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10/11/2024

Le Chercheur d'âme.

IMG_4479.jpeg"Sinon, quand on est un groupe depuis 40 ans et qu’on fait des chansons, la seule façon de tenir 40 ans de plus, c’est de trouver l’inspiration d’en écrire d’autres, voir si elles correspondent entre elles, si l’unité de sens est suffisante pour qu’on les aligne sur un album, ce truc qui fait sourire ceux qui ne les ont pas à eux seuls, les 40 ans, voire qui en ont deux fois moins. Et à la Casa, l’autre fois, dans ce monde où tout allait à peu près bien parce qu’Éric était encore chez lui, là-bas, ils en ont essayé deux, des nouvelles chansons, celles qui provoquent, dans le public, une première ré-action, au sens propre, puis de la curiosité, l’envie de les entendre encore, de précipiter le temps qu’il reste avant de les avoir pour soi, chez soi. Il y a ce Chercheur d’âme qui joue sur les mots et sur l’idée d’une droiture érigée en conduite, la rivière des hommes fiers, du trésor qu’elle est supposée recéler mais que le chercheur ne trouve pas. En tout cas pas tant qu’il n’aura pas compris que le trésor est justement dans cette façon juste d’avoir vécu. Le parcours, pas l’arrivée, c’est la finalité du Voyage. On imagine le pionnier – qui creuse encore – se douter que la vérité est ailleurs mais que renoncer maintenant signifierait une vie échouée, pas seulement une vie d’échecs : il en a pourtant trouvé, un peu, des silences qui valent de l’or, des promesses pailletées, ça l’a maintenu dans l’illusion, le cul au fond du torrent. Il cherche encore, essaie de ne pas écouter Charlotte (Sometimes), la sceptique, pour ne pas avoir à se demander si elle avait raison. Qu’on nous a bien pris pour des cons et que rien, dans cette quête, ne justifie de la passer au (petit) tamis. C’est la question de l’amour, du sens, une autre nuance entre le nihilisme et l’aspiration, l’amour et la baise. On voit même passer Tristan, le plus vaillant des chevaliers & Iseut, la fille de roi, fière et loyale, dans cette belle chanson ; et leur amour, plus fort qu’eux, qui survivra dans les branches entremêlées de deux arbres plantés de part et d’autre d’une (vieille) chapelle ? Que dalle. Épuisé, le filon, depuis longtemps. Du moins, c’est ce que dit Charlotte. On n’est pas obligé de la croire, et vouloir, coûte que coûte, chercher encore. C’est quand on arrête de chercher qu’on meurt, de toute façon."

extrait des Noz d’émeraude, radioscopie du Voyage, l'An demain éditions, 240 pages, 20€

À paraître début décembre 2024

 

10:04 Publié dans Blog | Lien permanent

02/11/2024

Une note d'il y a 14 ans.

TÉBESSA.jpgUn homme m'a contacté par mail hier, pour me raconter une histoire poignante, dont je regrette qu'elle n'ait pu, de fait, figurer dans "Tébessa, 1956". Sous l'intitulé "Djeurf, 1956", il me raconte comment, jeune instituteur rappelé comme officier, il s'est retrouvé affecté en mai 1956 dans les Aurès, "le pays d'origine" de la plupart de ses élèves. Après un passage par Tébessa, le voilà à Djeurf, " dans un paysage lunaire", avec le fort, "orgueilleusement perché sur la crête des falaises qui dominent l'Oued Hallail". Mais surtout, rajoute-t-il, le regard du jeune soldat qu'il était s'est immédiatement fixé sur "une série de tombes toutes fraiches, proprement alignées dans leur enclos tout aussi blanc". Sa compagnie relevait la compagnie tombée dans l'embuscade du 5 avril. Celle de Gérard. Celle aussi d'un jeune sous-officier qui resta un mois avec les nouveaux arrivés pour assurer la transition. Et qui leur parla de ceux qui étaient tombés. De Gérard, sans doute, de sa passion pour les fleurs et les dominos, peut-être... Mais l'anecdote que ce monsieur m'a racontée n'est même pas là, encore: dans l'embuscade, un adjudant-chef qui n'était sans doute pas aussi fou-de-guerre que celui que j'ai décrit dans le roman est tombé "à la tête de ses hommes". Il avait une chienne qu'il amenait partout avec lui, mais qui là, ne l'a pas accompagné dans la mort. "Ensauvagée et traumatisée", la pauvre bête ne rentra dès lors plus au fort que le soir, à la nuit tombée, pour manger près des barbelés la nourriture que les soldats déposaient pour elle...

Cette chienne-là, j'en aurais volontiers, je le répète, fait un personnage central de Tébessa, le roman. Mais cette histoire montre que la parole et l'émotion sont liées, et qu'un livre peut faire, à sa façon, qu'une histoire continue de circuler. Je remercie chaleureusement, ici aussi, ce monsieur dont la dignité, la mémoire et l'écriture sont autant de leçons de vie. Et je joins à ce message la photo du cimetière qu'il m'a envoyée.

18:39 Publié dans Blog | Lien permanent

29/10/2024

RADIO TINO

VDN LA CASA 140624-0160 moi.jpgJ'étais chez Tino Di Martino, sur RSL, en début d'après-midi et comme je suis bavard, j'ai parlé un peu plus d'une heure. Au cours de laquelle je fais une annonce sur le prochain livre que je vais sortir (teasing), et pendant laquelle je parle d'Aurélia, de Liliane, des Portraits, d'enseignement et d'écriture. On y entend Jean-Louis Murat, Stéphane Pétrier et Barbara : j'ai été plus mal accompagné.

C'est ICI

 

19:49 Publié dans Blog | Lien permanent

24/10/2024

Ma banquière.

Capture d’écran 2024-10-24 à 10.30.17.pngMince. Par l'appel bêtement enjoué de ma nouvelle conseillère, j'apprends donc que ma banquière- depuis plus de 15 ans! - est partie. Et ne saura donc jamais ce que mes visites chez elle ont provoqué. Quant à la nouvelle, si elle pense me choper comme ça, elle peut rêver.
 
«Dans toutes les tragédies, il faut un amant et un amoureux, un homme qui aime, un autre aimé en retour. En partant loin, je renforce mon mystère, ma légende. Au pire, je prorogerai ma garantie décès, et l’attendrai au-delà du 31 décembre de mon 85ème anniversaire, comme le stipule l’article 4-1 de l’assurance emprunteur des prêts immobiliers aux particuliers
 
La suite, c'est ICI.

10:32 Publié dans Blog | Lien permanent

20/10/2024

La macaronade de Guignol?

Il faudra - finalement - attendre début janvier pour que paraisse le deuxième volume des Figures Singulières, l'éditeur, débordé, considérant à juste titre qu'une parution par an, dans cet exercice, est suffisante. Et s'il est débordé, c'est aussi en partie à cause de moi, qui lui ai confié un projet dont je n'aurais pas rêvé il y a six mois et qui est programmé pour être disponible avant les fêtes, alors...

Mon autre éditeur a dans les mains depuis un (bon) moment mon Affaire Nizan, un (tout) petit brûlot dont j'attends patiemment (ça n'est pas vrai, en fait) la sortie.

FS2COUV-page-001.jpg

19:33 Publié dans Blog | Lien permanent

15/10/2024

SELOSHIM.

Capture d’écran 2024-10-15 à 14.23.28.pngDans le judaïsme, les Seloshim sont les 30 jours de deuil, le calendrier hébraïque établissant la durée maximale d’un mois à ce nombre de jours. Aujourd’hui, ça fait 30 jours qu’Éric est mort, que d’autres sont partis depuis et dans cette logique humaine qu’on n’a toujours pas intégrée, il y a une question qui se pose, à chaque perte : au bout de combien de temps reprend-on une vie normale, sans forcément passer à autre chose, cette expression détestable qui ne signifie rien ? À quel moment se dit-on qu’on va enlever la photo du disparu du profil de ses réseaux sociaux – un souci que nos parents n’auront pas eu – comme on cessait de porter du noir, dans les campagnes, au bout d’un certain temps ? On couche toujours avec des morts : je reprends régulièrement cette phrase de Ferré pour parler de cette étape où la souffrance se fait tellement quotidienne qu’on en arrive à considérer l’absence comme l’inverse de ce qu’elle est réellement. Quand l’absence devient présence, qu’on sollicite celui ou celle qui n’est plus là pour quelque chose de sérieux ou de (très) dérisoire. Vieillir comprend un défaut qu’auraient sans doute aimé ceux qui ne l’ont pas fait suffisamment, voir partir des gens qu’on aime, se dire – immédiatement après qu’on s’est demandé quand on allait les revoir, avec enthousiasme – qu’on ne les verra plus et que, un jour, c’est nous qui deviendrons invisibles à ceux pour qui on compte.

Il y a parfois des hommes-repères dans une vie, et ce ne sont pas nécessairement ceux qu’on voit tout le temps, au quotidien. Les artistes, souvent, jouent ce rôle, eux dont la route croise parfois la nôtre, suffisamment pour qu’à un moment de notre existence, on se demande quand est-ce qu’ils vont revenir. Quand ces êtres-là ne sont plus, l’absence est double, parce qu’on est privé d’eux comme on est privé du laps de temps qu’ils nous laissent en repartant. Rien d’étonnant, alors, que cet ami parti il y a 30 jours intègre ce mode opératoire, au vu de la vie qu’il a passée auprès d’eux. Ce n’est pas la femme qu’il n'a pas quittée d’une seconde depuis 21 ans qui pourra penser ça, ni sa fille, ni les plus proches de ses amis, mais moi je me l’offre – du moins le fait-il pour moi – ce luxe, me défaire de sa photo, publiquement, la garder pour moi, désépingler le statut que l’hébétude m’a fait écrire, il y a un mois, et l’ancrer solidement comme être essentiel dans le temps qu’il me reste à vivre. Avec d’autres, pas si nombreux. Et l’inscrire dans un livre à venir, ce qui compte double, dans la grande roue de la fortune humaine.

Photo: S.Thabouret

14:24 Publié dans Blog | Lien permanent

14/10/2024

Jourde & I.

Avec l'autorisation de l'écrivain, je diffuse ce bel extrait de l'entretien avec Pierre Jourde.
Images, montage, relecture : Gérard Grenier

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27/09/2024

Le Bleu du lac - Jean Mattern

Capture d’écran 2024-09-27 à 15.52.52.pngLe Bleu du lac, un roman de 2018, est une tragédie grecque. Du moins en a-t-il les apparences, et même les personnages, puisque Viviane Craig, la narratrice, fait le trajet de métro londonien qu’elle a toujours connu pour se rendre chez son amant, James Fletcher, mais elle le fait dans une sorte d’hébétude, en petite robe noire qui la gratte, pour assister à ses obsèques et jouer pour lui, dans l’église de St Anselme et de Ste Cécile – deux martys, dont la patronne des musiciens - à la demande intrigante de son exécuteur testamentaire, l’Intermezzo de Brahms qu’il a toujours aimé, qui l’a toujours fait bander. Ce pourrait être tristement anodin, mais Viviane et James ont été des amants que rien ne prédestinait, surtout pas la vie maritale et heureuse qu’elle mène avec Sebastian. Qui l’a sortie un jour de son statut de Mme Bovary du piano – un seul disque enregistré vingt ans auparavant - pour la convaincre de remplacer un jour au pied levé le prodige croate Pogorelich à Wigmore, comme, se dit la narratrice, Anthony Hopkins a triomphé en substitute de Sir Laurence Olivier, ou Pavarotti, dans la Bohème. Cette amante ardente de Brahms connaît la gloire soudaine, les sollicitations, et accepte l’invitation à dîner de cet homme atypique, grand vulgarisateur télévisuel de la musique classique à la BBC. Ils deviendront des amants comme seule l’acception classique peut définir : des êtres qui aiment et qui sont aimés en retour. Connaîtront la plénitude dans le secret, jamais la culpabilité. Viviane, dans ce train de la District line, se dit qu’ils incarnaient, puisque c’est le mot, le mythe d’Aristophane – je n’étais plus rien d’autre que sa partie manquante, et lui la mienne – mais elle ne peut rien en dire, à personne, doit se convaincre qu’elle fait le trajet pour un enterrement à la place d’une étreinte, un cercueil à la place de son lit, qu’elle aura passé sa vie à vouloir échapper à un amour trop grand pour eux pour finir emmurée, comme une nouvelle Antigone : je me sens comme une héroïne de tragédie grecque sans avoir l’étoffe pour le rôle. Elle remonte leurs étreintes, son emprise, s’apprête à croiser ceux et celles à qui il aura brisé le cœur ou le nez – il pratiquait la boxe – par sa gueule d’ange et sa candeur, son uppercut impeccable et son sexe majestueux. Mais elle ne les verra pas, et s’en réjouit : faute de place dans le chœur, le piano a été placé à côté de l’orgue, en haut. On ne la verra pas non plus, elle n'aura qu’à laisser la musique ruisseler.

Viviane doit vivre la brutalité – j’ai laissé la bombe éclater en moi – d’un deuil qu’elle ne peut dire à personne, qui fait écho à celui qu’elle a vécu dix mois avant, quand sa fille Laura s’est tuée bêtement, en glissant dans sa douche, le 11 septembre 2001, laissant les images se confondre avec une autre tragédie. Elle doit faire face, également, à la honte – l’addition de nos fautes fait aussi le prix d’une vie - quand l’un des drames prend le pli sur l’autre, inconsciemment. Quel sens a le deuil d’une femme mûre pour son amant, quand elle a vécu la plus absolue des tragédies ? La voix de Laura s’efface petit à petit de sa mémoire, concède-t-elle ; si celle de James devait s’éloigner elle aussi, alors je saurai que la vie ne vaut pas d’être vécue. James est mort en provoquant le diable, en n’écoutant pas les apnées du sommeil qui se multipliaient, refusant de masquer son beau visage d’un appareil respiratoire. Combien de temps faut-il pour mourir ainsi, se demande celle qu’on affubla du surnom détesté de Greta Garbo du piano – qui pourtant puisa la force de son jeu et de son mystère dans ses amours clandestines ? Moins longtemps que l’Intermezzo en Si bémol qu’elle doit jouer pour lui. Dire que nos vies se jouent ainsi, en quelques secondes

Comme toujours chez Mattern, les récits s’entremêlent sans qu’il ait besoin de les traiter tous. Au pire, il en fera un autre livre, lui qui aime jongler avec les similitudes, dans les prénoms – Gabriel, le gendre français, qui repart avec Simon, son fils, une fois sa femme disparue – comme dans le jeu des origines, ici l’identité populaires de James, la façon dont il a dû s’en défaire. On note celui in abstentia de Sebastian, son documentaire sur le Septembre noir, ses voyages à Munich et en Israël, dont il est rentré différent, sans qu’on en sache plus. La façon dont il intervient in fine - je n’en dirai rien ici - pour une chute qui redéfinit tout ce qui a été dit auparavant. Cette femme en robe noire, condamnée à un deuil clandestin, se jure qu’elle ira une fois par an là où son amant se recueillait, sur les rives du Lac d’Annecy, retrouver les reflets du Lac bleu de Cézanne, cette toile qu’il chérissait. Qui lui revient quand elle voit celui entre Wimbledon Park et Southfields, dernier aperçu de la nature avant de traverser la Tamise. Et cette question, lancinante : puisque son corps disparaît, son esprit, en suis-je (encore) la gardienne ou n’existe-t-il simplement plus ?

15:53 Publié dans Blog | Lien permanent