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23/10/2018

L'Amérique des miens.

Il faudra plus d’une vie pour savoir si « Thunder Road » devance « Racing in the Street » pour le titre de plus beau morceau jamais enregistré par Springsteen, et plus d’une autre pour regretter son choix, mais le sujet n’est pas là. « Thunder Road », c’est – comme qui dirait – une certaine idée de l’Amérique, l’Amérique des autres, des déclassés, des délaissés, celle qui ne voient que de l’extérieur l’image qu’une Nation veut donner d’elle, dans la démesure, souvent. C’est une vie passée à renoncer, aux études, à l’amour véritable, à l’élan qui nous sortirait de notre condition. C’est un texte sur la fatalité, aussi. On devine le village isolé, à la Wenders, les perdants, pas même magnifiques, de Bukowski. Il y a cette illusion de la grâce, la robe de Mary qui virevolte, et celle de la liberté, le vent dans les cheveux, sur la route. Le fuir, là-bas fuir mallarméen (déjà cité dans la Girafe). On sait que la liberté que confère le voyage n’est que partielle et soumise à la relativité du retour. Que le temps passe plus vite une fois qu’on est rentré, quand la mécanique du souvenir commence à altérer la sensation de l’instant vécu. Les anti-héros de l’Amérique de Springsteen sont les maudits d’une terre qu’ils ne quitteront que dans le vœu que formule la chanson. Elle n’est pas une Beauté mais ça lui va, tout, pourvu qu’ils se sortent de cette damnation… Il est aussi là, le mythe américain, dans toutes les personnes qui rêvent d’atteindre la Terre promise, et celles qui, sur place, n’en ont jamais ressenti la moindre once. Peut-être que pour les musiciens, la réalité est moins dure, pour ceux qui suivent la route du Blues, par exemple, qui entrent dans les clubs et se confrontent, avec bienveillance, à ceux qui ont l’habitude d’y jouer. Pas de préjugés, aux States, quand on arrive avec un instrument : soit on sait jouer, soit on ne sait pas, mais si on ne sait pas, il n’y a aucune raison valable de se vexer, alors… Ce devrait être obligatoire, quand on s’en nourrit, de se confronter aux ainés, à ceux qui vivent la musique dans leur chair, au quotidien. Leur propre culture.

<We were Brothers in Blues
On our way to salvation
Without nothing to loose
But Guitars & Soul >

Là, le musicien vient de lui-même et même si sa culture transparaît dans l’apparence, dans le jeu, il en faut du cran pour reprendre, au matin - dans le bruit des grenouilles, des canards ou des oiseaux, qui sait - et dans un bel effet de mise en abyme, sous le porche, ce standard du road-movie song. Sans doute est-ce la fatigue accumulée – les voyages, les émotions – qui lui donne cette force-là, mais elle a traversé les océans. Et, cinq ans après, se place très au-delà de la version qu’il m’avait déjà offerte. En VOST.

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22/10/2018

Histoire d'une photographie.

pallarmoimou.jpgJe suis beaucoup trop narcissique pour accepter que des photos de moi circulent. Parce que, comme tous les écrivains, je déteste les marques de temporalité, parce que la photo n’est jamais que le reflet de ce que vous ne serez plus jamais, je n’accorde à cet exercice que la contrainte nécessaire des « photos d’auteur » et à ce titre, avec Jean Frémiot, Vincent Assié, Sandro Secci et Stéphane Thabouret, je peux dire que j’ai été servi. Mais quand un réseau social se soucie de la construction de votre identité et ramène à la surface, six ans après, la photo du tout premier instant de ma rencontre avec Alain Larrouquis - dont j’ai tout relaté à l’époque – c’est plus qu’une lecture sémiologique (le parallélisme des mains, celle qui serre et celle qui reste dans la poche, la quasi symétrie des tailles, la voiture à gauche, la sienne, posée devant la salle mythique…), c’est l’histoire peu banale d’un écrivain qui rencontre son personnage, d’un homme qui croise son idole d’adolescence. Un moment hors du temps qui n’eut pas de lendemain parce qu’il n’en nécessitait pas, mais une belle soirée passée à échanger avec un être loin des images qu’on véhiculait sur lui. Cette photo me dit aujourd’hui que j’ai eu de la chance et que ceux qui se sont désintéressés du roman en prétextant que le basket n’était pas leur truc ont eu tort. Il s’est passé tellement de choses en six années, dans ma vie, qu’à l’approche de mes 50 ans, je ne peux que sourire aux rappels comme celui-ci. Pour bien faire, il faudrait refaire la même photo dans trente ans, mais c’est très improbable : les acteurs auront passé, mais la Moutète continuera de résonner de sa légende. Larrouquis avec, et son romancier derrière.

09:47 Publié dans Blog | Lien permanent

14/10/2018

Clara Ville & le Salon des Refusés.

saintévitrine.jpgOn ne saura jamais vraiment ce qui a pris les organisateurs de la Fête du Livre de Saint-Etienne pour qu’ils proposent aux éditeurs locaux des conditions inacceptables pour y figurer : en résumé, le droit de venir, mais pas d’inviter des auteurs, ni de vendre des livres. Au nom – prétendu – de la chaîne du livre alors même que les libraires stéphanois y étaient favorables et que la Fête du Livre elle-même court-circuite parfois cette sainte trilogie que forment l’auteur, l’éditeur et le libraire. En faisant traîner les négociations, peut-être certains d’entre eux ont-ils pensé que les éditeurs du coin – et leur remarquable travail de diversité – allaient se décourager, mais ils n’auraient jamais imaginé, c’est certain, qu’en moins de trois semaines avant l’ouverture, les Refusés ouvriraient, à 17, un local immense, jadis d’exposition de meubles, et le transformeraient, sous l’égide de leur Président, Daniel Damart, en une librairie éphémère, en plein cœur de ville, à l’enseigne sobre et marquante, à la vitrine bien garnie. Un lieu vivant, animé, très fréquenté tout le week-end et, paradoxe, déjà regretté des Stéphanois. Lesquels n’aiment rien moins que l’on tente de dégager une hiérarchie entre éditeurs prestigieux et « petits éditeurs ». Voilà donc cette joyeuse troupe exposant ses œuvres et l’auteur que je suis bien installé au stand du Réalgar, face à la vitrine, histoire que le Boss – le Président sus-nommé et l’éditeur de la Girafe – puisse repérer les politiques qui passent, les notables qui évitent, etc. Il y a de la revue, de la BD alternative, de jeunes chevelus, de vieux poètes, des situationnistes, on échange des points de vue, des parcours. Le prix des boissons est à l’envi, il y a une dimension alternative qui met à mal la vision classique d’un Salon du livre, ses auteurs alignés, ses ouvrages jaunissants.

Des auteurs sous-chapiteau s’évadent un moment du marché au bestiau pour venir respirer ici, même s’il y fait très chaud. Les gens qui viennent le font pour une raison spécifique, du coup, les rencontres sont choisies, les passants intéressés par la littérature. On me glisse « Drôle de titre » en regardant la Girafe, mais quand j’en fais l’article, on le prend, rassuré par le (petit) prix, la qualité de l’édition, les dessins de Franck Gervaise. Je parle de Camille, aussi, de Paco, je ne perds pas mon temps. Ma rencontre prévue le samedi à 15h n’attire personne – pas de micro, donc pas d’annonce – on l’annule sans trop de remords : le Salon est un exercice d’humilité, vendre des livres est déjà un privilège. Mais Christian Chavassieux arrive, Sylvain Damy revient, Sandra Sanseverino est là, deux curieux aussi, ça suffit pour une rencontre, un petit coin-discussion, la présentation du livre sur ses trois axes – l’histoire de Clara, le portrait et la musique – et en plus de ça, j’ai la chance d’avoir un débat contradictoire entre celui qui n’a pas aimé le personnage et celui qu’il a touché*. Je lis trois extraits représentatifs, à chaque fois il me semble retrouver un récit qui m’est presque étranger mais dont j’aime la musicalité. Il y a une vraie discussion qui s’engage, elle a déjà eu lieu virtuellement, mais c’est un bonheur de voir et d’entendre de si belles personnes échanger sur « ma » Clara. L’Affaire Clara Ville, comme je l’appelle désormais, dès qu’il est question de réalité ou d’autofiction possible. On ne sera jamais d’accord sur tout, mais le moment s’étire un peu et l’un(e) des deux curieux se dit attiré(e), convaincu(e) de ce que j’en ai dit. Ça veut dire que j’ai fait le job et que c’est déjà ça. Le soir, je rencontrerai Emmanuel Ruben – une autre trajectoire – et le trouverai à l’image de ses écrits : brillant, raffiné et discret, ce qui n’est jamais négligeable. Dans la nuit de Saint-Etienne, je me dis que les Refusés ont un avantage sur les Officiels : ils ne doivent rendre compte de rien, sinon de leur propre conviction. Et qu’ils se reconnaissent entre eux davantage qu’ils se font concurrence, ce qui ne gâte rien.

 * "Une écriture fulgurante pour un portrait aux nuances bouleversantes", Diantre!

NB : il fut aussi question de Joseph Poli, allez comprendre.

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12/10/2018

Murat, conditionnel passé.

IMG_3093.JPGÇa aurait pu être un des meilleurs de la vingtaine de concerts que j’ai vus de Jean-Louis Murat depuis qu’il a déboulé sur la scène du Transbordeur, en décembre 93. Ça aurait pu être un moment sublime de retrouvailles avec Fred Jimenez, revenu de Johnny pour diverses raisons, dont la mort de celui-ci - qui n’a jamais existé, de toute manière, selon Murat lui-même. Le trio Jimenez-Murat-Reynaud a toujours été la meilleure des formations, les musiciens se connaissant par cœur, humainement, le duo scrutant, en permanence, les mains du Bougnat, ses regards, ses choix soudains dans le song-book, pour américaniser. Car Murat a l’habitude, comme Dylan, de lancer des morceaux par des accords qui ne décident qu’au dernier moment la chanson qui va suivre, et il faut être là. Jimenez dans son groove particulier, rond et chaleureux, Reynaud tout en subtilité, on était entre nous, même s’il a fallu supporter le choc d’une formation assise, à son aise, sortant de repas – sauce au poivre trop épicé – pour entrer sur la scène du Rockstore à 20h30 pétantes. Pour deux heures de show, comme à Nantes, la veille, la première de la tournée du Il Francese. La salle mythique, un son parfait, un light-show idoine, oui, ça aurait pu être un concert inoubliable, surtout quand, dès les premiers morceaux (superbe « Achtung, baby ! » en ouverture), on comprend que Murat va s’adonner à un exercice qu’il goûte peu, ramener d’anciens morceaux à la surface, les réarranger à la sauce des nouveaux : « Mousse noire » est de la partie et, choc émotionnel ravivé, les premières notes de « l’amour qui passe » résonnent dans la salle. Murat est en voix, joue de labiales prolongées, siffle, maîtrise delays et voix de tête, à distance parfaite du micro. A l’habitude, pas de démonstration, la culture de l’air bougon, faussement surpris par la reconnaissance et les applaudissements chaleureux. Mais il sait qu’il l’emporte, le Boss (français), que sa formation, resserrée, sonne comme un très bon Neil Young. Les musiciens se chargent des chœurs pop et on ne regrette ni Morgane Imbeaud, ni Jennifer Charles pour remonter plus loin encore, à qui il dédie, un peu forcé par un de ces inénarrables fans qui veulent engager la conversation le sublime « Ami, amour, Amant », là aussi ressurgi du néant. Ça aurait pu être un concert parfait parce que les morceaux choisis du dernier album sont très bons, que « Hold-Up », ralenti et désélectronisé, est parfait, qu’il y a du Grand lièvre, du Tarn & Garonne, qu’assis, ils vont pouvoir tenir plus longtemps, et tant pis si le public est vieillissant… Ça a même été parfait jusqu’à la pause, au bout d’une heure, le temps d’un rappel hors d’âge, si, revenant, le Murat n’avait pas commencé à soigner sa sortie, en l’annonçant une fois, deux fois puis, à peine un couplet du « Jour du Jaguar » embriqué dans « Il neige », sans tenir compte du synthé que le technicien venait de lui installer, en quittant définitivement le plateau. Sans scandale, au bout d’1h30 de concert, sinon celui du prix pratiqué et des morceaux de choix du finale – « Je me souviens » – non joués. Huit, au total, si l’on se fie à la play-list, demandée en fin de concert. Huit morceaux, une demi-heure, celle de Nantes. J’ai toujours aimé la liberté de ton et de choix de Murat, même si, ces dernières années, ses expériences musicales ne m’ont pas convaincu. J’ai aimé qu’il me rappelle, une heure durant, pourquoi je lui ai consacré, à lui aussi, la moitié de ma vie. Mais on ne peut ironiser sur la vente en perte sèche des disques si on n’a pas la conviction de les défendre sur scène, là où les gens viennent encore le voir, même s’ils sont de moins en moins nombreux. Ça aurait pu être un grand concert de Murat, ça aura été un concert de Murat qui ne m’incitera pas, pour cette tournée, à en faire un autre.

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06/10/2018

Clara & Moi.

J'ai fait en tant qu'auteur la Fête du livre de Saint-Etienne - cette (autre) ville de mon rapport à l'enfance - j'ai animé une année les rencontres avec les auteurs, j'y retourne cette fois pour un Salon alternatif, né du refus incompréhensible de l'organisation officielle d'autoriser les éditeurs stéphanois à inviter leurs auteurs et vendre leurs livres. Ça tombe bien, tout ce qui est libertaire me sied. Et j'y serai en bonne compagnie, même si je ne sais pas encore si Lionel Town accompagnera Sir John Christmas White. Ou si Christian Catgoheavens est encore en résidence là-bas. En tout cas, je parlerai de Clara Ville le samedi après-midi, à 15h.

sainté.jpg

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30/09/2018

Ethique de la considération.

Corinne Peluchon.jpgIntéressante – quoiqu’un peu magistrale – rencontre avec Corine Pelluchon, aux Automn’Halles de Sète. Une conférence de philosophie politique un dimanche après-midi, c’est toujours mieux que Jacques Martin, si tant est, ma télé étant retournée de l’autre côté, qu’il présente toujours l’émission qui porte son nom. Corine Pelluchon, je l’avais remarquée aux Etats généraux de la Bioéthique, à Paris, il y a une dizaine d’années et je l’ai suivie, depuis, sur ses différents travaux, sur la cause animale, notamment, cette réflexion qui concentre les plus grands paradoxes de l’être humain depuis quelques années, ce qu’elle appelle elle des dissonances cognitives : mon cerveau sait que je devrais agir, mais ma paresse me laisse dans un état d’hébétude. Voilà donc cette universitaire brillante – et de fait très parisienne - dans la ville de Sète, pour présenter son « éthique de la considération », un mot qu’elle introduit étymologiquement comme l’ensemble des attitudes, le rapport à soi et à autrui, via les vertus – les qualités morales - et la place qu’on donne à l’autre dans sa conscience du monde. Elle place, de suite, la réflexion sur la condition (humaine) via la corporéité, le fait de prendre l’humain par les phénomènes qu’il ne maîtrise pas : les émotions (de la fatigue jusqu’au plaisir) et les grandes questions du monde actuel, celles dont on ne peut plus faire l’économie, le vivre avec et le vivre pour. Le vivre ensemble viendra plus tard… Trois ensembles indissociables, selon elle - les humains, les animaux, la nature – et un nouveau défi, si le mot n’était pas si galvaudé : reconstruire une théorie politique des normes et des principes, repenser le contrat social. Elle passe des phénomènes de Levinas au dilemme rousseauiste : comment intégrer le bien commun, bâtir une éthique comme transformation de soi ? Comment équiper psychiquement les êtres sur des sujets sociétaux tels que l’environnement, la cause animale, donc, et la démocratie, gérer le grand écart entre la pensée et l’action, la théorie et la pratique ? Des leçons que mon fils de 22 ans m’administre au quotidien, y compris dans ses relations compliquées avec l’autorité. Corine Pelluchon rappelle que la démarche éthique se fonde sur deux principes : l’humilité (humus, qui vient de la terre), la connaissance de ses limites et le rapport à l’incommensurable, un legs des Chrétiens (elle cite Bernard de Clairvaux et sa reconnaissance de la faute). Esquisse un rapport non plus, seulement, au transcendant, mais à la transdescendance, l’avenir, les générations futures, l’héritage et le monde commun. Comment s’engager, penser à la descendance – la mienne me suffit, merci – et transformer ses émotions en raisonnements. La réflexion va du travail – lieu considérable de souffrance éthique, quand il contredit les attentes humaines – au sociétal, le triomphe du nous contre vous dans la démocratie actuelle, qui produit l’individualisme et casse le vivre ensemble (on y arrive). Elle prône donc la considération, l’attention comme qualité de présence, un rapport d’intimité : ça suppose d’être concentré, « C’est pas du Bisounours », ose-t-elle, enfin, quand je me demande si son postulat n’est pas d’un extraordinaire optimisme. Elle établit le rapport au monde comme brisé, un paysage de désolation, ramène à la surface les couches archaïques du vécu, de la culture, considère son essai comme un Discours de la méthode qui montrerait des voies, qui ferait de nous autre chose que des cerveaux sur pattes. C’est osé, mais cette femme ne doute de rien, ou établit le doute – en philosophe – comme principe de sa démonstration. La question animale, peu développée dans cet ouvrage-là mais essentielle dans sa démarche – l’animal, dit Lévi-Strauss, c’est le plus autrui de tous les autruis, nos professeurs de l’altérité, rajoute-t-elle – clôt la rencontre, permet à l’homme de traverser de l’autre côté du miroir, le miroir de ce que nous sommes devenus. Illustre cette dissonance de nos cerveaux puisqu’elle nous pousse à nous cliver nous-mêmes, à se priver d’une partie de nos émotions. On sait, mais on se cache la vérité, espérant que ça n’en fera pas une vérité. C’est le rapport au sensible qui se joue, en plein « Dimanche Martin », les limites qu’on assigne à son droit de tout faire, de dominer d’autres êtres. Elle fait bien la distinction entre l’homme et l’animal, sait que son chat se fout qu’elle écrive des livres, puisqu’il ne les lira pas, mais révèle le travail d’émancipation qu’il nous reste à faire, moi le premier, pour se libérer de nos aliénations. Ça m’a coûté 23 balles – on ne se mouche pas du coude, au Seuil – mais c’est peu pour une étape supplémentaire dans la prise de conscience.

"Ethique de la considération", Seuil, 2018.

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27/09/2018

En cours de justice (Bernie's Touch).

TEMPS I

Hippo.jpgIl y a les faits. Lui dit ne pas les regretter et on le comprend, sinon les convictions n’en seraient pas, et ceux qui l’accusent de vol en réunion (réunion de deux, un de plus et on passe à la bande de cons selon Brassens…) auraient réussi à contrefaire son geste. Il y a le militantisme, le rejet viscéral de l’injustice et ça n’est pas nouveau : je crois même qu’une lettre ouverte lui a été adressée, il y a quelques temps. Et puis il y a la réalité, la violence institutionnelle, les conflits qu’on peut avoir sur l’exemple à donner, entre la ligne du Parti un peu béate – et prompte à envoyer les autres en première ligne – et la révolution nizanienne, celle qui va corrompre les certitudes et les esprits tout en se rongeant les ongles. Drôle de collision historique, d’ailleurs, quand des moralistes vous tiennent, soixante-dix ans après, le même discours, entre la ligne dure et la prétendue condescendance du philosophe. Comme si « les Justes », la pièce, n’avait jamais existé, et qu’il fallait conférer au révolutionnaire romantique le rôle du sacrifié sur l’autel de l’injustice. Pour servir la cause. Pour arborer une écharpe tricolore sur le parvis du Palais, ou faire du clic sur un site. Il y a l’acte, dont personne de sensé ne contestera la grande valeur morale, et ses incidences, que seuls ceux qui connaissent la machine en savent les effroyables rouages. Un juge contrarié – par son repas de midi, sa situation conjugale, l’impression qu’on veut lui forcer la main – peut sortir de l’idée de justice, déjà tiraillée elle-même entre la peine et la sanction. Il est plus intelligent de réagir à une sanction jugée injuste que de l’avoir provoquée, c’est évident : mais les esprits animaux se nourrissent de l’exaltation, de l’indignation, surtout depuis que celle-ci a pignon sur rue virtuelle, et que celui à qui on ne reproche rien peut tranquillement rentrer chez lui après lecture de la sentence. Il y a un gouffre entre venir soutenir quelqu’un et se servir – fût-ce inconsciemment – de ce quelqu’un contre lui. D’autant que et l’histoire et les faits récents montrent que ce type de lutte n’aboutit pas, et que s’afficher ne signifie en rien qu’on ait raison sur la voie à suivre. Toutes ces notions de philosophie politique ne seraient rien s’il n’y avait, au-delà de tout, le lien du sang, l’idée qu’on juge son propre fils sur des faits qui ne devraient même pas être jugés. Les moralistes ont déjà choisi leur camp, c’est le propre des moralistes que de ne jamais douter de leurs certitudes. En temps de guerre, les Stal’ m’auraient déjà jugé, d’ailleurs, pour abandon de poste. Ils ne sauront jamais que de ne pas y être était un choix réfléchi, justement parce que l’idée qu’il y soit est insupportable et que je n’aurais pas su comment gérer mes émotions, et ma réaction. Qu’il y a aussi une immense fierté qu’il ait su gérer seul l’acte et les incidences de son acte. Pour autant, personne ne rêve d’un martyr, ni d’un exemple, dans un sens ou dans un autre. Il y a un long chemin entre les deux visions qui s’opposent mais ce n’est pas en réfutant l’autre – ni la loi, ni sa désobéissance – qu’on avance dans la sagesse. Le reste, c’est de la diatribe. Il y a trop de monde pour expliquer la Révolution dans l’espoir de la vivre, sans savoir s’ils la vivraient tranquille, confrontés à leur propre démagogie. Trop de gens que j’ai vus chanter « le Chiffon rouge » et s’en retourner dans leur confort, après. Les causes justes doivent être défendues. Mais Stepan a raison sur Yanek, toujours, en disant que l’angélisme ne sert pas la cause, il la pervertit. Et que la réussite (de l’action) est supérieure au sacrifice, même si elle est moins manifeste, moins spectaculaire.

TEMPS II

Et puis d’un coup, d’un seul, le message qu’on attend, le jugement, délibéré tard dans la soirée : rien. Dispense de peine et, puisque les parties civiles ne se sont pas présentées (qui situera la trouillardise, aujourd’hui ?), pas de dommages et intérêts. Un fils qui découvre, contre toute attente de sa part et de son entourage, quelle est la qualité, énorme, d’un très bon avocat qui s’engage, par sympathie, là où il n’a plus du tout l’habitude de plaider. Parfois encore, heureusement, on se rétracte devant l'emprise, la seule, celle qui vient de la connaissance et de l’autorité, pas seulement de la conviction. Celle que, au quotidien, petitement, j’enseigne, via la T.A.E (la thèse, l’argument, l’exemple). Le cœur est gros, au final, comme il l’eût été après une condamnation. Ça ne change rien à l’intelligence de la situation. Et je suis redevable, à vie – comme je l’ai été, déjà, d’un de mes neveux – de celui qui s’est chargé de mon fils. Allez, je lui concède même une familiarité : puisqu’il m’a fait découvrir Achille Talon, quand j’avais dix-sept ans, il se permet de m’appeler « Tétard superfétatoire » à chaque fois qu’il me croise. Ce qui au vu de mon envergure et d’un charisme qui lui doit beaucoup, paraît hallucinatoire. Mais ça ne se plaide pas, au prétoire.

23:19 Publié dans Blog | Lien permanent

25/09/2018

L'Embuscade.

C’était un peu plus que chanter des chansons devant leur auteur, c’était s’inscrire dans une histoire, celle d’un titre inspiré d’un livre dont on a beaucoup et pas assez parlé à la fois. Si « l’Embuscade » avait pu suivre « Tébessa, 1956 » dans les manuels scolaires, si elle avait été enregistrée par le trio « Littérature & Musique » comme elle aurait dû l’être, on se serait contenté du mot reprise. Mais là, vendredi, en équilibre instable sur la Balançoire, Jean-Christophe, (grand) physicien de son état, s’est risqué au public des salons littéraires, a mis sa voix chaude et fragile au service du texte. On gardera le reste pour nous, on n’épiloguera pas sur les trente secondes qui manquent, camouflées au montage, ni sur la guitare « un peu fausse » (ses propres dires), pour garder l’intention, l’émotion. La fragilité est souvent galvaudée, dans ce bas monde, mais dans des moments pareils, elle reprend tout son sens. La chanson est réinventée, arrangée (disent-ils), mais elle est là, dans sa quatrième version. Toujours en suspens. 

16:57 Publié dans Blog | Lien permanent