12/04/2014
La Haine des parkings*.
S’il y a bien une chose qui me fait bondir, c’est d’être taxé d’intelligence avec le(s) système(s). Je ne fréquente pas de groupes, de réseaux ou d’académies, je travaille seul mes parties littéraires et quand je m’ébroue avec mes musiciens favoris, c’est pour mieux entendre le bêlement de leurs pairs qui disent que ce qu’ils feront sera beaucoup beaucoup mieux, et qu’on ne perd rien pour attendre. Souvent longtemps. Ça, c’est fait, mais j’avais l’intention, aujourd’hui, jour de la mort de Pierre Autin-Grenier et de la dernière ligne d’ « Aurélia Kreit », de parler d’Houdaer, à qui je dois une plongée toute relative dans l’univers des poètes lyonnais. Qui créent souvent des réseaux en réaction aux réseaux qui les fuient, mais c’est un autre sujet. Houader, j’en ai déjà parlé ici, et qu’on ne me taxe pas de copinage : si je m’intéresse à ce type, par ailleurs très sympathique, comme peut l’être quelqu’un qui annonce qu’il ne voudrait pas survivre à Leonard Cohen – fais gaffe, Houdaer, je disais la même chose de Paco de Lucia il y a peu…- c’est parce que sa poésie est bonne et qu’elle évite les deux pièges dans lesquels la poésie contemporaine tombe souvent, l’effet et le nombrilisme. Quand il parle de lui, c’est toujours en reflet, de son quartier nouvellement habité, des librairies anciennes remplacées par des kébabs, de la Poste centrale où il vient, méthodiquement, écrire ses poèmes, îlot de vacuité essentielle au milieu d’agitation absurde… Dans « No parking, no Business » (du Trujilo dans le texte), édité chez Gros Textes (qui devrait augmenter le prix de 2€ et investir dans du papier), il poursuit son anthologie du quotidien et, comme le Sisyphe cévenol en couverture, reprend ses diatribes bukowskiennes contre la somme de toutes nos lâchetés cumulées : j’avais adoré, dans les recueils précédents, le personnage de sa banquière, qui soulignait à merveille le contraste entre ceux qui croient en être et ceux qui ressentent le fait qu’ils ne sont rien. Dans NPNB, Houdaer cartonne les mères inconséquentes au bord d’une piscine (où l’on l’imagine à peu près autant à l’aise que Mathieu Amalric dans « Comment je me suis disputé »), les dentistes sadiques et vénales qui troquent la douleur contre une bonne Mutuelle, les déménagements où, sortant de la réalité, il se voit, au volant de sa camionnette trop grande, en Breton à qui Nadja guiderait le créneau. C’est drôle, c’est réel, c’est féroce quand il admoneste tel ou tel poète qui se reconnaîtra sans doute, ça parle de la mort, en filigrane et en paronomase (« nous ne nous sommes pas tués (…) nous nous sommes tus »), ça aligne les professeurs de Lettres, les journalistes fainéants et hystériques, ça met queue et enculer au travers d’un tableau histoire qu’on ne le prenne pas trop pour un gentil qui fait joli. J’aime sa poésie parce que ce qu’il écrit n’est pas là pour forcément soigner sa chute (l’effet) et parce que ce qu’il dit de lui est un révélateur des choses qu’on éprouve mais qu’on ne dit pas. De fait, c’est plus la fonction du poète et de la poésie qui importe dans ce qu’il dit, autant que ce qu’il dit : on retrouve dans NPNB ses modèles, ses obsessions (le POESIELAND), les chemins qu’il emprunte le matin, qu’on regardera de plus près une fois qu’on y passera, pour savoir d’où vient l’inspiration, et l’équilibre. « Moi aussi je vais mourir, connasse » répond-il – en pensée, en mots ? – à celle qui l’accuse d’avoir sorti son mari malade du roman pour l’emmener vers la poésie. Comme si les deux étaient incompatibles, hein ? Je retiens pour finir cette victoire qu’il ressent « à chaque fois que je parviens à supprimer une phrase ». C’est la victoire de l’écriture et, indubitablement, celle de la poésie. Tant qu’il en écrira, je le lirai.
*(Fred Vanneyre/Fred Vanneyre- NADA 2002) - rien à voir avec la qualité musicale évoquée précédemment: il eût mieux valu que l'harmoniciste s'étranglât ce jour-là, mais écoutez-moi ce p... de texte.
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11/04/2014
Radioscopies.
À sa demande, je n’écrirai donc rien. Rien qui le mette mal à l’aise dans son état d’acteur, comme le définissait l’homme qu’il est venu incarner, ce soir-là, sans qu’il veuille, donc, qu’on en parle. Ce que je respecte, au même titre que je respecte l’immense angoisse qu’il a dû ressentir au moment de jouer, puisqu’il le fallait, un des plus immenses interprètes du siècle dernier, doublé d’un comédien hors-pair qui, en son temps, impressionna, lui aussi, tout le monde. Tout en rejetant ce qui, pour lui, n’était pas un don, tout juste un acte pour, disait-il, se mettre en péril ou, du moins, ne pas renoncer. En face, celui qui l’interviewe n’est pas un corps, juste une voix familière échappée de l’année 80, dont le dialogue est issu. Avant que ça commence, le maître des lieux, qui lave son linge propre en public, a donné les informations de l’époque à entendre, entre otages du Liban et municipales partielles en Bretagne. Ça date de tellement loin, qu’on y fait un peu plus attention, mais on se prépare à ce qui va suivre, comme si le cerveau reconstituait cette voix un peu nasillarde, reconnaissable entre un milliard, qui anima, tous les jours, ce qui fit les grandes heures de la radio publique, celle qui annonçait, dans la journée, les heures pâles de la nuit, conduites par la reine des nuits de l’antenne, à laquelle, il fallait bien que je le dise, je me suis confié une fois, en nocturne. Mais on n’est pas à la confession, juste à l’analepse, deux hommes face à face, en mode radio, l’un derrière lequel je me suis placé, pour ne rien voir de son jeu que la sonorité : ça tombe bien, il n’imite pas, mais ramène la voix dans ce qu’elle a eu de plus juste, sans rien ajouter d’autre que ce que l’invité a déjà dit. L’exercice tend à la psychanalyse, l’invité le sait, qui traite du succès – au théâtre comme dans la chanson, à l’époque – comme d’un vrai problème, qui vit, dans l’interview, les mouvements d’épaule du maître de cérémonie comme l’assurance de ses interrogations à lui : qui parle de Jacques Brel, son contemporain, comme du seul comédien qui soit vraiment parti, qui admet qu’à 58 ans, au moment de l’interview, il ne souffre pas de vieillir, se sent de mieux en mieux en voyant quelque chose qui se passe, sur le visage qui est le sien, en se reposant, petite concession à la médiocrité, sur les dons qui sont les siens. En face, l’interviewer vedette est impressionnant, fait face, est là en même temps que l’invité, dans l’illusion du théâtre, et la réussite du jeu. Celui qui pose les questions, que n’importe qui reconnaitrait à la seconde, s’il l’entendait, dit des phrases comme « c’est ce que je crois ressentir mais je me trompe peut-être », élégant chleuasme vite balayé, c’est le but, par ce à quoi l’interrogatoire vise : à l’abandon, la distinction que celui qui berça nos vies, qui avait 58 ans quand nous en avions 12, évacue d’un joli « je vais déménager, je ne sais pas où, encore, mais je vais », ramenant à ce statut de fils d’étranger, d’immigrant, qui voudrait retrouver les plus grandes heures de son métier de comédien qu’en même temps il décide d’oublier, qui sait que ce ne sont pas les meilleurs, dans son domaine, qui font le plus d’argent et qui ne se voit pas faire un film demain parce que Alain Resnais existe. Tout le monde sait, à l’instant où la scène se joue, que Alain Resnais, hélas, n’existe plus, mais puisqu’on en est à espérer la libération des otages du Liban, on passe outre, et on suit l’homme, ressuscité, dire à l’autre que s’il n’est plus vraiment le père de ses enfants, du fait de l’âge, il reste un Français en Italie, un Italien en France. On parle du père, à demi-mots, de la famille qu’il voulait Fratelli et qui n’est que déracinement, le seul moyen d’être partout chez soi, dit-il. A ce moment, les deux figures se font face, et dans l’endroit inédit des Pentes de la Croix-Rousse, dans ce lieu jadis consacré à d’autres façons de laver, publiquement, le linge sale en famille, ce n’est plus ce comédien énorme, dans le talent et les proportions, qui prend la scène, mais cet être fragile qui perdit dix kilos sur un tournage auquel il donna tout, plus la réplique à Simone Signoret. Qui préconisait la nostalgie là où lui s’accorde la mélancolie, tout au plus. D’avoir croisé Prévert, Camus, Sartre, Picasso, Braque. D’un coup, là où l’on est, on prend un coup, de massue et de vieux. L’insatisfaction comme moteur, on ne sait plus si c’est celle du modèle ou du comédien qui l’incarne, tant ils la partagent, comme nous tous, dans le public, qu’il prend à partie : il dit que son plongeon dans la chanson, il le doit à Barbara – l’autre icône que comédien et exégète ont partagé, il y a vingt-cinq ans – qui l’a convaincu de rendre l’honneur que le public lui faisait. A ce moment-là du spectacle, mes yeux étaient fermés, et j’avais dix-huit ans, soit six années de plus qu’au moment du propos : prolepse plutôt qu’analepse, alors. Peu importe : le chanteur dit qu’il préfère s’arrêter avant d’être un chanteur de métier, avant de s’imiter soi-même, d’être malhonnête. Il faut s’arrêter quand on a le trac, dit-il et, se tournant vers le public, cabotine, entre deux volutes, sollicite les figures du music-hall que sont devenus des grands acteurs comme Fernandel ou Raimu. Parce que le music-hall est avant tout générosité, la valeur absolue. Dans son mano a mano avec l’interviewer vedette, il provoque : faites-nous une belle synthèse, dit-il, loupée, mais faites-nous une belle synthèse. Une traversée du désert, mais avec plein d’oliviers, des mandarines, des enfants et, surtout, des femmes, puisqu’il les a cherchées. L’artiste, en confiance, lance des noms qui résonnent autrement, trente-cinq ans après : Dabadie, Dimey, Claude Lemesle qui arrive, là, et même Edgar Faure, pas le Président péripatéticiennomane, mais l’auteur, qui composa au piano un soir, devant lui, une chanson qu’il souhaita en vain à bon nombre d’auteurs français. On parla de « l’absence », des gens qui font la gueule dans la rue sans que personne ne se plaigne de ce qui venait de se passer, une heure quarante-cinq durant : un retour à l’essentiel, à deux voix qu’on avait perdues, ou éludées. Ça n’est pas le Dave de l’after qui pourra me ramener, ni le nom des deux comédiens, Mortamais et Guillon, qui portent le moment, ni même le patron des lieux, enfin rencontré, qui me fera changer d’avis : puisque j’ai dit que je n’en parlerai pas. Non, ma fille, mon enfant, n’insiste pas. Bonne route, bonne route…
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10/04/2014
Brèves de métro (4).
Cette si belle femme, sur le quai, brune incendiaire, longs cheveux, yeux verts en amande, tellement préoccupée par ce qu'elle ne trouve pas dans le grand sac qu'elle fouille, qu'elle finit par le tenir à bout de bras (droit) en l'appuyant sur sa cuisse (droite), la jambe levée, genou à l'équerre. Et soudain s'aperçoit qu'on la regarde faire, à droite, à gauche: elle n'est plus un idéal féminin, mais un flamant rose.
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09/04/2014
Brèves de métro (3).
Le matin, très tôt,à heure fixe, les mêmes visages fatigués, et, une fois de plus, ce grand jeune homme mou, dégingandé, qui occupe à lui seul l'espace de l'Escalator, et dicte son rythme. Je le double, agacé, sans me rendre compte que je marche sur le sol tout juste nettoyé: dans le regard de l'homme de ménage, la même et terrible accusation de mépris que je lançais, il y a vingt-cinq ans, quand on marchait sur mes couloirs, fraîchement lavés, de l'hôpital de la Croix-Rousse.
14:29 Publié dans Blog | Lien permanent
08/04/2014
Brèves de métro (2).
Triste remake des premières scènes de "Metropolis", ce matin, avec ce wagon qui régurgite tellement de passagers que ceux qui attendent à quai sont incapables d'y entrer tous et doivent patienter, encore, pour rejoindre l'usine. A l'intérieur, à travers le Plexiglas, l'air élu, immédiat et fugace, de ceux qui y sont.
18:15 Publié dans Blog | Lien permanent
07/04/2014
Brèves de métro.
Lui tire autant qu'il peut sur la paille en plastique, mais le gobelet de soda qu'il a demandé à emporter dans une grande chaîne de fast-food est désespérément vide; il porte une casquette à l'envers, des baskets bleues, et la première impression qu'il donne, c'est qu'il est déjà trop vieux pour ça. Elle, même quand lui et la sonnerie la préviennent qu'on arrive à destination, ne lâche pas son portable, sur lequel je vois les bulles de toutes les couleurs qu'il faut aligner et qui passionnent mes contemporains, à l'heure actuelle. Elle ne fait guère plus jeune que lui, somme toute. Ils ont tous les deux des écouteurs, écoutent peut-être la même musique, mais pas ensemble. Je replonge dans mon livre, mais l'idée m'obsède quand même un peu, jusqu'au soir: que vont-ils faire de leur vie déjà si déterminée?
19:20 Publié dans Blog | Lien permanent
06/04/2014
Enfans (celui qui n'a pas la parole).
J'explique à mon fils, à l'instant, que si la morale n'est pas obligatoire, elle est nécessaire à toute conduite d'une vie humaine, qu'on jugera au chemin qu'elle aura tracé. Le droit chemin est connoté, religieusement, mais l'éthique permet de discerner la juste ligne qu'on s'est fixée, et qu'on tient, tant bien que mal, justement. Et là, la réponse tombe, lapidaire: "laisse tomber, c'est pour mardi!".
20:52 Publié dans Blog | Lien permanent
05/04/2014
Pérégrination.
Dans les villes que l'on a quittées depuis longtemps, on ressent plus les destins croisés de tous ceux qu'on y croisaient régulièrement que leur absence, quand on y retourne.
15:45 Publié dans Blog | Lien permanent