15/01/2019
L'Hippocampe en téléchargement.
Je lis un article - et des commentaires - intéressant sur l'édition, la diffusion, royaume du trompe-l'oeil et de l'illusion de l'entre-soi. Depuis un peu plus de dix ans, maintenant, j'ai vécu des choses belles, qu'il serait tentant, et facile, de considérer comme ce qu'il m'est arrivé de mieux, sous-entendu qu'il ne m'arrivera plus. Ce n'est pas ainsi que je vois les choses, mais, en ce début d'année 2019, qui m'amènera à l'aboutissement du plus grand travail d'écriture qu'il m'ait été donné de mener, je ressors de l'histoire récente ce livre à part, dont tous les exemplaires ont été vendus et dont les droits d'auteur m'ont été payés en supions, au Grilladin. Une expérience de très petite édition dont je ris encore, quand ceux qui ne se sont pas manifestés en temps voulu cherchent absolument à posséder leur exemplaire. Un autre conte des quatre saisons, à picorer de ça de là.
C'est disponible ICI.
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08/01/2019
YAËL.
"Il faudra des enfants et du temps pour faire taire leurs peurs" D.L, "Misono".
Il y a mille façons de se plier au deuil, mais c’est ce qu’on sait à cinquante ans, pas à ton âge. Laisse-moi juste, dans ton chagrin, te présenter la mienne : on ne se connaît pas, tu sauras vite que je ne prendrai pas avec toi les précautions que ceux qui t’aiment et t’entourent se sentent obligés de décupler, de fait. La brutalité, la violence de la perte, aucun mot ne peut expliquer, justifier ça. Il n’y a rien qui remplacera ce papa en or que tu avais dégotté, comme s’il y avait un prix à payer derrière une telle chance. Rien qui ne palliera, dans toutes les années que tu vas passer sans lui, les balades qu’il te faisait faire, les week-ends passés avec lui dont, une semaine sur deux, il tentait de te cacher la mélancolie du dimanche, en fin d’après-midi. Il était tellement fier de toi, ton Papa, fier d’avoir incarné quelque chose auquel il croyait vraiment, une espèce d’universalité, de mélange. Il y a quelques années, devant l’injustice bête de certains enfants, il était monté au créneau, lui, l’homme docile, se serait opposé à lui seul à la marche crasse du monde, enfin d’un monde qui ne sera jamais le tien, qui n’aura jamais été le sien. Yaël, tes deux syllabes et tes dents du bonheur sont ce qu’il aura laissé de plus beau, au-delà même de son travail d’artiste, et c’est dur, à ton âge, de subir cette charge, mais il faut que tu transformes ça, que tu en fasses une force, au fur et à mesure que tu avanceras dans la vie. Combien sommes-nous, ces jours-ci, à penser à toi, à nous dire qu’on se serait bien sacrifié pour que ton Papa reste, qu’il te protège autant que tu auras besoin qu’il le fasse, dans ton existence de petit homme ? C’est une vague, un truc à quoi tu devras penser à chaque fois que tu auras du chagrin ou mieux, sans la tristesse, à cet instant à mi-chemin entre la fin du sommeil et le réveil, tu vois ?
Yaël, un jour, toi-même, tu sauras exactement ce que ton Papa a ressenti, quand tu tiendras un petit bout d’homme dans tes bras, la chair de ta chair, la somme d’un amour. Toi aussi, tu chercheras à compenser, dans l’existence de ton petit bout d’Homme (donc de femme, possiblement), le manque du Papi qu’il aurait dû devenir, paisiblement. Mais accroche-toi, Yaël, parce qu’il faudra alors que tu lui parles de l’Enfance éternelle, que tu le convainques à son tour comme il faudra qu’on te l’explique à toi qu’il a choisi la fraternité des musiciens, la chaleur du groupe, le masque du costume (ou l’inverse) pour cacher un peu de sa timidité. Tous les enfants grandissent, dit-on, sauf deux : le premier, on t’en a déjà parlé, le second, eh bien, ce sera lui, indéfiniment. Il faudra recréer ce fameux pochoir que tout Lyon a vu, que tu te permettes, chez toi, enfin, de dessiner sur les murs. Faire le lien entre les époques, le faire vivre puisqu’il est littéralement impossible, interdit, qu’il ne vive plus. Yaël, l’ironie du sort veut qu’à sept ans, on dise qu’on atteint l’âge de raison : ce sort-là, qui t’est réservé, je lui tordrais le cou à mains nues si je pouvais le faire, mais je ne peux qu’implorer que, dans ta tristesse, tu repères cette foule qui se tient les coudes pour accompagner ton Papa. C’est la même que celle qui se pressait à ses concerts, quand il ne jurait que par le « No Future » parce qu’il n’avait aucune idée de ce que serait un futur qui mènerait à toi. Tu es son plus grand bonheur et ça, c’est immortel.
Je ne serai pas là aujourd'hui : j’habite loin et c’est difficile de dire à son employeur qu’on ne vient pas travailler parce qu’on a perdu une source d’inspiration, de respect et d’humanisme, tu verras. J’écrivais récemment à propos d’un autre chanteur que j’aurais la chance, moi, de faire comme s’il était (encore) là, de ne pas subir l’absence de plein fouet. Mais j’écris des livres sur la temporalité, Yaël, ton Papa en a lu au moins un, qui traite d’un autre enfant qui n’a pas connu son père. C’est peu de temps, sept ans, te diras-tu dans les moments de fatigue : mais à l’échelle de l’amour de ton Papa, c’est toute une vie, et même un peu plus. Sois fort ne veut rien dire, petit d’homme. Devenir qui tu es sera sa plus grande victoire.
Je t’embrasse, Yaël. Nous sommes des milliers à te tenir la main.
NB: ce texte est publié avec l'autorisation de la famille de Denis Lecarme.
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03/01/2019
Le dernier des Fantastique.
Ça n’était pas mon ami mais ça aurait pu l’être. Nous nous sommes croisés deux ou trois fois à l’époque où je me perdais – trop – souvent sur les Pentes de la Croix-Rousse, dans une librairie alternative nommée « l’Expressionniste ». Moi qui me souviens de tout, j’ai oublié, déjà, le nom de ce libraire qui n’aimait rien moins que de rester seul et qui accueillait toute une population d’artistes et de paumés du petit matin, dans sa boutique qui se transformait en tripot, où les bouteilles s’écoulaient et les nuages (de fumée) s’amoncelaient. J’ai deux souvenirs marquants de cette période, la première exposition de la série « Ouessant », les dessins de Jean-Louis Pujol, et la venue de David Fantastique, qui fut en somme le premier vrai musicien que j’ai croisé, avec sa guitare et ses boucles de son, son air lunaire et ses lunettes cerclées. A dire vrai, j’ai quitté un soir cet endroit conscient que je n’y reviendrai jamais – trop d’ivresses et de mauvais mots qu’on me demandait de lire, qui plus est – et j’ai sauvé ma peau ce jour-là. Mais j’ai souvent fredonné les refrains de David Fantastique, son « Paranormal », notamment, depuis. Jusqu’à ce que je ressorte le disque, son premier, récemment. Histoire de me rappeler cette période, d’en garder ce qu’elle m’a offert de mieux. J’ai appris hier que David Fantastique, qui a à peu près mon âge, est mort au dernier jour de 2018, lui qui annonçait l’année qui vient avec envie, avec un album nommé « Avenir », qui rejoindra le « Dernier mot » de Fred Vanneyre dans l’ironie morbide. Je sais que la mort n’est pas une idée neuve, mais cette annonce m’a attristé et, depuis hier, je ne retrouve plus ce disque dédicacé. Il réapparaîtra, comme tant d’autres choses. Il y a quatre jours, un artiste de talent a disparu, le temps qui s’est écoulé depuis notre dernière rencontre est désormais révolu. Le fait que nous ne nous croisions qu'une fois tous les vingt ans va m’aider, égoïstement : je m’attendrai, à chaque passage sur les Pentes, à l'apercevoir à tout instant. Ce que ses proches vivront dans la douleur, je le vivrai dans sa musique. Farewell, Fantastique !
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29/12/2018
INVENTAIRE 6818.
En une semaine, une seule et petite semaine, 7 jours, 168 heures, 1080 minutes, 604800 secondes, j’aurai passé une décennie (3650 jours, 87600 heures, 5256000 minutes, 315360000 secondes), très peu dormi, beaucoup bu, chanté, pleuré, ri, j’aurai croisé des regards amis, amours, amants, regretté que d’autres fussent absents, je me serai réjoui de voir trois générations partager de beaux moments, j’aurai inventé le concert de Air-E Street Band, partagé la scène avec Douchka, repris à tue-tête « Les Retrouvailles » de Graeme Allwright et « l’herbe tendre », accompagné d’un trio magique, je serai retourné à Lyon pour fêter Noël en famille élargie, j’aurai mangé dans un restau chic avec deux potaches pour finaliser un événement UNIQUE de l’année qui arrive, vu la première esquisse de couverture d’Aurélia Kreit (dans neuf mois…), frissonné en me voyant associé à deux groupes qui ont fait – et font encore – partie de ma vie depuis trente ans (10950 jours, 262800 heures, 15768000 minutes, 946080000 secondes), je me serai battu à coups de caca en peluche avec ma violoncelliste préférée, chez mon own private guitar hero, j’aurai retrouvé Francesco & Jo en une seule fois, sommeillé sur trois canapés différents, offert et reçu des cadeaux touchant parce que personnalisés, j’aurai fini par une macaronade géante préparée avec mon neveu pour des amis qui me connaissent depuis 50 ans (18250 jours, 438000 heures, 26280000 minutes, 1576800000 secondes) pour certains d’entre eux, ronflé dans la voiture, pour le retour, passé un péage gratuitement (cadeau des gilets jaunes) et fait le bilan de ma vie : complexe mais intense.
En présent, pour ceux qui ne sont pas sur les réseaux sociaux, le cadeau que m’ont fait ces frères qui partagent ma vie depuis dix-huit ans pour l’un (6570 jours, 157680 heures, 9460800 minutes, 567648000 secondes), huit ans pour l’autre (2920 jours, 70080 heures, 4204800 minutes, 252288000 secondes) et un peu moins pour la petite. Se seront agrégés à eux un futur ingénieur du son et un maquettiste de talent pour que, sous la direction de Gérard Védèche, cinq ans (1825 jours, 43800 heures, 2628000 minutes, 157680000 secondes) après leur création, « l’Embuscade » et ses camarades existent, pour l’éternité, 62 ans (22630 jours, 543120 heures, 32587200 minutes, 1955232000 secondes moins quelques-unes) après que la voix de l’autre Gérard s’est tue.
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21/12/2018
Lift Off!
Laurent CACHARD, 50 ans, au-dessus des eaux et des plaines.
HIPPOCAMPE & FATALISTE
C’est parce « les femmes de sa vie » - sa mère, sa sœur et son ex-femme – l’ont convaincu qu’il fallait le faire qu’il a lâché les soixante-dix portraits qu’il a rédigés depuis 15 ans, pile. Depuis le premier autoportrait qui dit tout d’une époque qu’on pense encore proche quand tout d’elle sait désormais le temps qui s’est écoulé : on était en 2003, le titre principal citait « le Misanthrope », déjà, et le corps de l’article évoquait un drame à Vilnius. Laurent Cachard avait 35 ans, donc, rêvait d’être édité et ne le serait que cinq ans après, pour un livre qu’il avait, à cette époque, déjà écrit. Toute l’histoire de sa vie est dans ce décalage : jamais complètement là où il est, toujours entre deux eaux, deux projections, deux regrets. L’homme – imposant, charismatique, « au phrasé emphatique et en plus, juste et assuré », écrit-on de lui – n’ira pas plus loin. Tout juste concède-t-il qu’en rejoignant l’île singulière, il a à la fois perdu ses dernières attaches et gagné la liberté qu’il s’est toujours fixée comme principe. Quitte à souffrir, parfois, d’une solitude qu’il s’est choisie et dont la compagnie de celles qui croisent sa route ne semble pas le dévier. Il est aimé, même par celles qui l’ont perdu – à quelques exceptions près – il intrigue par cette intransigeance à laquelle il paraît ne jamais déroger. Quitte à ce qu’on ne le comprenne pas et qu’on juge – le refrain est connu – son altitude pour de la suffisance : il n’y a pas que les Girafes qui souffrent de ça. À présent, jure-t-il, il s’en fout, mais on n’est pas obligé de le croire. À cinquante ans, le voilà forcé au bilan dont sa mère lui parlait sans cesse, déjà, quand il était plus jeune. Il est là où personne ne l’attendait il y a cinq ans, médite au bord de mer dès qu’il le peut et termine, enfin, son quatrième roman, le Russe. Pour lui, personne ne peut se revendiquer écrivain tant qu’il n’est pas passé par ce type d’exercice, lyrique, monumental. Des années de travail et de découragement pour une œuvre qui n’aura sans doute pas le retentissement qu’on lui prédisait quand il l’a commencée, tout auréolé des succès de ses deux premiers romans. Dont le prix du 2ème pour « la partie de cache-cache », celui qu’il préfère, parce qu’il comprend ce qui reste de ce qu’il percevait de son enfance, encore. Peut-être a-t-il mangé, dès ses débuts, le pain blanc de son existence d’auteur, jusqu’à l’index du Bordas, en 2012, en compagnie de Shakespeare, entre autres. Ses faits d’armes, il s’est juré, la cinquantaine passée, de s’en séparer, de ne plus jamais les rappeler : il se souvient, dit-il, d’un vieux qui ressassait au basket qu’il avait battu le record du monde à la perche pendant la guerre, mais que personne n’avait jamais voulu le croire ! Il ne racontera plus, alors, la soirée qu’il a passée avec Alain Larrouquis, l’idole de sa jeunesse, à Orthez, lieu de ses exploits. Un romancier qui rencontre son personnage, ça n’est pas très courant, pourtant, et la vie de Laurent Cachard est parsemée de ces instants d’intensité qu’il recherche, quitte à en payer le prix, derrière. Quitte à ce qu’on s’éloigne de lui parce qu’il prend trop de place. Donne beaucoup mais demande autant, ou l’inverse, lui-même ne sait plus. Tout juste regrette-il, hébété, que manquent à l’appel de son cinquantenaire des êtres dont il n’aurait jamais pensé qu’ils pussent manquer. Les disparus, les vrais, les éloignés, passe encore, mais ceux à qui il a dédié telle chanson, tel ouvrage… Qui le fixera dans les yeux, ce 21 décembre – jour anniversaire de Paco, également – et susurrera « à la moitié du temps donné » avec le désespoir de l’auto-conviction ? Il balaie ça d’un revers de la main, sait qu’il faut chérir les présents plutôt que regretter les absents. Pas de grande fête comme pour ses 45 ans, ce concert géant où tous ceux dont il aime le travail depuis tant d’années ont défilé et joué pour lui sur la scène de À Thou bout d’Chant. Au moment même – il n’en a rien montré – où se jouait la seule part de sa vie dont il regrette maintenant qu’il n’en ait pas perçu les enjeux. C’est ainsi. Il s’est battu avec la culpabilité, a écopé sec, chez les marins, puis s’est remis, pas à pas. A replongé dans Aurélia, son grand œuvre, celui qu’il présentera au monde en même temps que « le Cœur en croix », dit-on, pourrait bien résonner une fois encore. Trente ans après, comme « le Voyage » de Gamine, qu’il est allé entendre sur la plage de Portiragnes, en dissimulant mal les larmes qui montaient. Il n’y a rien de plus essentiel pour cet homme que l’idée de permanence, qu’il place à toutes les sauces mais assume parfaitement. Se souvenant de tout quand d’autres se libèrent de leur poids. Pas étonnant qu’il paraisse cultivé, avec une telle mémoire – même, revendique-t-il, de l’inessentiel, pas étonnant non plus qu’on trouve toujours dans son entourage celle qu’il a connue à quatorze ans, avec qui il en a vécu vingt, Hippolyte à l’appui. Ce fils dont il aimerait qu’il ne se dise pas, quand lui partira, qu’il aurait pu plus lui parler. Comme lui regrette de ne pas l’avoir fait davantage avec son père : chez les Cachard, famille d’ogres, on est aussi pudique qu’on peut être démonstratif, quand la scène – All the world’s a stage – le nécessite. Son fils, il lui a consacré la première lettre ouverte de la belle collection du Réalgar, et le regarde faire ses choix avec autant d’inquiétude que d’admiration. En plein effet-miroir. Déjà nizanien à dix-sept ans – ce qui ne laisse guère de place à la vie (trois ans ?) – il vit en plein ce quiétisme du désespoir qui l’a déterminé : une forme de distance que confèrent la perte des illusions et l’ultra-sensibilité avec laquelle il vit les choses. Sa façon de croire qu’elles reviendront, même si elles sont passées. C’est l’objet de sa Révolution esthétique, la seule qui reste, donner au temps le culot de s’arrêter. Il fait sien le fatalisme hugolien, se promet de ne plus trop tempêter, la cinquantaine atteinte, sans grand espoir non plus : peut-il réellement s’empêcher de les pourfendre, les imposteurs et les rapaces ? Qui le fera s’il ne s’en occupe pas lui-même ?
On lui souhaite un dernier quart de siècle (le reste sera du bonus) pacifié, peut-être de vivre un de ses éternels retours d’adolescent nietzschéen. De moins endosser et de plus lâcher prise, sinon la grande carcasse finira par se voûter, inexorablement. L’Hippocampe – c’est ainsi qu’on l’appelle ici depuis qu’il a chroniqué sa première année sétoise - n’est pas à la croisée des chemins, ce serait mentir. Mais à un sérieux tournant, oui : professionnel, personnel, lui-même ne le sait pas. Il a vécu toutes les scènes rohmériennes qu’il pouvait vivre, portraituré tous ceux qu’il a aimés (et qu’il aime encore, c’est son corollaire). C’est un juste retour des choses qu’on le croque à son tour, mais ça n’est pas une sinécure : Emile Parchemin y était parvenu, il y a longtemps, dessinant un doigt pointant l’épicentre d’une spirale. Comme si tout était contenu dans le Tout : à cinquante ans, il n’y a plus d’autre alternative que celle de vivre pleinement. Esther Rochant.
Photo: Vincent Assié
Dernier portrait d'un recueil à paraître: "68 Portraits de mémoire"
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19/12/2018
Ground Countrol to Major Tom - 2
Je retiendrai de mes 45 ans le fait qu’ils sont arrivés le jour pile où j’organisai, contre toute réticence d’amis de la partie – tu ne peux pas imposer sept heures de musique live à tes invités! – un concert géant, sur une vraie scène d’une vraie (petite) salle de spectacle, au bar attenant, tenu, tout au long de la soirée, par mon fils, son cousin et sa cousine. Dix groupes ou artistes qui se sont succédé sur la scène, avec des impératifs précis : pas plus de vingt minutes, le temps d’apprécier, ou d’attendre la suite. Ce soir-là, j’ai vu jouer des amis à qui je n’osais pas aller parler, quelques années auparavant, qui sont venus pour moi, pour ma démarche esthétique. Personne ne s’est cru supérieur à personne, j’ai eu de la chanson française, du rock, du blues, du classique, j’ai vu des musiciens heureux d’être là, de se rencontrer, d’échanger. Un public ravi, de la fréquence et de la qualité des intervenants. J’ai écrit chaque seconde de cette soirée pour m’en souvenir et elle reste très marquée dans mon esprit. Cinq ans après, si j’étais Marty Mc Fly, je remonterais quelques mois en amont et je ne laisserais pas les choses se déliter comme elles l’ont fait dans ma vie. Quelques mois, juste, pour ne pas laisser se perdre une belle rencontre, accepter de me laisser vivre autre chose. Un être, à cette époque, ne s’est pas incarné, il représente, néanmoins, la somme des regrets que je continuerai d’avoir. Parce qu’on en a tous. Il suffit de les accepter. J’ai beau jeu, néanmoins, de dire que je n’étais pas prêt : la contrepartie, c’est que le seul – autre – enfant que j’aurai jamais, à qui j’ai tout sacrifié, à ce moment-là de ma vie, naîtra bientôt. Dans neuf mois, cinq ans après.
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18/12/2018
Ground Countrol to Major Tom - 3
J’aurais dû saisir l’allégorie : la veille de mes 40 ans, j’ai quitté Lyon en début d’après-midi pour rejoindre Jean Frémiot à la grande Bibliothèque François Mitterrand : il y recevait, parmi d’autres, un prix de la Photographie et un grand format de ses « Territoires Occupés » y était exposé. Evidemment, mon texte avait été évincé au profit d’un salmigondis germanopratin, mais là n’est pas l’essentiel : j’ai enchaîné un Lyon-Paris-vernissage-soirée folle- deux heures de sommeil- retour-sur Lyon-réception d’une cinquantaine de personnes, le tout à coup de Red Bull/Champagne en alternance. Et l’image que j’en garde, dix ans après, c’est celle du tapis roulant dans la station de métro parisienne, l’élan qu’il donne à celui qui déjà marche vite, le risque de chute à l’arrivée. J’étais l’homme pressé et ce tapis déroulant incarnait tout à fait la soif de priorité et de reconnaissance – artistique - qui était la mienne, à cette époque. Il fallait s’écarter, devant, sous peine d’être renversé. Trois nuits quasi-blanches ont précédé mon entrée dans l’hiver et dans la quarantaine. Je me souviens de la toute fin, quand il n’en est resté plus qu’un pour m’accompagner aux Halles de Lyon, à l’aube, manger quelques huîtres digestives. J’avais quarante ans, Amandine, petite sœur choisie, m’avait concocté, au travail, un gâteau au chocolat aux couleurs vives mais immangeable et elle a sans doute bien fait : celui-ci, je ne l’oublierai pas. Quarante ans, c’est aussi, immanquablement, l’âge auquel j’ai été édité, pour la première fois. Dix ans, presque, après que le roman a été écrit, dans sa première version. Pour un tourbillon qui allait commencer, dont je sentais que je devrais m’en sortir seul, plutôt que de faire souffrir encore. C’est ainsi.
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17/12/2018
Ground Countrol to Major Tom - 4
Trente-cinq ans, c’est deux fois dix-sept ans et demi. Une fois l’équation rimbaldienne posée, le dilemme s’agrandit entre ce qu’on voulait faire de sa vie et ce qui s’est passé vraiment, jusque là. C’est l’ère des décennies qui défilent et dont on n’attend rien d’autre qu’elles nous permettent d’exister encore : on repense à tous ces amis si présents et pourtant si morts, déjà. On a l’âge qu’ils n’auront jamais et qu’ils ne dépasseront pas et la tentation de la tranquillité est grande. Sauf pour les esprits intranquilles, qui ne se retrouvent pas dans les cercles sociaux, conjugaux, amicaux que leur vie a créés. Qui continuent de regarder ailleurs, jusqu’au plus profond du mépris d’eux-mêmes. A cette époque de ma vie, « Ouessant » génère tout : en me laissant seul avec ce poème, l’année d’avant, Fred Vanneyre m’a condamné à vivre, je l’ai souvent dit. A porter le poids de son existence en plus de la mienne, à faire de ma vie qu’elle ne le déçoive pas, de là-bas. Les projets avortés, de force, sont les plus douloureux dans le souvenir. C’est à cet instant que j’aurais dû – toujours facile de le savoir après – entrer dans la vie de nouveau, créer un univers plus tangible plutôt que d’ancrer la mémoire dans le marbre. Celui de Camille, dont la nouvelle, « Reconnais, Rodin », une œuvre de commande – en lieu et place de Charles Juliet, s’il vous plait – jamais éditée avant qu’elle devienne « Valse, Claudel », dix ans plus tard. Toujours dix ans après. Comme si « Ouessant » - tous les dix ans, peut-être, je ferai le voyage – avait prédéfini le rythme.
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