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27/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 14/15)

Resized_IMG_20190926_180044.jpegEt si Aurelia Kreit avait paru en 89, dans la foulée de la séparation du groupe ? Après tout, je me souviens avoir proposé à mon ami Vincent, dans la foulée du concert de Limonest, la veille de mon 18ème anniversaire, de faire un livre sur le groupe, lui à la photo, moi (déjà) aux textes. Une façon d’approcher le groupe, de m’en approprier une partie, j’imagine. Je n’ose imaginer ce qu’aurait pu donner une écriture de fan contrarié, mais j’ai suffisamment, dans mes tiroirs, de vieux manuscrits pour les remercier aujourd’hui d’avoir attendu trente-trois ans pour que le livre sorte… Il n’empêche, en 1989, on se serait demandé qui était le blanc-bec qui a osé poser des mots sur les leurs, on se serait moqué de son statut militaire (civil mais inavouable), de l’échec de ses études, les amis de l’école Victor Basch – je faisais la cantine et la garderie en maternelle, si, si - seraient venus par solidarité, Estève, avec qui je m’apprêtais à emménager, aurait eu la même présence discrète qu’elle aura samedi, mon père aurait sans doute trouvé une excuse pour ne pas venir (et une occasion pour me parler ensuite de mon vrai boulot), ma grand-mère m’aurait félicité en roulant les r de son accent chantant, la Clo-Clo n’aurait rien dit mais pas moins pensé ; les copains de la Persévérante auraient mis l’ambiance, je n’aurais pas osé aborder Stéphane Pétrier(j’ai attendu encore vingt ans), Christophe Simplex ne serait pas venu pour ne pas se trouver sur le territoire de Serge. On m’aurait demandé – était-ce Anne, déjà, à la librairie du Tramway, existait-elle, d’ailleurs, cette librairie, en 1989 – pourquoi ce choix, j’aurais répondu pour l’héroïne mais en vrai, je le concède, je n’aurais pas eu grand chose à dire. J’aurais dû situer (j’exagère) l’Ukraine sur la carte, répondre à des questions sur les soubresauts de l’époque, l’occasion en or, pour le pays, de s’émanciper de la tutelle de son écrasante aînée. Une goutte de sueur aurait perlé de mes tempes quand je me serais rendu compte qu’on écrit, sur des sujets pareils, qu’en dépassant une connaissance. Pas sûr que malgré mes appels silencieux, le groupe me serait venu en aide : pas leur rôle. Il faut se défaire de ses idoles pour en apprécier la portée réelle, je sais ça depuis longtemps. Mais j’aurais espéré, aussi, que Laurence Gonguet et Dominique Serrière viennent me voir en rencontre, même si je sais que seule Dominique serait venue. Peut-être aurais-je eu droit à une version acoustique de quelques chansons, trente ans avant qu’on y joue les miennes, dans cette librairie ? Au début de cette idée folle, de ce projet insensé, j’avais imaginé que le chanteur des Noz interprète, pour m’accompagner, un ou deux titres des Kreit, comme il les appelle. Parce que les avoir eux, au complet, était sans doute un rêve trop grand. Je l’aurais bien vu reprendre les jardins d’Ellington, comme à l’INSA, a capella, qui sait ?

Qui étais-je en 1989 que j’ai réussi à ne pas trahir trente ans après ? Ça n’est pas une question que Romain s’aventurera à me poser samedi, parce qu’on n’en aurait pas terminé… On avance tous avec nos paires d’accidents (phénoménologiques), dans nos vies chaotiques. Mais il y a parfois de ces failles spatio-temporelles, créées par l’intensité qu’on recherche en permanence, qui nous permettent, même si personne n’est dupe, de recoller avec celui qu’on était. C’est inestimable ; de quoi en reprendre pour trente ans : perpétuité dans l’émotion, avec peine de sûreté.

La photo est du jour, elle est signée Bougnat. Dix ans d'édition sur table, et dans la vitrine du Tramway.

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz). Mais ne vous fatiguez pas, c'est complet.

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26/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 13/15)

aurélia couverture.jpgLes lecteurs les plus pugnaces auront fait le lien d’eux-mêmes : si l’histoire d’AK est née de l’imagination d’une bande de jeunes qui en ont déduit une matière créatrice, s’ils l’ont exploitée en chanson mais si rien de tout cela n’est vrai ou vérifié, si le mythe qui s’est créé n’a de source que l’élan qu’ils lui ont donné, alors, me serine-t-on gentiment à longueur de journée, jusqu’à ce que ces notes se terminent : mais qui est la petite fille, alors, sur la photo de couverture ? « L’image qu’il s’accordait, c’était Aurelia devenue grande, huit, dix ans, droite devant une table fleurie, cheveux de jais longs jusqu’aux coudes, robe côtelée noire et chemise à fleurs fines, fixant l’objectif de ses grands yeux sombres. Cette image, Anton la tenait d’un cliché – rare – de sa mère, mais quand son esprit s’abandonnait, c’est Aurelia qu’il voyait comme ça. Où cela se situerait-il ? Les fleurs sur la table, le confort d’un mobilier bourgeois, tout prouvait qu’ils réussiraient, Aurelia étant à la fois le risque majeur qu’ils prenaient et l’obligation qu’ils avaient de réussir. » dit le roman, qui retrouve la photographie par le jeu des époques superposées, jusqu’à l’avenir qu’on devine. Le cliché initial la voit en pied, il y a une date : 1917. « Aurelia Kreit » s’achève en 1914, il fallait donc mentir, ou, du moins, arranger la réalité : l’écriture est aussi une affaire de faussaire. La photo a été retouchée, la date effacée et les pieds de la jeune fille, ses chausses solides, qui ont pourtant un temps fait figure de rappel dans la partie supérieure, n’ont pas survécu au choix final, contraint par la définition d’une image dont l’original a disparu, depuis bien longtemps… Alors, qui est cette jeune fille sur la photo ? La question est aussi vaine que légitime : elle revient à demander à l’alchimiste si sa recherche de la panacée avance. Et puis quoi ? Ce serait Rosemary la téléphoniste ou la grand-mère d’un surgé du lycée Saint-Ex de l’époque du groupe que ça ne changerait rien. Ça n’est pas moi qui l’ai mise en avant, pas moi qui en ai fait une affiche, un flyer, un code de ralliement. Personne ne s’est posé la question, dans le premier temps de sa vie : elle était Aurelia Kreit, ça suffisait, comme un Gaffiot dans le métro, pour qu’on se sache entre initiés. « Nous ne sommes pas un groupe à textes, et les mots ne sont là que pour faire chanter la musique », prévenait pourtant Tito, déjà. S’il veut mon avis, rétrospectivement, c’est raté, à part pour la musique. Aurelia, c’était elle, déjà, « voyageuse par obligation, romantique par nature mais aussi timide jusqu’à l’autisme », disait-on. Tout ce qui fait le sel des angry young men que nous étions et que nous sommes en partie restés. La preuve : cette belle photo d’Aurelia ornait les murs du très jeune homme que j’étais, à côté du poster d’Alain Larrouquis ; maintenant, elle occupe une belle place dans ma bibliothèque et, très vite, j’espère, dans celle des autres.

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).

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25/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 12/15)

violonlong.jpgElle a été la première du groupe à montrer un intérêt suivi à mon projet, puis à mon travail. A se demander ce qu’allait devenir Aurelia sous ma plume. Elle fut à l’époque l’incarnation de la particularité d’AK, la marque classique dans une formation new-cold wave (je n’ai jamais vraiment compris ce que cela signifiait), celle qu’un imbécile – je m’en souviens – brocardait de la salle avec un jeu de mots pourri et récurrent. Il y avait deux filles dans Aurelia Kreit, l’une était blonde et éthérée, gueule d’ange et d'actrice inatteignable, réfugiée derrière ses lunettes et ses claviers ; l’autre était brune, coupe en brosse post-punk, envoyée au casse-pipe du devant de la scène à chaque fois que son violon entrait en lice. Peu d’images mentales, je l’ai dit, ou alors celles reconstruites par le biais des photos, récemment ressurgies. Sauf que Mumu, puisque c’est elle, a été à la fois la plus pugnace dans le suivi et la plus réservée sur la reformation, au vu du travail dantesque qu’il allait falloir fournir. On ne remonte pas à violon aussi rapidement qu’on réapprend le vélo, surtout quand il s’agit de se produire devant un public qu’on attend nombreux et impatient. J’ai pris la liberté de lui envoyer un message, qu’elle m’explique, sans rien dévoiler, comment les membres comptaient s’y prendre pour reconstituer le combo ; nous avons échangé - comme le faisaient les gens de notre âge par d’autres modes, à l’époque d’AK – elle m’a confié sa joie de retrouver ses amis tels qu’elle les avait laissés, quelques rides en plus, ses craintes liées à la mémoire, à l’arthrose des musiciens ; le refus qu’elle a essuyé quand elle leur a demandé si elle pourrait avoir un pupitre (et tu veux pas jouer assise, pendant que tu y es ?), les réflexes qui sont revenus et, après les échanges numériques entre les uns et les autres sur leurs parties, la première répèt’, comme à la Mi-Graine, mais trente-deux ans après. L’un est à Paris, l’autre un peu partout, il y en a trois sur Lyon, ils ont trouvé une maison de campagne au-dessus de Condrieu (pas folles, les guêpes !), se sont appuyés sur un nouveau membre (Jérôme, qui prend la basse et laisse Tito se concentrer sur la voix) qui joue déjà avec deux des autres dans Nellie Olson. Des décisions de changement de tonalité ont été prises, chacun a bossé chez soi sur les enregistrements d’époque, transposés, pour certains. Il y a eu du réel, du WhatsApp, Raphaëlle a dû apprendre les derniers morceaux joués après son départ, quand une dénommée Sophie – que je n’aurai jamais vue sur scène – l’a remplacée (pas longtemps, de fait). Et Muriel, alors, a repris son violon, sans savoir que ça lui procurerait autant de plaisir. Elle m’a avoué que, quand on lui a proposé une reformation, fût-elle « unique », comme indiqué sur l’affiche, elle a compris que j’étais associé au projet et, dit-elle, tout (s)on être l’a refusé : AK, c’était désormais mon roman, elle avait tourné la page, avec un peu de mépris pour la Mumu d’avant, insouciante, légère et inconsciente. Sont-ce les mots de JJ, ceux de Stéphane qui l’ont convaincue, ou la conscience, justement, qu’on est jamais vraiment que ce qu’on a été et ce qu’on sera. Elle dit vouloir partager ça avec ses filles, de jouer les morceaux d’hier avec ses oreilles d’aujourd’hui ; s’est mise une pression de dingue tout en se disant que rien de ça n’est grave. Elle le sait, depuis qu’ils ont refait corps, ensemble, rien ne peut leur arriver. Quand elle aura fait sa partie, c’est la mienne qui commencera, la lecture des autres et le jugement de l’autre. Où en sera-t-elle du roman, dans le train qui la ramènera à Toulouse, quand il s’arrêtera, à peine le temps de lever le nez, dans la gare de Sète ? Son Aurelia sera venue, de très loin, dans le temps, passer le relais à la mienne : nul doute qu’elles auront encore beaucoup à se dire.

Photo: Lucien Ageron

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).

 

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24/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 11/15)

pile.jpgEvidemment, il faut faire jouer les intervalles, mais le constat est implacable : Aurelia Kreit paraît alors que j’ai (encore) 50 ans et clôt ainsi un cycle né dix ans (et demi) plus tôt, avec la parution de Tébessa, un roman écrit à 30 ans, édité à 40. Chavassieux, encore lui, avait annoncé 2017 ; vu la masse du roman, il s’est trompé de peu, finalement. Mes 50 ans, ouverts à Ouessant, en pleine tempête, avec Franck Gervaise – on devrait en reparler – fêtés douze mois après avec, entre autres, la finalisation inespérée d’un travail de 5 ans d’âge, celui-ci, repris en main et bouclé, de manière magistrale, par Gérard Védèche. Il ne manquait plus qu’Aurelia au tableau des deux tiers du temps donné pour que la fête fût complète, et elle est là, rouge, imposante et sûre d’elle. Mon quatrième roman, si j’exclus la Girafe, dont je ne sais à quel genre elle appartient vraiment. Une libraire un peu péremptoire m’a dit il y a dix ans qu’on n’était pas écrivain avant dix bouquins, ce qui est aussi absurde que révélateur, a posteriori, d’une certaine forme de rage envieuse, mais ça n’est pas grave : ça n’est pas pour lui plaire que j’ai continué, qu’on m’a parfois reconnu comme tel, et même, oui, pour un bon, quand il le fallait. Ce n’est pas à elle mais à Jean-Paul Dubois que je pense à chaque parution, quand j’itère d’une unité la pile des ouvrages déjà commis, et que j’en mesure la hauteur : avoir écrit 17,4 cm de littérature (dont 3 pour le seul AK) ne me rend pas plus légitime – sans doute ne m’a-t-elle toujours pas lu – mais me permet de me dire que, bon an mal an, je n’ai pas vieilli pour rien. Ce sont des quinquagénaires qui vont se retrouver samedi, certains viendront avec leurs enfants (j’espère croiser le mien à un moment), mais pour une fois, ce ne sont pas des obsèques qu’ils viendront célébrer, mais des retrouvailles, des vraies. Des qui malmènent le syndrome proustien du moment dont on appréhende l’après avant même l’avoir vécu : Esther Rochant vous en parlera bientôt, dans quatre notes. D’ici là, je vais profiter des trois mois qu’il reste de mes 50 ans. Et me dire que si je tiens le rythme d’une Nathalie Sarraute, par exemple, je pourrais – si j’en estimais la nécessité – parvenir aux 30cm de littérature avant de tirer ma révérence. Dans le même temps, je rappelle que Henri-Pierre Roché n’a écrit que deux romans, dont un chef-d’œuvre. Que Jean-René Huguenin n’en a écrit qu’un, qui m’époustoufle toujours. Et que la plaquette de Grignan, sur mon étagère, me rappelle tous les jours, la sentence de Dan Simmons : « tout le monde peut écrire un premier roman. C’est le 2ème qui fait de vous un écrivain ». Il faudrait que j’en parle à la libraire.

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).

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23/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 10/15)

Capture d’écran 2019-09-22 à 20.33.49.pngCurieuse dichotomie entre la mémoire profonde et celle, immédiate, qu’on est censé solliciter facilement. Or, je ne me souviens pas de ce que nous avons mangé, l’Inox et moi, le jour de début d’été où il m’a convoqué dans sa cantine des Halles de Lyon, pour me parler d’un projet. Mais je me souviens parfaitement ce que ça a convoqué chez moi, comme le chainon manquant d’une recherche fondamentale. Lui a voulu savoir où j’en étais enfin, et m’a posé une échéance, à un an et demi. Lui comptait éditer, via le label qu’il créait – Simplex Records – les vinyls des deux K7 mythiques de la scène lyonnaise des années 80, la rouge d’Aurelia Kreit et la bleue qui a suivi, celle du Voyage de Noz. Question de permanence, il se posait là, aussi. Mais ce qui n’avait été, jusque là, qu’une espèce de rêve qu’on formule, la reformation du groupe, s’incarnait, pire, prenait date. Il me restait de longues séquences de travail, que j’ai commises dans les murs de mon enfance qu’on allait faire tomber, entouré des arbres qui allaient disparaître. Sans doute sont-ils ceux qui m’ont permis, moi aussi, de finir. Il n’empêche, parler à l’été 2017 de l’automne 2019, ça paraît long pour celui à qui il restait néanmoins à boucler le remastering des pistes, la conception des pochettes et le pressage des disques et, pas la plus mince affaire, l’organisation du concert. Mais le temps de l’édition n’est pas le même et, dans ma tête, ça signifiait choisir une autre voie que l’envoi aux maisons, l’enregistrement, la lecture et, dans un monde idéal, le temps du travail sur le manuscrit. D’un autre côté, je ne pouvais pas ne pas être associé à cet événement. J’ai même pensé, un temps, auto-éditer le roman en nombre limité*, exclusivement disponible le soir du concert ; après tout, l’Inox avait déjà été l’éditeur en soixante-neuf exemplaires du tirage de tête de « Marius Beyle ». Etre de la partie, c’était aussi voir monter le projet, participer à sa fabrique, sortir de la solitude de l’écrivain… Au bout du compte, tout cela se sera limité à un repas avec deux des gaziers et un Mâcon au curieux goût de vin du Jura, mais les verres que nous partagerons samedi feront oublier mon éloignement. Et permettront d’entendre ces chansons inoubliées dans un écrin – son et image – sublime. C’est l’acte de naissance d’un nouveau label – 100% rock, 100% local, 100% vinyl – la réunion de tous les talents et, j’espère, un peu du mien. J’aime autant que tout cela se termine avec une vraie et belle édition, l’espoir que le livre continue sa vie de façon plus large. Il n’empêche, Aurelia Kreit – dans la série les couvertures auxquelles vous avez échappé* – aura été, un jour, un roman bleu-gris, premier titre, jamais sorti, des Editions de l’Irrégulière, jamais référencées.

* Celle-ci est signée Stéphane Pétrier. Oui, le même.

 

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).

 

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22/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 9/15)

IMG_5344.jpgQue je prévienne de suite, avant la mise en demeure : j’ai piqué et replacé une phrase entière de René Belletto dans Aurelia Kreit. Mais avant qu’on m’incrimine, comme le premier PPDA ou Moix venu, il convient de recontextualiser : je n’ai fait que lui rendre la pareille. De quel droit, en effet, place-t-il la vieille Madame Cachard au-dessus de l’appartement du personnage principal de Régis Mille l’éventreur, hein ? De quel droit me laisse-t-il penser, le roman se déroulant à Lyon– comme beaucoup de ceux de ce superbe écrivain – qu’il pût s’agir de ma grand-mère paternelle, née en 1899 et ayant vécu suffisamment longtemps, avec une personnalité telle, pour qu'il ait pu choisir son patronyme et nommer ainsi un personnage ? C’est évidemment une anecdote insignifiante, au sens oulipien du terme : une ligne sur les 14000 que contient ce roman ne va pas prêter à interprétation, et ça n’est d’ailleurs pas le seul signe que je fais – le lecteur avisé repérera quelques petites références animales, inessentielles. Mais là, quand il m’est venu le besoin de nommer la voisine du dessus, quand les Russkoffs arrivent à Lyon, en 1914, je n’ai pas hésité longtemps : j’ai retrouvé le livre et j’ai replacé la phrase, en inversant nos noms. C’est donc la vieille Madame Belletto – et sa petite-fille Marie, de l’âge d’Aurelia – qui voit débarquer le drôle d’attelage au 17, Montée Saint-Sébastien, dans le triste quartier ouvrier de la Croix-Rousse. Cette expression non plus, je ne l’ai pas inventée : on la trouve, déjà, dans Tébessa, retranscrite exactement comme on la trouvait dans un faire-part de décès en 1956… L’équipage se retrouve à Lyon parce qu’on y a envoyé Anton dans le cadre de la préparation des Cités du textile, qui ne verront le jour, finalement, qu’après la guerre : c’est encore là le privilège de l’écrivain, qui peut exploiter un domaine qui n’a pas encore existé, mais dont on sait ce qu’il en est advenu. A l’époque du premier manuscrit, mon éditeur historique* m’a renvoyé dans mes vingt-deux en opposant le pointillisme de la partie lyonnaise à l’approximatif inacceptable de la partie ukrainienne, pour les raisons que j’ai évoquées, déjà. Il avait absolument raison, et me reviennent, à quelques heures de la sortie du roman, les centaines d’heures consacrées à la refonte et la réécriture complète et rigoureuse de son ukrainité. Jusqu’au sous-titre, qui rappelle aussi ce premier ouvrage dont on me parle encore comme si je n’en avais écrit qu’un. 

* qui m’aurait bien cantonné, sans que ce fût péjoratif, à ce rôle-là, écrivain de ma ville. Que j’aime, mais j’ai quittée pour une île singulière, décrite ICI, après m’être baladé, à l’écrit, du côté du Berry, du Béarn, de l’Espagne de Somosierra et Algeciras, entre autres.

 

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

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21/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 8/15)

la-chartreuse-de-parme-1948-3-g.jpgLes jeunes auteurs, les primo-romanciers raffolent des préfaces, post-faces et dédicaces à rallonge, on le sait. Benjamin Stora aurait pu – il avait donné son accord de principe – préfacer « Tébessa, 1956 », si j’avais accepté, au vu du travail qu’il avait, d’en différer la parution de six mois. Je ne l’ai pas fait, et ne le regrette qu’à moitié : ça aurait pu booster la diffusion, mais l’ensemble aurait perdu de son côté sec et anachronique, celui qui a tant séduit. En dévoreur de pochettes de disques – les fameux crédits – je soigne particulièrement les mises en exergue : il faut que la phrase soit juste, belle, qu’elle en dise plus sur l’auteur et ses lectures. Ça permet aussi à Fred Vanneyre de côtoyer Nieztsche, Paco de Lucia ou Christian Chavassieux et de récréer un univers, puisque c’est la fonction. Reste que dans une œuvre aussi dense – dans le temps et l’espace – qu’Aurelia Kreit, la page des remerciements est forcément plus conséquente que pour un livre plus commun : il faut se souvenir de qui nous a aidé dans les recherches, accueilli dans son pays, orienté dans le labyrinthe ; de qui nous a offert la cerise sur le gâteau, le renseignement qu’on ne trouvait pas sur les premières chaînes de grands magasins en Autriche, au début du XX°s. De ceux qui ont supporté, parfois douloureusement, les conséquences d’un tel travail. Je me souviens de Bernard Lahire, sociologue, venant présenter à Lyon son travail sur la condition de l’écrivain, seul ouvrage jamais réalisé sur le milieu, dissociant – quinze ans que je colporte ses théories – le premier travail du second, le second devenant premier quand le premier ne paie pas. La place, réelle et métaphorique, que l’auteur se fait dans le cercle familial, social – cette amie qui me demandait pourquoi je ne publiais pas sous pseudo – la solitude que la fonction oblige. Cette grande auteure très connue, à qui, bien malgré elle, je dois mon fait d’armes littéraire, qui se moquait un peu de mon absolutisme sur le sujet, à Grignan, en 2012, dont la relation amoureuse n’a pas survécu au nombre inoui de rencontres qu’elle a dû assumer, ne dirait pas l’inverse, aujourd’hui. Dans la liste des personnes que je remercie à la fin d’Aurelia Kreit, il y a ceux qui continuent de faire ma vie, de près ou de loin, et ceux avec qui j’en ai partagé un bout, qui ont porté ce roman d’une façon ou d’une autre, et que je ne vois plus, parce qu’ils l’ont décidé ou parce que les choses se sont imposées ainsi. Il a fallu que j’en choisisse, dix, par superstition et, une fois encore, parce que le format le permettait. L’effet, édité, relève un peu du champ de ruines : telle est citée, qui s’enthousiasmait du roman avant même que j’en aie écrit la première ligne. Sollicitée récemment, dans le cadre de sa profession, elle m’oppose toujours un silence glacial et définitif. Tant pis : j’espère juste qu’elle ne se privera pas de la lecture du roman, néanmoins, parce qu’elle y retrouverait, je crois, ce qu’elle en avait espéré. Les autres sauront pourquoi je les nomme et je demande à ceux que je n’ai pas nommés de me comprendre.

Reste les dédicaces, juste après le faux titre (celui dans les pages intérieures). J’en dévoile une, seulement, ici : l’événement regroupe le roman et les deux groupes qui auront marqué ma vie de jeune homme - et celle qui a suivi – mais c’est au chanteur d’un autre groupe, contemporain des deux autres, qu’il est dédié. Pour l’Enfance éternelle qu’il a su incarner, jusqu’à la fin. Le livre voyagera avec lui, et c’est très bien.

Photo : Gérard Philippe dans "la Chartreuse de Parme", film de Christian-Jaque, 1948

 

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).

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20/09/2019

Le roman d'Aurelia (89-19 7/15)

autograph.jpgJ’ai suffisamment parlé de cet homme, artiste essentiel, pour en rajouter, mais s’il devait y avoir un trait d’union entre ce qui n’était qu’un projet mal parti et la réalité qu’on va toucher du doigt dans quelques jours, c’est bien lui qu’il faudra évoquer. Et dire que la permanence, sur cette ère de 30 ans, c’est lui qui l’a assurée. D’abord en faisant la deuxième voix de mon groupe fétiche pour ouvrir devant le dernier groupe soviétique ou pour les 24h de l’INSA, s’appropriant « les jardins d’Ellington », juste après que les Kakous ont enchanté le public avec leur « Comme un orang-outan »; ensuite en ramenant sur scène la session rythmique d’Aurelia Kreit en inversant les rôles : Tito, qui ne voulait plus tenir les lead vocals, ferait les chœurs, mais ça importait peu: l’essentiel, c’étaient ces deux voix réunies. Oh, l’aimant, l’aimant que c’était, dirait l’autre. La première fois que je suis allé voir « The Boys in the Band », premier nom du groupe, c’était à la Croix-Rousse, pas loin de là où mes grands-mères avaient vécu, dans les rues que j’ai fait traverser à Gérard dans « Tébessa », que j’ai traversées moi-même, enfant. Pour moi qui suis sensible à la mécanique des places, ça ne pouvait que m’émouvoir. Quand on m’a présenté, après toutes ces années, le chanteur d’Aurelia Kreit, j’ai tout fait pour cacher mes rougeurs de midinette. J’aurais pu prendre mal sa relative indifférence, mais je saurai plus tard que cet homme-là est, disons, peu porté sur le manifeste. Ce soir-là, dans le bar, j’ai vécu, à ce sujet, ma première réminiscence, quand je l’ai entendu chanter (en anglais). J’ai été, pour la première fois, confronté à cette énigme : pourquoi me souviens-je de tout et pas des concerts d’Aurelia ? Sans doute parce que je les ai tellement écoutés, par la suite, que seul le son est resté. L’essentiel, sans doute, mais le phénomène est curieux. Les garçons dans le groupe ont vite pris le patronyme, connu, de Nellie Olson, et en 2015, sur un mode post-punk, ont décidé d’enchaîner prise de son en studio, en quasi-live, mixage rock’n’roll et sortie d’un CD, préfinancé par une plateforme connue de crowdfunding. Il faut dire que, de mémoire, pour 50€, on avait droit au disque, à deux entrées de concert et à l’apéro-VIP sur la péniche-concert, à Lyon. Il manquait plus que son poids en M&M’s mais le chanteur a un problème avec le produit : allergique au vert, il est obligé de trier les cacahouètes. Cette soirée dantesque, je la raconte ICI, mais je n’oublierai pas que tous, sauf Tito – pour les raisons énoncées ci-dessus – sont venus me voir pour savoir qui était l’énergumène qui travaillait sur le sujet. Je souris tristement en relisant que j’évoque Philippe Pascal pour parler de Didier, le guitariste. Et j’aimerais que Tito retrouve sa casquette chinoise du concert du CCO de Villeurbanne, qu’il la remette le 28 ; ça compensera de la perte de la basse, laissée à Jérôme, un invité de la reformation, mais un des premiers à m’avoir dit que tout cela, la réunion des deux Aurelia, n’était pas aussi impossible qu’il en paraissait. Et comme il y a trente ans, quand Aurelia, le groupe, sera parti, c’est le Voyage de Noz version Vaisseau Public qui prendra le relais. Comme si rien n’avait changé, je vous dis.

Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.

Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).

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