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15/03/2012

Croisement.

Il est temps de réécrire correctement « le discours de la méthode » et de revenir sur cette fameuse façon, cartésienne, d’être contraint à un choix et à l’assumer, quoi qu’il arrive. De se méfier de la ligne droite, qui détermine. Bifurquons, prenons la tangente, puisque rien n’est linéaire : I did it My Way, puisque c’est l’époque.

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14/03/2012

Alcibiade mineur.

220px-Bust_Alcibiades_Musei_Capitolini_MC1160.jpgIl se trouve que j’ai un adolescent qui, quand il veut parler, m’aborde directement sur des notions de philosophie politique. Il ne se contente pas de dire « C’est nul, l’école ! », non, il plante ses yeux dans les miens, me demande de le laisser parler et de lui démontrer en quoi l’école n’est pas nulle, ce qui est différent. Et vlà t’y pas que l’insolent m’assène « le supplément au Voyage de Bougainville » et dénonce, comme dans le conte philosophique de Diderot, la civilisation qui assujettit les hommes à des lois artificielles et arbitraires (dialogue entre A et B). M’explique qu’il faudrait revenir à un état naturel avec la conscience du culturel, dans lequel les adolescents choisiraient ce qu’ils veulent recevoir ou pas de l’enseignement qu’on leur donne. Péniblement, je rétorque avec mon Rousseau, lui explique que sans l’apport théorique, Emile n’aurait jamais compris comment se repérer dans la forêt de Montmorency. Mais les adolescents n’en font qu’à leur tête, c’est bien connu : il poursuit, développe sa théorie d’une école libre, sans contrainte. Je ne peux que le reprendre sur des mots mal utilisés, qui lui vaudraient un avertissement s’il les plaçait in situ : endoctrinement , oppression… Je lui dis qu’en Terminale, on lui expliquera en philosophie que ce qu’il croit savoir n’est rien au regard de ce qu’il ne sait pas, il en accepte l’augure, ce qui est bon signe, mais persiste. Jusqu’à ce que je lâche mon projet politique, mon programme de candidat : une refonte complète du projet occidental, un état des lieux de l’échec de l’ethnocentrisme (issu, paradoxe à part, des Lumières), une réinvention des idées, des utopies. La redéfinition du travail, aussi : qu’on propose à un salarié qu’il dissocie son temps de travail en deux activités, celle pour laquelle il s’est formé et une autre, plus civique. Ainsi, on ne perdrait plus notre vie à la gagner (l’adolescent est réceptif au slogan soixante-huitard) et la notion de sens prendrait ainsi toute son acception. C’est au bout de cette tirade enflammée et pathétique qu’il a planté une deuxième fois ses yeux dans les miens en me disant : « Ben, qu’est-ce que t’attends ? ».

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13/03/2012

Cri-Cri & Clo-Clo

100cloclo.jpgJ’ai la solution au drame personnel qui touche Christian Chavassieux. Qu’il prenne une feuille de papier A4, qu’il en extraie un carré, aux quatre parties égales, donc, merci pour la tautologie. Qu’il le plie en deux en racontant l’histoire suivante : C’est Claude François qui veut acheter une maison et son architecte lui dit que la mode est aux toits en forme de triangle rectangle. Mais Claude François, entêté comme on l’a toujours connu, hein, lui répond qu’il préfère les toits aux formes classiques, en triangle isocèle.  A cet instant, Christian Chavassieux plie donc son carré de papier en deux et obtient la forme désirée par Clo-Clo. Mais l’histoire n’est pas finie : parce que Claude François, dont on sait moins qu’il était aussi indécis qu’entêté, rappelle le lendemain l’architecte pour lui dire qu’il veut finalement bien une maison avec un toit en triangle rectangle, mais avec une cheminée qui dépasse. A cet instant, Christian Chavassieux devra donc une fois de plus plier le papier et plier par-dessus, sur un centimètre à droite, un rebord, qui dépassera comme une cheminée, puisque c’était le vœu de Claude François, aussi passionné par les peaux de bêtes devant l’âtre qu’il était indécis et entêté. Ce rebord, qui compte donc maintenant huit épaisseurs si vous avez suivi, Christian Chavassieux (et vous avec, vous en mourez d’envie) devra le déchirer précautionneusement : si la consigne a été claire et si tout le monde l’a respectée, vous comprendrez pourquoi Claude François a tiqué quand l’architecte lui a montré les plans en dépliant d’abord les quatre carrés pliés en deux  (pour autant de pièces, de taille égale) que seraient la cuisine, le salon, la chambre et la salle à manger, puis, en dépliant le fameux rebord papier à huit épaisseurs, que serait sa salle de bains, au format ma foi original et plutôt prémonitoire.

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12/03/2012

Matriochkas.

klimt4.jpgS’il me fallait raconter la vie de quelqu’un d’autre, qui m’en confierait les rênes, je lui demanderais de me citer les cinq étapes de la période dont il veut parler, de l’existence qu’il veut raconter ou de l’instant qu’il a vécu. A l’intérieur de ces étapes-là, au fond d’une mémoire poupée russe*, je lui demanderais de me citer cinq objets, cinq odeurs, cinq noms dont il se souviendrait. Puis cinq souvenirs que lui-même croit avoir laissés à ceux ou celles qu’il a quittés là-bas. Je lui parlerais de Perec et des « Je me souviens », essaierais de le convaincre qu’un parfum laissé quelque part peut faire une vie. Les souvenirs ne foisonnent jamais, quoi qu’on en dise ; l’essentiel est bien trop précieux pour ne pas se distinguer : de l’anecdote à l’essentiel, c’est d’une construction en pyramide qu’on recrée une vie.

*piqué à Nicolas Vitas.

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11/03/2012

Monsieur Connard.

Monsieur Connard a parfois le nez fin. Il lui a suffi, par exemple, d'inviter cette belle femme chez Flunch et partager l'addition pour se demander pourquoi, une fois dans le bar où ils ont pris et réglé une consommation chacun de leur côté, elle lui a tourné le dos en soupirant, espérant qu'un des joyeux drilles de la table d'à-côté vienne l'extraire de ce bourbier. Quand l'un d'entre eux s'est levé pour lui donner un peu de la chaleur qu'elle était venue chercher, Monsieur Connard, conscient de sa force de séduction,  s'est dit qu'elle ne tiendrait pas longtemps avant de revenir vers lui. Et même si, à l'heure actuelle, Monsieur Connard attend au même endroit depuis près de 72 heures, ne détruisez pas ses illusions: il envisage de lui faire, quand elle reviendra, sa spécialité, la pizza à la tomate. 

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09/03/2012

Et puis renaître.

Dans un élan, le refrain, ici, est connu. Pour autant, c'est un télos qu'on se fixe tous, faut-il croire. L'introspection n'est conseillère que quand elle parvient à ses fins, dans toutes les acceptions du terme. Je regardais hier cet ancien étudiant aux tempes grisonnantes évoquer son parcours au siècle dernier, quand déjà, j'étais face à lui. Je ne me fais pas l'injure d'avoir compris que la vie était là, mais ce fut une sensation étrange, révélatrice. Une mécanique, encore. Et puis Colophon m'a envoyé le mode opératoire des "Rencontres du II°titre", à Grignan: un café littéraire par roman (plutôt qu'auteur, ça me paraît plus juste), la remise du prix par Laurence Tardieu, présidente du Jury et une table ronde autour de l'écriture romanesque. Drôle d'endroit pour de sacrées rencontres. 


Serge Reggiani - Et puis par Leboc

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07/03/2012

Ann Hidden au masculin.

Ainsi va la vie: nous sommes partagés entre l'idée de permanence et l'envie de tout refaire. Recommencer ou refaire. On sait bien, également, que les deux sont illusion. "Il ne faut pas croire ce que l'on voit car cela ressemble trop à ce que l'on espère", écrit Quignard, qui ressurgit, dans ma vie. A point nommé? 


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06/03/2012

Chienne de vie.

Il n'y avait aucun effet d'attente dans la note d'hier, juste l'impossibilité technique d'écrire et le besoin, quand même, de vous dire pourquoi aujourd'hui est un jour particulier. Qui vous livre ce que j'ai écrit hier.

Image 1.pngUn dernier mot et après on n’en parlera plus autrement qu'artistiquement.  Le reste, je le garderai pour moi. C’est le six mars au matin, il y a dix ans, que l’infirmière du lycée m’a appelé pour m’annoncer, comme on le lui a sans doute appris dans son école, que Fred & Ahmed avaient eu un accident la veille et que - la moins mauvaise nouvelle avant la pire - Ahmed n’avait rien d’autre que des égratignures. Le cliché du monde qui s’écroule n’en est pas un dans ces cas-là. J’ai déjà tout dit depuis dix ans sur Fred Vanneyre, l’amour qu’on s’est porté, l’élan créatif qui nous a unis, ses « coucou, copain » et sa voix, sa voix… Mais je n’ai encore jamais parlé de ce qui m’interpelle encore, dix années après. Ce soir-là, exceptionnellement, ce sont eux qui sont venus de Bourg à Lyon. Parce que nous devions trouver un endroit où fêter la sortie de notre disque et que cet endroit, c’était un bar rue Neuve. Fred et Ahmed sont venus me chercher chez moi ; quand nous sommes partis – en voiture, que les temps ont changé ! – Fred m’a montré l’Opel Corsa que sa grand-mère lui avait léguée : son grand-père s’était éteint en rentrant chez lui, sa femme avait vu la voiture avancer lentement jusqu’à la butée, s’est demandée ce qu’il faisait, il était mort au volant. Fred, quelques semaines après, avec son humour particulier, m’a dit, alors que je montais à ses côtés, Ahmed derrière, « tu n’as rien à craindre, cette voiture, c’est la seule dont la place du mort est celle du conducteur ». Et de partir de son rire en cascade.

Je ne sais même plus si l’affaire s’était faite au bar ou pas. Peut-être avons-nous échappé à la catastrophe puisque, il y a prescription, Ahmed jouait mal de l’harmonica et Fred ne devait d’impressionner que par son charisme, pas par son jeu de guitare. Peut-être Eric, déjà, qui s’était proposé, aurait-il mis un peu d’ordre dans cette dissonance, mais on ne saura jamais si « Ouessant » aurait autant marqué qu’au « Cœur des gens ». Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qu’il faut retenir de cette soirée, c’est que, une fois rentrés chez moi, j’ai fait le plat de pâtes traditionnel. Sans vin, puisque l’administration, à ce moment-là, m’avait coupé les vivres. Heureusement, finalement, quand j’y pense : je n’ai pas eu à rajouter la culpabilité au deuil. Ce qu’il faut retenir de l’ironie du sort, c’est que Ahmed, arrivé chez moi, a été pris d’une très forte gastro-entérite, qu’il a passé deux heures, peut-être, dans mes toilettes. Et que Fred paraissait fatigué, soucieux de rentrer : son œil ne pétillait pas comme à l’habitude, le sourcil nourri était un peu plus froncé. Nous avons eu tous les deux une conversation sur l’après, les chansons qu’il aurait à enregistrer tellement elles étaient belles. « Nocturne », déjà, m’avait époustouflé, lui aussi je crois. Je me souviens lui avoir proposé un pacte à la Noir Désir, pour qu’il ne m’exclue pas, ce qu’il n’aurait jamais fait, de son projet. Mais je le trouvais fatigué, oui, impatient. Il avait cours le lendemain, il fallait faire la route, peut-être avait-il un rendez-vous. Nous discutions, mais je sentais qu’il avait hâte qu’Ahmed quitte les lieux d’aisance. J’ai proposé qu’ils dorment là, partent tôt le matin. Du plus loin qu’il m’en souvienne, j’étais seul chez moi ce soir-là, c’est étrange. Non, il voulait rentrer et je me souviens qu’il m’a dit avoir passé trop de nuits ailleurs que chez lui. Le passé dissolu de Fred Vanneyre m’a toujours paru étrange, je ne connais de cette période que deux-trois photos et un enregistrement quand on l’appelait Bego. Je n’ai jamais voulu en savoir plus.

Ahmed est sorti des toilettes, livide. Fred lui a demandé s’il allait tenir le coup. J’ai fermé la porte sur eux, nous devions nous revoir dans la semaine, les statuts de « Notre Approche des Arts » avaient été déposés, le compte ouvert, nous étions à une quinzaine de jours de l’arrivée physique du disque.  J’ai fermé la porte sur eux et le lendemain, on m’annonçait que l’un des deux ne serait plus. Plus jamais. Sans faire offense à Ahmed, c’est la part de moi qu’on m’a ôtée ce jour-là. L’ironie, encore, retiendra qu’Ahmed aura vécu ce jour-là son deuxième gros accident, qu’à chaque fois il s’en sera miraculeusement tiré. Parce que le camion a scindé la voiture, emporté l’un, épargné l’autre. Qui dormait, terrassé, sur le siège passager, puisqu’il n’avait rien à craindre. Sans doute Fred a-t-il évité de mettre de la musique pour ne pas le réveiller. Peut-être un bon 16 Horsepower l’aurait-il sauvé. On n’en saura jamais rien et j’ai fini par me dire que c’est avec elle qu’il avait rendez-vous ce soir-là et que c’est pour ça que je l’ai vu soucieux, pour la première fois. On ne vit pas avec des regrets : j’ai déjà émis la théorie selon laquelle Fred Vanneyre avait déjà tout dit et tout compris, à défaut d’avoir tout vécu. Et qu’il nous a condamnés à vivre, Claude, sa maman, sa sœur, les autres et moi. Le « Camarade » sonore que je lui ai réservé le jour sidérant de son enterrement, le « Ouessant » qui a résonné au crématorium, tout ça, j’en ai parlé. Mais croyez-moi : quand je vous dis que son rire, sa présence, son influence sont encore parmi nous, ce ne sont pas des mots. Parce que l’esprit d’Eloise, pensez-vous, un calembour pareil, jamais il ne l’aurait raté.

 

"Inoxydable" (L.Cachard/E.Hostettler), in "L'Eclaircie" (2010)


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