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14/11/2019

Accroche-toi.

C’est drôle, parce que je n’avais jusque là jeté qu’une oreille distraite à la carrière de Gérald Genty, étiqueté chanteur talentueux et rigolo, soit un adjectif en trop, en ce qui me concerne. J’ai le souvenir d’un titre à rallonge « pour l’instant, j’suis pas encore trop connu, ça va », d’un artiste dont on dit qu’il est drôle sur scène, ce que je n’attends pas forcément d’un artiste, en ce qui me concerne, toujours. Aiguillé par Guillo, soit une double allitération, ce qui n’est pas rien, j’ai tout de même lancé le visionnage du clip participatif de « Planeur », le premier morceau extrait de son album « Là-haut », failli partir dès le premier riff et les rires d’enfant, pensant que ça ne me concernait pas, ou plus. Je suis resté pour la voix, qui m’a semblé en faire moins - l’apanage des albums de la maturité - pour l’adresse (« Accroche-toi ») et pour ce crescendo, l’entrée minutieuse de la rythmique. J’ai été pris de nostalgie en pensant à ces moments de l’enfance que je ne revivrai plus, sauf miracle (de la société, principalement), me suis laissé conquérir par le morceau sans savoir encore ce qu’il me réservait. J’ai tout retrouvé, hélas, de ce voyage en bus – le seul, peut-être – que je n’ai pas oublié, quand il m’a fallu rassurer mon enfant apeuré, la fois où je n’ai pas supporté qu’on se prenne à lui, même sous couvert de l’innocence. Du chaton qui joue sur le tapis du salon à la boîte à rien, deux détails que l’on retrouve dans Aurelia Kreit, si l’on veut bien les voir. J’en étais là, de ce morceau, dont la mélancolie est atténuée par la guitare, juste avant le break. Pont musical obligatoire dans la variété ? Ou fausse piste assumée jusqu’au bout. A 2’10 – dans les temps pour le tube – on passe au piano-voix, la voix est un peu étouffée, comme dans un sanglot. Et à 2’50, on comprend pourquoi : ça n’est pas une chanson sur les enfants, c’est une chanson sur la perte de l’enfance. Pas celle qu’on vit à l’indépendance, quand on quitte le nid, non, celle qu’on vit quand celui qui y est resté, d’un coup, n’est plus là. « Un jour, les papas s’en vont, un jour, les papas s’envolent », c’est d’une évidence rare, mais de celles qui touchent au cœur, au plus juste. Quiconque a vécu cette perte sait ce qu’on ressent dans ces moments-là, et si j’ai beaucoup écrit sur la perte de mon père, je remercie cet artiste drôle de ses mots si simples et si touchants. « Et on s’retrouve tout seul, cloué au sol », ça n’est pas une chanson non plus sur les adultes qui perdent leur père, c’est un avertissement, au sens baudelairien, aux enfants qui n’en sont plus mais qui pensent que les choses resteront ainsi, éternellement. Entre « Paco » et ma « Lettre ouverte d’un vieux nizanien à son fils de vingt ans », j’ai suffisamment interrogé la transmission – pour l’avoir vécue sans mots – pour ne pas comprendre que c’est à moi qu’elle parle, cette chanson, qu’elle met le doigt sur ce que je n’ai pas assez donné, ou assez reçu, ou les deux. La tonalité qui change à 3’09, la voix qui s’étrangle, la basse qui revient, on se sent bien seul, c’est vrai.

« Accroche-toi ».

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13/11/2019

La résilience personnifiée.

74495227_507937400050635_3740684114135613440_n.jpgIl faut évidemment que ce livre circule, qu'on en parle, et qu'il se fasse une place dans un circuit parallèle. Je crois - toujours - en l'évidence des choses, même si je dois en accepter le cours peu commun, et non linéaire. Je sais qu'Aurelia vivra une belle vie, longue, et que ce n'est pas l'apanage des romans jetables. Des retours supplémentaires en disent long, encore, sur ce travail:

"La saine curiosité que j'avais de lire Aurélia Kreit, LE roman (auto-proclamé russe) de Laurent Cachard n'aura d'égale que l'immense plaisir que j'ai eu à le dévorer, littéralement.
Pour avoir assisté à distance à la dernière année de gestation, et non des moindres sur la décade qu'a nécessité cette véritable oeuvre, puis à son accouchement - manifestement sans péridurale - on peut le dire aujourd'hui: le père et l'enfant se portent bien.
Pour le père, déjà bien portant naturellement, sa verve est là, en place. II est en forme olympique, la réussite des dernières Automnales qu'il préside à Sète en témoigne.
Pour l'enfant, Aurélia donc, AK pour les intimes, c'est une belle réussite. Le pavé peut impressionner mais la traditionnelle difficulté des premières pages passée (ébauche des personnages, décor planté), c'est parti. Et là tant par la qualité de l'écriture, jamais lourde, que par la destinée de ces personnages magnifiquement dépeints qui nous font traverser l'Europe du début du siècle d'Est en Ouest, il n'est pas possible de ne pas se presser de poursuivre la lecture passionnément. Peut-être avais-je un trop-plein ces derniers temps d'histoires contemporaines, sans relief. Ici le romanesque nous emporte et c'est bon. Bien évidemment les sujets abordés, c'est à dire, l'identité ukrainienne, ou russe, mais surtout la judéité et tout ce qui s'y rattache et qui semble éternel comme l'antisémitisme, mais encore l'âme slave ou, la Grande Histoire sont traités avec finesse et précision.
Et Aurélia est la résilience personnifiée.
En attendant que ces tribulations deviennent un road movie (qui sait ? après la musical et le littéraire, une AK de cinéma ça aurait de la gueule...) et n'en déplaise à l'auteur, j'ai prêté mon livre...
Longue et belle vie à Aurélia..."

et d'autres, plus personnels, qui témoignent d'un parcours de lecture:

« Je viens de terminer la première partie, le cœur serré. J'étais complètement avec tes personnages....Tu fais revivre des pans d'histoire dont on voudrait qu'ils n'aient pas existé... »

ou celui-ci, que je ne peux reproduire, parce qu'il en dit trop sur l'action, mais qui rend compte d'une empathie touchante des lecteurs pour les personnages de mon épopée, qui va jusqu'à la réaction physique, le rejet avant le retour. C'est touchant. Ça justifie tout, les efforts, les années, les frustrations.

Si vous n'avez pas encore votre exemplaire du gros livre rouge, c'est dans votre librairie ou ICI que ça se passe. Je ne peux rien faire d'autre pour vous dire qu'il y a des rencontres avec des histoires qui valent certainement qu'on surpasse une paresse naturelle.

Sculpture : Michel Wohlfahrt

Photo : Agnès Guérin

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11/11/2019

Balaise*

IMG_5721.jpgIl n’y a que dans le roman qu’Aurelia Kreit, en débarquant à Paris avec toute sa tribu, pense qu’elle conquerra la ville sans souci, avant de viser plus loin, encore, et passer de l’enfance - l’In fans, celui qui ne sait rien et ne parle pas - au statut d’égérie du pays qu’elle a fui. Dans la Halle des Blancs manteaux, en plein Marais, Aurelia Kreit ne concourait qu’au titre du roman le plus gros - le plus lourd, diront les passants, sans préjuger du style, heureusement - et le plus rouge, mais ce verdict-là ne sera jamais rendu; l’autre, si, qui m’a vu vendre peu, et exclusivement des Girafe lymphatique et des Paco. J’écrivais hier qu’il était important, pour un auteur, d’avoir des livres identifiés - Tébessa, hier, Paco aujourd’hui - pour surmonter une offre pléthorique et une demande en berne. C’est un bel endroit, les Blancs Manteaux, en plus ça évoque des choses fascinantes pour moi, une chanson de Sartre que Gréco a perdue, par inadvertance. C’est un bel endroit qui croule, quatre jours durant, sous les étals des éditeurs dits indépendants ou petits, selon qu’ils se considèrent. La table du Réalgar est petite, et comble: à raison de quasiment dix éditions par an, entre la collection de poésie, les nouvelles illustrées et les romans, la maison stéphanoise est à l’étroit dans les travées, et l’on se serre derrière les présentoirs. Frédérique Germanaud, dont on dit le plus grand bien, vient présenter « Dos au soleil », un roman qui chronique l’exil des déportés d’Algérie - puisque rapatrié n’est pas le bon terme - à compter de l’Indépendance, un livre - j’en reparlerai vite - qui fait écho à mon Tébessa, 1956. Dont je retrouve l’éditeur avec grand plaisir, après un temps trop long de silence et de report. Claude Raisky a été un homme essentiel dans mon parcours d’écrivain, avec qui j’ai vécu l’illusion du succès et son corollaire, mais j’ai aimé le moment où, dans ce café-librairie, nous avons remonté le temps, jusqu’en janvier 1998 et une restitution d’un travail sur « Humanité, différences & inégalités » dont je pourrais redire les moindres termes, aujourd’hui. Tébessa et d’autres sont sur le stand « Raison & Passions », ça me fait drôle de ne pas être derrière et les défendre. Mais l’édition passe, toujours, et ici comme ailleurs, il y a d’autres auteurs qui vous ont succédé et qui pensent sans doute que vous avez fait votre temps: je souhaite à leurs livres le même parcours que le mien et reviens à mon roman rouge, que je présente à qui veut bien l’entendre, sans suffisamment, je le concède, de motivation pour l’exercice. En salon, il faut se battre, sans racoler. Se mettre debout, entamer une conversation, défendre une vision de la littérature autant que l’histoire qu’on présente. Le dimanche, quand rien ne se parle, je l’explique à Isabelle Flaten, qu’on vient pourtant trouver sans qu’elle demande rien. Je lui dis « viens, on se donne une demi-heure pour vendre des livres! ». Ironie ou démonstration, dans les cinq minutes, deux jeunes femmes repartent avec une Girafe chacune, qu’elles n’ont pas voulu partager. Un homme, poète africain, se laisse convaincre par l’histoire d’Aurelia puis finit par le prendre en photo... On offre des Tagada, la Flaten’s touch, et on discute: au moins le temps passe. Il y a le livre de Vitas*, Céphalées, sur la table, sans que son auteur l’ait touché, encore. Ceux des auteurs-monstres du Réalgar, dont le parcours et le réseau font qu’on en parle et qu’on les connaît. Parfois, les passants sont un peu maladroits, dans les gestes ou les propos, mais c’est de bonne guerre, la guerre lasse. Le samedi soir, à la galerie l’Amour de l’Art, quelqu’un qui avait déjà le roman m’a dit que ma façon d’en parler lui avait donné envie d’y plonger, toutes affaires cessantes. C’est hélas la quadrature du cercle: il faut parler de ces romans-là pour convaincre les lecteurs potentiels, mais l’espace public est saturé, y compris par de très mauvais livres. Même l’espace privé se tarit, ou souffre de la concurrence: le réseau russe que j’espérais n’est pas venu rue de Seine, et si la soirée fut belle, elle démontra aussi qu’il n’est pas toujours conseillé de revenir là où l’on a réussi… Même si le théorème du coup de pied de l’âne se transformant, des générations après, en cancer des testicules ne m’a pas échappé, au moment où je retrouve ce qui rééquilibre ma vie et rend tout dérisoire, finalement, le Tout - absolu - et le relatif. Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l’altitude un dédain souverain : je préfèrerai toujours le cimetière marin au cimetière des illusions.

* dont les mots sur AK ont fait mouche, hier soir : « J’ai eu quelques difficultés, liées à la fatigue, à rentrer dans ce roman, peut-être aussi par anticipation du chemin à parcourir devant le format plus long que mes lectures habituelles -je sais l’importance de ces dix ans d’écriture et de doute pour son auteur- ; autant de difficultés à en sortir une fois familiarisé avec les personnages. Au delà de la trame historique, du contexte documenté, c’est l’humanité de ces personnages qui m’a happé. Chacun, creusé par sa vie, questionne par ses actes son identité et son appartenance et les engagements qu’elles impliquent. Des êtres vrais, comme j’en attends en littérature.
Le chemin est long, me laisse l’agréable illusion de mieux comprendre l’âme slave, loin de la fierté de trouver un clin d’œil à une de mes chansons (quelques mots au milieu de 430 pages qui m’auront dévié de ce parcours dans un sourire) l’humilité de voir mes 70 petites pages sortir dans quelques semaines dans la même collection. »

09:14 Publié dans Blog | Lien permanent

30/10/2019

Seule et le coeur en croix.

Cachard4.jpgVous connaissez le principe de la part de gâteau qui reste, qui introduit chez les convives une telle impossibilité de la prendre pour soi qui fait qu’elle finit par rester sur le buffet, à la fin ? C’est la seule image que j’utiliserai pour faire part de la petite vexation liée à la rencontre hier, à la Nouvelle Librairie Sétoise, qui importe peu – sauf en nombre de livres potentiels écoulés – au regard du côté bonne franquette, un peu subi, de la date, pas annoncée sur le site, concédée avec un poil de condescendance, mais c’est le lot des auteurs dont on dit qu’ils sont mal distribués. Je me suis promis de longue date de ne plus en prendre ombrage, quel que soit le profil d’un auteur dont, subséquemment, on ne sait rien quand on l’invite. J’ai ravivé la phrase de Talleyrand, «  Quand je m’observe, je m’inquiète. Quand je me compare, je me rassure » pour renvoyer dans leurs vingt-deux (mètres) ceux que mon anonymat comblerait. Elle était belle, malgré mon énervement de départ, cette rencontre, vive, chaleureuse et menée avec maestria par Jocelyne. Qui n’est pas la dernière – litote – à vouloir me titiller, mais que la lecture de « Aurelia Kreit » a comblée, dans son exigence – la somme, les thèmes – et son écriture. Elle veut gérer la rencontre, la genèse du roman, sa construction, les nombreux sujets abordés : l’Ukrainité, la judéité, le féminisme etc. Elle a plus envie d’en dire du bien, de ce roman, que d’en solliciter l’auteur, j’apprécie, autant que l’analogie avec Stendhal, dès le départ ; je reprends un peu la main, sens le public intrigué, au minimum, j’en reviens à la tranquillité, au théorème de Mégevette que personne, ici, ne connaît : j’apprécie la venue de ceux qui sont là sans m’attarder sur ceux qui ne sont pas venus, la règle est classique, mais il faut la rappeler. Joce, qui m’interrogea sur la place l’année dernière, a travaillé l’entretien, c’est la seule à en être à deux lectures d’Aurelia quand j’attends, encore, le retour de la première de certains, allez je lâche, dont la spécialité est le déni : à ne pas vouloir savoir que j’ai écrit ce livre, ils continueront de penser que la seule littérature qu’ils considèrent est celle qu’ils connaissent, celle qui ne leur fait pas peur et ne les met pas – les mots sont réels – en face de leur propre inculture. J’ai trop vécu « Littérature & Musique » pour ne pas percevoir les énergies d’un auditoire, et celui d’hier – de tout à l’heure – était attentif, captivé, même. Ces gens qui viennent sont l’antithèse de nos propres lâchetés, mais dans la nuit qui suit le non-événement, on me parle de cet « immense labyrinthe, impressionnant, à ciel ouvert, duquel tu sembles être sorti plus ou moins vivant » ; d’un « bel échange, vif, profondément philosophique ». À elle seule, le personnage d’Aurelia mettrait KO les trois quarts de la production contemporaine, mais je ne peux que l’avancer discrètement, en me regardant les ongles, en bon nizanien. Je lui prédis, bien au-delà de moi, une existence du type de celle de « Tébessa, 1956 ». Une de celles qui vous échappent. C’est ce qu’il peut arriver de mieux à un écrivain, je crois. Ma vie d’auteur, je l’ai redit ce soir, je ne l’échangerais pour rien au monde contre celle d’un mieux distribué. Qu’on aurait annoncé sur le site, sans doute. Rendez-vous au final de l’œuvre, hein! Le reste, la chute, tu la connais, ami lecteur, elle est dans « la vie d’artiste » de Léo Ferré : tu leur diras que je m’en fiche.

Photo: Serge Tribouillois.

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17/10/2019

Le vieil homme et l'amour.

Capture d’écran 2019-10-17 à 21.37.44.pngIl a vécu le siècle précédent dans sa quasi-intégralité, a partagé les idéaux d’une Révolution qui devait sacrer le Socialisme à visage humain et qui s’est réduit à l’histoire d’un paradoxe, libérer un peuple pour l’asservir autrement. Quand il parle, il cite des figures disparues depuis une semi-éternité, de Nathalie Sarraute à Jacques Lecoq. Dans quelques mois, il aura quatre-vingt dix ans, et ramène de Santagio de Cuba, sa ville natale, le sourire enjôleur de celui à qui on ne la raconte pas, puisque c’est lui qui parle. De sa cubanité, d’abord, cette espèce de fatalisme et de mélancolie joyeuse, dont il faut dépasser le cliché. Toute son œuvre littéraire est autofictive, mais il n’en est pas le sujet central : elle se construit sur l’élément fondateur, l’exil - qu’il aura connu trois fois, au final – la dualité entre celui qui s’en va, la part de lui qui reste. De lui, on dit « Il a quitté Cuba, mais Cuba ne l’a jamais quitté », lui répond que son rapport au pays natal est fait d’amour-haine. Rien de nouveau sous le Malecón, mais il lui faut expliquer aux Occidentaux marqués de scepticisme ce qu’a été la belle illusion cubaine, l’éducation pour tous, le Socialisme en action. Son premier départ fut pour Paris, à vingt ans, « le rêve du reste du monde », où il passe, entre 1951 et 1960, une décennie merveilleuse, dit-il dans « Mes années Cuba ». Là, il passe de l’autre côté de la langue, écrit en français, relit Proust en version originale, suivant les conseils de Eve Fréjaville, sa professeure de français à la Havane, laquelle devient un personnage de fiction pour relater la curiosité romantique des Français envers l’idéal révolutionnaire et la figure du Che. Lui sait à quel point cet idéal relève de la mythologie, à quel point, aussi, la langue attache à un pays, détache de l’autre. Toujours cette dualité, qui l’a amené à quitter une Nation qui lui offrait tout, en échange d’une complaisance qu’il a toujours refusée. Pourtant, il a la chance, dit-il, de ne jamais être hystérique sur la question cubaine, lui qui n’a gardé d’une vie partagée en parallèle avec Castro – figure centrale et polymorphe de nombreux de ses romans – que l’exclamation de Sarraute, citée plus haut : « Quel formidable acteur ! ». Lui qui a vu défiler à la Havane toute l’intelligentsia germanopratine sourit désormais de tout ça, parce qu’il n’a jamais dévié, là non plus, de sa seule obsession, l’amour. Des arts, du théâtre, du cinéma, de la littérature, donc. Il fait des haltères tous les matins, se perd dans la ville deux heures durant avant de regagner l’hôtel, cabotine un peu et sourit, sourit à n’en plus finir. En 1973, il écrivait « l’autre Don Juan », il y a dix ans « Comment avoir du panache à tout âge », on comprend l’idée. Et on ose lui poser la question de sa perception de l’échelle de sa vie, de sa place au présent. Il répond futur, amour, toujours, puis rejoint sa vieille copine pour une lecture théâtrale  - Eux ou la prise de pouvoir* - sublime de retenue et de drôlerie émouvante. A la Cubana.

C’est déjà la fin, au Réservoir, le public est debout et applaudit à tout rompre. Pour le texte, pour l’instant privilégié. Ce vieux jeune homme qui me regarde d’un air pas commode est un stratège : s’il paraît soucieux, s’il se penche comme s’il n’entendait pas, c’est juste pour être sûr de la question et, par extension, de sa réponse à venir. Il est des moments sublimes dans la vie des animateurs littéraires, j’en ai connu, déjà, quelques-uns. Mais, déférence gardée envers les autres auteurs que j’ai croisés, m’être assis une heure durant à côté du petit-fils des peintres Eva Gonzales et Edouard Manet est, déjà, un souvenir d’une intensité que je n’oublierai pas.

* avec Moni Grégo

Photo: Daniel Gourdellier©

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09/10/2019

Ce qui reste de soi.

Ce qui reste de soi quand on s’efface, qui te permet de rentrer dans l’oeuvre, en interprète. Que l’on ne retienne que cette pièce de moi ne me déplaira pas, car j’y aurai participé de tout mon être, de toutes mes forces. Celles du chemin que j’ai tracé. Diego pourra y déplacer sa tristesse, puisqu’elle la provoque : ça lui évitera la peine en écoutant mes disques, lui permettra même d’aller chercher la joie, qui préside à tout cela. Je ferme les yeux, le reste m’échappe, mais je pars confiant, parce qu’il sait tout de moi, déjà, et qu’il lui reste une vie pour savoir que c’est une force. On ne se refait pas, chez les Sánchez, taiseux de pères en fils. C’est dans les jardins du Palais Royal que mon âme va s’envoler, dans les couleurs des bougainvilliers, elle doit y aller seule, c’est comme ça. Diego, tu me tiens la main, tu ne comprends pas ce qui arrive, mais je fais mieux que mourir, je m’en vais. Solo quiero caminar.

Extrait de Paco, Editions Le Réalgar

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07/10/2019

Impatience.

J'aurais dû écrire l'histoire d'Aurelia en cinq volumes et demi de la taille de ma Girafe , cela m'aurait évité de trépigner dans l'attente des retours.

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06/10/2019

Tuer l'éphémère.

Le Salon du livre que je préside accueille parmi (beaucoup) d'autres un auteur que tout le monde aime, pour ses livres, pour sa sympathie et pour son parcours. Il est connu, brillant, engagé, mène des ateliers d'écriture en univers carcéral, promène sa bonhomie avec, qui plus est, cette pointe d'accent chantant (et qui n'en finit pas) qu'on affectionne tout naturellement, ici. Mais ça n'est pas pour parler de lui, ni même du festival - j'essaie de distinguer les univers - que j'écris cette note, ce soir. C'est parce qu'il aura vite oublié que je l'ai interviewé dans une librairie qui m'avait embauché il y a dix ans pour tenir le blogs et mener les rencontres. Et un peu plus que ça. C'est ce un peu plus qui a fait que tout s'est écroulé dès que le lien s'est fissuré. J'ai encore les pages de notes sur ma préparation de l'entretien, j'ai son livre de l'époque dans lequel une femme a entouré des lettres censées composer des mots et un message, d'amour. De tout ça il ne reste rien, sinon l'auteur, et moi, qui vais le saluer cordialement. Sans rien lui rappeler d'une époque que lui et moi - et moi pour une fois - avons laissé derrière nous.

20:41 Publié dans Blog | Lien permanent