31/05/2023
Murat & I (1/10)
Je me souviens précisément de la dernière fois que j'ai écouté un disque d'Indochine*. Ce groupe que je croyais disparu ne m'a jamais guère intéressé que par sa reprise de l'Opportuniste, et les quelques morceaux inévitables de ma jeunesse. Mais en 2002 - c'est dingue comme les années passées sont difficiles à écrire - ma femme me dit qu'elle adore une chanson qu'elle entend tous les matins à la radio, dans sa voiture (je n'ai plus de femme, et plus personne de mon entourage ne va plus au travail en voiture le matin...). Il s'agissait de "J'ai demandé à la lune", la très belle chanson que Mickaël Furnon - qui a en commun d'avoir été incorporé au même endroit que moi, sans que nous le sussions -a écrite pour l'album de la renaissance d'Indochine, Paradize. J'ai le souvenir de l'époque, à laquelle les cas avaient supplanté les vinyls, revenus depuis, mais où le rituel était le même : on écoutait l'album en entier, en regardant le livret, paroles, crédits, invités etc. Enfin moi un peu plus que les autres, enfin un peu plus que ma femme, à laquelle, cadeau oblige, je laissais le privilège de la lecture. Moi, j'écoutais et je m'ennuyais ferme, une fois le single passé : l'électro-punk FM me gonflait un peu, mais il faut être tolérant, et je lui devais bien ça, à ma femme, avec mes 458 écoutes journalières du "lien défait". C'est peut-être cette mansuétude qui me revient aujourd'hui, et le moment précis du 15e et dernier morceau, au titre immédiatement accrocheur pour les inconditionnels du film de Verneuil, "Un singe en hiver". Et là, bim, paf et autres onomatopées, un décalage musical, comme pour un blind track, des notes glaciales de piano, une guitare sèche, une voix en retrait, et ces mots-là, mis en abyme : "Je suis rentré d'Indochine hier matin J'ai rapporté des dahlias et du jasmin J'y ai laissé ma jeunesse et ma moto Je suis rentré d'Indochine... " Une référence à Jeux interdits, la mort annoncée de... Bob Morane, des occurrences horticoles, le dalia, le jasmin (on n'en était pas encore au Parfum d'Acacias au jardin), je dis à ma femme, sans information aucune : "C'est du Murat". Je ne sais pas si elle ne m'a pas pris pour un fou à partir de ce jour-là, mais j'avais raison.
* dont Desproges regrettait qu'ils ne fissent pas suffisamment de moto sans casque...
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27/05/2023
Un monde sans Murat.
On m’a proposé successivement, ces deux derniers jours, de venir me chercher dans mon île singulière pour 1) assister à un week-end hommage 2) assister aux funérailles de notre berger perdu de Chamablanc. J’ai décliné poliment, arguant du fait que je n’aimais ni les rassemblements de fans, ni les intrusions dans ce que je considère la vie privée. Murat est mort, c’est dur, mais pour les proches de Bergheaud, c’est pire ; au moins peut-on se dire que l’œuvre restant, on peut continuer de la solliciter pour ce qu’elle nous a toujours apporté. Ajouté à cela que je réponds depuis 48h, quand on me demande comment je vais, que je vais mieux que Murat – en empruntant son cynisme potache – j’ai du mal à dissocier que dans un temps assez court, j’ai failli partir et que lui est parti. Qu’une des premières conséquences de mon accident, c’est qu’à peine avais-je le cervelet tourné qu’il m’a laissé un monde sans Murat. Que ce blog, par exemple, perd une de ses grandes sources d’inspiration et de régularité. Il me reste des artistes avec lesquels j’ai des rendez-vous réguliers, mais jamais autant ou depuis si longtemps que lui. Stéphane Pétrier, si, le chanteur des Noz, mais c’est plus proche, et puis je m’étais éloigné d’eux. Pourtant, c’est sa Petite luge que j’aime écouter, en ce moment, bien que je ne sois pas – du tout – amateur des reprises de Murat. J’aime ce morceau sans doute parce qu’il est abordé, en bonus, avec toute la fragilité du monde, toussotement compris, au départ. J’écoute peu Murat en ce moment, ne lis ni n'écoute rien sur lui et m’agace du concours de douleur sur les réseaux sociaux. Je fais comme d’habitude, depuis trente ans, j’attends qu’il soit l’heure de le retrouver et si je veux pousser un peu, il sera l’heure, un jour. Mais pas maintenant. On pleure toujours sur soi quand on voit disparaître un artiste qui a compté : parce qu’il nous renvoie à des périodes, parce que des visages, des noms ressurgissent, parce qu’on passe deux heures au téléphone avec un ami qu’on s’était juré d’appeler depuis longtemps et parce qu’un sourire ému nous est envoyé d’Afrique du Sud. Pas loin de Bonne-Espérance, quand je vous dis que tout est lié.
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25/05/2023
La chanson de Dolorès.
Il y a la brutalité de l’annonce, les larmes qui montent à la terrasse d’un café, un départ précipité pour encaisser. Se dire qu’un monde sans Jean-Louis Murat commence aujourd’hui, dès maintenant. Et que celui avec était quand même nettement mieux, même si on a souffert avec lui, s’il a trouvé les mots pour nous, et si cette relation était privilégiée à chacun : j’ai toujours détesté les appropriations d’artiste, et trouvé ridicules ceux qui se revendiquent comme ses plus grands fans, créant une communauté que j’ai perçue comme grotesque, en permanence. Et finalement plus éloignée de ce qu’il était et a fait qu’elle ne pourrait l’être, mais rien d’important. Il y aura suffisamment d’indécence – comme à la mort de Didier Le Bras, le plus grand exégète de son travail – pour que j’accorde à ces suiveurs la moindre importance. Aujourd’hui, ce sont autant de personnes – Franck, Malika, Olivier, Éric, Françoise, Christophe… - que d’existences qui sont bouleversées, tellement les chansons de JLM les ont rythmées, ont conditionné les choix qu’ils ont faits, les routes qu’ils se sont tracées. Avec la certitude de n’appartenir, comme lui, à aucun troupeau (le mot n’est pas choisi au hasard), aucun entertainment dirait-on aujourd’hui. Lui s’en foutait, de ses montagnes au-dessus de Clermont, il s’occupait des vaches et terminait un autre de ses quelques trente albums : il avait appris, après les fastes, à bien s’entourer, produire lui-même, enregistrer à la maison. Pas en plein air, comme il y a trente ans, quand il a commencé à tourner, quand il est passé au Transbordeur avec la B.O d’un film qui n’a jamais existé. Depuis trente ans, à vingt-deux reprises, j’avais rendez-vous avec lui et à chaque fois, c’était réussi, même quand c’était raté : c’est justement parce qu’il ne fallait s’attendre à rien que ça fonctionnait, quand il le voulait. Quand la magie opérait et qu’il était capable d’envoyer des bisous au public – c’était plutôt rare – et de lui dire qu’il l’aimait. Murat, c’est l’allégorie du parcours atypique et de l’indépendance, même s’il n’avait pas vu les choses comme ça, initialement. Ce sont les années sombres de grands questionnements, les premiers cds gravés (à l’ENS de Lyon !) des inédits dont il inondait la toile, les deux éditions de Murat en plein air, son premier 45t, qui annonçait la couleur : « Suicidez-vous, le peuple est mort ». À titre imbécile et personnel, c’est un message de lui pour me féliciter de « Tébessa » et de l'article qui a lancé ce blog et m’a permis de rencontrer Bougnat (l’autre). Lui qui détestait les journalistes avait beaucoup aimé le fait que je n’en fusse pas un. Murat, c’est ma jeunesse et celle de ceux de mon âge, qui ont fini par ne plus reconnaître, dans un curieux déni, les quinze-vingt ans qui nous séparaient lui et nous. Qui font que, l’âge avançant, on perd de plus en plus de personnes qu’on admire, vient de me glisser un ami, programmateur, qui dit qu’en le voyant récemment, il a eu comme un pressentiment. Comme si un monde sans Murat pouvait s’annoncer. Des endimanchées qui quittaient la salle avant qu’il les reprenne au concert du domaine d’O. après lequel Christine m’a remercié de l’avoir réconciliée avec lui, il s’est passé vingt-neuf ans, dont près de quinze de concerts chroniqués, souvent dans la foulée, comme s’il fallait que je convainque – ça a été l’histoire de sa vie – qu’il se passait des choses fascinantes derrière le mythe et l’image bourrue. Je pense à sa famille, celle d’avant, celle d’aujourd’hui, aux paysans du coin qui ont perdu l’un d’eux. Aux anonymes, jamais à ceux qui revendiquent, ou se croient les héritiers. On n’écrit pas sur Murat sans en renvoyer quelques-uns dans leurs 22m. Il l’aurait fait, lui, ou envoyé un de ses guitaristes – mort aussi – dire à l’un de ses thuriféraires qu’il ferait mieux de s’inventer une vie plutôt que de s’accaparer la sienne… Murat n’est plus là, et c’est éminemment triste : tout me paraît vulgaire.
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17/05/2023
L'Abandon.
C'est le titre du EP de mon ami Éric, enregistré avec l'aide de nombreux musiciens, dont mon ami d'enfance, le batteur Denis Simon, Gérard Védèche & Gilbert Marin, Vincent Perier, d'autres... Ça fait vingt ans, maintenant, qu'Éric et moi menons nos projets. On adhère ou pas, à la voix, au genre musical, mais moi je l'aime beaucoup, ce petit EP extraterrestre, six titres différents, qui se terminent sur un piano-voix pour lequel, je le dis, il faut avoir une sacrée paire de.
Ça sort aujourd'hui, c'est disponible sur toutes les plateformes, et gratuit (avec les pubs) ici:
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12/05/2023
Chroniques d'un AVC (31 mars/10 mai)
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09/05/2023
10 ans de Camille.
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04/03/2023
C'EST VRAI L'HIVER DURE TROP LONGTEMPS.
L’hiver, ce sont les vingt ans que Brigitte Giraud a passés avant de pouvoir écrire sur la seconde d’une vie qui en fait basculer d’autres, celles de la femme, de la mère, du fils, et – même s’il n’en sait rien, à dix mille kilomètres de là – d’un constructeur de motos, routières ou sportives, la distinction a son importance. Un hiver commencé en plein été, un lendemain de solstice et de fête de la musique, dans la routine absolue d’un vieux rocker rentré dans le rang, chef de famille, papa attentif et entreprenant – on est dans l’ère des nouveaux pères, précise l’auteur, aux responsabilités partagées, et Claude ne raterait pour rien au monde la sortie d’école, les jours où il en a la charge – conjoint comblé et amoureux, tolérant, aussi, concédant à sa compagne des lubies de changement. De lieux, de projections. Passer de l’appartement à la maison individuelle, du Canut (« des surfaces qui avaient, au XIXe siècle, abrité des ateliers de soierie et dont la généreuse hauteur sous plafond permettait l’installation de métiers à tisser et le couchage des soyeux ») au mobilier de jardin en fer forgé, acheté aux Puces du Canal. Vivre vite (et mourir jeune), indépendamment d’un emprunt à Lou Reed – qui n’a rien respecté de l’injonction – c’est le récit d’une culpabilité déchargée de sa faute : non que le temps ait fait son œuvre (l’antiphrase la plus célèbre de la langue française) mais parce qu’il a autorisé l’auteure à faire du jour le plus triste de sa vie un matériau d’écriture, qu’elle aborde méthodiquement. Par la litanie des Si, commence-t-elle, elle tente de revenir au marché des vivants, et fait correspondre la vente de la maison, qu’ils n’auront jamais occupée ensemble, en vingt ans, avec le sujet du roman. Est-ce roman, est-ce diable, à qui s’adresse la lumière, écrit-elle, pour conjurer le sort, ou, du moins, accepter qu’on ne le pût plus ? La cause de l’accident, officiellement, n’existe pas, il faudra donc à l’enquêtrice en remonter toutes les possibilités, ramener une réalité au conditionnel passé. Toutes les pistes deviennent têtes de chapitres – courts, oppressants, au fur et à mesure que l’issue, pourtant connue, s’annonce – égrènent l’ironie du sort, les mauvaises coïncidences, les regrets et les remords, dessinent aussi un contexte d’époque – l’appel qu’on ne passe pas parce qu’ils sont surtaxés entre Paris et Lyon, l’absence de portables, lesquels auraient permis le SMS salvateur, la gentrification, qui provoque, même chez les amis très à gauche, une injonction d’expansion qu’ils ne se seraient, tous les deux, jamais imaginée, un jour.
Claude a su aborder le virage de sa vie qui l’a fait passer d’un travail dont il ne voulait pas à un poste dont il aurait rêvé : à la Bibliothèque de la Part-Dieu, il est en charge du service musique, vinyls, cds… Quand il rentre chez lui, il écrit des chroniques, est pigiste au Monde – dommage qu’on ne parle pas de M. Hublot dans le livre – connaît tout avant les autres, partage ses découvertes, sans jamais se la jouer. Elle écrit, a du succès, déjà, entre dans le grand monde de l’édition, qui la couronnera plus de vingt ans après, avec un livre qu’elle aurait voulu ne jamais devoir faire, et qu’elle échangerait évidemment, séance tenante, contre la possibilité de revenir une seconde avant le feu rouge fatidique. Le récit est resserré, étouffant, l’auteure – faut-il parler de narratrice, ici ? – s’en veut à elle-même avant d’en vouloir aux autres, à son grand-père de s’être suicidé et ainsi de lui avoir légué la part nécessaire à l’achat de la maison, elle dit d’elle-même qu’elle n’est pas du genre à renoncer mais qu’elle aimerait renoncer, enfin, à ne jamais renoncer. Les énumérations – Je me souviens – les anaphores – Et si… - les changements d’énonciation – ponctuellement, et à la ligne, un présent de narration qui refait l’histoire – servent le récit dans son analepse, graduée : d’abord recréer les conditions de l’accident, remonter, s’il le faut, à Jean Moulin, ceux qui l’ont servi, ceux qui l’ont trahi. Solliciter, puisqu’il le faut, des forums de spécialistes, sous le pseudo de Carburateur flingué, pour comprendre comment une moto jugée trop dangereuse au Japon pour être commercialisée, peut circuler en France librement, et finir dans les mains d’un homme qui, on ne saura jamais pourquoi, la préfère un jour, pour une escapade – le matin à 200km/h sur le périphérique, l’après-midi, en mode plan-plan pour revenir du travail – à sa Suzuki habituelle. Pourquoi Claude a-t-il réinvesti la mythologie du rocker, transgressé les interdits – emprunter la moto de son beau-frère, sans assurance ni autorisation –profité de l’absence de sa femme pour revenir à ses premières amours, jamais l’intolérable ne trouve de réponse suffisante à celui qui se pose la question, mais Vivre Vitepropose des pistes, comble des vides, ramène le sort à son destin, finalement. Ça fait seulement vingt ans que je me repasse la scène, avoue l’auteure, qui marque les esprits parce qu’on a tous, à cette époque, connu cet instant où tout bascule, où une phrase, On n'a rien pu faire, détermine, en une seconde, le temps qui vous reste. Il y a une véritable abnégation dans l’écriture de ce livre, celle de lutter, toujours, contre le pathos ; de restituer Claude tel qu’il était et, in fine, tel qu’il est resté ; d’accepter son propre vieillissement, de fait, les prémices – pas de l’oubli – mais d’une mémoire qui a fait son temps. Son œuvre. Et qui ravive un homme qu’on croyait perdu. L’excipit est poignant et valide à lui seul la lecture du bouquin. Qui se lit, comme souvent chez Giraud, avec la bande-son intégrée - et si gémellaire ! - du Courage des oiseaux jusqu’au Dirge de Death in Vegas, peut-être le dernier morceau que Claude a écouté. On trouve même Philippe Pascal, passé par là, parti lui aussi : ça tombe bien, son Éclaircie, d’ailleurs reprise par Dominique A, pourrait résumer l’entreprise littéraire. Ou signer la fin de l’hiver. Apprendre, en passant, qu’un des livres jamais écrits par l’auteure, devait s’intituler « Cache-Cache » ne me surprendra finalement qu’à moitié. La question de la littérature ne se pose plus quand le sujet s’impose de lui-même. Nous tous, qui avons pris notre temps, devrions lire « Vivre vite » : il en dit beaucoup sur nous, plus que sur ce/ceux que nous avons perdu/s. LC
Brigitte Giraud, « Vivre vite », Flammarion, 2022
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30/01/2023
TOUT EST ENCORE À REFAIRE.
LE VOYAGE DE NOZ, 36 ans, transborde ses passagers d’une salle à l’autre, à trente ans d’écart.
On ne peut même pas leur reprocher ça. En choisissant, comme une évidence, « Tilda & Dad » pour la première partie de leur concert au Transbordeur, les Nozn’ont pas seulement tapé juste dans le talent, ils ont aussi refait le lien avec ce qui reste le fait d’armes de leur passé, sans jamais insulter l’avenir. Emmanuel Perrin foulera donc bien la scène du (plus petit) Club-Transbo comme il a foulé celle de la grande salle d’à côté, en 1989. Le 24 mars, dix jours après Niagara, pour la petite histoire. Mais il la foulera avec sa fille, qui n’était pas au programme d’une époque qui a vu le Voyage s’affirmer comme le groupe lyonnais pouvant remplir une salle comme celle-ci et succéder, pensait-on, aux Ange, Ganafoul & Starshooter. Qu’advient-il des chemins qui n’ont pas suivi leur voie, c’est une question métaphysique, qui ne regarde personne d’autre qu’eux, leurs choix, les incidences. Reste que plus de 30 ans après, ils sont toujours là, et réussissent même, donc, à ramener ceux qui ont quitté le train, le temps d’une escale. Il y a cinq ans, déjà, ils avaient comblé trois décades depuis Opéra, leur premier album, invité leurs copains d’Aurelia Kreit en première partie, à Rillieux. Depuis, les Kreit sont retournés à leur retraite et les Noz ont enchaîné, toujours soumis au rythme frénétique de leur auteur, qui doit craindre que ses créatures le dépassent dans la vraie vie et les couche, de fait, sur papier. En 2011, « Bonne-Espérance », un roman musical en 21 chapitres avait déjà validé des velléités que Stéphane Pétrier n’a jamais éludées : ses chansons sont à textes, et ponctuées de renvois, cinématographiques, littéraires… Des RCCC, références culturelles collectives cachées (suivant les parcours). La moindre des choses pour un groupe né sous une bonne étoile, celle des Chants de Maldoror et d’une new-wave consciente, et pénétrée. Les affres de la post-adolescence, des déterminismes sociaux et culturels, le groupe y gagne une certaine préciosité qu’il mettra quelques années à combattre, en se salissant musicalement, en s’acoquinant avec l’Enfance éternelle, le temps d’un festival lyonnais, en faisant masteriser le Signe (2e album) à Los Angeles. Marc Baujard - le guitariste qui a succédé à Éric Clapot - lequel a un temps, assuré seul les guitares qu’avait posées l’aîné des Perrin – a posé sa griffe, ces dernières années, sur un son plus électrique, que Xavier Desprat, l’ingé-son attitré, tente de restituer, sur disque comme sur scène. Leur dernière double-galette est née de l’expérience traumatisante d’un virus et d’un confinement, lesquels ont généré chez Pétrier une accélération de son hypocondrie, dont il tire une dystopie aussi juste qu’effrayante : dans le monde de demain, l’épidémie à combattre, c’est celle de l’amour, qu’eux-mêmes (le groupe) s’acharnent à diffuser en masse, dans toutes les zones libres. Il semblerait que l’amour fut, et qu’il soit encore, si l’on en croit les premiers concerts, et la photo de Stéphane Thabouret qui annonce les retrouvailles au et avec le Transbordeur. Il y a chez eux quelque chose d’inoxydable et pour une fois, ça n’a rien à voir avec le richissime propriétaire de Simplex Records : les voilà qui reviennent, donc, bien que jamais partis. Ces dernières années, on les voyait sous les boiseries amicales de la Casa, ou au Radiant Bellevue. Dans des plus petites salles, également, ou des festivals improbables, toujours avec la même sensation d’assister à quelque chose d’exceptionnel, un peu décalé dans sa réception. Comme si, souvent, revenait l’idée du parcours inachevé, pas reconnu à sa juste valeur. Dans « la chambre d’hôtes », Nathalie (P.) prend la voix autant que les claviers, parle d’un film qu’on a vu cent fois, signe qu’il est temps de s’arracher à tout ça, tout faire voler en éclat. C’est peut-être ainsi que le groupe se sent en vie, lui aussi, ainsi qu’il envisage de tout reprendre à zéro, le 7 avril. Il y aura leurs fans de toujours, qui ont parfois entretenu le malentendu, d’autres qui, récemment, ont reconnu qu’ils étaient passés à côté de ça. Aldo, le dernier pilier, celui dont Stéphane dit que sans lui, le Voyage de Noz aurait cessé depuis longtemps, se chargera de poser les bases rythmiques avec Pedro à la basse et plus que la mélodie, il y a l’idée d’une harmonie qui s’annonce. Dans l’air du temps. À eux de s’en libérer suffisamment pour ne pas verser dans des best-of qu’ils ont parfois concédés, mais la matière de ces dernières années est largement suffisante pour qu’ils surprennent encore. Même quand le VDN s’empare d’un standard des 70’s, le Diabolo Menthe d’Yves Simon – Dans les cafés du lycée Faut que tu bluffes, que tu mentes – il le déconstruit suffisamment pour lui donner sa marque, et raviver un anachronisme quasi-politique : qui écrirait ainsi sur la jeunesse et ses émois, qui filmerait encore un exhibitionniste à la sortie d’une école ? Qui sait si Pétrier portera encore son t-shirt de « la Boum », déjà postérieur et plus policé que le film de Kurys, qui sait si, un mois après avoir vu Morrissey à la Salle 3000 – sous réserves – il fera diffuser derrière lui des caméos de films liés à ses emprunts ? - Thomas, vous avez triché ! - Thomas triche toujours. Ce qui ne risque pas d’arriver sur scène, vu l’énergie que le groupe dégage depuis qu’il s’est convaincu qu’il n’y aurait pas de fin à ce Voyage-là puisqu’il n’y a aucune nécessité d’en connaître une. On l’a dit, les membres qui s’en vont ne sont jamais très loin et on ne leur connaît d’ennemis que chez ceux qui ne les connaissent pas. Il y aura certes moins de chevelures déliées, moins de pulls torsadés sur les épaules et de Winston qu’en 1989, personne ne s’inquiétera plus du sort des peuples de l’Est en révolte ni de l’arrivée d’un certain Jean-Michel Aulas – ami de Bernard Tapie - dans un club local moribond. Personne ne se vantera plus de les avoir vus au Vaisseau Public, dans cette petite rue au prénom enchanteur. C’est le drame des groupes générationnels, surtout quand ils finissent, comme avec Tilda, par englober deux lignées (et ça ne fait que commencer) : tout le monde se les est appropriés au moins une fois dans sa vie, a assimilé un événement à une chanson, une relation à un concert, etc. Les Noz au Transbordeur, c’est comme trouver une affiche de leur concert dans le foyer des élèves du lycée quand on en est devenu le proviseur. Mais pourtant, ça n'a rien de nostalgique, au contraire, ça n’a jamais été aussi vivace, et essentiel : comme des constats lucides qu’on fait sur ce qu’on a raté ou réussi (Nous n’avons rien vu venir) en trente ans et des poussières. Seule la Beauté est à l’abri des outrages du temps, disait Oscar W. Il n’est plus question, pour autant, du portrait de Dorian Gray, à moins que le groupe exhume « la mer morte », ce à quoi l’événement ne se prête pas. On les imagine plus dans la nouveauté ou la surprise, comme s’il devait y avoir, dans l’assemblée, des producteurs à convaincre, ou des maisons de disque à séduire. Pareil qu’en 89. Ils ont prévenu il n’y a pas si longtemps, les Noz : le début, la fin, ce sont des notions aléatoires, surtout avec eux. Plus encore avec ce mantra, philosophie d’une vie (et d’une œuvre) : « Même s’il n’y a plus aucune chance, je sais qu’on essayera encore ». Il faut sans doute avoir quitté les Noz un moment dans sa vie pour apprécier qu’ils soient encore là, et qu’ils nous aient attendus. Ne plus en perdre une miette tout en restant à distance – question de principe – en faire un vecteur de calendrier, de retours fréquents. En 89, Pétrier sera ravi de l’apprendre, le dernier grand concert organisé à Lyon, après le Transbo des Noz, ça a été Paul Mc Cartney, en novembre, à la Halle Tony Garnier. Pas sûr qu’on y programme le Voyage, pas plus qu’on en anoblisse le chanteur, mais l’essentiel n’est pas là et qu’on le prévienne vite, Macca : les places pour le Trans-Club partent comme des petits pains. LC – Photo ST©
Places en vente ICI.
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