30/01/2025
Alceste à cheval (sur les principes).
Ma carrière d’homme de théâtre s’est arrêtée quand j’ai compris – après une UV décrochée au théâtre des 30 de Michel Pruner, à qui mes amis et moi avions affligé une scène d’un très mauvais café-théâtre quand nos coreligionnaires lui jouaient (mal) du Beckett, qu’il adorait – qu’au lieu de me confier d’entrée, à 17 ans, le rôle d’Alceste ou d’Hamlet, on me ferait faire des exercices de respiration ou des saynètes débiles. Depuis, mon bilan est honorable, puisque trois de mes pièces – Dom Juan, revenu des enfers, Trois-Huit, Contrebrassensiste – ont été éditées et qu’il m’a donc été donné, une fois dans ma vie, de servir l’alexandrin, déférence gardée envers J.B Poquelin, dont on jouait le Misanthrope hier, au domaine d’O, à Montpellier. Mis en scène par Georges Lavaudant, un monstre de théâtre qui ne s’était jamais, encore, attaqué à Molière. La scénographie, disons-le, puisque c’était la dernière, hier, avant une reprise à Paris, était magnifique, épurée, une espèce de grand mur de verre (9X3 carreaux opaques et réfléchissants à la fois) au verso empli des 33 robes de Célimène, une scène recouverte d’une forme de neige qui accentue les contrastes, des lumières habiles, sur les côtés, pour les changements d’acte, une profondeur de champ qui varie suivant les scènes, des couleurs – pour les verres – des habits sobres et intemporels pour le reste. Et d’entrée – I,1 – quand Alceste et Philinte se querellent, quand Molière pose l’intention (Moi, je veux me fâcher et ne veux point entendre), un contraste, inhabituel : François Marthouret est assez âgé, Éric Elmosnino l’est moins, il y a un léger décalage dans la diction, entre diérèse et synérèse – dans le jeu tout court, sans que rien de tout ça soit incompatible. Et heureusement : en théâtre, l’inégalité des comédiens peut changer à elle seul le texte et son cours. Le duo prend place, comme souvent, maintenant, il faut parfois davantage tendre l’oreille pour un des comédiens, mais le hiatus est posé : Lavaudant montre un Alceste de 60kg – des propres termes d’Elmosnino, après le spectacle – quand on s’attend, qu’on s’est habitué à ce qu’il en fît le double, à devoir incarner la force et la colère à la fois. On comprend vite que l’acteur de cinéma n’est rien quand on confie au comédien un tel rôle, tout le rejet du monde (entendre la société) dans un seul discours, dans ses tirades jamais oubliées depuis leur découverte, à 14-15 ans. Il est félin, Elmosnino, quand Marthouret est plus patelin, mais c’est le mélange des deux qui crée l’alchimie. Et – au contraire de ceux que j’ai entendus après le spectacle et dont l’autorité ne me fera pas changer d’avis – ils sont complétés à la perfection par Mélodie Richard qui joue une Célimène ancrée, séduisante, pénible comme il le faut mais faisant ressurgir par sa présence l’idée d’une jeune femme décomplexée et très en avance sur son temps. Qui rembarre Arsinoé la fausse prude – l’idée de la robe soulevée et des bas-résille qui apparaissent est une seconde de génie – et laisse croire au public qu’elle est finalement furieusement moderne. C’est du théâtre de très haut niveau, et si l’impression globale n’est pas incroyable, c’est qu’il manque peut-être à cette mise en scène la possibilité d’être au cœur de ce qui se trame dans l’action ; des derniers fauteuils de cette très grande salle – bonheur de voir 400 personnes se déplacer pour Molière, encore ! – si j’ai pu apprécier de voir arriver les personnages de derrière le rempart de verre, j’ai regretté de ne pas mieux les entendre, dans tous les sens du terme ; mais quand on connaît le texte par cœur, il faut parfois juste fermer les yeux et s’imaginer plongé dans le procès qu’on fait à Alceste. L’histoire de ma vie, la direction que j’ai prise : à se construire un monstre social, on sort épargné d’une part des vicissitudes de la société, mais rattrapé par l’autre ; jamais indemne. Et la chute d’Alceste, au sens littéral - Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices Et chercher sur la terre un endroit écarté Où d’être homme d’honneur on a la liberté – est toujours, en soi, aussi effrayante sur l’état d’un monde qui n’a finalement pas beaucoup changé. C’est peut-être ça qu’on va vérifier, à chaque fois qu’un Misanthrope se joue : qu’il faut savoir rester prudent. Qu’à la fin, c’est toujours Philinte – mon flegme est philosophe autant que votre bile – qui gagne. Et repart avec Éliante.
08:18 Publié dans Blog | Lien permanent
28/01/2025
80 שנה.
Il fut un temps, les élèves de Terminale Technologique avaient un cours pluridisciplinaire de Philosophie & Histoire mêlées, et j'ai travaillé - 5 ans - sur la Shoah, avec étude d'extraits du procès Barbie, témoignage d'une ancienne déportée dont je ne me souviens plus du nom, seulement qu'elle s'était farouchement opposée à Geneviève De Gaulle à la Libération, et qu'avec une poignée de résistants, ils avaient retrouvé la trace du susdit Barbie à... Pont d'Ain, dans le jardin du maire d'alors, en 1946, mais qu'on leur a demandé de passer à autre chose... J'ai lu, sur la période, Levi, Bettelheim, Frankl, Arendt, Czapski, Veil, Kolinka, Eisner, d'autres, Littel, depuis. Je me souviens de cette élève dont le travail avait été si conséquent, et si marquant, pour elle, qu'elle n'a pas pu répondre à une seule question après son brillant exposé, fondant en larmes, inconsolable (on lui a mis 20 quand même); je me souviens moi-même m'être demandé, au visionnage d'images atroces d'un pogrom en Lituanie, si la littérature pourrait, sans effets, retranscrire une scène aussi terrible et j'ai écrit, l'estomac à l'envers, les lignes que j'insérerai bien des années plus tard dans Aurelia Kreit. Je me souviens aussi de Jean-François Forges présentant le DVD pédagogique du film de Lanzmann, dont je passais systématiquement la scène du petit vallon bucolique se transformant, via la narration, en théâtre horrible des charniers que creusaient ceux qui allaient les remplir, par couches... J'ai oeuvré à ce "devoir de mémoire" dont je contestais déjà la connotation obligatoire, j'ai passé 15 ans de ma vie à réfléchir - entre Sartre et Levinas - sur la question juive, lui dédiant un personnage et un ouvrage en deux volumes. Je me souviens de la méfiance qui doit accompagner l'émotion, la rampe de tri d'Auschwitz-Birkenau qui n'est pas l'originale, détruite. J'ai râlé sur les facilités de "la liste de Schindler" puis me suis tu en apprenant que Spielberg en avait eu l'idée en comprenant que 80% des jeunes Américains ne savaient pas - déjà...- qu'il y avait eu un génocide en Europe, quand ils savaient où était l'Europe. J'ai saisi que ma culture - littéraire, musicale, cinématographique - était déterminée par la judéité, même si je ne suis Juif moi-même que quand ils subissent des harcèlements ou des agressions, quand l'Histoire, malheureusement, bégaie. Je suis Joann Sfar ou Delphine Horvilleur aujourd'hui, comme des lanceurs d'alerte courageux et si le programme Philo/Histoire n'existe plus, je pense aux enseignants qui éprouvent les pires difficultés à enseigner des événements soumis à la sempiternelle question du "mais qu'est-ce que vous en savez réellement?". La vie a fait que j'ai cessé de me battre sur ce sujet en espérant que d'autres prennent la relève. Parce que le danger n'a jamais été aussi grand et que la masse, acculturée, ne cesse de le minimiser.
"(...) – Ça t’a fait quoi de tuer mon père, Medvedenko ? Tu as ressenti quoi au moment où il a rendu l’âme ?
L’autre ne comprenait décidément plus rien à la situation. De quoi lui parlait-il, de qui ? Quel père aurait-il tué ? Était-ce le moment de s’en soucier ?
– Je vais te rafraîchir la mémoire. Odessa, l’auberge du vieux Moshe, la rue Vorontsovs’kyi, le lendemain. Il s’appelait Nikolaï Bolotnikine, taillé comme une ablette, incapable de faire du mal à une mouche...
À la façon dont il regardait tout autour de lui pour voir quels étaient les moyens d’échapper à ce qu’il se passait ici, Vladislav comprit que le souvenir, petit à petit, lui revenait.
– Tu l’as tué parce qu’il était Juif. Est-ce que tu sais ce que c’est que d’être Juif, Medvedenko ?
– Mais pourquoi tu me racontes tout ça, Cyka ? C’était il y a cent ans...
– Laisse-moi finir. On est Juif parce qu’il y a une valeur univer- selle donné à l’être juif. C’est comme si le Juif n’était pas seulement dans le Juif, mais dans l’homme en général. Comme s’il y avait une part de Juif en toi...
Vladislav n’attendait pas que l’homme comprenne, mais voulait au moins l’ébranler, si c’était possible. Il n’aborderait pas les questionS plus complexes, celles du Juif dont la judéité s’oppose à l’histoire et à la marche de l’univers, le caractère impardonnable de son être et la faute qu’on lui accolait. Une crise spirituelle, entre l’élection et la souffrance. Avec la part de damnation consistant à n’être défini que par ceux qui veulent les effacer, comme Medvedenko. (...)"
09:26 Publié dans Blog | Lien permanent
20/01/2025
On parle des Figures!
Je m'étais évidemment demandé comment on allait faire, au bar du Plateau, pour faire entrer autant de monde que l'année dernière pour le volume 1, plus ceux du volume 2 et les intéressés, ceux qui ont compris que ce n'est pas parce qu'ils n'en sont pas que l'exercice n'est pas intéressant... Alors la réponse a été apportée puisqu'il y eut autant de monde, mais pas les mêmes, qu'on a compté - Jean-Renaud Cuaz, l'éditeur, et moi-même - autant de bonnes surprises que de défections habituelles. Mais l'endroit est choisi pour, pour la rencontre, le croisement entre des gens (d'ici) qui ne se connaissent pas ou croient se connaître au point d'avoir une idée l'un sur l'autre, ce qu'un (vrai) portrait, fouillé, distancié, peut contredire. La journée a été belle et longue, réussie du point de vue des ventes (ça, c'est pour l'éditeur, et ça conforte l'auteur) et de l'avenir d'un projet dont la somme sera sociologique, je l'ai dit. Palme d'or à l'entrée inopinée, en pleine présentation, du maire de Sète qui pensait pouvoir prendre un café et qui a bien dû se dire que cet écrivain-là, décidément, libertaire et potache, échappait à tout étiquette (ma mère m'a dit que ce n'était pas bien d'en mettre!). Merci à Yves Izard pour une interview rapide et efficace, qui a posé les bases d'un travail (littéraire) qu'on ne fait plus beaucoup, maintenant, mais qui réconcilie auteur - qui n'a pas besoin de parler de lui - et lecteur, qui peut à tout moment se voir cité ou, pire, portraituré. Moi, je m'en fous, j'avance,et c'est bien.Qui plus est, l'exercice a les honneurs de la presse régionale :
Ici, l'article très complet de Thé Ollivier pour Hérault Tribune (Quel titre!).
Là, celui de Patrice Espinasse pour Midi Libre.
et sa version papier :
09:56 Publié dans Blog | Lien permanent
14/01/2025
Le lien refait.
19:55 Publié dans Blog | Lien permanent
03/01/2025
CDT PÉTRIER
Les Noz d'émeraude, ce livre hybride qui revient sur les 40 ans de scène du Voyage de Noz, commence par un long entretien avec Stéphane Pétrier, son chanteur. Une interview à l'ancienne, écrite, sans concessions, ni dans les questions, ni dans les réponses qu'il y a apporté. Évidemment, les délais de parution - pourtant courts, pour un ouvrage de cette épaisseur - font que certains points, abordés en août 2024, sonnent curieusement, aujourd'hui, qu'on parle de la Case musicale ou d'autres choses qui ont changé. Mais ces entretiens - après les Portraits de Libé, il fallait bien que je me risque aux entretiens des Inrocks, première formule! - sont faits pour rester. À vous de voir. C'est toujours commandable ICI ou dans votre librairie.
20:52 Publié dans Blog | Lien permanent
27/12/2024
23 cm.
À ma connaissance, c’est Jean-Paul Dubois qui a commencé à mesurer la pile des livres qu’il avait écrits, histoire de désacraliser. Si j’itère à celle-ci mes Noz d’émeraude récemment sortis, j’arrive à 23 cm entre Tébessa – dans sa première version, surprenante mais magnifique – jusqu’à ce livre hybride, au lourd papier photo, qui s’empare de thèmes, voire de personnages, qui ne sont pas les miens qui que je restitue immédiatement, une fois passés à ma moulinette de lecteur, d’auditeur captivé. Intrigué depuis près de 40 ans par un univers fantasmagorique et habité. Je suis passé par tous les états, depuis 16 ans que l’on me fait l’honneur d’éditer mes livres : l’excitation, l’au-delà du raisonnable, d’immenses satisfactions quand certains d’entre eux ont été repérés, sélectionnés, primés, puis la déception, l’abattement, la colère, même. Maintenant, nonobstant la distribution de plus en plus complexe et souvent méprisante, je n’ai plus qu’une seule motivation, celle de faire les livres que je devais faire. Privilège ou handicap de l’âge, je ne sais pas, il ne m’en reste plus beaucoup, maintenant que les Noz d’émeraude sont passés dans ma vie, le temps d’un éclair : deux volumes de portraits (de Sétois) pour arriver à 100, comme le volume qu’on m’a interdit d’exploiter, un livre de poésie qui sortira cet été – pour les Voix vives, j’en ris d’avance – et le dernier volume des aventures d’Aurelia, puisqu’il en est encore pour l’attendre. Ça pourrait nous emmener, bon an mal an, vers les 30 cm. Ce pourrait être une chouette épitaphe sur mon absence de tombe mais ma fille a déjà choisi : T’es mort, comme le Latin. On ne peut pas lutter.
17:23 Publié dans Blog | Lien permanent
21/12/2024
Florensac, le 20.12.2024
L’avantage de partager la scène – l’instant – avec une musicienne classique, c’est d’être sûr que rien ne sera laissé au hasard, que, le moindre détail comptant, le déroulé sera respecté, au bémol près.
La difficulté de partager la scène – l’instant – avec une musicienne classique, c’est, au moment du débrief, qu’elle ne laissera rien passer des approximations qui pourraient être les vôtres, si vous avez tendance à vous laisser porter par l’instant, justement.
J’ai beaucoup appris des sessions CC&A (Camille, Clara & Aurelia) que nous avons vécues, Clara (Védèche) et moi, l’année dernière, quand nous sommes allés jouer à Mulhouse, Thann, Montpellier & Sète. J’ai entendu ce qu’elle m’a dit, que les transitions devaient être plus claires, que l’information – sur les livres, sur les morceaux – devait compléter ce que je me laissais la liberté de dire, pensant que ça viendrait naturellement. Pour l’invitation que la médiathèque de Florensac nous a faite il y a près d’un an, j’ai donc travaillé, rédigé les passages, inséré Liliane à mon gynécée, puis nous avons calé la prestation, puisque c’est le terme. Il le fallait, parce qu’une trentaine de personnes sont venues hier, à l’invitation de Cécile et que la prestation devait être à la hauteur de ce qu’elle avait annoncé partout. Et qu’un vague pressentiment me disait que je devais justifier la chance inouïe d’avoir une telle musicienne à mes côtés. Des lectures musicales, il y en a des tonnes, des notes de oud ou des accords de guitare plaqués sur des textes. Mais un récit-récital imaginé comme ça, avec des créations originales – les accords de la Valse, Claudel de Sandro pensés pour Cello pendant l’extrait du même nom, les arrangements de Au-dessus des eaux & des plaines retrouvés et repensés, la petite Cantate soulignée à l’archet – des pièces de Bach, de Rachmaninov ou de Pablo Casals jouées avec maestria, tout y était, à ma sensation, hier, et les visages des gens présents ont semblé en témoigner. Il y a encore à faire, encore, une sono décente et un débit – pourtant surveillé – moins rapide, mais ce qui domine, c’est l’impression d’avoir fait le travail, d’en avoir tiré les fruits et de justifier – revendiquer, même – ce privilège qui m’est offert, sur la route, de croiser celle de Clara, d’imaginer que ce duo puisse être joué, ailleurs, encore. Sollicité. Depuis la première seconde, je crois que Cécile a aimé l’idée qu’un écrivain sache venir pour parler davantage de la création que de lui ou de son œuvre. Depuis dix ans, je sais qu’Aurelia est plus importante que moi, qu’il faut, pour la respecter encore, que je lui adjoigne, quand je parle d’elle, des figures à sa hauteur. Comme Camille ou mes Clara (Ville & Védèche). C’est sans doute présomptueux de ma part, mais je suis sûr que deux d’entre elles, au moins, auraient été fières de ce qu’il s’est passé hier.
09:12 Publié dans Blog | Lien permanent
14/12/2024
PATERNATALICIDE
"Une rafale de quatrains aura eu raison d’un traîneau et de son équipage. Ça sentait le sapin pour le bonhomme au manteau rouge… Sans manquer de nous fait l’aveu de l’avoir incarné—il le fit, écrit-il, de son mieux—Laurent Cachard se délecte à mettre à nu et désacraliser un Père Noël relancé par Coca pour booster sa carrière et susciter de frénétiques dépenses. Un cadeau au bilan carbone des plus sobres à télécharger entre deux niaiseries chantées autour d’un sapin dont l’étoile vacille."
C'est sans doute parce qu'il peut parfois être aussi potache que moi que Jean-Renaud Cuaz a mis en téléchargement gratuit sur le site Audasud ce paternatalicide - le titre est de mon enfant - une série de quatrains écrits à main levée il y a quelques années, qui n'a nulle autre prétention que l'envie de se moquer un peu. C'est ici.
08:19 Publié dans Blog | Lien permanent
























