27/12/2015
Le vieil homme.
Il a peiné à sortir de la voiture, perclus d’arthrose. L’image est venue de suite : au début des années 90, c’est avec lui que j’ai ramené une autre nonagénaire à sa résidence, une fois le repas de fête passé. Elle était rentrée enchantée, s’était couchée de la même humeur et ne s’est jamais réveillée. On a tous rêvé, depuis, de ce type de fin, on en a beaucoup parlé, comme pour évacuer, un peu plus à chaque fois, la crainte d’une fin qui s’annoncera à nous aussi, un jour. Dans moins de la moitié du temps donné, si tant est qu’on considère un temps vécu, un temps qui reste. Il est venu quand même, après avoir longuement hésité, puis s’est dit, puis nous a dit que ce serait la dernière fois, qu’il était venu nous voir une dernière fois. Ça n’est pas à prendre au sens propre, ni pour une menace, mais s’il s’avérait qu’un autre Noël se présente, il ne fera plus l’effort, restera au chaud en l’attendant encore, sa dernière compagne. Avec toute sa tête, et c’est déjà ça, dit-on communément. Ça n’est pas moi qui l’ai ramené, mais les trois qui avaient l’âge que j’avais, à quelque chose près, au début des années 90. Qu’est-ce qu’il a fait, une fois dans sa chambre, avec quoi, avec qui s’est-il mis au clair ? On passe tous par les mêmes stades, dans une vie, mais il en est qu’il ne faut pas rater, sous peine de ne pas pouvoir se dire, une fois que tout est terminé, qu’on a vécu.
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26/12/2015
Las!
Par conviction, et refus des achats manufacturés, il tricota deux écharpes de laine pour ses parents, mais devant l'admiration de la famille toute entière, dut se résoudre à délocaliser la production à Taïwan pour tenir les commandes de Noël prochain.
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25/12/2015
Conte de Noël.
L’habitacle de la voiture est devenu le cabinet du juge d’instruction : il fallait démêler l’écheveau des accusations gratuites, des suspicions et des grâces un peu trop vite accordées. Après tout, le réveillon de la veille avait coupé court suite au rappel d’un blasphème, le crucifix dans la cuisine promptement enlevé, par défi, par conviction ? Chacun s’était mutuellement accusé de la chose, on avait sollicité telle ou telle fête, soirée, ivresse, à chaque fois démentie ardemment. Puis le lendemain, en rentrant du repas de famille, les souvenirs se sont peu à peu dévidés : on s’est remémoré telle soirée cocktail, excluant ceux qui ne les aimaient pas, la présence de telle personne, aujourd’hui perdue de vue, a été confirmée par le témoin principal, pris entre deux eaux, celle de la justice et celle du pacte d’honneur, celui de ne jamais balancer. Dans la voiture, on a vu des faux témoignages se construire, pour défendre le suspect numéro un, par solidarité mythomane. Petit à petit, mais à plusieurs, le souvenir nous est apparu, précisément. Deux des accusés, profilés en première instance, ont été disculpés, sans qu’on évoquât un quelconque préjudice moral. Pas encore. Mais la vérité a jailli, sans doute guidée par l’esprit de Noël.
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24/12/2015
Malgré moi.
Chaque liste jamais établie porte toujours la marque des absences.
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23/12/2015
Cantilène.
Ses pas l’avaient menée sur les quais de Seine, au Pont Neuf où, étudiante, elle avait sympathisé avec un bouquiniste qui lui avait trouvé des trésors. Cela faisait un siècle qu’elle n’avait pas fouiné dans les bacs. Cédric attendrait un peu : cela lui permettrait de faire plus ample connaissance avec son fils de huit ans.
- Je peux vous aider, ma p’tite dame ?
A peine célibataire, déjà importunée. Mais le brave homme ne lui ferait pas de mal, voulait juste passer le temps.
- Je cherche un roman d’amour qui ne serait pas niais. Vous avez ?
Ça avait toujours été une de ses roues de secours, à Esther, l’ironie. Mais l’homme en avait vu d’autres, et n’allait pas laisser partir une cliente comme celle-ci.
- Alors, j’ai ce qu’il vous faut. A la condition que vous ne vous laissiez pas abuser par le titre. Fermez-les yeux. Fermez-les, je vous dis !
Ça ne pouvait pas être une mauvaise solution, se laisser aller, pour un temps : les nuages s’amoncelleraient après. Esther ferma les yeux. Le bouquiniste lui mit un livre dans les mains, dont elle sentit le papier usé, râpeux, avec l’humidité qui disait les années perdues dans un grenier, un coffre ou la chambre du fond. L’homme lui serra les mains sur l’ouvrage. Une familiarité qu’elle n’aurait jamais acceptée, hier encore. La voix douce continua, sûre d’elle-même et de son effet.
- Imaginez une histoire du début du siècle, pas de celui-ci, celui d’avant. Une histoire d’amour à trois, contre tout usage. Un ménage harmonieux, une amitié jamais démentie, même par la guerre, une histoire sublime, écrite avec une grande simplicité, une absence d’effets. Pas d’afféteries, juste la plus belle histoire d’amour jamais écrite. Et par un homme de soixante-quatorze ans, s’il vous plaît !
Esther savait de quel livre il lui parlait, elle en avait peut-être trois ou quatre exemplaires dans sa bibliothèque, dont un original de 1953. Que son bouquiniste favori lui avait déniché, déjà, il y a longtemps. Mais elle ne dirait rien à celui-ci, et achèterait le livre comme au premier jour, comme Truffaut l’avait fait avant elle, dans les mêmes bacs, attiré, avant tout le monde, par l’allitération du titre. En payant le bouquin – cher, pour l’édition – Esther remercia vivement l’homme qui ne comprit pas qu’elle le remerciait pour autre chose que ce qu’il avait l’habitude de faire. En l’abordant, au hasard, il venait l’ancrer, de nouveau, dans une double réalité : celle d’une femme qui avait besoin d’une histoire qui ne ternisse jamais, celle d’une autre qui déciderait, comme la Katherine du roman, de son sort, quoi qu’il arrive.
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22/12/2015
Descartes (de crédit).
Une librairie indépendante, des budgets très restreints pour chacun et l’obligation de trouver quelque chose qui correspond. Ou comment transformer un calvaire annuel en un moment de plaisir et de découvertes : j’y ai revu Julie Delaloye, dans un bac, et quelques auteurs de mes amis mieux servis. Mais j’ai surtout échappé à cette frénésie débilitante, une année de plus. Une année encore.
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21/12/2015
Sans vouloir te faire plaisir.
Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de Paco. Faut-il fêter les anniversaires d'une vie qui s'est arrêtée, ou, au contraire, considère-t-on que la postérité commence quand elle s'est arrêtée, je ne sais pas. Je pense que lui s'en foutrait, d'ailleurs. Je veux juste reporter ici, sans gloire excessive, promis, un des premiers retours d'une édition qui reste confidentielle, dans la mesure où il faut que l'acheteur fasse l'effort de commander (auprès de l'éditeur) en espérant que des libraires fassent l'effort de le vendre eux-mêmes. Je ne les blâme pas, le circuit est bouché, et les livres trop nombreux. J'en suis d'ailleurs revenu, de ces attentes et de ce mode de compétition: disons les choses telles qu'elles sont, je suis en vie, j'écris, j'habite un endroit qui m'émerveille tous les jours. Je suis heureux que "Paco" fasse partie de mon parcours, des premiers retours que j'en ai. Je suis heureux des mots de ce contrebassiste de jazz, récemment rencontré: l'avis des musiciens, vous l'aurez compris, m'importe beaucoup dans ce projet. Les autres aussi, évidemment.
"Ce que j'ai envie de croire, c'est que cette fantasia s'imprime comme les véritables pensées de Paco dans ma tête. Musicalement, c'est très intéressant et pertinent pour un amateur de flamenco comme moi. Je crois que je cerne mieux le "Duende" maintenant.
Sans vouloir te faire plaisir, ton roman est superbe, merci pour ce bon moment de lecture."
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20/12/2015
Spoilers.
Comment me venger autrement du fait d’avoir tué un de mes héros d’enfance sinon en annonçant que celui-ci est en fait le père de celle qui pourrait être sa sœur, potentiellement, si elle n’était pas allé retrouver celui qui pourrait l’être aussi, son père, les scénaristes n’étant pas, déjà, à cours de répétition depuis 1977 ?
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