14/03/2012
Alcibiade mineur.
Il se trouve que j’ai un adolescent qui, quand il veut parler, m’aborde directement sur des notions de philosophie politique. Il ne se contente pas de dire « C’est nul, l’école ! », non, il plante ses yeux dans les miens, me demande de le laisser parler et de lui démontrer en quoi l’école n’est pas nulle, ce qui est différent. Et vlà t’y pas que l’insolent m’assène « le supplément au Voyage de Bougainville » et dénonce, comme dans le conte philosophique de Diderot, la civilisation qui assujettit les hommes à des lois artificielles et arbitraires (dialogue entre A et B). M’explique qu’il faudrait revenir à un état naturel avec la conscience du culturel, dans lequel les adolescents choisiraient ce qu’ils veulent recevoir ou pas de l’enseignement qu’on leur donne. Péniblement, je rétorque avec mon Rousseau, lui explique que sans l’apport théorique, Emile n’aurait jamais compris comment se repérer dans la forêt de Montmorency. Mais les adolescents n’en font qu’à leur tête, c’est bien connu : il poursuit, développe sa théorie d’une école libre, sans contrainte. Je ne peux que le reprendre sur des mots mal utilisés, qui lui vaudraient un avertissement s’il les plaçait in situ : endoctrinement , oppression… Je lui dis qu’en Terminale, on lui expliquera en philosophie que ce qu’il croit savoir n’est rien au regard de ce qu’il ne sait pas, il en accepte l’augure, ce qui est bon signe, mais persiste. Jusqu’à ce que je lâche mon projet politique, mon programme de candidat : une refonte complète du projet occidental, un état des lieux de l’échec de l’ethnocentrisme (issu, paradoxe à part, des Lumières), une réinvention des idées, des utopies. La redéfinition du travail, aussi : qu’on propose à un salarié qu’il dissocie son temps de travail en deux activités, celle pour laquelle il s’est formé et une autre, plus civique. Ainsi, on ne perdrait plus notre vie à la gagner (l’adolescent est réceptif au slogan soixante-huitard) et la notion de sens prendrait ainsi toute son acception. C’est au bout de cette tirade enflammée et pathétique qu’il a planté une deuxième fois ses yeux dans les miens en me disant : « Ben, qu’est-ce que t’attends ? ».
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