31/03/2025
CÉPHALÉES II*
Deux ans. Deux siècles. Aujourd’hui, au dernier jour du mois de la guerre, ça fait deux ans que mon cerveau a lâché, au petit jour, comme si la foudre s’abattait sur moi, affaissant – momentanément - une partie de mon visage et toute forme d’équilibre. Deux ans que j’ai rampé jusqu’à la porte pour ouvrir à celle qui me sauvera en appelant les secours, pendant que je vomissais tout mon soul. Jusqu’à ce qu’ils m’emmènent aux urgences de Gui-de-Chaulliac et, une fois les trois lettres prononcées, aux soins intensifs du CHU (pas celles-ci). D’où je garde cette phrase entendue dans les premiers jours (d’hébétude) : celui-là, on va le remettre debout. Ça a été long, progressif, il a fallu effectivement que je puisse me redresser – et sortir de toute forme de dépendance, d’abord sanitaire – puis sortir du fauteuil roulant, faire quelques pas, soutenu par des bras amis, puis en autonomie. Vu comme ça, c’est linéaire, mais rien ne l’est, dans un hôpital, ni les journées qui s’allongent, ni le temps global, la semaine, les dix jours, les vingt et un avant qu’on m’envoie en rééducation, à Bourgès, un peu trop rapidement – paradoxe à part – au regard de ce que j’ai pu poser dans le couloir, en arrivant. Il y aura en tout et pour tout 41 d’hospitalisation avant que je puisse retourner chez moi, fatigué, mais debout. Un mois d’avril complet volé au nom d’un accident cérébral, ça n’est rien si je regarde autour de moi ceux qui ont été aussi frappés, mais ça reste, à vie. Pas comme un souvenir, comme une épreuve fondatrice, à partir de laquelle rien n’a plus été pareil, jamais, et pour toujours. Il y en a eu, des étapes, les galères administratives qui commencent, le report de ma reprise du travail et, au vu des angoisses incompatibles avec ce métier que j’exerçais depuis trente ans, un collège de médecins qui établit mon incapacité définitive à l’enseignement. Un avis sur papier qui signe une fin que je n’aurai ni choisie ni vue venir. Et des perspectives toutes liées à l’inconnu. Un an de congé longue-maladie, puis un reclassement, pour éviter le mi-traitement, qui ne mènera à rien : 30 candidatures sur Emploi-public, pas un retour positif, pas un seul entretien. À 56 ans, on voit bien que plus personne ne vous attend, socialement. Un stage d’immersion dans la Culture et la Communication de la ville et de l’agglo, que je remercie pour la confiance, mais qui n’a mené à rien non plus. Et maintenant, l’inconnu puissance 10000, avec les trois postes que l’administration se doit, légalement, de me proposer. En espérant qu’ils tiennent compte de ma situation personnelle et médicale, qu’on ne m’envoie pas à Sedan quand je vis à Sète. Sinon, ce sera l’armada fatale des recours administratifs, la question lancinante de ce qu’on fait d’un fonctionnaire qui a œuvré 30 ans à la réussite de ses élèves, qui a entre-temps – autre requête en suspens – obtenu la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé et qu’on traite comme un moins que rien parce qu’il a eu un AVC. Cela étant, je suis plus optimiste que je ne l’aie jamais été avant l’accident, parce que j’ai appris la relativité, parce qu’il n’est pas impossible non plus que des gens dont c’est la charge fassent correctement leur boulot. Et parce je suis suivi psychologiquement comme je le suis médicalement, que ça aide à mettre des mots sur des choses qu’on ne dit habituellement pas. Je me souviens de mes chroniques écrites sur mon lit d’hôpital, la façon dont elles m’ont aidé à revenir à l’abstraction nécessaire. Je sais qu’elles ont été suivies, on m’a souvent demandé pourquoi je ne les avais pas publiées : je répondais qu’écrire sur la maladie, même la mienne, n’était pas ce pour quoi j’étais fait, comme écrivain. J’ai préféré, après, enchainer, comme un damné, littéralement, trop conscient de ce qu’il me restait à faire : de mémoire, j’ai corrigé le volumineux fichier d’Aurelia Kreit, 2evolume, écrit les 15 portraits des Figures singulières qui restaient pour en éditer le premier tome, enchainé avec les 26 du 2e, j’ai écrit la Cantate d’une traite, mon Noz d’émeraude, le Murat à paraître, des chansons, des (longs) poèmes, commencé Yrina Kreit qui sera sans doute mon dernier grand-œuvre. J’ai été accueilli en librairie, dans de superbes galeries, aussi, et comme si ça ne suffisait pas, j’y ai été accompagné par Tito, de Aurelia Kreit, par Stéphane et Éric, du Voyage de Noz, par Clara, pour notre récit-récital. J’ai vécu, aimé, profité, fait le tri dans les relations toxiques, combattu pour des amitiés, surmonté mes déceptions... Si je regarde ça maintenant, c’est presque le travail d’une vie, mais j’assume. J’ai profité d’un temps que je n’aurai plus quand je reprendrai le travail, tout en allant, le matin, mettre mon corps à l’épreuve du sport, que je ne pratiquais plus depuis belle lurette. J’ai lu et chroniqué des dizaines de livres (chacun) de Pascal Quignard, Éric Chevillard, Pierre Jourde, Jean Mattern, les ai interviewés en public, j’ai aidé à la naissance du Descartes de Jean-Louis Cianni, renoncé à la présidence du festival du livre pour ne plus subir les réactionnaires locaux, recouvré ma liberté. Ah, j’oubliais, j’ai refait l’historique complet du bâtiment (le collège Victor Hugo) qui accueillera prochainement le Pôle universitaire Michèle Weill, dont j’ai aussi écrit la biographie (courte). Avant de me lancer dans l’écriture de celle (longue) d’une personnalité bien connue, dans l’île singulière. J’ai soufflé avec mes proches les 55 bougies que j’ai pensé ne jamais avoir, fêté largement mes 56 en retrouvant des gens que j’ai toujours aimés et qui m’aiment peut-être un peu plus, encore, maintenant. Et c’est plutôt agréable. Je n’ai plus de bateau, plus trop compatible avec mon équilibre précaire, mais je pense l’avoir bien transmis, dans l’âme. J’ai renoncé au dernier moment à aller voir Mc Cartney à Paris, par peur de la fatigue, mais suis allé voir Saez avec mon enfant, qui m’a écrit une lettre il y a peu qui vaut mille fois celle que je lui ai destinée pour ses 20 ans. Qui a dit ça : Mon père, ce serait le seul à pouvoir extirper l’Excalibur de la langue française, pourvu qu’une telle épée existât, ce qui justifie 1) que je puisse mourir, maintenant 2) qu’on grave ça sur une pierre bien banale qu’on posera quelque part, partout où je serai.
On est le 31 de ce mois. Par provocation, comme Pierre Desproges a mangé un crabe le jour où on lui a appris qu’il avait un cancer (« un partout ! »), je pourrais manger autant de Mars qu’on en compte ce jour, mais je préfère me dire que j’en ai offert 30 à ma sœur hier, pour ses 60 ans, que je n’envisageais pas, il y a deux années pile. Ils sont arrivés après quatre jours de joie pure et d’amour fou, comme les autres échéances viendront, maintenant : je n’ai (plus) peur de rien. Comment il disait, Blier, déjà ? Ah, oui : merci la vie.
*En référence au très bon Céphalées de Nicolas Vitas, chroniqué ici.
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24/03/2025
Les perdantes irrémédiables.
Le recueil de nouvelles de Christian Chavassieux (de Province, où elles vécurent, la Rumeur libre) se construit sur une boucle, puisque le prologue le dédie à Xavier, immense lecteur, et que la dernière nouvelle est consacrée au récit de son suicide, des répliques qu’il a entrainées auprès de ses amis, dont l’auteur et sa douce, à qui il consacre la plus longue – près de la moitié de l’ouvrage – des récits, sous le titre Mado & Léo. Qu’il ait changé les prénoms, ici et là, n’y change rien, lui-même prévenant dès l’entame : Je vais donc nous livrer tous, nous livrer car écrire est un acte de trahison. Dans les inconsolables, l’histoire qu’il consacre à sa compagne, il y a d’abord cette mythologie des hirondelles et de la buanderie qu’elle laisse ouverte pour elles, honorée de leur fidélité, puis le peuple des chats du haut (et par conséquent celui du bas), la perte parentale, la phobie des autres et de la voiture, l’amour inconditionnel qu’elle partage en silence avec son écrivain, dans le dénuement – le luxe de ceux qui ont renoncé à l’aisance pour savourer le temps – les confessions au psychiatre, l’effroi devant l’avenir politique qui s’annonce. La ouate et l’autarcie salvatrices, la violence du dehors. La fin de vie, là aussi, la démence de la mère, l’abandon du père – pas de médecin, pas d’hôpital, pas d’urgences, ça ira comme ça- la querelle de qui des deux partira le premier, quand ce sera leur tour.
De Province est une somme de 15 nouvelles, certaines très courtes (une page, une page et demie) et d’autres plus conséquentes, dans la durée, jamais dans le sujet : les histoires qui me touchent, écrit-il, sont celles de perdantes. De perdantes irrémédiables. Toutes situées entre deux siècles, sans que rien n’ait vraiment changé, ni chez elles, ni dans le monde dans lequel elles évoluent. Qu’elles subissent, davantage. On y trouve des histoires de deuil, de fin de vie à l’EPHAD, de disparues dont on salit la mémoire en s’en moquant encore, de chômage, d’emplois aidés (vos TUCS, c’est du toc !), d’avortements répétés, d’enfants élevés dans la haine de leur mère, d’une terrible désillusion quand on croit voir un visage aimé tant attendu… Chavassieux avait averti, là aussi : enfant, il jugeait les femmes supérieures aux personnages masculins, avant de se rendre compte que la réalité était autre, et qu’elles pouvaient être absolument décevantes, comme eux. La désillusion (encore) est supérieure à l’idéalisation, et c’est là-dessus qu’il construit, d’une petite voix intérieure, l’énoncé de l’ensemble des non-dits qui construisent les relations humaines, celle d’une sœur qui refuse à la sienne de partager le deuil de leur mère, d’une directrice de prison qui refuse à des détenues de voir le fruit de leur travail artistique (sauf en payant), d’une femme – un corps brut de femelle sèche, millénaire, en T-shirt et poignets de force, laide, visage osseux, regard d’une dureté insoutenable – qui le renvoie à (s)es mollesses de vie confortable… Il y a cette clocharde qui le réveille en pleine nuit pour qu’il l’emmène à l’hôpital et qui ne s’en souvient pas le lendemain (les bonnes actions sont gratuites), cette jeune fille dont l’entretien à Pôle-Emploi n’a fait que renforcer le sentiment d’exclusion, cette plus ancienne qui ne supporte pas qu’on ne l’ait pas retenue pour un festival parce qu’elle a plus de 50 ans et le fait culpabiliser. Il y a Angèle, Inès, Mina, Louise, Solène, il y a cette jeune femme violée en réunion par un grand connard de boucher-charcutier hilare, qui n’aura pour seule possibilité de défense de faire la gueule le lendemain. Les actions se situent en bord de Loire, dans la campagne reculée – on retrouve les prés de chardons deux fois - et quand il fait voyager ses protagonistes aux États-Unis, c’est pour qu’ils se retrouvent dans un dinner paumé, avec Tom Waits en titre et fond musical : c’est l’Amérique des autres…
On sait depuis l’Affaire des vivants que Chavassieux excelle dans le réalisme et qu’il sait mieux que les autres remonter les secrets de famille, les pathologies collectives et l’extraordinaire puissance de la nuisance sociale. Ce livre articulé autour du suicide et de l’échec pourrait plomber le lecteur s’il n’était pas doublé d’une très forte déclaration d’amour envers les plus opprimées de toutes – je suis moins apitoyé par le sort de mes frères – celle qui existent encore moins que les autres, qu’on gratifie d’un pauvre (Mina) méprisant quand on veut bien les nommer et qu’on humilie jusque dans la mort : celle d’une mère à qui on aurait juste aimé dire je t’aime, une seule fois, une autre à qui on aurait aimé demandé si elle nous avait aimé, au moins. Et puis il y a cette langue archaïque dans le sens le plus noble du terme, qui fait que les récits s’enchâssent et que l’ensemble se lit d’une traite : on dit trop souvent que la nouvelle mène au roman, quitte à ce qu’on retrouve, souvent, dans l’exercice, les mêmes défauts d’écriture (comptez le nombre de fois où l’anaphore est utilisée…) ; ici, c’est le roman qui a mené à la nouvelle, et c’est l’exercice d’un auteur essentiel, dans sa démarche et dans son œuvre.
De Province, où elles vécurent, la Rumeur libre, 2025
14:44 Publié dans Blog | Lien permanent
21/03/2025
Bal', Bob & I.
Il se passe de chouettes choses dans cette petite librairie de Caluire - par ailleurs mon Combray à moi. Balmino y était en récital mercredi, Marie Schermesser, aujourd'hui, viendra parler de la traduction de Bob Kaufman (Sardine dorée, le Réalgar) et vendredi prochain, je serai avec Stéphane Pétrier, Stéphane Thabouret et des membres du Voyage de Noz sur l'absence de scène de la librairie pour présenter mes Noz d'émeraude et lancer ainsi les festivités de l'anniversaire du groupe.
En prime, les mots qu'Anthony, le libraire, a tenus à mon égard : "Laurent Cachard est habité par quelque chose qui le dépasse, du coup, il ne fait jamais les choses à moitié, c’est pour cela qu’on l’aime. Il y a une intensité rare qui traverse son œuvre (aux écritures multiples) mais sa sensibilité n’est pas sacrifiée à sa rage de vivre et d’écrire, son esprit va vite mais il aime prendre son temps, explorer l’objet qu’il aborde pour en faire émerger toutes les faces et livrer une exigeante recette que chacun pourra s’approprier. Si nous sommes parfois bousculés par son écriture, sa densité, ses lacets, ce chemin est régulièrement récompensé par des instants de grâce.."
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01/03/2025
LYON CAPITALE.
Si l'on considère que Lyon Capitale m'accorde un article tous les 13 ans, il faudra attendre ma 70e année (sic) pour que ce magazine chronique un de mes prochains ouvrages. En attendant, il y a l'émotion de relire ce beau papier autour de mon Poignet d'Alain Larrouquis et plus encore d'y trouver trace, dans l'édition de cette semaine, de mes Noz d'émeraude, en attendant la rencontre le 28 mars (18h30) au Panier de livres, à Caluire.
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12/02/2025
L’IMMENSE DOUCEUR DU CONSTAT.
C’est un p…. d’album - les modes ont un sens - le prochain album de Stéphane Balmino, les saisons à l’envers, comme un rappel à l’année dans le même sens de Boris Vian ou comme le signe de la mélancolie d’un temps où les choses allaient dans la bonne direction, ou qu’on n’avait pas la conscience qu’elles passaient, convaincus de notre invicibilité. Le goût des lendemains, la force de retourner en studio et d’offrir à son public un support qui n’est plus du tout au goût du jour, l’énergie qu’il faudra pour le défendre. A moins que l’auteur d’un « J’écris » - qui campe dans mon Panthéon musical – s’offre, à la Ferré, une Saison en enfer, en jouant sur les nombres et sur un bout de sonorité. Rimbaldien, il l’est assurément, Balmino, qui ouvre, sur fond de sirène lancinante, sur un morceau de près de 7 minutes – deux fois la durée d’un passage radio – assumé, le N de l’amour, la haine du conformisme dans une vie qui vit son p… d’automne, qu’il n'espère pas éternel, puisqu’il s’agit, ici, de les inventer, les saisons, de mettre le feu aux règles du jeu. Huit morceaux pour une quarantaine de minutes, c’est un format anachronique et ça lui va bien, à Balmino, chez qui on entend les références sans qu’il en joue : de Brel, à qui sa voix renvoie, on retient l’ombre de ton ombre, l’allusion au chien, la quête, aussi ; de Leprest, avec qui il a chanté, cette façon de poser, dans les textes, une énonciation particulière, de parler d’Elle comme de Je (forcément un autre, vu comme ça) ou de tutoyer, en interpellant : tu es là, tu es le prix à payer. La déraison d’être. De Tom Waits, outre le côté éraillé, il y a ces superbes motsanglais glissés en refrain du premier – long – titre : every beginning has an end. Même dans cette nuit sans retour dont il s’est protégé, Balmino, dans sa vie en quittant la Croix-rousse pour la quiétude de la campagne : Ici, le calme est partout, l’encre peut couler, les pages se tourner. On peut, enfin, regarder le temps passer, sortir les eaux de vie et envisager, sereinement, l’heure qui ferme les paupières. Mais pas avant d’avoir féraillé dur (Je graverai mon pied au cul de ceux qui n’ont pas entendu) et de renvoyer, au mitan de la moitié de l’abum – un vrai, qui s’écoute linéairement – à la distorsion des guitares électriques et des levers brutales de batterie claire. Avec ses Bad Seeds à lui, il a peaufiné les mélodies, piano, accordéon, cordes, s’est appuyé sur une session rythmique impressionnante, et ça donne un 7e album dont on dirait paresseusement qu’il est l’album de la maturité (cliché inside) s’il ne l’avait pas déjà acquise avant – et notamment dans Contresens, qui disait déjà tout de la vie qu’il s’est choisie. Son évidence du septénaire* - il y a biensept jours de la semaine, sept planètes importantes, sept couleurs dans le spectre de la lumière, sept merveilles du monde et, comme un message qui lui serait adressé de très loin, sept notes de musique - il l’a construite sur une injonction (refuse tous les compromis !), des récurrences (les thèmes du vent et du silence), des camaïeux (la note bleue – d’accordéon – la nuit noire) et unquestionnement : de quel sommeil faudra-t-il s’arracher pour qu’on ne nous enterre pas vivants ?
Les saisons à l’envers, c’est un manifeste pour que rien ne reste de travers, pour la caravane de ces instants fous à lier, qui mettent l’intensité au centre de ce qu’il nous reste à vivre. Une immense douceur du constat : on est curieux, on est merveilleux, on se tait. Sans chercher le dernier mot – que tu manipules à merveille, souvent – mais toujours le premier geste (disait Reggiani). Ils ne se pas étendus sur la question, mais il y a deux ans, leur (nouvelle) maison est partie en fumée. L’incendie, la date contre laquelle on se bat pour qu’elle ne soit pas déterminante de ce qui fut, mais génératrice de ce qui sera. L’homme du futur antérieur - Il en aura fallu, du temps – joue entre le mode de l’action, au matin du grand soir, et le futur simple des horizons qui chantent, de nouveau, le goût des lendemains. Sa tribu et luiauront connu les abris de fortune (quand tournent les vautours ?), compris que 500 ouvrages partis en fumée ne sont rien au regard de ce qu’ils auraient pu connaître de pire. L’important, c’est la danse, les corps en vie qui réagissent aux vibrations, les hanches (de mescaline) gémellées à la psycho activité, en expérimentation : une espèce de transe, que confirme son complice Nicolas "Boulasse" Moumbounou, dans l’idée de métisser les sens uniques. Les saisons de la viesont métaphoriquement celles des âges et des expériences vécues : la fragile tarentelle de la sienne, Balmino veut la mener en plein, sans regrets – je partirai sans crainte et sans laisser d’adresse – en cavalier solitaire (on n’est pas obligé de le croire) né pour le vent. Insistant : j’ai toujours aimé le vent. Qui le portera, lui aussi, loin des masques qui grimacent et de la pourriture du fruit, vers les bouquets d’étoiles vers lesquels il navigue : les paraboles maritimes (gonfler la voile, le navire, lechalut, le raffiot, babord, la proue, la quille…) sont nombreuses pour un homme qui s’est réfugié à la campagne ! Mais les odyssées sont intérieures, le plus souvent, et il faut de la métaphysique pour prendre la peine, reconnaître son Ithaque (ici, tu peux te poser) et savoir que l’on a bien travaillé. Comme les paysans d’à côté, finalement, les seuls à savoir quelles sont les influences des saisons, leur almanach amoureux** à eux - Nom de Dieu, déjà septembre Fainéants peuvent s'aller pendre Aux vendanges de septembre tout s'arrange - et l’artiste a toujours été le complément idéal de celui qui, cultivant la terre, se permet un 3e sillon, quand deux suffisent, pour signer son tableau (l’apologue est de Alain, sur le travail). On gage, sans rien en savoir, que la vie se reconstruit là- bas au rythme de ce qui se passe quand tout s’est effondré, mais qu’on n’a jamais été aussi proche du terme et donc du recommencement. On se sépare ou on se répare, c’est sur ce pacte qu’on engage une reconstruction, et les 4 saisons de Balmino – hiver, automne, été, printemps – aboutiront donc, si on a bien saisi, à l’air qu’on reprend (le souffle, l’inspiration, l’intuition), aux champs reverdis, aux fleurs et aux bourgeons sur les arbres de Perséphone. Qui ne peut, dans le mythe, rester plus de quatre mois auprès de la Mère-Nature, mais qui laisse, à chaque fois qu’elle s’en va, la perspective qu’on la retrouve. Il en est ainsi des chanteurs qu’on aime, et même de ceux qui ne sont plus là : ça n’est pas pour rien qu’ils abreuvent leurs propres sillons, en 45 ou 33 tours. Du bout de quel silence ressortira-t-il, Balmino, quand il aura livré sa dernière production ? Un jour, on se sait, c’est lui qui l’a dit (après Gabin, après Socrate). On aura le droit de préférer telle ou telle rythmique, telle façon de raconter une histoire. De considérer le danger d’avoir tout dit dans le masterpiece du premier morceau. Mais impossible de rester de glace, et difficile de se dire que nos peurs de l’enfance (et nos parties de cache-cache) étaient des danses et qu’on ne l’avait encore pas compris. Mais on pourra aussi écouter ce disque-là en boucle, l’inscrire tout de suite dans la playlist de notre vie propre, qui connaît un automne providentiel et levoudrait flamboyant, encore un peu. Avant de la rendre (la vie), comme l’âme, à qui elle appartient. À qui elle appartient. À qui elle appartient. En tout cas, cet album à venir s’offre ce que peu de disques ou de livres – ces activités de jadis – peuvent s’offrir, maintenant, à l’heure des courses contre la montre et des concours d’éloquence : une durée, l’idée de quelque chose qui fait sens. Pour pasticher, un origami musical, un plaisir délicieux (…), isolé, sans la notion desa cause. Et l’envie (personnelle) de demander aux violonistes et violoncellistes – Tout son ranime de la mort, restitue la merveille du souffle à des corps désertés par le souffle*** – s’ils ont ressenti l’impression de participer de quelque chose de supérieur à l’enregistrement d’un disque. D’un son sacré sorti autrement que des guitares, « Il cimento dell'armonia e dell'inventione ». Des chansons écrites pour servir d’écrins littéraires m’inventent des souvenirs - à la musique, des instructions données à ceux qui sont venus jouer pour qu'ils insufflent de la vie à ses compositions. Et rendent au silence. Ou à un mot, mais pas le dernier, puisqu’on se l’interdit : ouah ! LC
@balminomusic
*Girafe lymphatique, le Réalgar, 2018
**Jean-Louis Murat, l’almanach amoureux, Mockba, 2005
***Pascal Quignard, la leçon de musique, Hachette, 1987
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06/02/2025
Le secret, du live au livre.
"Les mystères sont-ils faits pour être dévoilés ? Les murs qui les abritent ne sont-ils pas là pour conserver l’équilibre qu’un dévoilement ne manquerait pas de provoquer ? S’imagine-t-on, au bout de la nuit, quitter la maison sur la pointe des pieds, rassurer Thelma — qui n’en a pas besoin — lui souffler qu’il suffira de passer le pont de pierre et s’enfoncer, plein ouest, à travers les champs, histoire d’aller vérifier si le secret qu’elle dit avoir découvert était encore en place. De quel ordre sont les secrets d’enfance ? Ne reste-t-il pas — par nature et étymologie — ce qui reste séparé, à part, ce par quoi un sujet pourra se libérer du langage comme discours de l’Autre... Pourquoi Thelma tient- elle à me le révéler, sinon parce qu’elle n’a pas la force de l’aborder seule, parce qu’il est trop grand pour elle, au sens propre ? En me confiant ce qui doit rester caché, en le partageant, Thelma devient elle-même son mystère, jusqu’à m’inciter à le vérifier moi-même, dans la nuit. Nous voilà marchant sur la pointe des pieds, chaussures à la main, frôlant la chambre des parents. Lieu, déjà, de tous les non-dits. Trop petits pour envisager l’héritage traumatique, assez hardis pour se lancer dans cette exploration. Pour y trouver quoi ? Mon rôle de grand-frère se limite à l’esbroufe et je fais semblant d’être confiant, quand nous traversons les chardons, les bruyères, mais plus on avancera dans l’inconnu, moins j’aurai de certitudes : c’est une évidence que Thelma a comprise, mais que je ne lui concéderai pas, tant que nous avançons."
extrait des Noz d'émeraude, l'An Demain éditions, 2024
https://www.audasud.fr/les-noz-d-emeraude
vidéo: David Ranaldi.
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02/02/2025
Le Voyage en Suède.
C’est toujours assez fascinant de lire un livre dont on a connu les premiers manuscrits : parce qu’on a un peu oublié d’une part, et que l’histoire se dévoile à vous avec complicité, mais aussi parce que le travail est passé par là et que ce qui s’annonçait comme prometteur s’avère, ce qui peut satisfaire l’auteur et celui à qui il a confié la lecture pour avis. Pas de triomphalisme, mais l’assurance forte d’être allé au bout d’un projet. Dans le dernier rêve de René Descartes (Éditions Istya & Cie), le philosophe Jean-Louis Cianni joue d’un ouvrage à trois niveaux de lecture.
Le premier est romanesque et table d’entrée, dès l’avertissement, sur la vérité possible mais invérifiable : l’histoire qu’il va raconter le sera via un personnage inconnu de l’histoire officielle, Thomas Vasseur, jeune orphelin recueilli par le sulfureux abbé Picot, libertin notoire – au sens politique et physique – qui le confie à son tour à son illustre ami Des Cartes (la graphie sera celle-ci), lequel a repéré sa vigueur- Thomas est du genre je bande donc je suis - et son talent pour les mathématiques, cette façon de sortir de la grande rotation des apparences (quand la philosophie, lira-t-on, consiste elle à les refuser).
Le deuxième est philosophique, strictement, puisqu’en faisant de Descartes un personnage, Cianni permet au lecteur d’en saisir le propos comme si le Maître s’adressait à lui (au discours direct, en italique). Il y a un indéniable apport de savoir dans l’ouvrage, mais il n’est jamais didactique : ainsi croise-t-on, au hasard, la description de l’arbre de la connaissance tel que Descartes l’a défini, avec la métaphysique comme racine, la physique comme tronc et toutes les autres sciences comme branches ; l’appareil à mesurer la pression de l’air, qui lui permet de nourrir la réflexion sur le vide qu’il mène avec son jeune ami Pascal ; ses travaux sur l’animal-machine, sur les passions humaines, dans les entrailles d’un lapin écorché vif ou via les mouvements de Monsieur Grat, son petit chien. On notera également les façons dont Descartes (Cianni ?) règle quelques comptes avec ses opposants, contemporains, tels Gassendi, prêtre et savant atomiste, qui prêche l’inverse de son cogito, et Thomas Hobbes, l’Anglais, pour qui l’essentiel n’est pas dans ce que je suis, mais celui que je suis. Ou des plus anciens, Platon en tête, cette vieille peau de l’Antiquité.
Le troisième niveau de lecture, enfin, est historique, puisque le roman se construit sur l’invitation de Descartes à la Cour de Christine, Reine de Suède, et fabrique son exposition là-dessus : sur l’hésitation qu’il met à y répondre – du fait de son âge, son peu d’appétence pour le froid, sa misanthropie, aussi : J’aime la solitude et la liberté. Je me consacre à la recherche de la vérité. Pourquoi me jetterais-je dans le nid de vipères d’une cour royale ? - puis au mitan du roman, sur la décision et le voyage lui-même, qui s’organise. La reine Christine désire que le philosophe l’éclaire sur l’amour et le souverain bien, des questions sur lesquelles Thomas, à Egmond, le sollicitera aussi, tiraillé entre les séances furieusement sexuelles qu’il s’accorde avec Geertje, la fille de ferme et l’émotion absolue que lui a procurée Ana - l’exquise passante - dès le premier regard. Elle est femme du marchand de fleurs, l’entreprend pour travailler son français, se refuse à lui tout en se promettant. En Hollande, Thomas perd de son innocence, commence à contester l’autorité du maître – tout lui semble artificiel dans le monde de Descartes (…) La vérité n’a pas sa place ici – ses accointances avec des milieux ésotériques (les frères de la Rose-Croix), sa duplicité dans son histoire amoureuse. Il règle sa rivalité avec Schlütter, le secrétaire, par une émulation dans la mathématique qui le voit suppléer, pas à pas, son aîné. Voit l’homme qu’il est venu servir se servir pour résoudre son dilemme (partira, partira pas ?) de la méthode énoncée dans le discours du même nom, celle du chemin en forêt : Quand on se perd dans une forêt, il faut aller tout droit ; on arrive toujours quelque part. au terme, , où qu’on se trouve, on s’est au moins sorti de l’égarement et de l’indécision.
La deuxième moitié du roman, sans trop en dire, s’annonce en son juste milieu, en titre de chapitre : la mort pourrait venir. L’Histoire a retenu que Descartes a quitté la Hollande pour la Suède en septembre 1649, qu’il est mort à Stockholm en févier 1650, à 54 ans. Après un dernier portrait à Haarlem réalisé par le peintre Hals, de la chambre de rhétorique, dans lequel Thomas jurera reconnaître un bout de l’âme du philosophe, Descartes et sa troupe prennent la mer, une odyssée au cours de laquelle Thomas s’affranchira plus encore d’un philosophe qui lui confie pourtant une mission essentielle, une fois qu’ils seront arrivés à Stockholm : retrouver Francine, qui y vit, qu’il a aimée jadis – un amour d’enfance dont le vrai Descartes n’a jamais cherché la trace, tu t’en doutes, me glisse l’auteur. Le même Descartes qui sera averti via le pittoresque Commandant du bateau des mœurs assez confuses de cette Reine qu’il va visiter, son genre indéfini, le piège dans lequel il pourrait tomber, dans ce nid de vipères que Picot confirmera par lette, dès son arrivée. Entre temps, sur mer, on aura droit à de belles scènes, comme celle où Pierre, matelot français (de Marseille, avé l’assent) démontre à Thomas, sur les filins des mats, qu’entre penser et agir, il y a une distinction que sa connaissance ne dépassera jamais, ou quand dans une scène quasi-théâtrale (stichomythies à l’appui), Schlütter et Thomas se confrontent enfin, déterminant la prise de pouvoir du second. Descartes, lui, fait encore illusion, expliquant le phénomène de parhélie, l’impression d’avoir deux soleils, le premier n’étant qu’une réplique lumineuse du second, là aussi. Mais Monsieur Grat est mort en mer, et la superstition est forte, dans ce milieu : c’est un mauvais signe, que le séjour du philosophe à Stockholm confirmera. Les dés sont pipés entre le calvinisme de la Reine de Suède et le pan luthérien que défend Descartes en lui parlant d’Elisabeth de Bohème – tout en restant distant sur le terrain de ses propres croyances, même quand le retors père Viogué l’entreprend sur le terrain glissant de la transsubstantiation (du lexique barbare, pour Thomas) et sa parabole issue des Méditations métaphysiques, le morceau de cire* extrait de la ruche - à qui il a dédié les principes de la philosophie, à qui il a dédié le traité des passions de l’âme. La Reine Christine, mystérieuse, le bat froid tout en le maintenant en résidence, s’intéresse davantage à son jeune secrétaire, qu’elle entraînera via sa suivante, Astrid, dans des parties qui lui rappelleront – la construction est cyclique – celles qu’il menait à Paris avec Lisette, dans l’insouciance. Mais entre-temps, l’homme a vieilli et s’est affranchi, comme on le fait d’un maître dont on a tiré la leçon. La mort de Descartes, inattendue – au vu du centenaire qu’il s’était lui-même promis – laisse une part policière à un roman dont on nous dit qu’il est en soi une enquête libertine, avec ses rebondissements finaux, ses leurres féminins, et la fin de l’innocence de celui qui aura passé neuf mois – une éternité – auprès de M.Des Cartes. La vérité telle que nous voudrions qu’elle soit, définitive et incontestable, n’existe pas, dit Thomas, en guise de finale. On jurerait que Jean-Louis Cianni romancier s’est joué lui-même des mille masques imaginés pour incarner à son tour la grande fable qu’est la vie, et le rêve qu’il a prêté à René Descartes, en 311 pages.
* « Prenons pour exemple ce morceau de cire : il vient tout fraîchement d'être tiré de la ruche, il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes ; il est dur, il est froid, il est maniable, et si vous frappez dessus, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps se rencontrent en celui-ci. Mais voici que pendant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évapore, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine peut-on le manier, et quoique l'on frappe dessus, il ne rendra plus aucun son. »
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30/01/2025
Alceste à cheval (sur les principes).
Ma carrière d’homme de théâtre s’est arrêtée quand j’ai compris – après une UV décrochée au théâtre des 30 de Michel Pruner, à qui mes amis et moi avions affligé une scène d’un très mauvais café-théâtre quand nos coreligionnaires lui jouaient (mal) du Beckett, qu’il adorait – qu’au lieu de me confier d’entrée, à 17 ans, le rôle d’Alceste ou d’Hamlet, on me ferait faire des exercices de respiration ou des saynètes débiles. Depuis, mon bilan est honorable, puisque trois de mes pièces – Dom Juan, revenu des enfers, Trois-Huit, Contrebrassensiste – ont été éditées et qu’il m’a donc été donné, une fois dans ma vie, de servir l’alexandrin, déférence gardée envers J.B Poquelin, dont on jouait le Misanthrope hier, au domaine d’O, à Montpellier. Mis en scène par Georges Lavaudant, un monstre de théâtre qui ne s’était jamais, encore, attaqué à Molière. La scénographie, disons-le, puisque c’était la dernière, hier, avant une reprise à Paris, était magnifique, épurée, une espèce de grand mur de verre (9X3 carreaux opaques et réfléchissants à la fois) au verso empli des 33 robes de Célimène, une scène recouverte d’une forme de neige qui accentue les contrastes, des lumières habiles, sur les côtés, pour les changements d’acte, une profondeur de champ qui varie suivant les scènes, des couleurs – pour les verres – des habits sobres et intemporels pour le reste. Et d’entrée – I,1 – quand Alceste et Philinte se querellent, quand Molière pose l’intention (Moi, je veux me fâcher et ne veux point entendre), un contraste, inhabituel : François Marthouret est assez âgé, Éric Elmosnino l’est moins, il y a un léger décalage dans la diction, entre diérèse et synérèse – dans le jeu tout court, sans que rien de tout ça soit incompatible. Et heureusement : en théâtre, l’inégalité des comédiens peut changer à elle seul le texte et son cours. Le duo prend place, comme souvent, maintenant, il faut parfois davantage tendre l’oreille pour un des comédiens, mais le hiatus est posé : Lavaudant montre un Alceste de 60kg – des propres termes d’Elmosnino, après le spectacle – quand on s’attend, qu’on s’est habitué à ce qu’il en fît le double, à devoir incarner la force et la colère à la fois. On comprend vite que l’acteur de cinéma n’est rien quand on confie au comédien un tel rôle, tout le rejet du monde (entendre la société) dans un seul discours, dans ses tirades jamais oubliées depuis leur découverte, à 14-15 ans. Il est félin, Elmosnino, quand Marthouret est plus patelin, mais c’est le mélange des deux qui crée l’alchimie. Et – au contraire de ceux que j’ai entendus après le spectacle et dont l’autorité ne me fera pas changer d’avis – ils sont complétés à la perfection par Mélodie Richard qui joue une Célimène ancrée, séduisante, pénible comme il le faut mais faisant ressurgir par sa présence l’idée d’une jeune femme décomplexée et très en avance sur son temps. Qui rembarre Arsinoé la fausse prude – l’idée de la robe soulevée et des bas-résille qui apparaissent est une seconde de génie – et laisse croire au public qu’elle est finalement furieusement moderne. C’est du théâtre de très haut niveau, et si l’impression globale n’est pas incroyable, c’est qu’il manque peut-être à cette mise en scène la possibilité d’être au cœur de ce qui se trame dans l’action ; des derniers fauteuils de cette très grande salle – bonheur de voir 400 personnes se déplacer pour Molière, encore ! – si j’ai pu apprécier de voir arriver les personnages de derrière le rempart de verre, j’ai regretté de ne pas mieux les entendre, dans tous les sens du terme ; mais quand on connaît le texte par cœur, il faut parfois juste fermer les yeux et s’imaginer plongé dans le procès qu’on fait à Alceste. L’histoire de ma vie, la direction que j’ai prise : à se construire un monstre social, on sort épargné d’une part des vicissitudes de la société, mais rattrapé par l’autre ; jamais indemne. Et la chute d’Alceste, au sens littéral - Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices Et chercher sur la terre un endroit écarté Où d’être homme d’honneur on a la liberté – est toujours, en soi, aussi effrayante sur l’état d’un monde qui n’a finalement pas beaucoup changé. C’est peut-être ça qu’on va vérifier, à chaque fois qu’un Misanthrope se joue : qu’il faut savoir rester prudent. Qu’à la fin, c’est toujours Philinte – mon flegme est philosophe autant que votre bile – qui gagne. Et repart avec Éliante.
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