20/11/2013
Mes aubépines.
Je réponds souvent que l'écriture m'est venue de la prétention d'arrêter le temps, de vouloir qu'un instant, une sensation, une image se prolonge. Dans le même temps, je pense à cette cicatrice que j'ai sur l'avant-bras droit: une belle marque d'une dizaine de centimètres, à partir de laquelle je peux décliner, selon mon auditoire, les récits des combats homériques qui me l'ont infligée. Sans dire qu'à dix ans, je me suis très légèrement écorché sur une ronce, et que la trace est restée, a grandi avec moi. Il n'empêche, ce moment-là, je ne l'ai jamais oublié. Mais je ne l'avais jamais écrit.
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19/11/2013
Mesures.
« Attends 9 192 631 770 périodes de la radiation correspondant à la transition entre les niveaux hyperfins F=3 et F=4 de l’état fondamental 6S½ de l’atome de césium 133 , ma chérie ! » ne paraissant pas approprié à l’urgence de la situation, l’Académie se résigna à choisir un mot plus simple mais fit bien comprendre qu’on ne lui accorderait jamais le premier rang.
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18/11/2013
Tautologie.
Le temps du livre est court, mais son impact durable.
18:14 Publié dans Blog | Lien permanent
17/11/2013
Conte d'hiver à Culoz.
J'aurais dû me méfier d'entrée: croiser, à la gare, Jean-Luc Lahaye chaussé de ses Ray-Ban (en pleine grisaille) était un signe annonciateur. Y a-t-il eu relation de cause à effet, une heure plus tard, un désespéré mettait fin à ses jours et à ma chance d'attraper ma correspondance à Bellegarde. Avec une petite centaine de camarades de galère, nous attendimes patiemment, à la gare de Culoz, que des cars viennent nous chercher. Dans ces cas-là, on discute, on se rassure, on se réchauffe mentalement. J'ai le temps de penser que je suis venu une fois, à Culoz, fêter les trente ans de Mister B, il y à plus de quinze ans... Que rien ne nécessite plus, dans ma vie, que je retourne à Culoz. Ma petite copine d'infortune me raconte ses études d'économie, son avenir dans la banque. Quand elle apprend ce que je viens faire à Thonon, elle s'excuse de ne pas lire mais que ça doit être bien d'être auteur et d'aller rencontrer des lecteurs. Je confirme, même si l'heure tourne et qu'il fait froid. J'appelle Lettres Frontière, je dis à Émilie Pellissier que je serai en retard, que je n'assisterai pas à la cérémonie à la mairie, que j'irai directement au repas. Elle me dit que Virginie Ollagnier est dans la même galère que moi, à la gare de Culoz. Mes oreilles sont engourdies par le froid, j'entends mal, Émilie me dit que Virginie est rousse, mais mon cerveau dérape: après avoir abordé les quatre rousses de la gare de Culoz en leur demandant si elles étaient Véronique Ovaldé, j'ai peur de passer pour un satyre et renonce. Le car nous promène dans les montagnes, arrive à Bellegarde et là, c'est le deuxième TER qui prend 20mn de retard. Peu importe: peut-être est la réminiscence des voyages passés à relire le manuscrit de "la partie de cache-cache" en allant parler de "Tébessa", mais je tombe un chapitre de "Aurélia Kreit", soupire devant le travail de recherches et de vérification qui m'attend, mais je redeviens écrivain. J'aurai mis cinq heures pile pour relier Lyon et Thonon, je suis un peu épuisé mais déjà, dans la salle des Ursulines, défilent les visages connus, prennent corps les rendez-vous pris: Marielle, Delphine, Thomas. Je suis présenté à Virginie Ollagnier, nous partageons le même secret: il y a eu les amants de Vérone, il y aura les écrivains de Culoz. L'ambiance est un peu feutrée dans la salle des fêtes, à l'inverse des éclairages crus. Nous faisons une table d'auteurs, on négocie des bouteilles pour ne pas se lever trop souvent chercher des verres, on participe à la mythologie des auteurs. Delphine Bertholon me fait penser à cette phrase mythique du "Jules&Jim" de Henri-Pierre Roché : "elle tenait le coup dans les cafés, mieux que les poètes". La bonne nouvelle, c'est que personne ne se prend au sérieux, et qu'on rigole beaucoup. Qu'on plaint un peu les comédiens qui lisent des extraits des coups de cœur des vingt sélections: les conditions ne sont pas très bonnes, l'écoute non plus. Il fait chaud, comme prévu, nous sortons régulièrement pour des pauses-cigarettes que j'accompagne. On parle de la condition des salonnards, des différents lieux où nous sommes passés, pour Lettres-Frontière. On regrette un peu que cet anniversaire manque un peu de joie et de lâcher-prise. Appelés à monter sur scène pour nous montrer, on s'exécute, mais le côté comice agricole m'agace. Je prends le micro, demande à mes confrères si quelqu'un veut dire un mot, personne, je sais que je vais regretter mon côté cabotin très à l'aise à l'oral, mais je parle, je dis le plaisir de la saison, des rencontres dans des contrées plus qu'éloignées, la chance pour des auteurs peu connus d'être mis sur le même plan que des auteurs de renom. Même si la chose est blessante de ne pas trouver ses livres sur l'étal d'un libraire qui prend mal qu'on le lui fasse remarquer. On peut regretter que sa collègue qui suivait les rencontres LF au moment où je les ai faites n'ait pas assuré l'achalandage: dans l'esprit, et dans la lettre, la diversité était mieux assurée. On parle d'elle avec Philippe Fusaro, de ses lasagnes, de "Jules & Jim", encore. Le repas se termine sans le champagne attendu, la journée complète des bénévoles de Lettres-Frontière les a sans doute achevés, les tables se vident et se rangent. Thomas Sandoz s'en va, on s'embrasse avec amitié: j'ai pu lancer à la table que "la Fanée" est sans doute un des meilleurs romans que j'ai lus dans ma vie. L'hôtel est à côté, on s'assure, Delphine et moi, un after avec la bande de Gilly, on alterne les blagues de potaches et les réflexions sur l'écriture. Je distribue des "Camille", puisque je n'ai pas de cartes de visite. Delphine rend Grâce (il fallait la faire!), il est près de 2h, on rejoint nos chambres respectives, avec vue sur le lac. 9h plus tard, je termine cette note, dans le TER, sans suicidé, cette fois-ci. Trois rangs devant, Fusaro répond à une interview, parle de ses voyages à Tanger, en Turquie, de son livre à paraître. Et de "Jules & Jim".
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15/11/2013
Une journée avec Laurent Cachard.
14h30 – Pour bien montrer que l’écriture est une question d’exigence envers soi-même, Laurent Cachard décide de ne pas sacrifier le rituel de la sieste. Compte-tenu de l’exiguité de son appartement, dont il s’excuse auprès de l’équipe de tournage, il demande aux techniciens de l’attendre en bas, le temps, promet-il, d’un premier cycle de sommeil. « L’apanage des grands hommes, comme Churchill ! ».
16h30 – Répondant au 71ème coup d’interphone, Laurent Cachard se réveille et d’un « Ouais ! » peu engageant, ouvre à l’équipe, qui s’impatientait. On décide rapidement de le filmer en pleine création, devant l’ordinateur, parce qu'on est un peu là pour ça.
16h45 - Laurent Cachard répond au téléphone : sa compagne lui demande s’ils se voient ce soir. Il répond qu’il est en pleine écriture et qu’il ne pourra sans doute pas. L’équipe de tournage apprécie son abnégation et lui en veut déjà un peu moins.
16h47 - Laurent Cachard s’inscrit sur Facebook à l’apéro qu’organise un de ses amis. Ce soir à 19h.
16h50 – Concentré, l’air habité, Laurent Cachard écrit quelques mots. Une caméra filme ses mains en action sur le clavier. Les doigts virevoltent, le grand ballet de la création peut commencer.
16h52 - Laurent Cachard télécharge illégalement « l’Equipe » pour savoir si Saint-Etienne va mieux, question récurrente chez lui depuis 1976. Il participe activement sur un forum à la discussion : « Jean-Michel Aulas est-il un f… de p… ? »
17h30 – Le présentateur, fébrile, demande à voir la création originale qui s’est dessinée sous ses yeux. Sur la feuille, qu’il imprime, cinq mots se détachent : Et si c’était vrai ? A l’impudente remarque du caméraman qui dit que ça a déjà été fait, Laurent Cachard répond sèchement : Oui, mais pas comme moi.
17h32 – Laurent Cachard rappelle sa compagne pour lui dire que non, il ne la verra pas ce soir : il est obligé d’assister à un colloque sur la condition de l’écrivain au XXII° siècle, suivi d’un de ces pince-fesses auquel, tu comprends, mon amour, il est obligé de se montrer.
17h45 - Laurent Cachard fait chauffer de l’eau pour le thé. Qu’il offre aux membres de l’équipe pour les remercier de l’avoir invité à déjeuner. Il ne reste qu’un cookie, qu’il mange, parce que ça favorise l’inspiration.
18h – Le présentateur aimerait bien en savoir plus sur le roman historique qu’il est en train d’écrire. Toute cette frénésie de début de siècle, ce doit être fascinant ! Comment vous y prenez-vous pour les recherches ? Laurent Cachard l’invite dans la bibliothèque, jette habilement sa veste sur les Tout l’Univers et lui montre sa collection impressionnante d’encyclopédies - dont les pages ne sont pas séparées - et l'histoire de l'Union soviétique, de Nicolas Werth, qui trône sur son bureau. Le cadreur, lui, s’arrête sur la réédition reliée en papier molletonné de « l’Alchimiste », préfacée par Nadine Morano, et les mémoires de ce philosophe israëlien qui s’est défenestré dans l’indifférence générale..
19h- Laurent Cachard aimerait bien en dire plus sur le processus de l’écriture et de l’histoire en train de se faire, mais il a un apéro Facebook. Il demande au cadreur s’il a fait le technicien toute sa vie, l’autre lui répond qu’il écrit aussi des livres, mais qu’il fait ce métier pour vivre. Dans l’enthousiasme, il lui donne l’argument de son dernier roman. Prétextant un coup de fil urgent à passer, Laurent Cachard note les idées remarquables du technicien dans un carnet de Moleskine : ça lui permettra de faire patienter son éditeur, d’obtenir des à-valoir conséquents et, cerise sur le gâteau, de faire sa note de blog quotidienne.
19h15 – L'écrivain regarde sa montre : Laurent Cachard déteste être en retard, annonce-t-il brutalement. Il prend congé de l’équipe, les remerciant de s’intéresser à la culture et aux auteurs émergents.
Nous remercions Laurent Cachard pour son accueil et pour nous avoir conseillé de faire un reportage sur l'écrivain Christian Chavassieux.
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13/11/2013
Archéologie préventive.
La froide vengeance de mes prochaines nuits d'insomnie: aller enterrer, sur le chantier d'un stade en construction, une fibule cruciforme de la deuxième moitié du IV°siècle et invoquer, auprès des services concernés, la loi Carcopino, l'article 322-2 du Code pénal, les articles R 111-4 et R 425-31 du Code de l'Urbanisme, le Livre V (titre II) et l'article L 521-1 du Code du Patrimoine.
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12/11/2013
Agir bien.
Céder sa place dans le métro, proposer à une femme de porter sa valise dans les escaliers, remercier le chauffeur de bus pour le voyage, tenir la porte au voisin qui arrive les bras encombrés, s’excuser de devoir marcher dans un couloir fraichement lavé : toutes ces choses qui nuiraient à ma sale réputation si elles s’ébruitaient!
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11/11/2013
La Violoncelliste.
Un orchestre national, c'est une allégorie du pouvoir politique, moins la force: sinon, les contrebassistes – j’y reviendrai - seraient devant, d'office. Là, je regarde la petite violoncelliste, installée, au gré d'une hiérarchie savamment étudiée au troisième rang de ses confrères, légèrement décalée à droite, à la septième place, dans une espèce de no man’s land entre les altistes et les siens. Assez loin du premier violon que, rituellement, le chef d'orchestre vient saluer à son arrivée. Rien pour la distinguer d'entrée, donc, à part le vert du cahier qui contient ses partitions. Et le léger décalage qu'elle a sur les autres, oh, pas musicalement, mais dans le fait de se lever, justement, à l'entrée du directeur de jeu. Marque symbolique de son effronterie ou de son étourderie, on ne le saura jamais. Le récital commence, elle est là parmi les cinquante, peut-être, musiciens de son orchestre des jeunes, l'apparence est soignée, les talons hauts, on la revoit dévorant un bout de gâteau au chocolat pendant l'introduction d'un morceau poignant. Comme une revanche de la vie. Là, elle est dans la projection de ce qui pourra lui arriver de mieux, plus tard, quand elle aura avancé de trois rangs, quand son regard pourra croiser, dans le jeu, celui du violoniste d'en face, un poil satisfait. Elle joue, de loin on voit le ballet des archets qui défouraillent en parfaite harmonie, s'agitent simultanément sur les manches et produisent un son qu'un homme a pensé plusieurs siècles en amont. Sans qu'on sache ce qu’elle en pense par ailleurs: difficile, chez l'instrumentiste, de dissocier la dimension technique et le travail qui s'ensuit, qu'on l'a vue fournir, entre deux temps de répétition, au détriment du reste, des choses de son âge comme du devoir de philosophie en attente. Un peu comme le Peer Gynt qu’elle interprète, mais là non plus, elle n’en sait sans doute rien. Comme elle ne connaît certainement pas les cinq percussionnistes, tout là-haut, qui détiennent eux, pour le coup, le pouvoir de tout transformer en immense cacophonie. Comment ne pas penser, en voyant ce jeune homme s’emparer des cymbales, à celui qui en savait trop :« un simple coup de cymbales et voilà bouleversée la vie d’une famille paisible ». Comment ne pas se dire que le sixième contrebassiste, celui le plus proche de la porte de sortie, côté cour, va chercher à se démarquer et, d’une fausse note - qui rappellera à tous que son instrument, c’est la voix de Papa dans le corps de Maman – avouer enfin l’amour qu’il porte à la soliste (c’est du Süskind). Mais non, il ne se passe rien de tel : on verra même le percussionniste poser sagement (et prudemment) ses cymbales puis, plus tard, proposer un sifflement aérien époustouflant. Tout est harmonie, dès ce jeune âge : les soli proposés au hautbois, à la flûte, à la trompette, ces moments suspendus pendant lesquels un individu se sort d’un collectif pour mieux le servir et ainsi toucher au Sacré, ma petite violoncelliste ne les connaîtra pas, pas ici, pas encore. Mais à l’entracte, son monde va changer, néanmoins : on fait entrer de plus jeunes qu’elle, encore, qui s’installent sagement là où elle était assise juste avant, et elle avance. Elle est à la droite, en regardant la scène, du chef, à portée de baguette comme, de temps en temps, je suis à portée de son archet, sur mon tabouret haut : deux mondes, deux parcours, mais une même personne. Elle joue en première ligne, du coup, plus rien ne la protège du regard des autres. Ça tombe bien, la pièce proposée, une danse polovtsienne, offre le seul moment de solitude des violoncelles, quelques petites secondes pendant lesquelles on les laisse atteindre le sublime qu’ils représentent, toujours, à mes yeux. Enfin délivrés de leurs encombrants voisins violonistes, toujours en nombre. L’ensemble reprend, mais on l’a entendue, parmi les autres. Il se passe quelque chose d’intemporel, une suspension de l’espace-temps, on entend autre chose que la musique, dans les interstices. L’imaginaire romanesque est toujours là – comment ne pas rapprocher, dans la rivalité qui les oppose, les deux beaux Apollon, chevelus et barbus, l’un au 3ème rang des violons, l’autre en chef de file des contrebasses, tous deux amoureux de la jolie joueuse de caisse claire, l’un sûr de son éclat, l’autre persuadé que les amours de sessions rythmiques doivent rester entre elles – mais il est ramené au silence qui suit chacun des morceaux. Jusqu’à ce finale enlevé, puissant, collectif, cette levée des archers qu’il faudrait presque écrire comme ça, cette jouissance ultime du chef d’orchestre qui, tout à sa joie, prend la main de la petite violoncelliste à sa droite, remarque ses yeux rieurs et frondeurs à la fois et la présente au public, qui applaudit à tout rompre. Le triomphe n’est pas personnel, mais il est une marque, une étape. Quand les musiciens sortent, très vite, de l’auditorium et qu’ils retrouvent leurs familles et leurs amis, ils ne sont plus que des adolescents comme les autres, mal habillés après l’avoir si bien été, avec leurs baskets plates, les escarpins dans le sac. Qui n’est pas à dos : les dos des musiciens sont toujours, au dehors, encombrés de leur compagnon de route, rhabillé lui aussi. Il reste l’intensité d’un instant, celui que je ne vivrai jamais à ce niveau mais que je comprends pour le vivre au mien, de temps en temps, la petite violoncelliste à mes côtés.
Photo: © Florent Geninatti
11:59 Publié dans Blog | Lien permanent