30/10/2015
Les Enfants de novembre.
C’est en approchant du car qu’on a senti que quelque chose s’était tramé. C’était dans l’air, une pesanteur qui contrastait avec nos mines réjouies de gamins en vadrouille dans Paris. Le genre d’événement dont on se souvient longtemps du moment qui en a précédé l’annonce, puisque, juste après, plus rien n’est ni ne sera plus pareil. Cette intuition, personne de nous trois, ne l’a formulée, sur le Champ de Mars, mais chacun, en soi, l’a retenue, le plus longtemps possible, a souhaité, sans doute, que le chemin se refasse, à l’envers, comme une scène de cinéma qu’on refait parce que la première n’est pas réussie. Tout un pan de ce pour quoi nous étions venus allait se retourner contre nous, pas parce qu’on en était responsable, mais parce qu’on s’en était, un temps, désolidarisé. Les incidences d’une action nous viennent parfois avant la conscience de l’action elle-même. Ce six décembre allait nous marquer à vif, pour ce qu’on en avait raté : il y aurait toujours, et jusqu’au bout, une réserve, un goût amer, sans qu’on l’ait connu, lui, sans qu’on pût, le cas échéant, faire quelque chose pour lui, sinon avoir été à sa place, au mauvais endroit, au mauvais moment. Sans qu’on ait compris, encore, que la fin de la manifestation, à laquelle nous nous étions soustraits, avait signé la fin de sa vie, les premières rumeurs, les images, puis les annonces. Nous en étions, et aurions dû triompher de simplement en avoir été, mais non. L’histoire ne se refait pas, et nos aînés qui s’étaient inventé une résistance, n’ont pas dû vivre mieux dans la connaissance, intime, de leur lâcheté. Nous n’avions commis aucun crime, à part celui d’avoir échappé aux voltigeurs. Mais il y avait tout cela, le drame et les trente ans qui suivraient, dans les cinquante derniers mètres qui nous séparaient du car du retour. Le même qui nous avait déposés, au petit matin, avec nos rêves, nos révoltes, notre certitude qu’on les ferait tomber tous, et non pas qu’un de nous y resterait. Sur le pavé de la rue Monsieur-le-Prince.
(NB: quand on termine un roman, il convient d'en commencer un autre, quitte à ce qu'il patiente, et que sa grande soeur l'étouffe un moment. Je redeviens un ogre, dans l'écriture: mauvaise nouvelle pour ceux qui ne m'aiment pas.)
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29/10/2015
Au lecteur.
Dans les « 36 choses à faire avant de mourir » *, je formulai le rêve d’habiter un jour à Sète et d’assister au concert d’adieux de Paco de Lucía à Algeciras : le destin m’aura servi à moitié. L’ouvrage qui suit est une façon de pallier le manque, il est l’œuvre d’un aficionado, un amateur - au sens étymologique - de la musique de Paco et, plus généralement, de la façon dont il s’est accommodé, tout en retrait, de l’image qu’il avait et qu’il a laissée. Ce n’est en aucun cas un ouvrage théorique, ou une exégèse du flamenco, ni même une biographie : bien sûr, l’histoire se construit sur la réalité de la vie de Paco, mais certains épisodes se fondent sur une licence poétique que permet la fantasía. Et tant mieux : Paco, comme tous les génies, n’appartient à personne : la meilleure des façons de toucher tout le monde.
* Editions Pré#Carré, 2015
Photo non contractuelle, détail d'une peinture de Clode Poty.
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28/10/2015
Des projets.
L’intégrale des coupures de presse parues à l’époque, des journaux qui n’existent plus, des tracts politiques, imprimés sur les dernières ronéos des locaux de syndicats étudiants : toute cette somme anarcho-poétique qui attend tranquillement qu’on s’en serve pour faire un livre…
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27/10/2015
Copla de la Cigarra.
Je porte une douleur dans mon cœur, comme un poignard, qui me fait savoir que ma plainte sera ma chance, à l'ombre d'un arbre, au rythme de ma guitare, je chante ce huapango, parce que la vie a une fin et que je ne veux pas mourir en rêvant comme meurt la cigale. La vie est un passe-temps.
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26/10/2015
Exégèse.
Je cours le risque que ma bibliographie, au final, ne reflète que les posters de ma chambre d’adolescent
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25/10/2015
IDR.
Des rêves récurrents, à base d’analyse d’œuvres littéraires, toujours plus poussées, toujours réalisées en public, jusqu’à en dépasser la perception de l’auteur, décontenancé : ça doit être cela, être entre deux missions, l’une qu’on a menée à bien, l’autre qu’il nous reste à faire.
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24/10/2015
Dans la tourmente de l'histoire.
Pour mes amis frontaliers, déjà au courant, sans doute, le 14 novembre, salle du faubourg, à Genève, à partir de 9h et jusqu’à la fin de la journée, « l’Usage des mots », manifestation-phare du jury Lettres Frontière, verra défiler les brillants auteurs dont la sélection est plus que remarquable, puisque composée d’une multiplicité de jurys de lecteurs. Quand on y est, on a le droit d’être content du travail établi. Donc, pour ceux qui peuvent y aller, « l’Affaire des vivants », de Christian Chavassieux, ce remarquable roman dont la vie n’est pas prête de s’arrêter, sera en débat avec « le Miel », de Slobodan Despot, sur le thème « Dans la tourmente de l’histoire ». Je serais vous, j’y irais. Je serais eux (les membres du jury), je sais à qui reviendrait le prix.
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23/10/2015
Relecture(s).
"Ces petits regrets qui arrivent comme ça, sans qu’on n’y puisse rien, pas parce que l’on meurt, mais parce que le temps qui s’est écoulé n’a pas aidé. Je l’ai aimée, Casilda, pas ta sœur, sa mère, dans un autre temps que le tien, je l’ai chérie, elle m’a accompagné partout, mais ça n’a pas été facile pour elle : sa rivale écrasait tout, la musiqueprenait la moindre seconde de mon temps, sur l’élan qu’Antonio avait initié. La seule figure féminine à qui j’aie accordé l’exclusivité. Elle s’immisçait entre nous, la ramenait à son statut de mère, débordée par ses trois gosses, supportant les compliments de celles qui l’enviaient et renvoyaient de moi une image si différente de celle qu’elle avait, quand je réapparaissais, préoccupé, irascible, prétentieux. Même les caractères les mieux forgés ne fréquentent pas les sommets sans ressentir l’ivresse : elle est insidieuse.Etre à mes côtés, c’était être derrière moi, dans mon ombre, mais pas seulement comme Lucía le fut avec Antonio : entre nous, il y avait la gloire et même si je n’en ai jamais fait usage, il y avait toujours quelqu’un ou quelque chose pourla lui rappeler."
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