21/06/2020
Faites des pères!
(...) Je ne lui avais pas donné le prénom du fils de Thésée et d’Antiope pour qu’on continue d’en bafouer l’étymologie et qu’on griffonne à la va-vite un mélange d’hypothèse, d’hypallage ou d’hypostase, très en dessous - c’est le cas de le dire - du destin que je lui avais prédit ! Pas compliqué, pourtant, de penser aux chevaux, à celui qui les délie, d’y mettre les deux p réglementaires et faire les choses bien, mais visiblement, c’est encore trop demandé, même à des membres de sa famille ! (...)
Extrait de "Moi, je suis le cadavre", ouvrage collectif et contraignant, le Réalgar, 2020, à paraître.
11:22 Publié dans Blog | Lien permanent
20/06/2020
Quand nos vies basculent.
J’ai trop longtemps retenu le livre de Florence Saint-Arroman dans ma pile des ouvrages à lire, qui déconfine plus que lentement : difficile de lire, presqu’autant que d’écrire, dans une période où le dehors n’amenait pas la nécessité de le transformer. Mais j’ai pris une paire d’heures pour avaler d’une traite « Quand nos vies basculent », un recueil de chroniques judiciaires qui rappellera à ceux qui ont connu Paul Lefèvre sur France Inter ou sur la 5, Jean-Marc Théolleyre au "Monde" ou, remontant, des feuilletonistes du début du XX°s. que l'exercice est périlleux. Florence Saint-Arroman, elle, est une habituée des prétoires de villes moyennes, Mâcon, Chalon sur Saône, Dijon, au mieux, qu’on dit généralement sans histoires, par antiphrase bovaryste. Parce que dans ces villes comme ailleurs, c’est la misère qui dicte le calendrier judiciaire, et les historiettes qu’elle raconte - courtes, incisives, à l’actualité renforcée par l’usage du présent de narration, de phrases nominales et de sentences qui tombent aussi vite que les jugements – disent tout de ces vies insignes, « l’arrière-monde des pas », dit-elle joliment. Des vies cassées un soir d’ivresse (de trop), d’un geste inconscient ou délibéré (on n’achète pas innocemment une hachette de 37cm, lame de 11, rappelle la Présidente), des comportements qui questionnent le discernement et son altération dans le même temps, souvent in abstentia du ou de la principal(e) concerné(e), qui semble ne pas comprendre qu’on parle de lui/d’elle. On lit ces histoires courtes avec une forme de culpabilité, celle d’être trop instruit pour qu’elles nous concernent, et soudain on repense à telle ou telle histoire personnelle qui n’est pas éloignée de ce théâtre à la Zola : c'est le déterminant possessif du titre. Et la qualité de cet ouvrage que de ne jamais juger, justement, de rendre aux accusés la part d’humanité qui semble s’être éloignée d’eux à jamais. C’est une réflexion entre le Droit et la psychiatrie, on peine avec ceux qui disent gérer alors que, insiste l’auteure, même les évolutions ascendantes de ceux qui ont déjà connu la préventive se doublent du réflexe inconscient – biais de confirmation ? – d’aller chercher la rechute.
Chaque histoire de « Quand nos vies basculent » est doublée, elle aussi, de sa vision par un de ses agents judiciaires, avocat, conseiller pénitentiaires, ou par d’autres journalistes. On croise des acronymes, SPIP, CPIP, AEMO, on questionne l’enfermement (« la seule façon ?), le continent noir de l’alcoolisme, on se demande comment séparer des inséparables qui s’entretuent au domicile conjugal et se déclarent leur amour à la barre. Il y a, dans les salles d’audience, une saturation d’émotions et de débordement, relève Florence Saint-Arroman, et des phrases, insiste-t-elle, qui tombent comme des couperets. Des constats de familles entières dans lesquelles, jamais, un « je t’aime » n’a été échangé. De ces plaintes montées de l’enfer surgit la thématique centrale, celle de la transmission, la vraie, la structurante. Il n’y a pas de place pour le sens, lit-on à travers une des chroniques, quand tout empire, partout, dans des structures qui n’en sont pas. La dernière chronique est bouleversante, au regard d’une faute qui n’est pas si évidente et du prix à payer, si incommensurable que même les familles –détruites – des victimes, viennent plaider la cause du coupable. Je n’en dirai pas davantage. La justice, entend-on dans ce livre, c’est la raison. D’un autre côté, les scènes qui se jouent sont irréelles. C’est là qu’intervient la dichotomie. Et c’est bien le rôle du philosophe – l’auteure a enseigné la discipline - que d’en retranscrire la portée politique. Et sombrement poétique.
"Quand nos vies basculent", disponible ICI, 20€.
21:36 Publié dans Blog | Lien permanent
14/06/2020
Comme dans une chanson de Springsteen.
On en avait rêvé, de cette épopée-là,
On s’était bien juré qu’on serait ces deux-là
Tes cheveux déliés au vent des grands espaces
Mes mains sur le volant d’une Chevrolet, classe
On refait l’Amérique, on met Roy Orbison
Dans un radio-K7, on ne croise personne
Ta peau frissonne un peu, je prends de la vitesse
C’est dans ces moments-là qu’il faut aimer l’ivresse
Et dans les grands déserts, figures squelettiques
Les arbres de Josué convient l’initiatique
Conquête du grand Ouest, bien des années après
Nous serons les pionniers de ce temps retrouvé
Comme dans une chanson de Springsteen,
On retrouve des envies passées
Le goût des amours clandestines
La fuite en avant, l’échappée
On l’oubliera bien vite, la vie qu’on a laissée
Toutes ses concessions, ses envies réfrénées
On aura l’impression de revenir à nous
D’être les rois du monde, d’être maître de tout
On dînera de rien, dans un motel miteux
Et resterons collés dans ce grand lit, heureux
Jusqu’au petit matin, jusqu’à ce que la route
Nous appelle à nouveau, sans plus l’ombre du doute
On est Bonnie & Clyde, on est Thelma & Louise
Et ma passion pour toi jamais ne s’amenuise
Remets-moi Thunder Road, pour la dernière rime
Entendre murmurer un So Mary climb in…
Comme dans une chanson de Springsteen,
On retrouve des envies passées
Le goût des amours clandestines
La fuite en avant, l’échappée
Et dans les grands canyons, là je prendrai ta main
Au bord de la falaise nous ferons l’examen
Celui de nos consciences, des possibilités
Je te dirai « On saute ? », tu viendras m’embrasser
Tu auras un peu froid, je poserai ma veste
Sur tes épaules nues : toujours le premier geste
Et pas le dernier mot, dans notre amour à nous
Tu me diras « On rentre ? » et je répondrai où ?
J’aurai recapoté, tu t’endormiras vite
Je siffloterai bas sur Racin’ In the Street
On verra défiler la vie sur grand écran
Au générique, là, nos noms en noir et blanc.
(Projet en cours)
18:50 Publié dans Blog | Lien permanent
04/06/2020
Y revenir.
La question du personnage, posée par Dan Burcea, m’a interpelé au point que le calendrier de mes projets d’écriture* s’est bouleversé de lui-même : la Girafe lymphatique va faire le lien entre l’exercice du portrait que je fais de mes proches depuis quinze ans, et celui de la fiction. Le livre s’ouvrait déjà sur un « portrait de mémoire », cette fois-ci, et à cause de Christophe Honoré, c’est "17 fois Clara Ville", une série de portraits, de là où on l’a laissée jusqu’à sa fin, qui va dessiner le panorama d’un personnage, un vieux fantasme de démiurge. L’exercice est éprouvant, mais va plutôt bon train. Le temps de l’édition se posera après. Je dois d’abord aller chercher Gervaise pour finir le travail.
NB : un immense travail de relecture du manuscrit d’un réfugié et (…).
13:57 Publié dans Blog | Lien permanent
28/05/2020
Reality.
J’ai toujours été obsédé, du plus loin qu’il m’en souvienne, par la crainte de perdre des choses. Au vu du jaunissement du papier, il y a peut-être vingt ans que j’ai découpé et gardé cet article dans le programme télé du Nouvel Obs. Depuis, je n’ai plus la télé, le Nouvel Obs est devenu l’Obs et je n’y suis plus abonné, Alain Riou n’écrit plus de chroniques assassines, mais cet encart retrouvé, je peux maintenant le livrer au monde, numérisé, sans craindre le procès. Il n’était pas gagné que mes deux amours d’adolescence - et non, il y a pas Denise 50 nuances de Grey dedans! - se retrouvent dans le même papier.
15:56 Publié dans Blog | Lien permanent
26/05/2020
Anton, Gérard, Nikolaï, Paul & les autres.
Dan Burcea, qui tient le blog Lettres Capitales, m'avait sollicité - à l'invitation d'Isabelle Flaten - en tout début de confinement pour intervenir sur le sujet de l'écrivain face à l'isolement forcé : autant dire que si je devais réécrire a posteriori ce que j'avais dit alors, ce le serait à 90% tellement l'épisode m'a empêché de pratiquer ; hier, c'est sur une autre question qu'il m'a été donné de disserter, celle de l'auteur et de ses personnages : c'est ICI, et ça devrait parler à quelques-uns d'entre vous.
15:54 Publié dans Blog | Lien permanent
16/05/2020
Fatalitas.
Une simple vérification orthographique et j'apprends ainsi qu'Enid Blyton est morte un mois pile avant que je naisse et que j'aurai donc passé toute une vie sans elle.
19:32 Publié dans Blog | Lien permanent
12/05/2020
Mes 12 mai.
Le 12 mai, chez moi, c’est une date multiple : c’est d’abord l’anniversaire de ma mère, qui a 78 ans aujourd’hui, et j’ai du mal à le croire en l’écrivant, mais c’est peut-être parce que j’en ai moi-même (bientôt) 52. Heureusement (ou pas), mon père avait trouvé, depuis 1976, un moyen mnémotechnique pour ne pas oublier la date et froisser son épouse : il l’a appelée, quarante ans durant, « Glasgow », et il n’était en rien précurseur de « Casa de Papel », qu’il n’aura jamais vue. Non, il faisait référence aux poteaux carrés de la finale de Coupe d’Europe, et à l’équipe des Verts de Saint-Etienne, défaite ce jour-là de 76. On riait donc tous, sans savoir que lui-même défiait la malédiction de ce jour-là, en 1945, quand son frère Marc s’est noyé dans l’Azergues, à 17 ans. Cette histoire, j’ai attendu mes 40 ans pour que mon autre oncle, présent sur les lieux, sans réussir à la sauver, me la raconte : à cette époque et chez ces gens-là, Monsieur, on ne parlait pas. Mon père n’avait que 3 ans, il n’a sans doute rien compris à ce qui se passait, mais a vécu toute sa vie avec ce drame contenu, refoulé.
Le 12 mai 2012, une date anodine, ni lointaine ni récente, je recevais à Grignan, des mains de l’Association Colophon, le prix du deuxième roman pour « la partie de cache-cache ». Une récompense d’autant plus marquante que parmi les trois autres auteurs reçus, l’espace d’un week-end chez la Marquise de Sévigné, il y avait là Carole Martinez et son fabuleux « Domaine des murmures ». Depuis, je souris à l’idée que j’ai dû, depuis huit ans, rappeler ce fait d’armes en citant ma concurrente pour convaincre mon interlocuteur que je n’affabule pas. Il y a prescription maintenant, j’ai déjà raconté les tensions qui avaient accompagné, semble-t-il, les délibérations, l’aide précieuse que Laurence Tardieu m’a apportée, la belle lettre qu’elle m’a consacrée, lors de la remise du prix. J’ai été fabuleusement accueilli ce week-end, là, je crois avoir donné de ma personne aussi, je les ai suppliés, dans mon discours, d’être vigilants avec les auteurs qu’on récompense et qu’on oublie dans la foulée, par mégarde. J’aurais aimé pouvoir écrire, dix ans après, que l’histoire était belle et continuait, comme Chavassieux à Gilly. Mais non, rien, le néant. Pas même un petit intérêt pour ce qui est sorti après. C’est comme ça, et vu d’ici, maintenant, je m’en fiche. C’est pour le roman que ça m’embête : il continue de valoir mieux qui le traitement qu’il a reçu, je crois.
09:46 Publié dans Blog | Lien permanent