06/03/2019
Qu'aurait du chien, sans l'faire exprès.
J’ai tellement dit, depuis tant d’années, l’admiration sans bornes que je voue au travail de Stéphane Pétrier que j’aurais beaucoup de mal à ne pas dire exactement ce que je pense de son premier roman, un « Kill the Dog » dont je connaissais l’existence depuis quelques années et dont il m’a raconté, récemment, la matrice de l’édition. Un choix surprenant, quand on connaît le bonhomme, puisque, sous l’insistance d’un couple d’amis, ai-je cru comprendre, il a opté pour l’auto-édition. Via Amazon, ce qui ne manquera pas de relancer des débats (« Bande de Français », de Marco Koskas, fit partie de la première sélection du Renaudot, en septembre dernier), mais m’a posé le problème de l’objet-livre, d’ores et déjà : une belle couverture, 4ème compris, mais des marges imparfaites, un taux de remplissage des pages trop important et des dialogues très mal édités (en retrait et sans les tirets semi-cadratin, merci à mon éditeur à moi de me permettre de passer pour un savant). Trop de mots dans une page, c’est dû au format Manuel-d’économie-de-chez-Belin-dans-les-80’s, et ça a un impact sur la lecture parce que la première réflexion que l’on se fait, c’est que le roman est là (l’expression est de Chavassieux, ça compte double), mais qu’il aurait gagné à être resserré, dans l’écriture, dans l’essentiel. Le choix du monologue intérieur, du Stream of consciousness, tel que la critique l’a défini à la fin du XIX°s., est aussi casse-gueule que l’aurait été l’inverse. Pétrier n’est pas Proust (son avatar préfère Dave), même s’il n’échappe pas à la réminiscence (son objet-transitionnel, le chien Nono), même si la phrase oscille entre sujet naïf et registre soutenu, dans la conjugaison. Il n’est pas Céline non plus même si l’élan initial a quelque chose du Bardamu du Voyage, mais on se dit qu’un éditeur l’aurait aidé à moins le dissimuler, ce roman. À éviter de se cacher dans des digressions et des contextualisations qui n’apportent pas grand chose au récit. Si ces lignes paraissent, c’est qu’il les aura validées, et je suis impatient de confronter ce qui lui a déplu de la sécheresse de ma Girafe à ces quelques fioritures qui m’ont quant à moi lesté une partie de la lecture : dans les références, trop nombreuses, dans le côté trop pratique du loser de service, forcément écrasé par la grande gueule en adjuvant – PM, par ailleurs excellent personnage, sous-exploité. J’aurais, en re-writer, éliminé beaucoup, accordé un adverbe sur quatre, un adjectif sur trois et, in fine, une phrase sur deux à l’objet de ce qui est dit, levé le pied sur les imparfaits du subjonctif et taillé les dialogues à la hache : pour être précis, sur les pages 55-56, 148 ou 183 par exemple, les réponses gênées ne sont pas nécessaires, et pourraient être traitées par un passage narratif d’une ligne, puisque c’est lui qui parle. Le livre lui-même aurait atteint les cent pages – il en fait le double - et je prends les paris (avec lui) qu’une réédition, un jour, n’en serait pas loin*. Je lui aurais dit qu’un premier roman sur trois commence par un mort en fin de dernière ligne du premier chapitre et conseillé soit d’attaquer dès l’incipit soit d’attendre un peu, encore. Que les confessions faites au psychiatre sont en italiques dans trois premiers romans sur quatre. Mais trêve de chiffres, et pas de malentendu : je n’ai aucune autorité pour lui dire quoi que ce soit, sinon celle de l’expérience, ce qu’on m’a dit à moi, qui n’en savais encore rien. L’exposition elle-même, qu’on craint « Petits Mouchoirs » dans un premier temps, bascule davantage vers « Nos enfants chéris », on ne s’en plaint pas : des quadras partent en vacances en Croatie (si, si, restez !) et le narrateur – autofictif, choix assumé dès le 4ème, pour mieux tromper le lecteur – velléitaire, couard affectif, « connement amoureux », s’enamourache de l’apparition de ce qu’il pense être une autochtone et s’avère Italienne. Une sacrée salope, dit d’elle Inès, une amie du couple, ex-amoureuse du narrateur, qui l’a laissée à son meilleur ami : fais gaffe, Pétrier, parfois on veut faire du Sautet et on finit chez Lellouche, avec le e qui fait flipper ! La métaphore cinématographique me fait me souvenir que Truffaut s’est permis de fondre deux personnages féminins de « Jules & Jim », le roman de Roché, en un, la Catherine du film. Et que dans « Kill the Dog », il y a quelques personnages de trop – certains se reconnaîtront, d’autres se chercheront - même s’ils font tous corps et si l’auteur veut sans doute les immortaliser. Dans un inventaire dont les figures ressurgies du passé – Caroline Lassalle, prof d’histoire-géo – rappellent parfois les chansons de Vincent Delerm. Pas sûr qu’il apprécie le rapprochement…
Bon, la Chiara, là, ça a beau être du Boticelli, il a « très envie de la niquer », on le comprend. On comprend aussi qu’il va se retrouver dans une sacrée merde, lui qui aspire, dans ses contradictions, à « ne plus puer ». On retrouve – ma seule insère – dans le portrait désabusé des quadras bien nés, la plume acerbe du « Bagdad Disco Club » et sur la terrasse de la villa, les McBook côtoient les livres papier des grands auteurs qu’il dit n’avoir pas lus, ce qui lui autorise le licencieux et l’élégance dans le même temps. Chiara baise, Caro fait l’amour – il y avait de la place, pourtant, entre les deux - porte son enfant. Il vomit sa lâcheté, son inconstance, tous les épisodes misérables d’une vie sans relief. Dans « Kill the Dog », ça produit des analepses sur sa vocation de dessinateur, son rapport à la nuit, qui sont de belles pages d’écriture censées nous éloigner un temps de l’action, sans doute, mais dont j’eus préféré qu’elles fussent plus courtes, là aussi. Qu’on s’en tienne à l’histoire. Que la Chiara-Glenn Close le plonge dans sa « Fatal attraction » (on y pense avant qu’il en parle) et que les hommes résolvent enfin la dichotomie ancestrale entre la bite et le cerveau. Tuer le chien, ça doit être ça, en finir, à la quarantaine, avec les passions de l’âme, les pulsions de (petite) mort. Stéphane – Monsieur Moustache, un clin d’œil à Carrère ? – s’amuse au contraire, nous décrit Madame Dzenanovic dans le moindre détail, en trompe-l’œil. Comme pour tromper son monde, à l’orée de la deuxième semaine, au mitant du roman et la bascule de l’action, dont je ne dirai rien, ici. Il y a de très belles scènes dans ce roman, comme celle où l’amante (la mante) se glisse dans la chambre, aux côtés de la femme (la mère) endormie ; celle où il croit la retrouver au-dessus de la Baie de Sunj, en pleins ébats avec un autre ; celle de la rédemption par le rasage intégral. Des propos prégnants sur le déshonneur et l’héroïsme, sur la paternité ; une analogie avec Bertrand Cantat et Columbo ; une belle recension du jeu de l’assassin, la liste de ses détestations, dont Rohmer et Biolay, les inénarrables occurrences de l’Olympique Lyonnais (et son prestigieux voisin) etc. La crise de paranoïa d’un meurtrier en cavale, dans un rôle trop grand pour lui. Puis il y a l’action, dans son unité, qui tient connement en haleine et vous prend une partie de la nuit, c’est un signe. C’est surtout un tel auteur par ailleurs qu’il ne peut qu’intriguer, sur un plus long terme. Il n’a peut-être pas fait que tuer le chien en allant au bout de ce projet-là, dont la deuxième partie m’a parue plus mûre dans l’écriture que la première. Dans tous les cas, cette toute petite chose (antiphrase) qui comptait pour lui, il en est venu à bout et la seule envie qui me reste, c’est de lui dire bravo. Et bienvenue.
L'auteur sera en rencontre à la Balançoire (223 rue de Créqui, 69003 Lyon), ce vendredi 8 mars, à 19h, pour présenter son ouvrage.
NB : À ceux qui s’offusqueraient d’une trop grande franchise, j’avais promis à mon ami une lecture curieuse, au sens étymologique (qui s’inquiète). Je redoutais pour lui que des recensions fussent courtisanes et complaisantes, et me suis par ailleurs beaucoup amusé ici du retour courroucé d’un auteur de mes amis qui n’a pas aimé mon dernier livre. Sans doute parce qu’il attendait Aurelia, déjà (dont Stéphane est un des parrains, pour rester dans la famille). Je fais encore une distinction entre son roman et ceux de Mestre ou de Royer, chroniqués récemment, œuvres d’écrivains confirmés et talentueux, le second adjectif étant plus abordable que le premier. C’est la sempiternelle sentence de Dan Simmons, marquée à jamais, pour moi, du sceau de Grignan : « Tout le monde peut écrire un premier roman ; c’est le deuxième qui fera de vous un écrivain. » Ça tombe bien, à ma connaissance, c’est en projet, pour Pétrier. Et c’est heureux : une fois qu’il se sera (un peu) excusé d’écrire, il fera les choses (un peu) autrement et elles n’en seront que plus abouties. Et sans la liberté de blâmer, dit Figaro…
* je le sais d’autant plus que je me suis prêté à l’exercice il y a quelques années : 98 feuillets d’un roman de jeunesse fondus en 48 et diffusé sous forme de feuilleton.
11:29 Publié dans Blog | Lien permanent
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