11/12/2025
Nous nous sommes tant aimés.
On ne sait pas encore s’ils se sont immédiatement projetés sur les 50 ans (de scène), mais on ne se remet pas facilement d’un tel Everest émotionnel quand sur deux soirs, opposés et complémentaires, six-cents personnes vous font passer l’idée forte que vous n’avez pas fait ça pour rien. Toute une vie validée par acclamation, ça a de l’allure, même s’il faut retrouver le réel. Accepter que ce ne soit que ça, cette intensité poussée au paroxysme, aussitôt envolée quand les lumières s’éteignent. C’est sans doute pour ça qu’après le concert, on trouve autant de personnes qui restent à distance que d’autres qui cherchent à vous happer, les premiers n’ayant pas envie, qui sait, de vous voir régurgité en simple mortel. Deux heures plus tôt, c’est par un vieux titre qu’ils ont ouvert le bal, Nous nous sommes tant aimés, un des nombreux emprunts cinéphiliques de la soirée – entre Attache-moi, Pierrot le Fou ou Mauvais sang, entre autres. Dans le film d’Ettore Scola, Gianni, Nicola et Antonio se heurtent aux lendemains qui ne chantent plusaprès avoir connu les fulgurances de la Résistance, fabriquent, entre contingences et idéaux, une histoire de l’Italie sur trente ans, jusqu’aux 70’s. Ces années pendant lesquelles le petit Pétrier se construisait des histoires mentales, dans sa chambre, inventant des disques – pochettes comprises – sans savoir poser une note de musique. Là, ils sont beaucoup plus nombreux, sur la scène du Radiant, mais la question est la même, d’autant que les temps se sont abolis d’eux-mêmes, les partants n’ayant jamais été aussi présents que ces dernières années, avec l’idée sous-jacente qu’ils pourraient ne plus jamais repartir. Parce qu’il y a dans la durée la notion permanente de recommencement, l’idée d’un projet qui comprend sa propre genèse : sans doute dans les premières notes de Lady Winter était-il déjà contenu, mais sans perception de sa forme. Quand ils jouent sur la scène du Radiant, Pétrier, Perrin (X2) & Co. retrouvent des sensations qu’ils ont déjà connues – j’ai vécu la scène avant - enrichies par l'expérience et la réflexion d'une vie entière. Ils ne diront pas s’ils ont trouvé vieillies, dans la pénombre de la salle, les personnes qui les suivent depuis longtemps, ce serait 1) reconnaître qu’ils n’ont pas échappé au temps non plus 2) briser le cours de la réminiscence qui fait création, donne le matériau d’écriture et de composition. Puisqu’il n’y a pas de linéarité, il s’agit de la créer et quelque part, dans un multivers, tous ceux qui ne sont plus là – Jean, Sandra « Fleur de Métal », Éric et les autres, mais finalement pas tant que ça : en 40 ans, on aurait pu compter plus de pertes, à commencer par moi - auront eu leur concert parallèle, fait de tous ces titres qui n’ont pas été choisis*, d’une connivence que nous ne comprendrions pas, de toute manière. Quand on relie les deux pans d’une longue époque, on prend un double risque, celui de ne pas être fidèle à ce que l’on était (la théorie du salaud), celui de trop concéder à la mélancolie quand tout est encore à refaire, quand on a encore tant de choses à vivre : rien n’a vraiment changé. Et si justement l’on met en lien le début et la fin du Voyage, l’œuvre en elle-même devient un manifeste(o) et sa réalisation à la fois : le projet initial, ramené sur le devant de la scène, acquiert une nouvelle valeur, en soi. Le palimpseste mémoriel que se sont offert les Noz, au Radiant – avant même de l’offrir aux autres – ce questionnement sur le temps, l’Art et la mémoire relève de l’illusion comique : pendant 2h30, chacun a pu replonger dans ses jeunes années, se croire, de nouveau les dents longues et les cheveux dans le vent. Il ne l’avait encore jamais dit jusque-là, mais Pétrier, c’est Dorian Gray, sans la décrépitude : éternel jeune homme désireux de manger le monde, qui dessine lui-même le processus de la chute inhérente, pour mieux l’éviter. Son Altesse, respectée et adorée du public, et derrière, la vraie peinture de lui-même, sous le bonnet, et l’analepse, toujours, puisqu’ainsi tout reprend de là où ça a commencé. Mieux, là où il n’est jamais allé mais où il veut nous emmener tous, cet été, à l’aube, pour rejouer Bonne-Espérance, en intégralité et costumes d’époque. En plein air, près d’un lac et jusqu’au mur, la limite de tout ce qui est civilisé. Et là, nous saurons.
NB: Les Noz d'émeraude, malheureusement absent jeudi dernier, ressortira au 1er trimestre 2026 avec une édition augmentée. Nouveau format, nouveau papier, nouvelles rencontres.
*Le Voyage
J’empire
Nouvelle Star
Le cimetière d’Orville
Rien vu venir
Juste avant la fin du monde
Cheval Punk
Sculpture lente
Le match du siècle
Marie-Fleur
Une histoire de cul
Mathématiques modernes
Anassaï
Aurélia
Le Signe
End of the story
La fête s’achève
17:14 Publié dans Blog | Lien permanent






















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