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10/05/2014

Ma Banquière.

Impossible de ne pas penser à Houdaer quand je vais voir ma banquière. Ses poèmes, dans Engeances, ont conditionné le regard de quiconque les aura lus. Mais j’ai cet avantage sur lui que ma banquière à moi est une des plus belles femmes du monde : c’est simple, c’est le sosie de Sade, la chanteuse, dans les années 80. Une beauté du diable, arabo-éthiopienne, je ne sais pas, mais grande, gracile, très apprêtée, de longs yeux en amande surlignés d’un maquillage soigné, elle s’avance vers moi, court vêtue, dans une robe de tennis des seventies immaculée. Je suis fasciné, comme à chaque fois que je la croise, devant la banque, quand elle fume une cigarette avec une grâce qui fait passer Rita Hayworth pour un cageot malhabile. Oui, mais voilà : avec ma banquière, on ne se comprend pas. On s’aime bien, depuis qu’on se croise, mais on vit dans deux mondes différents et je vois bien que le mien lui fait peur. Alors, je surjoue, je fais passer l’étourderie initiale (changer mon contrat d’assurances alors que je ne suis pas assurée chez eux) pour une maîtrise totale de mon inaptitude. Elle qui m’a déjà vu encaisser un chèque avec le plan d’une dissertation de philosophie au dos, elle tente de m’expliquer les subtilités de tel ou tel plan d’assurance, mais je ne l’écoute pas. Quand elle me demande d’estimer mes biens, je lui réponds que les deux exemplaires de Nizan, intellectuel communiste que ma sœur m’a trouvés pour cinq francs chez un bouquiniste sont mes biens les plus chers. Ou alors il faut que je fasse chiffrer ma collection personnelle d’œuvres d’art, de Frémiot, Pujol, Gervaise, Parchemin, Mourotte… Mais ça ne rentre pas dans les cases de son ordinateur. Et puis moi je regarde ses mains, immensément fines, pianoter sur le clavier, je me dis qu’on a la même activité pour un résultat différent, voilà tout. Elle s’excuse de devoir respecter des procédures, de me lire les documents que j’ai déjà signés, mais je lui pardonne tout : ces moments hors du temps passés avec ma banquière, ce tête-à-tête souvent recommencé, c’est un Ou Bien ou Bien kierkegaardien. Je suis sûr que le week-end, dans son jacuzzi, en pleine manucure, elle songe aux 15,34€ mensuels de mon 50m2, et tous les possibles qu’ils génèrent.

13:17 Publié dans Blog | Lien permanent

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