09/06/2023
Murat & I (10/10)
Évidemment, on pense à la fin du parcours, cette version du Transbordeur 93 immortalisée dans un inédit Murat Libé live parce que, officiellement, la version était trop longue pour figurer sur l’album. Sans doute aussi faut-il aller chercher du côté d’une guitare volontairement désaccordée par ses potes, pour faire une blague, mais peu importe, cette première longue chanson aura étrenné la tradition de terminer ses concerts par une épopée, sans chronologie, Nu dans la crevasse, les jours du jaguar et récemment – hier, encore – Taormina. La fin du parcours – Oh assis sur un banc, j’attends– alors même qu’il ne faisait que commencer, l’ironie muratienne n’est jamais loin, comme d’annoncer, d’entrée, que tout est dit (ça reviendra) dans mes chansons. Qu’ont-elles pensé, le 25 avril, les endimanchées, ces deux femmes qu’il a interpellées parce qu’elles quittaient la salle, avant l’heure, ce soir de premier concert ? On a parfois des existences inversées, pour un rien : j’ai failli ne pas y aller, à ce concert, parce qu’un ami m’avait prévenu de la nature bougonne de l’individu. Je ne me suis décidé que parce que ma compagne m’a annoncé qu’elle y allait, avec une amie. J’ai entamé ce soir-là un parcours de vie qui ne s’est finalement fini que récemment, en septembre. C’est mon dernier bal, disait-il il y a 30 ans. C’est bien, ces adieux qui prennent trois décennies, ça donne l’impression d’avoir eu le temps de se préparer, même si ce n’est pas vrai. Elles, les deux, là, ne sont sans doute jamais retournées le voir, sont passées à côté, à autre chose. Mais personne ne les a oubliées. Même en négatif, elles appartiennent au lien défait, cette antiphrase qui fait qu’on n’en aura terminé avec JLM que quand on sera passé du même côté de lui. Adieu, ami, bye-bye. C’est la fin de mes chroniques*, de ces mots qu’il fallait poser sur sa perte. Ma façon – jusque dans la potacherie du titre – de m’approprier, juste un moment, cet homme qui a fait partie de ma vie et que j’ai croisé 23 fois, au total, avec qui j’ai échangé, rapidement parce que je n’aime pas ça, deux-trois mots, à qui j’ai confié un livre et qui a apprécié. Le reste, les hommages, les complaintes, le quant-à-soi, je l’ai dit, ça ne me concerne pas. Je lui ai fait mon petit décalogue impromptu, je peux le laisser partir.
* c'est curieux, je l'écris, mais quelque chose me dit que ce n'est pas vrai.
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08/06/2023
Murat & I (9/10)
C’est absolument dérisoire, mais s’il fallait en choisir une, ce serait celle-ci. Une autre dans une heure, je l’ai déjà dit, mais quand même. C’est – là aussi – un OVNI dans la production de JLM, puisqu’issue d’un DVD – Parfum d’acacia au jardin – et jamais parue sur CD, ou sur une compilation, ai-je le souvenir. « Plus vu de femmes », c’est l’acmé d’une séance d’une journée au studio Guillaume Tell de Suresnes, en noir et blanc, dans une ambiance des 50’s avec une seule prise, en live, entouré de Fred Jimenez & Stéphane Reynaud, toujours, avec la guitare de Christophe Pie comme invitée et la présence irradiante de Camille aux back vocals. Elle est d’une telle sensualité, Camille, dans son déhanchement (bien saisi le plan d’avant) qu’à 2’52, le barde auvergnat se déride, se départit de son sérieux et de son anachronisme pour… sourire*, et immortaliser un instant rare, chez lui. Un an après Lilith, Camille devient LA femme, de celles dont il regrette de ne plus les voir. Telles quelles ? Nostalgie d’un amour courtois – Tout me revient au souvenir d’icelle, glisse-t-il dans Elle avait le béguin pour moi – ou surprise à peine feinte devant la place qu’elle prend, dans la chanson comme ailleurs. Faire autant fi des lois de l'hymen, alors, vraiment ? Ça justifie à lui seul, ce sourire, ce malentendu éternel, et ça fait écho au culot de la jeune fille, déjà, en 2004. Seul aux commandes de la tendresse, croit-il, mais en fait, non. Elle est face à trois gaillards, en studio, et c’est elle qui tient les rênes. Et la magie opère.
* "Avaient-ils jamais rencontré ce sourire ?
- Jamais
- Que feraient-ils s'ils le rencontraient un jour ?
- Ils le suivraient ."
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07/06/2023
Murat & I (8/10)
Il y a toujours des chansons qui sont liées à des instants précis, je ne vais pas revenir sur la réminiscence, mais en 2002, pour ce qui est pour moi le meilleur album de Murat – à chaque fois que je dois choisir, je repense à ce gag de Greg dans lequel Achille Talon explique qu’il reçoit un courrier de lecteur pour dire à chaque sortie d’album que ce n’est pas le meilleur de la série… - je suis dans ma ZX vert Hurlevent magnifiquement dotée d’un auto-radio CD et c’est ainsi, en sortant de la FNAC où je m’étais arrêté, que j’ai écouté l’album pour la première fois, conquis d’entrée par la session rythmique, le duo Fred Gimenez & Stéphane Reynaud qu’on ne peut pas dissocier de l’auvergnat. Aime-moi, ça n’est pas la première fois que JLM use de l’impératif – le seul verbe avec lire qui ne le supporte pas – mais l’entrée dans l’album et dans le morceau est dantesque et simple à la fois. Ouvrira sur une tournée dont on ne saurait qu’après qu’elle fut marquante chez Murat parce qu’elle lui a permis de s’autoriser comme guitariste, et que malgré l’immense respect qu’il faut avoir pour Clavaizolle, le trio s’avèrera suffisant et très marquant. L’immense Fred Gimenez, le compositeur du sublime Bird on a Poire*, l’homme qui dut quitter Jean-Louis pour les 80 concerts garantis de la tournée de Johnny, qui revint, tranquillement, quand l’aventure s’est terminée, Fred, l’homme grand et massif aux costumes sombres qui passa la dernière tournée plus en retrait que quand on découvrit Gimenez/Murat/Reynaud sur la même ligne, en scène, et qui aligna des morceaux qu’on n’attendait plus. L’amour qui passe n’a rien d’une grande chanson de Murat par le texte, mais ses Oh Oh font fureur et il y aura toujours lieu de s’interroger sur les magnifiques chevaux, qui sait ceux de la fontaine de Trévi, puisque c’est le jour (clin d’œil). Fred aura perdu Johnny, Stéphane aura eu une vie marquée par les deuils et il y a de quoi être très triste pour eux, aussi. Parfois une existence s’interrompt comme la chanson le fait d’un riff de guitare.
* Monsieur a donc cessé de craindre les demoiselles, mais qu'en pense la sublime Jennifer?
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06/06/2023
Murat & I (7/10)
Le cliché qui veut que l’imagination, la sensibilité, la capacité d’exprimer une émotion relèvent du côté féminin n’a jamais été si éloquent que sur cet inédit, en face B de « Sentiment nouveau » sur lequel, chose curieuse, je n’arrive pas à mettre la main depuis la date fatidique du 25 mai. Pour la bivalence de son propos, la femme à laquelle on pense, la femme qu’on est en partie quand on dit le manque et l’abandon. Il y a la même dualité quand la vigueur du corps est évoquée, le joug, également, autant d’attributs virils qui disent la domination de l’autre sexe à celui ou celle qui est resté(e) sensible. Il y a tout Murat dans ce titre, dans sa façon de faire traîner la diction, dans le mélange des langues et des perceptions. Dans l’énoncé de l’amour vulgaire, également, le même rejet de la vulgarité qu’on retrouve dans l’Irrégulière. Il y a la nappe de synthé, les propos murmurés en entrée et surtout cet octosyllabe du diable, « Va ma mémoire est inflammable », la phrase qui ponctue mes « Portraits de mémoire », par ailleurs. Il pourrait parler d’une mère, d’une amante, d’une déesse initiatrice*, au livre de Job -Souviens-toi que tu m'as façonné comme de l'argile ; Voudrais-tu de nouveau me réduire en poussière? - et au vase du même nom. La place des femmes est essentielle dans le travail de JLM, comme chez tous les créateurs mâles à l’âme tendre : l’entrée de la batterie le martèle, on ne se sort jamais du charme sous lequel on est tombé (une des rares chansons d’un autre qu’il a reprise, celle de Louise Féron…). C’est un morceau hypnotique, pour le coup, qui renvoie savamment à l’homéostasie, la recherche permanente de l’équilibre. Un masculin-féminin tempérant, chevaleresque, entre le guerrier et le gentilhomme, le savant et le poète.
* Lilith, ce démon féminin issu de la tradition juive, considérée comme la première femme d'Adam, avant Ève?
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05/06/2023
Murat & I (6/10)
À qui s’adressent les chansons, pas sûr que l’auteur lui-même le sache. Pensait-il à Marie Chantegreil,, fille du braconnier Chantegreil, nièce d'Eulalie Rébufat, la femme du méger du Jas Meffren quand Jean-Louis Murat a écrit celle-ci, « Nous nous aimions tant » - la diérèse a son importance – jamais enregistrée nulle part et exclusivement dans le souvenir de ceux qui ont assisté à cette tournée, en 2000, pour moi la meilleure. À qui s’adresse-t-il, dans un langage suranné, au passé simple, quand il écrit cette cantilène plaintive ? Quand il se met à la place de Silvère - Miette, dans les Rougon-Macquart*, meurt dans la fusillade de Saint-Roure - conduit à l’échafaud (Voilà l'instant cruel, amour oh mon aimée Déjà siffle déjà la lame du bourreau). Silvère Mouret, dans les Rougon, est mort à dix-sept ans, la tête fracassée, d’un coup de pistolet, par un gendarme… Il n’y a donc pas de dédicace directe à ce texte magnifique, juste l’aveu, anachronique, d’un amour rendu impossible par l’époque, les familles, les conventions. Il fallait l’enrober d’un côté violent, à la guitare, d’un refus crié (Oh non non NON !). Il faut nous séparer, c’est l’impératif catégorique en soi, mais les roses trémières renvoient à l’immortalité des amants, puisque Murat, de son propre aveu, est condamné au verbe « aimer », comme « esclave » des mots "ange", "âme", "amour", disait-il. Ça n’est – même – pas une face B, ni un des inédits qu’il a distillés sur son site pendant des années : ça a été un rendez-vous, en début de siècle, avec une histoire telle qu’il s’en passait deux siècles avant. Et qui est resté.
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03/06/2023
Murat & I (4/10)
Un jour, le génial et regretté (aussi) Didier Le Bras, le plus grand exégète de Murat, m’a demandé pour son blog protéiforme les dix chansons* que je sélectionnerais de l’Auvergnat. Un vrai casse-tête, une liste que je ne retrouve pas et que, de toute manière, je changerais aujourd’hui, et d’heure en heure. Mon décalogue chronique, là, n’a pas non plus valeur de sélection, même si quelques-uns figureront dans mon Panthéon. Mais « l’almanach amoureux » est peut-être un des plus beaux textes de Murat, tant il rend hommage à sa culture profonde et ancestrale, au continuum paysan qu’on retrouve dans les proverbes liés aux plantations, aux floraisons, aux précipitations, à toutes les manifestations de la Nature et de ses éléments. Une étude précise et linéaire du calendrier telle qu’on l’entendait de la bouche des anciens, à laquelle il rajoute sa déclaration à Mademoiselle – sa douce amie- ce mot qu’on veut abolir, maintenant. La St Martin, la St Médard, la St André, la St Michel ponctuent cette énonciation cyclique qui s’apparente, dit-il, à une vie, complète. Il y a quelques miaulements, des bruits d’oiseaux – comme d’habitude chez Murat – la voix est suave et l’orchestration très classique, presque naturaliste puisqu’il s’agit ici d’exprimer un bon sens intemporel. Une ballade, un rondeau, un virelai ? C’est sans doute le morceau le plus médiéval du troubadour, histoire de justifier un des clichés véhiculés. On y retrouve, sous les beaux atours, la crainte de la perte et de la mort, l’idée qu’il faut travailler, littéralement, à sa survie (fainéants peuvent s’aller pendre), ou la justifier par le labeur, c’est selon. Murat y a mis tout ce qu’il a appris en tant qu’homme qui cultive la terre, tout ce qu’on lui a transmis. Sans doute s’est-il inspiré des Proverbes et dictons rimés de l'Anjou d’Aimé de Soland, qui reprend les dictons relatifs aux mois, paru au milieu du XIXe siècle. En juin, c’est le trop de pluie, dit-il, qui rend le paysan chagrin. Gageons qu’en ce juin de cette année, les paysans du Mont Sans Souci ont d’autres raisons de se morfondre. En silence.
* à l'instant T et au débotté : "le lien défait", "Plus vu de femmes", "A Woman on my mind", "la fin du parcours", "la chanson de Dolorès", "Aimer", "l'amour qui passe", "Sentiment nouveau", "Maîtresse" & "En amour". Revenez dans une heure, j'en aurai dix autres.
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02/06/2023
Murat & I (3/10)
Quand Jean-Louis Murat écrit « Quand femme rêve » pour Julien Clerc, et qu’il situe la chanson sur l’île d’Ouessant, il y a clairement dépassement de soi : le paysan d’Orcival, bien ancré dans la terre d’Auvergne, n’a aucune vocation à la mythologie des marins et c’est aussi pour ça que la chanson fonctionne, doublement. Il fallait, comme Roda-Gill avant lui, dépasser le côté bellâtre de l’interprète, emmener l’auditeur ailleurs, et si possible le plus loin qu’on puisse. Ça tombe bien, Ouessant est au bout de la fin de la terre, littéralement, et c’est une île dont il est plus facile de repartir que de l’atteindre, si les éléments ne veulent pas. Gervaise, dont j’ai beaucoup parlé ici, a voulu exprimer la perte par son art*, et la superposition d’un Jean-Louis éthéré et des micaschistes de l’île - sur lesquelles viennent se fracasser les vagues et les illusions – dit l’essentiel de ce qu’il faut encore atteindre quand on est revenu de tout. Il est dans ses nouvelles tonalités de l’encre de Chine, il y a autant de fracas et de noirceur que de présence et de chamanisme, dans ces moments de concert où Jean-Louis Murat s’abandonne, attend que vienne, que vienne à (s)a bouche A Woman, ceux qui savent savent.
Je ne sais pas si Jean-Louis Murat est déjà allé à Ouessant, j’y suis déjà allé, en revanche, et la dernière fois avec Gervaise. On en a tiré, et sans se concerter, des dessins qui ont orné la Girafe lymphatique, et un poème qui renvoyait au diptyque présence/absence de celui qui l’avait incarnée, jusque-là, et qui continuera. Gervaise a voulu lier les deux impétuosités, et la damnation inhérente de l’île. Si vous ne vous y êtes pas échoué, vous serez livré au charme, et à la perte : du prisonnier dont on extrait la moëlle des os – comme fait busard au louveteau – elle boira votre sang comme l’eau. C’est aussi en cela que Ouessant, la magnifique, accueille les âmes perdues ailleurs.
* Toujours nous emmènera le goéland vers Ouessant, encre de Chine, 30 x 40cm, 30 mai 2023. À noter le lapsus dans le titre, qui renverra à la distinction entre échouage et échouement...
13:10 Publié dans Blog | Lien permanent
31/05/2023
Murat & I (1/10)
Je me souviens précisément de la dernière fois que j'ai écouté un disque d'Indochine*. Ce groupe que je croyais disparu ne m'a jamais guère intéressé que par sa reprise de l'Opportuniste, et les quelques morceaux inévitables de ma jeunesse. Mais en 2002 - c'est dingue comme les années passées sont difficiles à écrire - ma femme me dit qu'elle adore une chanson qu'elle entend tous les matins à la radio, dans sa voiture (je n'ai plus de femme, et plus personne de mon entourage ne va plus au travail en voiture le matin...). Il s'agissait de "J'ai demandé à la lune", la très belle chanson que Mickaël Furnon - qui a en commun d'avoir été incorporé au même endroit que moi, sans que nous le sussions -a écrite pour l'album de la renaissance d'Indochine, Paradize. J'ai le souvenir de l'époque, à laquelle les cas avaient supplanté les vinyls, revenus depuis, mais où le rituel était le même : on écoutait l'album en entier, en regardant le livret, paroles, crédits, invités etc. Enfin moi un peu plus que les autres, enfin un peu plus que ma femme, à laquelle, cadeau oblige, je laissais le privilège de la lecture. Moi, j'écoutais et je m'ennuyais ferme, une fois le single passé : l'électro-punk FM me gonflait un peu, mais il faut être tolérant, et je lui devais bien ça, à ma femme, avec mes 458 écoutes journalières du "lien défait". C'est peut-être cette mansuétude qui me revient aujourd'hui, et le moment précis du 15e et dernier morceau, au titre immédiatement accrocheur pour les inconditionnels du film de Verneuil, "Un singe en hiver". Et là, bim, paf et autres onomatopées, un décalage musical, comme pour un blind track, des notes glaciales de piano, une guitare sèche, une voix en retrait, et ces mots-là, mis en abyme : "Je suis rentré d'Indochine hier matin J'ai rapporté des dahlias et du jasmin J'y ai laissé ma jeunesse et ma moto Je suis rentré d'Indochine... " Une référence à Jeux interdits, la mort annoncée de... Bob Morane, des occurrences horticoles, le dalia, le jasmin (on n'en était pas encore au Parfum d'Acacias au jardin), je dis à ma femme, sans information aucune : "C'est du Murat". Je ne sais pas si elle ne m'a pas pris pour un fou à partir de ce jour-là, mais j'avais raison.
* dont Desproges regrettait qu'ils ne fissent pas suffisamment de moto sans casque...
18:23 Publié dans Blog | Lien permanent