamais prophète en son royaume, et que l’émotion ressentie à Lyon était tellement énorme que j’avais un peu peur d’être déçu. Un quart d’heure avant la rencontre, que nous avions prévu de commencer à l’heure, ils étaient trois ou quatre à attendre dans le hall, aussi ai-je (plus que) respiré quand j’ai vu la salle se remplir par grappes de personnes ininterrompues, jusqu’à la remplir, ou presque. Soixante, soixante-dix personnes, ça n’est pas Bercy, mais pour une rencontre littéraire d’un auteur inconnu, c’est déjà beaucoup et sur ce premier point, moi qui craignais une réaction – au sens littéral – d’un certain nombre de personnes, je suis rassuré. Marie, la directrice de la médiathèque, a le bon goût de préciser que si j’ai plusieurs casquettes dans cette ville, c’est au titre d’auteur qu’elles (avec Céline) m’ont invité, et Yves Izard peut commencer l’entretien sous un beau fond d’écran vidéoprojeté signé Jean-Renaud Cuaz. On y voit les deux couvertures du diptyque et, plus tard, le parcours retracé de l’attelage, dans les deux romans. Celui des troupes russes, également. On expose, sur un chevalet, le portrait géant de Nicolas Grosso, qui viendra faire l’interlude musicale. C’est le premier portrait des Figures singulières qu’on expose, il est en tirage limité, numéroté et signé. Yves a préparé l’entretien à sa façon, chronologique, j’ai parfois un peu l’impression qu’il en dit trop sur l’histoire, mais ça me semble fluide, et c’est confortable de répondre à des questions sur les thématiques, sur la guerre, sur l’identité sans avoir à les amener soi-même. La salle est attentive, réactive, on les soulage un quart d’heure avec la prestation de Nico, sublime guitariste, qui offre à ceux qui ne le savaient pas encore trois morceaux, dont un sublime texte sur Freddy, le Elvis Presley de Sète à l’accent pied-noir, qui lui a apporté beaucoup avant de disparaître récemment, d’un accident de voiture. Mais la chanson swingue, c’est son credo, à Nico. Il doit partir à un concert, il a juste le temps d’enchaîner sur un 3e titre dont j’ai écrit les paroles : c’est « C’était mieux demain* » - nostalgique, mais pas passéiste - le titre d’un album qui sortira quand il en aura envie, c’est clair, comme ça. On reprend l’entretien, sur les lieux, sur l’action, l’idée de vouloir retrouver un blessé dans les méandres administratifs de la 1ère guerre mondiale, sur l’exil. Sur l’ukrainité davantage que sur l’Ukraine. Je lâche l’idée d’un 3e volume qui commencerait le 22 février 2022 pour remonter, par analepse, à l’histoire d’Aurelia. Que je ne pourrai jamais lâcher en tant qu’auteur, c’est certain, maintenant. Peut-être n’était-ce pas le meilleur moment pour le faire, mais on lance la couverture des Figures singulières, la mosaïque des 23 visages (sur 25) qui composeront le recueil, dont la sortie a été avancée en janvier. On projette « Au pays d’Agadarago », le portrait de Matthieu Garcia, le jeune et prometteur volleyeur local. Et c’est déjà la fin, puisqu’il faut garder un temps de dédicaces. C’est passé vite, j’ai vu plein de visages que je ne connais que depuis peu, c’est une bonne chose, ça m’ancre un peu plus dans ce pour quoi je suis fait, définitivement. J’ai une pensée, à la fin, pour là où j’étais il y a sept mois, vite chassée par les rendez-vous à venir. Un cercle de lecture à Sète, Mulhouse et Thann, ensuite, pour décembre, un passage à l’ES Factory d’Etienne Schwarz mi-janvier (à définir), la Casa musicale au printemps. Elle est (si) belle, Aurelia, elle trouve ses lecteurs. Je sais qu’elle va me faire plonger dans son univers, et je l’attends, m’écrit-on, à la seconde. Un temps (seulement), je les envie.

Capture d’écran 2023-11-18 à 14.32.47.png

*Une version pirate, à l'ancienne : un tout petit aperçu du talent du garçon.
podcast

Photo : Daniel Damart

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16/11/2023

Stéphane Pétrier/Christophe Navarro - concert acoustique aux Mangeurs d'étoiles (10.11.2023)

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14/11/2023

JYS

couv_livre_3305.jpegÉvidemment, dans la vie, il y a des gens qui marquent davantage que d’autres. Il faudrait encore que je raconte la façon dont, très jeune enseignant, j’ai compris en le regardant faire, à quel point une veste bien portée et le verbe haut peuvent aider à mettre à distance n’importe quel impétrant, quel que soit son rang, quelle que soit sa fonction. Il était ainsi, JYS, cet ami dont j’ai serré la main longuement dimanche pour la dernière fois, capable de se faire instantanément détester – toujours pour de mauvaises raisons – mais prompt à défendre n’importe quelle cause, pourvu qu’elle lui paraisse juste. Et extrêmement fidèle en amitié, ça n’est pas donné à tout le monde. Il faut aussi dire que ce libraire-anarchiste, devenu professeur d’éducation socio-culturelle au lycée horticole de Dardilly – ne lui demandez pas où se trouvent les serres, il ne sait pas (pas plus que moi) – a su s’adapter au tournant politique de sa vie, quand il est devenu responsable de la sécurité de la ville de Lyon, juste avant les attentats de Charlie-Hebdo. Il faut savoir à quel point les rangs des pompiers ou des forces de l’ordre ont aimé travailler avec cet homme droit et efficace, jusqu’à venir, du plus simple au plus prestigieux d’entre eux, le visiter à l’hôpital, ces derniers mois. Le service a compté jusqu’à 25 visites par jour, paraît-il, et il ne s’en est jamais fatigué, jusqu’à la fin, jusqu’à dimanche pour moi, jusqu’à la nuit que son ami Daclin a passée à ses côtés, avec Vincent, sans doute, son fils. Qui ressemble pour beaucoup au JYS dont je veux me souvenir, aux avis tranchés – face aux connards – et à la culture rock inépuisable. Le vent politique l’ayant plus ou moins mis de côté ces dernières années, il s’est enfin consacré à l’écriture d’une bible Pop-music, un abécédaire exhaustif et grinçant, sa marque de fabrique pour qui se souvient que, sur son blog, les fans de Genesis s’étaient déchaînés quand il avait écrit qu’il assurait la sécurité du concert, mais pas leur intégrité musicale ! Il m’avait demandé d’ouvrir un pare-feu, en riant, je m’étais amusé à rajouter un peu d’huile dessus. Les élèves et étudiants qu’il a eus se souviennent de lui comme d’un monstre de culture et de références, pas toujours saisies. Il a gardé longtemps ses vieilles VHS, ses cours dactylographiés à l’en-tête à son nom. Je garderai ces rires partagés avec tout ce qui se prenait au sérieux dans le monde professionnel que nous avons partagé, les moments où je devais lui rappeler le nom d’un collègue pourtant dans l’établissement depuis plusieurs années, le concert d’Oscar D’Leon à Vic-Fézensac, pas très loin de chez sa maman à laquelle je pense intensément, aujourd’hui : elle a 102 ans, elle perd un fils qui était quelqu’un de bien. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas connu comme ça. De mon côté, j’ai dit à Vincent que trente ans après mes débuts, je savais exactement à quel moment, dans le milieu professionnel, il fallait faire du Sècheresse, comme pour imposer une évidence, avant même qu’elle soit formulée. Une marque d’autorité, en somme. Dans tous les sens du terme. Ciao, Jean-Yves : je n'ai jamais eu de maîtres - pas le genre de la maison - mais j’ai eu quelques modèles, et tu resteras l’un d’eux.

 

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