04/02/2024
la Beauté du Gynécée.
J’ai eu ponctuellement, dans mon parcours, l’occasion de vivre en plein la vie d’artiste, en tournée, comme pour Lettres-Frontière il y a longtemps, ou avec « Littérature & Musique », il y a dix ans. Et quelques mois. De L&M, il est resté des souvenirs, un disque et un lien indéfectible. Comme celui que j’ai gardé avec Clara, qui n’avait pas 18 ans, à l’époque, mais qui avait déjà le culot de celle qui savait ce qu’elle ferait de son violoncelle. Dix ans plus tard, après nous être retrouvés cet été, on a imaginé qu’elle pourrait être là pour la sortie d’Aurelia Kreit, les jardins d’Ellington, puis après des rencontres classiques enjolivées de ses morceaux, qu’on pourrait monter un vrai duo, puis un vrai spectacle, autour de trois figures féminines marquantes, Camille (Claudel), Clara (Ville ou Védèche ?) & Aurelia. On l’a rodé en Alsace, en décembre, puis donné hier et avant-hier, à Sète et à Montpellier. Vendredi dans la belle librairie Kailiash de Raj de Condappa et hier dans l’E.S Art FACTORY d’Etienne Schwarz. Deux rencontres suivies par le même nombre de personnes à chaque fois, une trentaine, et dans un silence impressionnant, celui du classique, celui qui va avec la musique. Deux ambiances et deux sonorités différentes, mais la même impression que quelque chose se joue, dans notre dualité, moi à la grande carcasse qui assène ses vérités en faisant mine qu’elles sont légères et Clara dans tout ce qu’elle a d’irradiant, littéralement. De fascination, lui disais-je encore hier soir, devant un cheese Naan. Clara et son instrument du XVIII°s., comme un gage de transmission. Le spectacle, on l’a rodé, écrit – pas assez – on a pu « entrer » à Sète, pas à Montpellier, on ne sait pas encore sortir mais ça viendra. C’est elle qui ouvre avec un prélude de Bach, puis je parle de Camille, resitue Valse Claudel dans mon parcours – ma première édition au Réalgar, qui ressortira en juillet avec une préface de Christian Chavassieux et la possibilité moderne de scanner en QR Code les deux versions de Camille, de Stéphane Pétrier et de Jean-Jacques Blondeau et de la valse idoine de Sandro Secci, dont Clara joue quelques mesures après que j’ai lu un extrait – une époque aussi, sans portable, devant le musée Rodin, rue de Varenne. Nouveauté, on intègre deux « chansons », réécrites pour violoncelle, et la première, c’est « Au-dessus des eaux & des plaines », texte mythique pour moi, et dont la mélodie créée pour « Littérature & Musique » reste longtemps en tête. Je parle d’Aurelia, conscient qu’il me faudrait trois jours pour le faire et que je n’ai que trois minutes, pour enchaîner. Aurelia, sa genèse, l’exil, la judéité, l’ukrainité, je ne pourrai jamais assez signifier l’importance que cette héroïne a eu dans ma vie d’homme, et il faudra, à l’avenir, que je la relie à l’âme slave et que je fasse le lien avec la pièce de Silvestrov, compositeur ukrainien, que Clara entame : huit minutes d’un In Memoriam à J.S.Bach, un moment exigeant, hors du temps, une rythmique assénée, clinique, entre deux envolées, un parcours d’une quasi-souffrance sur le visage de la musicienne pour atteindre le sublime. Et un final à son image, avec une lente remontée, décomposée, de l’archet, deux minutes d’après la musique pour rester dans la musique. On ne l’entend pas tourner la partition, très doucement, et revenir à du léger, ou presque. Du facile, pour elle, « le Square », dernier morceau que j’ai écrit avec Éric Hostettler : une berceuse, dira-t-elle, une fausse bluette à l’écrit, des thèmes empruntés à Valse, Claudel, encore – Je me souviens de toi accélérant le pas Sur ces tout derniers mètres te reliant à moi – et cette sentence, directement empruntée à Camille elle-même : Toujours ce quelque chose d’absent qui me tourmente. Que j’ai faite rimer avec Diabolo Menthe, je m’en excuse, et ça fait rire le public. Ça tombe bien, c’est le moment de lui faire croire – et ce n’est pas gagné – que j’ai aussi une veine comique, comme auteur : à Sète, nous refaisons ce qui nous a sauvés au Baratin, à St Etienne, un duo sur l’Orchestre symphonique, qui se moque un peu des chefs d’orchestre et des premiers violons ; à Montpellier, on le remplace de suite par la lecture d’une scène de Pôle Emploi, un des trois pièces de Trois-Huit, et ça fonctionne parfaitement, depuis dix ans que je le lis (seul pour les deux voix, ou à deux). Chez Étienne, ça permet une pose, également, occupée par la belle voix de mon invité, Michael Glück, qui fait la transition dans le choix de ses extraits, justifiés par mon univers, celui d’Aurelia, surtout : le voyage, obligé, l’identité. Le pays, se demande-t-il à répétition. C’est un très beau moment, un croisement de nos univers, ça ressemble parfaitement à l’endroit, aussi. On peut revenir doucement, sans être jamais partis, et reprendre avec Clara Ville, avec le jeu des Portraits, un autre pan de mon travail d’écriture. Je fais le parallèle entre Aurelia – 440 pages pour dix ans d’existence – et ma Girafe lymphatique – 80 pour 36- raconte son histoire et la damnation de son père, contraint, pour que son passé ne le rattrape pas, à s’enfermer dans le Clair de lune de Debussy, que Clara entonne dès que je cite Verlaine : votre âme est un paysage choisi. C’est un temps suspendu pendant lequel la mise en abyme fonctionne : les écrits parlent de la musique en train de se jouer - Qu’est-ce qui se joue, dans le troisième mouvement de la suite bergamasque, sinon un Ré b majeur propre à la nuit et aux eaux dormantes ? Je ne regrette pas d’avoir convaincu Clara de le jouer pour violoncelle solo, sans piano, c’est ahurissant de beauté, quand elle termine et personne, pas même moi, n’en sortira indemne. Ça nous permet de clore notre récit-récital sur notre fait d’armes, un Camille, dont je ne sais toujours pas d’où il m’est sorti, il y a longtemps, adapté sur la 1ère suite de Bach, avec toutes les tonalités possibles et les repères qu’on s’est fixés, jusqu’à la fin, organique, quasi brutale, Je sais qu’ils te demandent, quand approche le soir De raconter un peu comment tu engendras Une union divine qui fait que le matin Une ombre va griffer le buste de Rodin, et la dernière mesure de la partition. On pourrait finir par ça, il faudra qu’on le fasse, d’ailleurs, mais j’ai voulu que le public finisse avec Clara, ou l’inverse, je ne sais pas. À l’E.S Art Factory, j’ai redemandé à Michael Glück de lire un dernier texte, il a l’intelligence d’en faire un très court, sur les billets de train qui coûtaient moins cher quand on les payait directement au contrôleur, à l’époque. Véridique, nous dit-il. Et Clara termine sur le pépiement du Chant des oiseaux, de Pablo Casals, la sonnerie de téléphone de Marie-Ange et le morceau-culte de Pedro, venu avec Christine, parmi les – rares – visages amis venus composer l’assemblée. C’est toujours un étalon-mesure, quand d’autres viennent vous voir jouer. On vérifiera ça le 26 avril, puisque le projet a séduit la médiathèque de Florensac. Avant de venir poser nos basques à Lyon – a minima – et à Saint-Étienne, autrement. On a le temps : Camille & Aurelia savent attendre, elles l’ont montré. Mes deux Clara, elles, se mettront au diapason. Avec délice.
photo: Patrick Grin©
09:01 Publié dans Blog | Lien permanent
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