16/11/2015
في نهاية المطاف انها موسيقى الروك أند رول فقط!
C’est idiot, et même ces imbéciles devraient le savoir : c’est toujours au moment du pire que le meilleur de l’humain ressort. Des déportés risquaient leur vie dans des camps pour tenir des réunions secrètes où ils se récitaient de la poésie. Vendredi, des gens ont ouvert leur porte et secouru des personnes. Des gestes simples, qui ont sauvé des vies. Ils sont trop nombreux à être tombés, et sont indissociables. L’émotion m’a dicté le texte d’hier, qui a beaucoup circulé et tant mieux. Aujourd’hui, dans un chaos empreint d’une très grande dignité, je relève juste un appel, dans le vide, de ceux qui ont besoin d’être relayés, jusqu’à l’impossible : celui de Matthieu Mauduit, dont le frère Cédric est mort au Bataclan. Dans sa douleur, en guise de catharsis, il essaye de réaliser le rêve de son frère, rencontrer David Bowie ou les Rolling Stones. Puisque des analphabètes lui ont promis l’enfer, autant que Cédric y soit en agréable compagnie: en musique, avec des femmes (consentantes, elles), du vin et de la bonne littérature. Ou un match de foot, pour ceux qui préfèrent.
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15/11/2015
Mathias & Marie.
Je ne sais pas ce qu’ils ont fait, où ils sont allés vendredi soir. Peut-être avait-elle envie, elle, d’aller boire un verre avec ses copines, lui de l’accompagner, mais après le match, seulement. Peut-être se sont-ils mêmes disputés à ce sujet, puis réconciliés, juste après, comme ils en avaient l’habitude. Comme à chaque fois qu’ils n’étaient pas d’accord sur le dérisoire, ce qui leur permettait de l’être sur l’essentiel : les études qu’ils terminaient, les premiers entretiens d’embauche, l’idée, un jour, d’aller habiter dans du un peu plus grand, de quitter Paris, qui sait ? Ils en profitaient quotidiennement, aimaient se promener en fin de journée, prendre un café sur les quais et se dire qu’ils étaient au cœur. De la ville, de la vie, du monde qui s’offrait à eux. Parfois, des passants s’arrêtaient pour leur dire qu’ils étaient beaux, et, surtout, amoureux. Que ça faisait du bien de voir ça. Chez eux, dans leur tanière aux quatre étages sans ascenseur, il y avait cette photo sur laquelle tout le monde s’arrêtait : celle des vacances dernières. On ne distingue pas vraiment l’arrière-plan, saturé de lumière, on ne sait pas où l’action se situe, mais l’essentiel n’est pas là : Mathias se livre au selfie, il a relevé la visière de sa caquette et Marie l’enlace, pour montrer à la Terre qu’elle l’aime et qu’ils se sont choisis. On est vite idiot quand on se prend en photo comme ça : on ne peut faire croire que l’amour transparaît. Là, il crève l’écran. C’est sans doute son intensité qui fait de l’arrière-plan ce qu’il est littéralement. Elle l’embrasse, lui dira juste après qu’il pique, que cette barbe de trois jours lui va bien, mais qu’elle le préfère sans. Sa mèche, dans un coup de vent, se projette sur lui, ils ont les yeux rieurs de ceux qui bouffent la vie. De beaux yeux clair, tous les deux. Un jour, par dépit, parce qu’il l’a aimée avant lui mais n’a jamais su lui dire, un ami de Marie a dit à Mathias que quand ils feront des enfants, il faudra lui en garder un. Il n’a rien répondu, s’est seulement juré que quand ils auraient des enfants, il s’assurerait que tous sachent à quel point ils se sont aimés, eux, tous les deux, à quel point ils s’aimaient encore et jamais, JAMAIS, ne seraient séparés.
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14/11/2015
Parisienne Walkways.
L’avantage de vivre au contact de la mer, c’est qu’on peut solliciter l’élément à n’importe quel moment, se rappeler à chaque seconde que tout est vain et qu’on n’est rien. Se mettre à l’eau et nager de toutes ses forces en se disant qu’on est encore en vie. Laisser couler des larmes sous la visière du casque en prétextant que c’est le vent. Etre loin des hommes et de la furie en regrettant que les miens ne soient pas là. Avec moi.
"La mer, c’est le miracle des faux calmes, comme moi, qui menacent d’exploser à tout moment, de libérer la pression des concerts et ce petit monde que j’ai créé et qui compte sur moi."
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13/11/2015
4.07.1987
Cette semaine (et ce week-end), dans un Bercy qui n'est même plus rouge et qui s'appelle désormais AccorHotels Arena (sic), un groupe qui a accompagné ma jeunesse se produit à guichets fermés, sans moi: j'avais une place, je l'ai revendue parce que je ne supporte pas ce qu'ils sont devenus. Il y a presque dix ans, pourtant, pour les vingt ans de "The Joshua Tree" et des concerts qui ont suivi, j'écrivais ça, sur un site consacré, en direct et en six épisodes (un par jour). Une façon de montrer qu'on ne se renie jamais.
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, on ne l'est pas plus à dix-neuf, alors. Il n'empêche: depuis deux ans, j'avais en tête cette obsession de voir enfin le groupe à côté duquel j'étais passé deux ans auparavant, quand un ami m'avait demandé si je voulais aller les voir à la Bulle Tony Garnier et à qui j'avais répondu, sachant que mes parents ne m'y laisseraient pas y aller, que ça ne m'intéressait pas... Deux années, seulement, mais une espèce de gouffre dans le temps: entre-temps, ce groupe que je m'étais approprié s'était fait planétaire, le succès du Joshua Tree avait dépassé l'entendement... Comble de l'ironie, des gens qui n'avaient pas attendu, eux, commençaient à se dire que ce n'était pas mal, qu'ils allaient peut-être aller au concert... Ce jour-là, au matin, nous sommes partis à cinq, dans la R20 bordeaux de mon père. Je voulais être, des passagers, celui pour qui le concert comptait le plus : après tout, c'était moi qui avais la collection la plus impressionnante de disques, c'était moi qui ne jurais que par Bono, c'était moi qui, en cours, dessinais le band dans leur plus simple expression. C'était moi qui agrémentais mes devoirs d'anglais de structures empruntées aux chansons et même de références, comme Luther King ou Thoreau, que je ne connaissais, il faut le dire, que par le dos de la pochette de "Pride".
Le voyage s'est déroulé dans une ambiance étrange: les "autres" parlaient, plaisantaient, écoutaient et chantaient des morceaux d'autres groupes, d'autres chanteurs. On en était encore, à l'époque, à se demander qui de Jim Kerr et de Bono était le plus souple dans ses déhanchements. Moi je m'étais muré dans ma préparation, prétextant la fatigue, je m'imaginais mille scenarii derrière mes lunettes de soleil: Bono venait vers moi, il me faisait monter sur scène, je chantais "Bad" avec lui... Je savais que ça n'arriverait pas mais même dans ces instants, il me fallait une exclusivité: après tout, déjà, je pouvais reconnaître le sifflement de "With or without you" dans une voiture postée à dix mètres de là où j'étais. Je collectionnais tous les articles sur le groupe et Dieu sait qu'il y en avait. Je m'étais abonné à "Best" pour avoir le "U2Talkie", un disque d'interview blanc, avec l'arbre en noir et or. J'avais trépigné devant l'article assassin de "Libé", "U2 Toutou", m'étais dit que c'était sans doute vrai mais que ce n'était pas valable pour moi...
Plus on approchait de Paris, plus la chaleur montait. Dans le cockpit non climatisé (pas d'anachronisme), j'avais aussi une petite pensée, qui s'avérera, pour Shane Mc Gowan, dont j'écoutais les disques depuis quelques années déjà: je savais qu'un irlandais sensible au soleil ne pourrait pas tenir la scène l'après-midi! Je n'aimais pas non plus quand mon frère et ses copains mettaient du U2: pour moi, ça banalisait ce qui allait arriver, pire, j'avais peur que ça ne nous, que ça ne leur porte pas chance. Je ne disais rien, néanmoins, je répétais mentalement, je me mouvais sur scène à sa place, j'alignais les solii de guitare à sa place, je suivais sa ligne de basse et...je ne pensais déjà pas au batteur, dont je jalousais peut-être la belle gueule, alors! J'avais déjà fait un grand concert, avec une foule immense: Johnny Clegg alors en plein succès, 45000 personnes à Eurexpo, près de Lyon. En voir le double ne m'impressionna pas plus que ça, d'autant que nous étions arrivés tôt, vers 15h. Le soleil battait son plein, je regardais les jeunes filles se presser en pensant que de toute manière, elles ne tiendraient pas jusqu'au soir... Nous avions convenu, en vieux renards, de nous positionner vers le milieu de la foule et d'attendre avant d'avancer. Cette foule compacte, je me sentais prêt à l'apprivoiser, à en épouser les moindres mouvements, à me laisser porter tout en fixant le point qui allait me dissocier des autres : la barrière de devant, là où déjà, des hommes de la sécurité faisaient passer des verres d'eau aux premiers rangs et, quelquefois, arrosaient la foule avec un jet. Il était 15h, à peu près, je savais qu'à 22h, environ, j'y serai, là-bas, et qu'à ce moment-là, mes deux années de frustration allaient s'évaporer d'un coup, d'une note, d'une ombre de Stetson... Pour cela, quand même, il allait falloir patienter...
II
Shane, effectivement, n'avait pas tenu. La chaleur était accablante, il regardait, hébété, la foule se mouvoir devant lui à perte de vue : l'hippodrome était en fait un hydre à 90000 têtes, encore somnolent, impatient d'avoir à rugir, plus tard. Les quelques morceaux qu'il a réussi à chanter étaient en décalé, les musiciens, déjà, étaient agacés, parfois l'un d'entre eux venait le remplacer au micro. Heureux de nous prendre un peu pour des Irlandais, nous chantions Dirty old town sans savoir que cette chanson-là a en fait été écrite sur Manchester... Les premières parties qui plaisent aident à ne pas trop ressentir le temps qui reste à écouler avant qu'ils arrivent : on fait donc comme si ça nous plaisait, c'est une question de survie. Les Pogues, alors, UB40 ensuite, dans leur reggae pop fatiguant pour les genoux, peu de souvenirs de ça au final puisque rien de ça n'était essentiel, mais pas un mauvais souvenir non plus. Parce que, sans que vraiment l'on sache comment ni pourquoi, le jour a un peu baissé, le soleil s'est fait moins écrasant, les ombres du Joshua Tree ont un peu moins scintillé sur les grandes bâches tendues sur l'immense scène. Il fallait bien que l'heure arrivât, à force, c'était d'une fatalité absolue. Elle arriva en fait avant même qu'ils entrent sur scène: imperceptiblement, par touches, l'excitation s'est faite palpable, les fausses alertes se sont succédées sans que le public juge bon de se rasseoir ou de renoncer. C'était dans l'air, ils seraient là avant d'arriver...
Je n'étais déjà plus avec mon frère et ses amis, le concert allait commencer pour moi, seulement. Je m'étais faufilé, ligne après ligne, jusqu'à quatre cinq mètres de cette barrière chérie: au rythme des évacuations, des places se libéraient, la loi naturelle allait agir, sans aucun doute...
A l'époque, rien ne transparaissait avant les concerts. Pas d'Internet, peu de cassettes audio avant les tournées, moins de grands voyageurs, aussi. Je ne savais donc pas qu'ils pourraient rentrer sur une chanson autre qu'une des leurs; je savais encore moins qu'ils pourraient entonner un Stand by me qui comptait déjà pour une de mes chansons favorites, par la version de John Lennon, par celle de Ben E King aussi, réactualisée à l'époque par un film éponyme dont j'ai oublié le réalisateur... C'est ainsi que nous fûmes plusieurs dizaines de milliers de personnes à rater l'entrée sur scène, tous plus surpris les uns que les autres... Il faut dire qu'en plein jour, encore, voir arriver quatre petits bonshommes sur une plateforme gigantesque, sans poursuite, alors même que la sono battait encore son plein, ce fut une réelle surprise. Comme ce morceau repris à sa moitié, à la note près. Pas d'introduction, pas d'attente supplémentaire, une frappe, une note et une voix: c'était parti, c'était U2. Les quatre derniers mètres, je les fis en volant : la vague s'était ruée vers l'avant, en m'agrippant, j'arrivai au deuxième rang, sans être gêné par personne, du haut de mon mètre quatre-vingt cinq. Devant moi, des jeunes filles, insuffisamment armées pour résister à ça. Et à l'enchaînement avec Come on' everybody, que je ne connaissais pas, mais qui mit le feu: les lances à incendie n'y feraient plus rien, c'était acquis.
Mes deux premiers morceaux de mon premier concert de U2 ne seront donc pas des morceaux de U2. Dans la foule, au sein de cette présence compacte et monstrueuse, je songeai même, un instant, à une espèce de performance géante, une surprise absolue. Plus de repères, plus de marques, il faut restituer ce qu'étaient les concerts de l'époque, plus spontanés, plus anarchiques, il faudrait retrouver les émotions de ce qu'on appela plus tard le rock héroïque, dont U2 et les Minds étaient les hérauts. Un rock de stade, mais pas les shows de stade qui verraient le jour au siècle d'après: la foule, il fallait aller la chercher et Bono, avec son catogan, son bandana, son gilet de cuir, Bono, que j'avais tant attendu, il la prenait au corps, se nourrissant des énergies tout entières tendues vers lui. Il devait réduire l'espace entre elle et lui, faire oublier qu'il la dominait de cette scène surplombée. Qu'est-ce qu'il disait, à l'époque? Well, it's such a big place! But U2 and you are bigger than this place. Et à l'époque, on y croyait : est-ce parce qu'on était jeunes, simplement, ou est-ce que parce qu'on croyait à davantage de choses à cette époque-là, je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que quand ils ont enchaîné avec I will follow, ça faisait déjà un moment que j'avais perdu la raison et que, de toute manière, je les aurais suivis jusqu'au bout du monde.
III
Pour être dedans, on était dedans. Edge s'était emparé de sa partie droite de la scène, quand il s'y aventurait, c'était comme s'il quittait le groupe tellement il était loin des autres: du coup, c'est musicalement qu'il s'assurait qu'ils étaient encore avec lui. Il envoyait les riffs et ses petits camarades, à chaque accord, lui faisaient comprendre qu'il pouvait aller plus loin encore, qu'eux aussi, en même temps que les quatre-vingt mille autres, allaient le suivre...
Ce serait malhonnête, par ailleurs, de décrire l'état mental dans lequel on suit un concert de ses idoles à dix-huit ans : par essence, le concert appelle l'abandon, le lâcher-prise. L'immensité du public, ici, ajoutait une dimension spirituelle. Oui, n'en déplaise à "Libé", ce serait une messe, mais une de celles qu'on n'est pas obligé de suivre, d'abord, et une messe dont le prêtre ne pouvait que convaincre, tant sa sincérité transpirait. De son sourire un peu béat d'abord, devant tant de fidèles réunis spontanément. De sa gaucherie quand il avançait sur le devant de la scène, les cheveux savamment déliés au moment le plus épique du concert, prenant l'air attendu du héros, un double qui déjà le dépassait et qui ne fera, par la suite, que l'abîmer davantage jusqu'à ce qu'il le reconnaisse pleinement et qu'il se décide à l'interpréter. Une grand messe, donc, parce que I will follow avait lancé les rituels attendus et ultra-connus de ceux qui, comme moi, les écoutaient jour après jour, en rembobinant la cassette vidéo pour écouter, en usant la touche rewind du magnétophone à cassette... Trip through your wires pour assumer un virage folk dans la musique et dans l'apparence; un gospel, I still haven't found what I'm looking for doublé d'un Exodus qui ravit, sur le moment, les petits malins qui connaissaient le snippet et le hurlaient d'un air entendu pour impressionner leurs voisins de fosse; MLK, pour obtenir un silence presque complet, une serviette blanche posée sur l'épaule droite comme un symbole... Et l'Unforgettable F i r e qui, toujours, suivait, les premières génuflexions de Bono monté sur une enceinte, au bord du gouffre : insoutenable, dans ces moments-là, d'être du côté opposé. Tellement insoutenable que la foule décide d'un soubresaut, pas vers l'avant comme à l'habitude, mais vers le côté; plus de repères, plus d'attraction, les pieds qui se décollent du sol parfois et une seule issue: ne pas résister et se laisser porter... Mais Bono avait une arme, à l'époque, qui pouvait, par dessus tout, faire d'une vague un ouragan. Revenu vers le centre, rejetant sa crinière et profitant du vent qui s'engouffrait dans la scène, il lança un "Sunday bloody Sunday!" toujours aussi chuinté qui, depuis le Live Aid, deux ans auparavant, avait pris une autre dimension. Et là, le combat changea encore d'âme! Dans mon hystérie, il faut bien que je l'expie, je vis un vigile s'approcher de moi comme pour m'extraire de la foule: je le regardai avec assurance, tout allait bien pour moi, il n'allait pas me priver de mon Graal, quand même! Je ne peux, vingt ans après, que m'excuser auprès de la jeune et assez petite fille qui était devant moi et qui n'a pas résisté à la poussée, que le vigile a extirpée de la masse et a amenée dans les travers de la scène: ce n'est pas ma faute...
Exit et son G.l.o.r.i.a, génialement apocalyptique. In God's country, Electric Co... Petite inquiétude qui grandissait quand même, je me souviens: le concert avançait, le temps passait. De le même façon qu'il s'était écoulé dans l'après-midi, il allait m'emmener vers la fin du concert, une petit mort que personne n'avait envie de connaître... Comme pour l'arrêter un peu, après le tumulte, Bono s'avança sur le devant de la scène, tirant sur le fil de son micro pour gagner en gestuelle, en postures diraient maintenant ceux qu'il agace. Et puis là, surprise, les premières paroles d'une chanson que nous avions tous apprise à l'école, ou avec nos grands frères et soeurs: when I was younger, so much younger than today... C'était donc ça, au final: U2 postulait au titre suprême, U2 serait
pour nous ce que les Beatles avaient été pour nos parents. Nous qui serions pour l'éternité la génération à avoir connu leur séparation et l'incroyable tristesse qui en avait découlé ("Il a neigé sur Yesterday"), nous avions là la chance de rattraper le temps perdu et à quatre-vingt dix mille, nous nous précipitions dessus: ce n'est pas un choeur qui a interprété ce "Help" là, c'est une catharsis de quatre-vingt dix mille âmes. Dont quelques milliers pour qui le frisson était double : parce que nous savions que si Bono nous demandait de l'aide, c'est parce que "Bad" allait arriver...
IV
Bad, depuis la sortie de The Unforgettable Fire, c'était un hymne que tous les fans de U2 savaient supérieur à Sunday ou New year's day, même s'ils ne se le disaient pas encore. ("Bad is good", je me souviendrai toute ma vie de cette marche dans les rues de Lyon avec mon copain Nico, de cette discussion qu'on a eue en anglais (!) sur le disque qu'on avait fiévreusement acheté la veille!), c'était un morceau de quinze minutes au Live Aid à cause duquel ils auraient pu se ridiculiser, aux yeux du monde: c'est l'inverse qui s'est produit. B a d à Vincennes, ce sont les premières notes qui en ont décidé l'intensité: ces notes de synthé, l'entrée de Edge, les imprécations de Bono, bras ouverts puis croisés. Let it go, surrender... Mais comment en eût-il été autrement? Les âmes sont rendues, l'ensorcellement est total, définitif, intemporel: vingt ans après, il faudra l'exorciser, sans doute, sans succès, certainement... Le pied du micro dans la main, dans l'axe d'un Larry qui martelle un rythme obsessionnel, Bono est au zénith, les U2 sont au sommet. Edge s'approche de son chanteur, recule de quatre pas, repart de son côté, Bono est replié sur lui-même, il va chercher en lui la suite de la chanson sans savoir ce qu'il va en faire : sing it, sing it, sing it, implore-t-il, puis il se ravise : un fade away, un thank you, puis c'est à ses musiciens qu'il laisse, cette fois-ci, le soin de conclure: pas de snippet, pas de Bad à rallonge, pas de critiques après, a-t-il dû penser. Déjà, Edge est au piano pour October, prologue obligé de New year's day : tout le monde sait ça depuis "Under a blood red sky". NYD, c'est the Adam Clayton's tune : après avoir arpenté la scène en tournant sa serviette blanche, Bono le fait acclamer et va l'embrasser sur le front, comme on remercie un ami d'être encore là...
Bad, New year's day, Pride (précédé d'un "Bonsoir Paris, je vous aime"), la trilogie des hymnes est complète, sans aucune surprise mais après tout, c'est ce que j'étais venu vérfiier, de mon vivant, du leur et, pourrai-je dire après, du nôtre: un concert, c'est un temps partagé avec les artistes, c'est aussi la possibilité de se persuader qu'on y était, après, même quand l'impression est forte que tout s'est déroulé dans un rêve...
Dans la foule, il y a moins de mouvement, chacun a pris sa position, personne ne cherche plus à aller plus loin : on s'ancre dans un mouvement, on soutient son camarade de fosse dans un intérêt commun, on passe les bras en haut, on tape dans ses mains davantage pour épouser le mouvement que parce qu'on en a envie. Moi, je n'étais pas de ceux qui criaient : je cherchais à croiser le regard de Edge, je voulais qu'il me repère l'espace d'une seconde, qu'il sache que je le remerciais. Quelques mois auparavant, le bassiste de Simple Minds était venu me serrer la main à la fin du concert, parce que je lui avais simplement témoigné de l'intérêt. Peu d'espoir ici, vu la hauteur de la scène, mais qu'importe... Ils ont quitté la scène après Pride, il ne me reste, pensais-je alors, que trois paires de morceaux à entendre d'eux en live; deux trilogies, peut-être. C'est avec Bullet qu'ils reviennent, menaçants : le morceau tient ses promesses en live, la rythmique est écrasante, Edge la joue pour nous, son parterre, Bono vient l'éclairer avec le projecteur, un instant nous sommes sous le feu du San Salvador....
Calculons : depuis longtemps, je l'ai dit, j'ai perdu la raison, rendu l'âme, il me reste à rendre les armes, volontiers. J'attends l'estocade, les ballades que j'écoutais en boucle le soir, mon walkman sur les oreilles. Je sais qu'elles arrivent : les voilà.
V
Running to stand still, en 87, n'avait pas encore l'aura qu'elle prendra en 89, quand Bono en expliquera davantage le contexte, quand elle servira aussi de prétexte pour annoncer qu'il allait leur falloir se réinventer ou disparaître. A Vincennes, elle vint contrecarrer la violence de Bullet, serrer nos coeurs aussi puisque le compte à rebours s'enclenchait, de fait: dans ma tête, il ne resterait plus, après ça, qu'un with or without, un 40, peut-être rien d'autre... Je profitai pleinement de sa montée, soulignée par le piano d'Edge, de l'harmonica de Bono, une fois la guitare renvoyée dans son dos. A ce moment-là, l'éclairage de la scène était fantomatique, le Tree se dessinait en ombres chinoises sur le fond de scène orangé, c'était un autre conte d'une nuit d'été que nous n'oublierons jamais, j'en avais la certitude. Je repense à cette époque, je ne sais même plus si un écran avait été dressé au milieu de la foule, en tout cas, il n'y en avait nul besoin sur scène: ce qui se passait ne nécessitait pas d'être vu, seulement d'être partagé. Et puis, WOWY ; ça commence, on le sait, par un sample de clochettes et la guitare traînante de Edge; ça s'appuie sur les quatre notes de basse répétées à l'infini... C'était le morceau de l'année, celui qu'on entendait tout le temps à la radio, même si, la plupart du temps, ces crétins coupaient avant le cri final. C'est un malentendu, aussi, qui a amené des fans vers le groupe pour de mauvaises raisons... C'était le clip d'Anton Corbjin que je guettais au Top 50 en espérant qu'ils le diffusent. Je me souviens même d'une confusion possible, sur les premières secondes, avec un clip d'A-ha, qui me mettait en rage... With or without you, c'est aussi la conscience qu'une chanson s'ancrera dans le temps et dans sa vie sans que rien ne puisse interférer. Il faut avoir eu dix-huit ans à cette époque-là, avoir ressenti dans sa chair la portée de ce chagrin mis en chanson... Je me disais à ce moment-là que Bono devait aussi se dire qu'il n'écrirait rien d'aussi abouti, en l'écoutant. Les filles hurlaient, elles devaient lui en vouloir de ne pas l'avoir écrit pour elles, leurs copains partageaient leurs émois et ravalaient leur jalousie, moi, je pensais à celle que j'aimais mais qui ne m'aimait pas et qui, de toute façon, préférait David Bowie... Bono la susurre, cette chanson, dans un premier temps, puis il recule pour monter la voix; Adam monte aux choeurs, c'est rare... Le public est exsangue, KO debout: c'est la fin qu'ils chantent, là, et quelle fin! Je ferme les yeux, je prie quasiment, je pousse avec la foule le cri primal, quand il arrive woooo, woooo! Bono fait taper la foule dans ses mains, la guitare d'Edge est branchée avec le céleste, la reprise instrumentale fait se soulever l'hippodrome. Yeah, We will shine like stars in the summer night reprend Bono, mais là encore, comment pût-il en être autrement? Je ne le regarde même plus, ni lui ni Edge, je fixe l'arbre de Josué et je m'abandonne une dernière fois, même si je ne suis plus dans l'ataraxie: la fatigue, la sensation que cela se termine, qu'il va falloir rentrer, tout ça me ramène un peu à la réalité, à sa damnation aussi. Pourtant, tout s'arrête! En plein morceau! D'un "hold it!" autoritaire, Bono fait s'interrompre les trois autres: Edge, surpris, doit couper le programmateur; Adam regarde Larry puis s'interrompt également. De mon côté, je ne saurai jamais ce qui s'est passé. Comme les autres qui hurlent parce que Bono s'avance sur le tout devant de la scène, je crois qu'il va dire quelque chose de spécial, nous annoncer qu'il a ressenti, lui aussi, cette ferveur particulière. Non, je ne saurai qu'après qu'il a morigéné des individus qui se disputaient (quoi? un espace, une fille, une exclusivité de la chanson?) à coups de gaz lacrymogène : nobody gets hurt at a U2 concert, leur dit-il avec brutalité... Je ne saurai qu'après, également, que Vincennes 87 sera pour l'éternité le jour où cette chanson a duré le plus longtemps. Parce qu'il y eut une reprise après l'interruption, parce que la reprise fut stupéfiante: deux accords pour se remettre, un snippet de Love will tear us apart, une petite hésitation et une grande improvisation: I was drowning down past Paris way, I walked through the streets, in the light of the day I knew that someone had arrived When I saw your eyes, when I see you, when I hope that it was good as it was good for me as it was good for me, puis le love will tear us apart, again... Chacun de nous, à ce moment, comprit que le quelque chose de spécial qu'on attend d'un concert venait de se passer. Thank you, good night, God bless y o u , puis, de nouveau, woooooooooooooo, d'une puissance jamais égalée.
Ils s'en vont, c'était prévu. Je ressens de nouveau l'eau qui m'arrive des jets sur le visage, je n'y faisais plus attention depuis un moment. Je sais qu'ils vont revenir, pour une ou deux chansons, mais je sais que là, ce seront les chansons de fin, au moins une, celle qui rythme leurs concerts depuis plusieurs années, maintenant. La foule crie "U2, U2", c'est un peu ridicule, je pense, mais c'est ainsi. Je peux me retourner, pour la première fois: c'est magique, une foule à perte de vue. Il n'y a plus de poussée, au contraire, certains doivent déjà se diriger vers la sortie, en prévision des embouteillages. L'étau se desserre mais je reste prisonnier: quand ils reviennent, dans la liesse, c'est autrement, déjà: Party Girl est un morceau festif, comme son nom l'indique, une femme arrive des coulisses pour sabler le champagne, Bono l'embrasse, ce doit être sa femme, il faut dire qu'à l'époque, personne n'avait entendu parler d'elle. I think I know what I want, finit-il, I think I want to come back to Paris soon... C'est convenu, c'est éculé, mais à ce moment-là, on se dit que quand il y reviendra, on y sera aussi.
VI
Le dernier morceau d'un concert de U2, c'est déjà l'après. Une fois qu'on les a scandés, ces "I will sing, sing a new song", on n'a plus qu'à rentrer, tête basse, à espérer, aussi, que ceux avec qui nous sommes venus respecteront le silence qui convient. Qu'ils ne voudront pas remettre du U2 dans la voiture, par exemple... "40" à Vincennes, c'est bien simple, je ne m'en souviens plus; comme je ne me souviens pas de l'endroit où on a dormi... Ce que je sais, c'est que le lendemain, j'étais sur l'esplanade des Invalides avec mon t- shirt Joshua Tree, qu'il me semblait que le monde était à moi. J'avais sur les amis de mon frère l'avantage d'avoir, déjà, un autre rendez-vous avec eux : j'allais être de la fête à Montpellier, quinze jours après... J'espérais que ce coup-ci, nous aurions droit à "Where the streets have no name", qui n'était pas encore incontournable, il faut croire, mais dont l'écoute m'avait absolument bouleversé... Mais il n'y avait pas encore de frustrations liées à une connaissance absolue des concerts précédents; il n'y avait pas de projections, d'échanges permanents sur la question... Moi, je ne connaissais en tout et pour tout qu'une adresse d'un fan à Montpellier qui proposait dans "Best" des K7 audios et, nouveauté, des vidéos: j'en commandais quelques-unes, j'y consacrais l'essentiel de mon argent de poche, et je jouais le mystère auprès de mes camarades de lycée ou de fac, feignant d'être le sixième membre de la sphère... Le sur-lendemain du concert, d'ailleurs, je rentrais dans un magasin de bootlegs à Lyon, lui demandant s'il n'avait pas une vidéo du concert de Vincennes! Je me souviens qu'il a ri, qu'il m'a demandé "'d'attendre un peu, quand même". S'il savait, cet homme, que j'ai dû attendre dix-neuf ans, surmonter oubli et quasi-désintérêt pour le groupe, pour l'avoir ce concert et replonger, pleinement...
Les premières minutes, après la longue marche vers la voiture, furent silencieuses, dans la R20 : chacun payait la dizaine d'heures passées debout, à attendre, à plier sans jamais rompre, à encaisser physiquement, psychologiquement. Du silence, mais des têtes emplies des dernières notes, des tout derniers instants, quand on les suit jusqu'à ce qu'ils aient franchi le rideau, jusqu'à ce que, de nouveau, ils soient pour nous hors de portée. A ce moment là, on ne se dit pas que c'est peut-être la dernière fois qu'on les voit, on n'y pense pas à ça... On ne sait pas que même en les revoyant, les choses ne seront plus jamais les mêmes, qu'on dira à ceux qui les verront pour la première fois que nous, on les a déjà vus... On ne sait pas qu'on se vantera d'une chose qu'on regrette, dans la logique absurde qui est souvent celle des hommes. On ne sait pas non plus que c'est la bande-son d'une vie qu'on leur a confiée... Ou peut-être le sait-on trop, ce qui l'expliquerait, ce silence.
Je tenais dans ma main le programme du Tour, que j'avais eu la patience d'acheter à la fin du concert. Il était impeccable, immaculé, il le resterait, il l'est resté. Sa pochette papier était magnifique, avec l'arbre en symbole : je me souviens l'avoir plastifiée, après, pour m'en servir en cours avant de la ranger avec le programme. On pouvait m'emmener n'importe où, maintenant, j'avais, moi, trouvé ce que je cherchais... Ce qui pouvait boucler un cycle de cinq ans, cinq ans depuis que je m'étais intéressé à ce groupe, deux ans donc après les avoir manqués vraiment... Je ne savais pas non plus que je ne retrouverais jamais, en les voyant, les sensations de cette première fois: il faut croire que les amours, de quelque genre soient-elles, ne sont jamais renouvelables. Mais à dix-neuf ans, d'autres astres, plus essentiels, allaient me solliciter : la littérature, la philosophie, les chanteurs à texte. D'autres rendez-vous, différents. Peut-être est-ce à cela que je pensais déjà, en rentrant, dans l'habitacle silencieux de la R20 bordeaux de mon père... Il n'empêche, comme pour des amis éloignés ou des membres de la famille qu'on ne voit pas souvent, j'ai plaisir à les retrouver, quand je le peux, ces irlandais-là. Même si parfois j'en arrive à souhaiter qu'ils en eussent fini plus tôt. Pour les garder pour moi?
L'éternel retour est nietzschéen: on peut nous demander, un jour, de raconter qui l'on était à la moitié de l'âge qu'on a. Je sais moi qu'on est ce qu'on est devenu, quand celui que j'étais à Vincennes pensait qu'il serait ce qu'il était déjà. C'est une bonne réflexion : en bande-son, un petit Unforgettable fire fera l'affaire. Histoire de ne regretter qu'à moitié d'avoir raté un jour A sort of homecoming.
16:49 Publié dans Blog | Lien permanent
12/11/2015
Historique.
La correspondance entre Mitterrand et Montesquieu nous avait déjà bien éclairés sur le sujet : Internet deviendrait le médium qui ferait dire n’importe quoi à n’importe qui.
18:24 Publié dans Blog | Lien permanent
11/11/2015
Le fichier.
C’est la cinquième version finale, c’est dire s’il faut encore y faire attention, parce qu’après ce sera trop tard. Pour le texte, ça l’est déjà : ce n’est pas maintenant qu’on va le changer, c’est l’heure, davantage, de l’assumer, de s’attendre à tout, également, au meilleur comme au pire. Les deux extrêmes liés à toute réalisation, soumise à la critique comme à la rage envieuse. Pour l’instant, ce sont les espaces entre les mots qu’on traque, les points oubliés dans les notes en bas de page, l’italique bien placé, son emphase pas trop importante… C’est aussi l’attention qui dérive vers la mise en exergue, ce codicille mystérieux collé au titre, les remerciements en fin d’ouvrage, la bibliographie qui dit toutes ces années passées à se mettre en danger. C’est, comme pour le poignet d’Alain Larrouquis, le vertige de voir son nom accolé à celui d’un monstre sacré, dirait Perec. C’est, enfin, un peu quand même, la satisfaction d’un devoir terminé, et l’ombre de celui qui attend son heure.
Parution début janvier.
17:18 Publié dans Blog | Lien permanent
09/11/2015
Mystic River.
Jusqu'à sa mort, il resta persuadé que Dieu avait inventé la mer pour lui épargner d'aller courir.
16:36 Publié dans Blog | Lien permanent
08/11/2015
UFOロボ グレンダイザー.
Ainsi, on daterait roboratif du XV°s alors même que les premiers Golgoths n'apparurent qu'en 1978?
10:33 Publié dans Blog | Lien permanent