25/10/2013
On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville. (3/3)
Tébessa, 1956. Ce roman, aux vies multiples, dont, pile aujourd'hui, Nicolas le Breton fait l'article sur son blog: qu'il me pardonne, s'il ne l'a pas totalement saisie, ma réelle inculture botanique, mais qu'il m'accorde le fait de savoir en parler. L'écrivain est souvent le faussaire...
Des Tébessa, j’en vends, j’en vendrai, mais là n’est pas l’important : l’essentiel, c’est qu’il s’est inscrit de lui-même dans une intemporalité qui me dépasse très largement, et c’est tant mieux. Alors, quand Dobro et guitare folk se répondent dans les premières notes de « l’Embuscade », la chanson qui lui correspond, quand Clara vient ajouter la touche de céleste à l’ensemble, Eric n’a plus – mais c’est le plus dur – qu’à se faire passeur de cette chanson qui emporte tout. Que personne d’autre que lui, je le répète, même de meilleurs chanteurs, ne chantera mieux qu’il le fait. Déjà, seul, pour Lettres-Frontière, la chanson portait. Mais là… L’apocalypse finale est à la hauteur de la perte du personnage, c’est une fin, il n’y a rien à dire après. Rien de mieux. Alors on s’arrête là, sauf Clara, qui reste, et moi, qui commence à lire le poème « Camille », édité à la fin de « Valse, Claudel », aux Editions de la galerie. Ce texte qui a inspiré Stéphane Pétrier et Jean-Jacques Coulon pour la version électro-douce, Sandro Secci - avec nous ce week-end et sans doute pour longtemps - pour la Valse qui va avec et qu’il jouera bientôt, en compagnie de Clara. Là, une fois la première strophe lue a capella, elle commence la célèbre suite de Bach et je pose le texte dessus. A chaque fois, sans coquetterie, j’annonce un impromptu parce que c’en est un. Mais régulièrement, Deus ex machina ou coup de main de Jean-Sébastien, tout correspond, les pauses se font en même temps et le final lui est laissé. Les mots que je dis pour les remercier, Clara et mes chics types, sont ceux-ci, quand vous viendrez, vous les réentendrez : pas parce que je me répète, mais parce que je les martèlerai jusqu’à mon dernier souffle : ces chansons, c’est Eric Hostettler qui les a composées. Gérard Védèche qui les a arrangées et magnifiées. Clara Védèche qui les a sublimées. Sauf le Poussin Piou et J.S Bach, que j’aurai réussi à réunir.
NB : Il me reste deux choses à raconter, qui ne sont pas reléguées, mais que je voulais mettre à part. La première ; c’est qu’il y eut un dimanche, au Salon. Plus civilisé que la veille. Avec des gens qui viennent, qui reviennent, un homme qui a adoré Valse, Claudel, est venu me le dire vendredi, a acheté Cache-Cache, est revenu samedi pour me dire à quel point ce livre lui plaisait, m’a attribué d’office les prochains Goncourt, est venu encore le dimanche pour lire, sans que j’aie rien demandé, des passages à de gentilles dames à qui j’en faisais justement l’article. J’ai vu une ancienne étudiante, des élèves rencontrés vendredi, qui revenaient. J’ai vu Paola Pigani venue chercher un Tébessa, me féliciter du Prix de Grignan. J’ai vendu 33 livres, au final, dont 25 le dimanche : risible à l’échelle de Drucker, important pour un auteur comme moi. J’ai vu des personnes de Lettres-Frontière, à qui je n’ai pas demandé pourquoi je ne participais pas à la table ronde qui lui était consacré (sic), j’ai surtout vu des personnes de Grignan, parlons-en, auprès de qui j’ai enfin compris pourquoi je n’avais reçu, depuis l’attribution du Prix, nulle invitation à parler des mes écrits qui ont suivi Cache-Cache, encore moins à présider le Jury, une activité que j’aurais adoré mener, moi qui, comme pour LF d’ailleurs, ai lu et chroniqué ici tous les livres de la sélection. Une belle déception pour moi qui pensais les avoir conquis, mais surtout qui leur avais demandé de ne pas m’attribuer de prix si c’était pour m’oublier juste après. Les querelles d’égo ne sont pas que du coté des auteurs, visiblement…
Mais finissons par de la Beauté, puisqu’il ne faut garder qu’elle : ce que j’ai raconté, ce que Christian a dit de ces instants aussi, des hommes se damneraient pour les vivre une fois. Eh bien nous les avons vécus deux fois, de suite, puisqu’à l’invitation adorable des parents de Clara, Alain et Anne-Marie, nous avons joué chez eux le dimanche soir. A la fin de trois journées non-stop, au bord réel de l’épuisement. Mais on a puisé, et aux dires de Gérard, techniquement, c’était encore meilleur que la veille. Je ne pensais pas que ce fût possible. Une soirée magnifique devant un parterre attentif, composé de gens critiques, apprendrons-nous après, et conquis au final. Devant la professeure de violoncelle de Clara, à qui j’aurai le bonheur de signer, on y revient, un exemplaire de « la partie de cache-cache » d’un aphorisme que j’ai un jour écrit, sans savoir que quelques années après, mon rêve le plus fou deviendrait réalité : la question de mon athéisme se pose à chaque fois que je croise une violoncelliste.
PS : le titre est provocateur, via les mots de Lavilliers ; on peut aimer sa ville de naissance sans être bêtement chauvin. Mais la dédicace que j’ai laissée sur le livre d’or de l’hôtel, à la demande du gentil monsieur qui nous a accueillis, était éloquente : la gentillesse et la simplicité, souvent décriées, font du bien à l’âme. Et la ville verte en est coutumière. Que la mienne prenne exemple, une fois n’est pas coutume.
Le dessin est d'un élève de 3ème du collège de Rillieux qui m'a accueilli à la médiathèque, l'année dernière.
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24/10/2013
On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville. (2/3)
Je rentre, seul – quand je vous disais que c’était scénographié – la lumière m’éclaire, belle évidence, mais rajoute à la pénombre du public dans le soir tombant, moche métaphore. Je fais face seul, pour la première fois dans ce projet. En frontman, ce que j’ai certainement toujours voulu être sans jamais oser me l’avouer. Je parle de suite de mon projet en cours, Aurélia Kreit, par effet d’auto-conviction hugolienne : puisque ces choses sont (celles dont je lis un extrait, pour la première fois en public), c’est qu’il faut qu’elles soient, à l’avenir. C’est une promesse que j’ai faite à la petite trentaine de personnes qui sont là et qui n’attendent peut-être rien, à l’exception de quelques-uns, mais c’est aussi à moi et à Aurélia que je la fais, cette promesse : je sais trop, désormais, depuis Tébessa, quel est le poids d’une voix que l’on (re)donne. La musique de l’extrait choisi est la bonne, je l’adresse silencieusement à quelqu’un dans la salle qui sait ce que j’encours ; sa réaction m’aura comblé, mais aucune gloriole : il reste à mes personnages plusieurs milliers de kilomètres à parcourir, à l’auteur autant d’obstacles à franchir. Mais là est l’enjeu de la littérature, aujourd’hui : il faut écrire les romans qu’on a en soi, rien d’autre. J’annonce Eric Hostettler, qui arrive : nos douze ans de travail en commun ont deux morceaux pour convaincre, il joue seul, et gros. Le mercredi, il était aphone, le samedi, il se produit en face d’un public attentif et exigeant : « Faire l’hélicoptère » est un morceau faussement enjoué, mais il convainc, déjà, et ce n’est que justice, au regard des jugements qu’il a subis, ailleurs, dans un autre temps. Pauline, sa fille, est venue chanter « L’Ecole Buissonnière », le master piece de la comédie musicale : elle chante bien, ne force plus, elle est à l’aise et le tout prend déjà une sérieuse allure. C’est souvent là, généralement, qu’il faut enfoncer le clou : j’annonce Gérard Védèche, l’ami d’Eric, devenu le mien, sans jalousie et avec partage. Puis Clara, belle comme un cœur, la nièce de Gérard, qui se retrouve de fait avec trois tontons, d’un coup. Fraternité. Je parle de l’alternative à laquelle on croit tous, face à la starification et l’immédiateté. Je commence la lecture de l’extrait de Cache-Cache, le premier morceau s’enchaine avec la fin de la lecture, mes mots en filigrane. « Au-dessus des eaux et des plaines », Valère, un octosyllabe d’Aragon, damned, me voilà cerné. C’est sublime, ça serre le cœur et là, d’un coup, au vu de ce qui sort des trois instruments à l’unisson, au vu des progrès que Clara a faits en si peu de temps, personne ne s’interroge sur notre légitimité. De mon tabouret, je ne risque que peu de regards en face, je les regarde eux, mes musiciens, se sourire, se répondre. Quand Eric lâche son « à la moitié du temps donné », à chaque fois, je défaillis. Mais il faut se reprendre, j’ai d’autres extraits à lire et à présenter, en parlant un peu plus que j’avais envisagé de le faire, mais c’est ainsi que Daniel m’a dit qu’il fallait faire. Et on obéit au Boss, quand il a raison, d’autant qu’il a cinquante ans, juste aujourd’hui, et que samedi, on lui a réservé la surprise que Chavassieux a judicieusement dépeinte ici. J’aurai lu un extrait de mon « Gros Robert », dont je subodore qu’il me réservera des surprises bientôt, j’énonce le titre de sa thèse de physique nucléaire non linéaire avec assurance, ce qui fait rire ceux qui me connaissent, j’enchaîne avec le seul dialogue de l’œuvre cachardienne, théâtre excepté, la querelle des femmes dans « le poignet d’Alain Larrouquis », après l’hommage au patron, je lis la fin de « Ciao Bella », attend que mon lectorat féminin juge de la moralité de cet homme, trois quatre, « Ton Egide » est magnifique de rythme et de justesse. J’entends, de mon tabouret (spéciale dédicace à Malika et la Baronne), les applaudissements de plus en plus nourris, de ceux qui font mal au mains après. Ce que Chavassieux, dans les lignes du dessous, en a fait, la manière dont il l’a vécue bien après qu’il ait quitté la galerie, en dit long, là aussi. Mais quand on touche un sommet, c’est un autre qu’il faut se réinventer, vite. Et on le sait, tous les quatre : quand je lis un extrait de « Tébessa », ce n’est pas aux autres que je m’adresse, ni même à ma maman, à qui je le dédie pourtant. C’est à cette voix qui s’est tue et que, allez comprendre, on finit par écouter.
La suite demain.
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23/10/2013
On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville. (1/3)
Ces trois jours n’avaient pourtant pas commencé pour le mieux : on m’impose, ainsi qu’à d’autres, 45 minutes d’attente dans un car qui devaient nous mener, tous, vers l’établissement scolaire dont chacune des classes, de collège et de Lycée, accueillait un auteur. La faute de l’organisation ? Non, la seule audace qui pousse un individu à se croire autorisé à faire attendre les autres du seul fait de sa venue : les Salons du Livre sont souvent des concours d’égos, et jamais de ceux qui pourraient se le permettre. L’accueil des élèves de 2nde du lycée Jean Monnet, dont j’ai déjà raconté la pertinence de leur lecture de « la partie de cache-cache » (j’ai dit dans l’interview radio que leurs questions étaient sans doute plus intelligentes que mon roman !) m’ont vite fait oublier ce désagrément, et mon retour au Salon, la rencontre de Valère, notre lutte commune pour arracher une marque d’intérêt aux passants face à la masse agglutinée devant Lenny Escudero, ont bouclé la première journée, avant que je passe un moment touchant avec une jeune femme de mes amies, perdue de vue depuis 10 ans, que je retrouve à Saint-Etienne, maman d’une petite fille qui me prendra pour le grand méchant loup avant que je lui explique que je ne versais pas dans la littérature jeunesse : elle aura le temps de croiser mes petits psychopathes du Berry, qu’elle profite de son innocence et qu’elle continue d’enchanter celle à qui, selon ses termes, elle a appris l’amour. C’est vendredi soir, je sauve ma peau en refusant une soirée, je vais dormir tôt, dans un hôtel à deux pas de là où je dors habituellement quand je vais à Saint-Etienne : je m’amuse de la situation, me demande si la seule jouissance d’un auteur en Salon n’est pas de ne payer ni ses repas ni ses nuitées. Le samedi est une rude journée, je le sais, je sais aussi qu’elle s’achèvera sur notre représentation de « Littérature & Musique » au Réalgar, cinq mois après sa première dans les mêmes lieux. Pour l’instant, je m’installe et très vite le ton est donné : la foule s’agglutine, compacte, vivante, menaçante. Les chaises basses, les travées étroites, tout contribue à recréer l’étouffement dont tous ceux qui en participent ne savent pas que je l’ai écrit dans « Cache-Cache », le livre au bandeau. Je me félicite d’avoir repéré et salué Thomas Sandoz dès le matin, d’avoir échangé avec lui sur nos conditions respectives et de lui avoir donné ce livre-là, qui devrait lui rappeler « la Fanée », son excellent roman (comme les autres, d’ailleurs, mais en mieux, enfin, pour moi) qui sera peut-être un jour introuvable. Le samedi grandit, pesant, il faut vingt, trente argumentaires pour attirer un curieux, qui scrute, repose, dit qu’il repassera : le lot ordinaire d’un auteur mal diffusé en salon, rien de neuf, mais le tout dans un climat pesant. Après la pause déjeuner, après être allé saluer Delphine Bertholon, qui aurait dû nous laisser, à Chavassieux ou à moi, le prix Lettres-Frontière en 2009 – je plaisante – je reprends mon poste, me lève souvent, plus pour tenter de respirer que pour imposer quoi que ce soit. Je finis avec sept petits livres vendus, je ne propose plus que Tébessa ou Cache-cache, même pas la peine de me fatiguer avec les autres, je le suis déjà suffisamment, fatigué. Mais il ne faut pas, jamais, lâcher prise, Valère me pousse, me donne l’objectif de dix, dès le matin du lendemain, plus peut-être : en biographe, il cite Aragon, finira même par me faire douter des recherches auxquelles j’ai consacré une partie de ma vie de nizanien, dit que les limites qu’un homme se fixe sont celles de sa perte, citation apocryphe. J’ai entendu des cris, dans la journée, des injures, devant le stand de cet animateur télé qui aura vendu 258 ouvrages en un peu moins de 3h. Est-ce que je l’envie pour autant ? Non, l’affaire est réglée, il me reste, en cette fin de journée, à passer à l’hôtel, prendre une douche rapide en cinq minutes et rejoindre, telle une rock-star, mes artistes qui ont œuvré toute la journée pour installer, faire la balance et se préparer eux-mêmes à la lecture musicale. J’arrive avec ma chérie, c’est une première pour elle, qui rencontre ce jour-là tous mes amis et une partie de ma famille. Je souris, en paix avec moi-même, après tant de valses-hésitations et de bleu, surtout à l’âme. L’entrée dans la galerie me saisit : déférence gardée envers Jean-Louis Pujol, l’œuvre qui nous sert de fonds de scène est époustouflante, c’est un tableau de François Mourotte, que je connaissais pour avoir vu l’exposition, déjà, mais que je redécouvre avec, en premier plan, ces instruments posés là, signe que tout est prêt et que les musiciens s’accordent un moment de pause : le Dobro scintillant de Gérard, son lap-steel sur un pied, la guitare acoustique de Eric, le violoncelle, enfin le sien, de Clara, et à sa droite, à portée d’archet, toujours, mon tabouret haut, cadeau du maître de maison. Nous allons tous les quatre dans le bureau adjacent, derniers moments de calme avant l’entrée dans l'arène. Ce que j’avais pris au départ pour une blague se produit pourtant : l’attachée de presse d’une auteure que personne ne connaît, pas plus que moi je veux dire, passe la tête, nous informe, à nous, pauvres mortels, de la présence de (mettez ici n'importe quel pseudo ridicule), à ses heures chanteuse de jazz et nous demande si nous souhaitons qu’elle intervienne. Un malentendu, sans doute, dès le départ, avec le patron de la librairie qui nous accueillait tous les deux, mais l’audace me souffle. Qui peut imaginer qu’un spectacle aussi scénographié puisse souffrir d’une arrivée aussi divine ? Gérard dira par la suite qu’aucun vrai musicien, pas même Paco de Lucia, ne s’autoriserait une chose pareille. Pour l’instant, la tête penchée vers nous attend une réponse, elle tombe, de mes lèvres : « Ben, non. » La tête paraît offusquée, réprime un haut le cœur, recule. Dans l’instant qui suit, quatre personnes se lèvent, drapées dans leur dignité, quittent la place. C’est bien, ça libère quatre chaises, on va pouvoir commencer.
La suite demain.
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22/10/2013
Kronix (3/3)
Dernier épisode de la trilogie Chavassieux, et quel dénouement! Je suis extrêmement touché par ces mots qui me sont consacrés, à moi et mes amis, plutôt. Mais je dois corriger une chose: personne n'aura pris, dans mon entourage proche et parmi les gens qui composaient l'assemblée, samedi, Christian Chavassieux, que je tiens (et je le dis) pour un des plus grands écrivains de son temps (L'affaire des vivants mettra tout le monde d'accord là-dessus) pour un bouseux. A Saint-Etienne, il ne se passe rien de ce genre-là. Pour les mots de ma mémoire à moi, qui paraîtront bien fades, il faudra attendre demain, que je les démêle.
"Daniel Damart est un jeune homme de 51 ans. Pour qui l'ignorait, Laurent et ses complices se chargent de le faire savoir, cadeau d'anniversaire à l'appui. Et voici le quatuor lancé dans un interprétation métaphysique de Poussin Piou. Œuvre symbolique du XXIe siècle naissant, anti-romantique et post-humaniste, martelant son phrasé régressif dans les oreilles des oisifs en sueur sur les pistes de danse de la perdition. Laurent prononce l'antienne avec une neutralité grand style et les musiciens tentent d'élever leur art à la hauteur de la virtuosité de cette pièce magistrale, écrite pour la postérité. Nos enfants ont bien de la chance, qui hériteront d'un tel manifeste. Après les applaudissements de circonstance, il est temps de revenir à des choses moins graves, moins solennelles, plus distrayantes bien sûr, mais on n'est pas en vie pour se prendre inconsidérément la tête, et le spectacle littérature et musique reprend.
Tandis que Laurent distille des extraits de Ciao Bella (une nouvelle de son dernier recueil, dont la fin provoque, selon le lecteur, attendrissement ou colère), et de Tébessa 1956(moment particulièrement émouvant), dans la ville, un couple anonyme sort du restaurant, les enfants sont repus et fatigués, tout le monde est heureux de retrouver la voiture. « C'est la vie, c'est écrit » chante Eric Hostettler. Après le passage bouleversant de Tébessa, premier roman de Laurent, les musiciens concluent la représentation parL'Embuscade. Je crois que nous sommes tous profondément remués. Personnellement, les premières minutes qui suivent, dans le brouhaha et les déplacements des invités, je ne peux émettre et répéter qu'un stupide « Que d'émotions », seule expression qui me vienne, capable d'exprimer ce que je ressens. Heureusement, d'autres ont plus de vocabulaire que moi, Daniel, les amis et parents venus de Lyon soutenir l'auteur, Fabienne Bergery (auteure qui il y a peu, lut ses textes courts et inédits sur la scène du cabaret poétique), que je découvre « en vrai » et qui a la gentillesse de me demander mes projets. La pauvre. Après vingt minutes d'énumération, je propose qu'on boive un verre parce que ça suffit comme ça. Je félicite les musiciens (c'est le truc le plus nécessaire et le plus débile, féliciter ceux qui nous ont donné tellement de bonheur, on ne sait jamais quoi dire, en général, ils sont entre eux, discutent boulot, on arrive comme des intrus : « Que d'émotions, merci. » voilà c’est fait, je suis définitivement un gros bouseux qui passe). J'avise Clara, la violoncelliste, la félicite pour la maîtrise avec laquelle elle joue de son « gros violon », mon humour tombe complètement à plat, il vaut mieux que je prenne un deuxième verre, et un morceau de tarte aux pralines apportée par l'adorable sœur de Laurent. Je ne fais pas connaissance avec la compagne de Laurent, dont je ne capte qu'un sourire (il avait qu'à nous présenter correctement, aussi), j'échange quelques mots émus avec madame Cachard, maman de l'auteur, je découvre le travail d'une artiste argentine et l'artiste elle-même, je me fais dédicacer un exemplaire de Valse, Claudel, par Laurent Cachard bien sûr et simultanément par David Foenkinos (mais oui ! C’est incompréhensible mais j'ai bel et bien un ouvrage dédicacé du parrain de la fête du livre, quelques mots inscrits directement sous la signature de Cachard : « je m'ai bien régaler », agrémenté d'une petite fleur.) Il est temps de prendre la route du retour. Je remercie Laurent, je remercie Daniel, je remercie tout le monde, que d'émotions, mais oui mais oui, on lui dira, je sors. La nuit est douce. Tout imbibé de musique et de mots, je dépasse les limites de Saint-Etienne, m'engage sur la voie expresse qui me conduira jusqu'aux bras de ma douce. Devant moi, à quelques kilomètres, je ne le sais pas encore, mais un couple anonyme avec ses enfants vient de croiser un vieillard qui a pris l'autoroute à contre-sens.
Après une heure et demie bloqué dans la voiture, quand je croiserai enfin les lieux de l'accident, au milieu des gyrophares et des carcasses défoncées, j'aurai en tête le refrain entonné par Hostettler, « c’est la vie, c’est écrit ». Je ne sais pas, si je n'avais pas assommé Fabienne de mes projets pendant vingt minutes, ma douce ne m'aurait peut-être jamais retrouvé.
Que d'émotions."
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20/10/2013
Kronix (1)
Encore un stratagème: c'est Christian Chavassieux qui fera ma note, aujourd'hui. Mieux, en gentilhomme, il m'offre une suite demain. Ce qui me laisse jusqu'à mardi pour décrire le week-end incroyable que j'ai vécu ici. Là, je repars pour la deuxième représentation de "Littérature & Musique", avant de m'écrouler.
D'abord, il s'est agi de franchir un rempart de foule agglomérée. Dans les remugles de la promiscuité, le visiteur égaré pouvait soudain saisir la raison de cet encombrement. Une vieille tête connue. Michel Drucker, je crois, dédicaçait un livre, son livre dit-on sans rire, un objet de papier avec des signes imprimés dessus, tout à fait convenable je suppose pour toute personne qui ne lit pas mais veut serrer la paluche d'une icône de la télé, ou seulement la voir. Mon objectif étant de retrouver Laurent Cachard, je hurlai au dessus du public compacté : « Je ne veux pas voir Michel Drucker, laissez-moi passer. Je ne veux pas voir Michel Drucker, je veux voir Laurent Cachard, laissez-moi passer. » etc. Petit à petit, l'étau se desserra et je pus enfin approcher Laurent. Il était à la foire aux bestiaux du livre de Saint-Etienne, sur le stand de la librairie Quartier Latin, à la même table que Leny Escudero. On se salue. Je suis ravi de le retrouver. La foule est moins dense ici mais tout de même, nos fronts luisent, nos barbes (Laurent laisse pousser, ce qui ne lui va pas mal) transpirent. Il dédicace sa Partie de Cache-cache à une de ses anciennes élèves, pas fâchée du souvenir de son prof de français, voire plutôt reconnaissante, venue avec sa maman (j'affirme qu'il existe un lectorat féminin de Cachard, je commence à accumuler des preuves.) Une dame venue voir Leny Escudero demande où il est, nous désignons le vieillard souriant, à quelques places de là mais elle ne comprend pas, elle répète après un moment d'hésitation « Il est là, Leny Escudero ? » Il faudra que je le désigne comme « celui qui ressemble à une vieille dame, là-bas » pour que le regard de la visiteuse s'éclaire et qu'elle émette une sorte d'exclamation désolée, exprimant ainsi un mélange de plaisir (voir enfin son idole) et de déception (Mon Dieu, tu ne nous épargnes donc rien). Laurent a beau expliquer à la dame que lui est plus jeune et qu'il fera de l'usage plus longtemps, ce que je confirme, la visiteuse ne quitte pas son objectif et nous abandonne. Je renonce à tenter d'approcher Delphine Betholon ou Thomas Sandoz, découvre à côté de Laurent l'écrivain Valère Staraselski, auteur d'une biographie d'Aragon. Le placer à côté d'un nizanien était de l'inconscience, mais les deux hommes sont courtois et intelligents et tout de passe très bien. Dans la foule, une famille anonyme passe. Les enfants sont fatigués, ils réclament de l'espace, à boire, enfin qu'on arrête de piétiner comme ça au milieu d'une foule absurde. J'ai quitté Laurent pour repérer la galerie Le Réalgar où dans quelques heures, ses amis et lui se donneront en spectacle. En reprenant et en déplaçant ma voiture pour la rapprocher, je revois des lieux de ma vie étudiante. C’est émouvant. Aucune nostalgie, pas de paradis perdu, d'âge d'or, rien de tout ça, mais le constat que les lieux sont là et nous, qui les regardons, également. Des survivants. Un effet de boucle aussi (était-il nécessaire que tu pérégrines ainsi pendant des années pour revenir ici, à cette place ? Qu'as-tu fait de tout ce temps ?) et un autre constat : les lieux ont peu changé. Et nous ? Finalement, en présence de son passé, on mesure le chemin parcouru et on réalise qu'on est le même, à peu de choses près. Fatigué, renouvelé, mais foncièrement identique. Bref. Le Réalgar (nom étrange emprunté au vocabulaire de l'alchimie) est une galerie d'art dirigée par Daniel Damart qui l'a fondée en 2007, après un parcours professionnel sans rapport avec le monde artistique. L'homme s'est seulement senti un jour, las de travailler comme une brute pour des projets certes enthousiasmant, mais vides de sens. Ses goûts le portaient vers la peinture et la littérature. Il a tout arrêté pour se consacrer à sa galerie stéphanoise et depuis peu, Daniel Damart édite des nouvelles illustrées par les artistes qu'il défend. La première nouvelle publiée est le « Valse, Claudel » de Laurent Cachard, illustrée par un des nombreux complices de l'auteur, Jean-Louis Pujol. Ce dernier est exposé dans une salle attenante, tandis que Laurent, ce soir-là, s'exposait, assis derrière un micro, entouré de ses amis musiciens, devant une assemblée aussi exigeante que bienveillante. Là, il commença par offrir un cadeau exceptionnel à l'assistance... La suite demain.
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19/10/2013
À malin, malin et demi.
Les passants d'ici sont habitués à l'absence de notes, ponctuellement, et à la mise en abyme consistant à faire une note d'une absence de note. Mais la journée éprouvante au Salon et la si belle soirée "Littérature & Musique" qui a suivi m'autorisent à rester silencieux, jusqu'à demain, avec, par contre, la journée qui se répétera, jusqu'à l'absence de note du soir, qui sait.
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18/10/2013
On remet "la partie" en route.
Pour le premier jour de la Fête du Livre de Saint-Étienne, j'avais la tâche redoutable de rencontrer deux classes de 2nde du lycée Jean Monnet, un vendredi après-midi, deux heures avant les vacances tant attendues. Rien de redoutable en fait, tant la qualité de l'accueil et de la préparation des élèves était là, via Alice Kriner et Michel Balmont, que je remercie. Une heure et demie passées avec eux, juste après que quatre volontaires m'ont interrogé dans une salle à part. Sur "la partie de cache-cache", exercice inédit pour moi, avec des adolescents. Et je ne le regretterai pas: les questions sont pertinentes, vives, ces jeunes hommes ont vécu le roman, et notamment sa fin, avec leurs tripes, il me la reproche un peu, quand même, puis comprennent quand je leur dis à quel point elle s'est imposée à moi, à quel point il n'y en avait pas d'autre possible. Je leur explique que le romancier, en fait, ne maîtrise pas grand chose de ce qu'il met en place, que parfois les personnages disposent, qu'ils ont à la fin une importance qu'on ne soupçonnait pas au début. J'aurais pu rester l'après-midi avec les cinq qui m'ont interviewé, mais il fallait passer à plus large, à la petite cinquantaine d'élèves réunis dans la plus grande salle du lycée. Avec le risque de la dispersion, vite dissipé, malgré quelques petites réticences de premier rang. On m'interroge sur les relations entre les personnages, sur la jalousie de Grégoire vis-à-vis de Jeannot. Et là la question me taraude: Grégoire est-il capable de jalousie quand il sait que tout peut s'obtenir, par la force s'il le faut? Il faudrait toujours laisser des ados vous poser les questions qu'ils se posent sur les bouquins qu'on a écrits... Et puisque j'ai un peu cabotiné, des le départ (c'est de bonne guerre, en voisin vilipendé!), je termine avec, pour la première fois, la lecture d'un extrait de mon "Riffifi". Leur premier contact avec Audiard, qu'ils ne connaissent pas... Après, je retourne au Quartier Latin, véhiculé par l'affable Philippe Martin - qui aura posé, lui aussi, les justes questions - pas pour y balancer des pavés, mais pour nouer le contact avec un autre public, plus passant, plus volatile, plus tenté, aussi, je peux les comprendre, par les livres de mon voisin, Valère Staraselski. Une belle journée, qui m'aura, en plus, fait retrouver, dix ans après, un être cher, que je n'imaginais pas là où j'allais juste arriver. La vie comme il faudrait qu'elle soit.
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17/10/2013
Au bon plaisir de la gargouille.
J’ai mis du temps (l’été) pour terminer, entre deux lectures, la trilogie romanesque de Nicolas le Breton, « la Geste de Lyon », un recueil de trois polars médiévaux, dont l’appellation elle-même prête à confusion – et donc à éclaircissement, en préface. Ces romans historiques, « le maître des gargouilles », « le seigneur des corbeaux » et « le prince des ours » ne font appel à nulle heroic-fantasy ni chevalier de quelque engeance, mais dépeignent , très précisément – l’auteur est guide de tourisme – les différentes strates au pouvoir à Lyon, au XIV° siècle, dans le bas d’un Moyen-Age dont les coutumes restent, quand elles servent les manigances des grandes familles qui s’entre-déchirent : c’est là que, nonobstant la difficulté première d’assimiler les titres hiérarchiques du clergé ou de la noblesse, on sourit de retrouver des noms qui sont, de nos jours encore, des quartiers de notre ville, à commencer par Grolée – le personnage principal – Ainay, et en continuant, par extension, aux communes proches, Montluel, Saint-Priest ou d’Anthon. L’intrigue mêle les forces du Roi de France, en lutte contre celles du Comte de Savoie pour la conquête de la ville : meurtres maquillés en crimes sataniques, procès en sorcellerie, Nicolas Le Breton reconstitue dans les trois récits une geste qui restitue une époque dont on n’a gardé qu’une mythologie. Il y fait référence, ponctuellement, quand on fait allusion à Lancelot et à la charrette d’infamie, mais pour mieux s’en éloigner, par le cynisme affiché de ses personnages face à l’ignorance généralisée de leur époque : Anselmus, fameuse figure du nain retors, mais pugnace, Guillaume Bâtard et Barthélémy Chevrier luttent chacun, d’une manière différente, contre les simulacres de justices et les diverses Inquisitions : on y croise Bernard Guidoni et Bernard Gui, qui décrètent du veneficium à tour de bras (séculier) pour disposer du pouvoir. Les Templiers sont condamnés, traqués, exécutés (Memento Moris !) comme pour signifier que l’âge preux et courtois est terminé et qu’il est l’heure des stratégies d’alcôves : dans cette trilogie, les Papes se succèdent (Innocent IV, Clément V, Grégoire X*, peut-être ?) mais n’ont d’autorité que de façade, les magistrats les plus respectés sollicitent, dans les bas-fonds de la ville, les criminels les plus sordides, des prostituées juives qu’ils convertissent ou des dresseurs d’ours. Nicolas Le Breton conduit ses personnages dans une action prenante, parce qu’on savoure les stratégies politiques, sans s’empêcher de penser que quelque chose, à Lyon, est resté en l’état… On passe d’une porte à une autre, d’une maison (de Savoie) à celle de Roanne, on suit les fleuves, les traboules, les ruelles, on se retrouve rue Mercière, au Pont du Change ou à St-Nizier, en quête de pots de saindoux empoisonné… Nicolas Le Breton maîtrise le passé simple et semble accélerer la narration quand le piège de l’épistémologie se dessine : les dialogues sont ciselés, les personnages profonds, jusqu’à la deuxième génération, avec Jacelme et Peronin, le lyrisme n’est pas dans l’action mais dans ce qu’elle recèle : on devine à travers les complots qu’elle défait le caractère prégnant de la ville, en « grand animal trop piqué, trop blessé », qui se redresse. Quel que soit son gardiateur. Au final, on laisse ces personnages à regret, avec une persistance qui vous fait guetter les détours de rue de votre ville autrement que vous les regardiez avant. Et s’asseoir sur les bancs de marbre à l’entrée de la cathédrale en pensant à ceux qui s’y sont assis avant nous, regarder les gargouilles et voir se profiler l’ombre de Hiéronymus. Moins assotis qu’on l’était en arrivant. Mais conscients, nous aussi, que la vie était là.
* Et pas XIII, comme me l'a soufflé l'Inoxydable, même je positionne le XIII comme mon pape préféré, puisqu’il a fait suivre, inter gravissimas, le 4 octobre du 15, en 1582, validant ainsi mon rapport relatif au temps qui passe.
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