28/10/2012
Dans ta face!
Tourmente, Vertige,
Le mouvement de tes hanches
prend le tour qu'on redoute,
et dans la lumière des nues qui se dévoilent,
tes bras,
enroulent, enserrent,
et prennent le pouls d'une âme qui se délie:
Goémon de l'esprit
Quand suivras-tu dans la nuit
cette femme,
qui tourne
et tourne
et tourne
et rejoue sans un bruit
la valse
de nos amours
perdues
Les reliefs de ton corps sont sans retour aussi et ma conscience s'y perd comme s'est perdue mon âme; dans le cercle que tu formes, dans l'hypnose de tes bras, je me perds tout entier et sollicite ma perte. Descends, ce soir, nous dirons au monde que la ronde est ouverte, qu'elle ne cessera pas et qu'il faut la nourrir, que la seule vie possible l'est par cette valse indue. Que nos temps impartis le sont par ta musique, dont chacun de tes pas écrit la partition. On peut voir l'être aimé s'en aller vers la nue et n'être soi-même qu'un infime pan de ciel, capable d'attirer mais pas de retenir; alors, la danse reprend de plus belle, avec pour compagne la part de vertige qui lui est inhérente; alors, l'embole de ta nef suit le cours de la vague, qui me couvre et m'emporte. Et je rentre dans la nuit, la nuit des amours tristes, parce que revisitées, revenues; j'ancre dans ma mémoire les dessins que tu traces, et cette mécanique, que met en branle ton corps: je reprendrai bientôt le flambeau de la valse, quand mon amour pour toi ne sera plus qu'ellipses, quand l'entier de mon être fera de l'infini un recommencement. Là, seulement, je saurai que ces courbes que tu crées ne nous auront pas enfouis, mais unis. Que tu danses pour un mariage. Nos Noces. Celles d'une vie parallèle et d'une vie secrète: être une présence secrète, plutôt que de ne pas être, la question se pose-t-elle vraiment? La réponse, elle, est inscrite dans le temps, et si tu quittes la place, ta pâleur opaline laisse cette marque au sol comme un chiffre tracé, une anamorphose: ∝ ; il décide, et valide, de l'authenticité d'une rencontre. Il préside aux choses du temps. J'y suis, là, dans tous tes décalages et tes conspirations. Nous y sommes. Toi & Moi. Longtemps.
Laurent Cachard & Jean Frémiot extrait du portfolio "Ma nue à l'infini", Editions Pictura, 1999.
Photo de Jean Frémiot.
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27/10/2012
Et ça distrait ma vie.
Peut-être s’est-il dit que c’était mieux comme ça. Que la gloire l’aurait changé, qu’il aurait éprouvé, comme les autres, l’inquiétude de ne pas rester au sommet, d’être oublié, rabaissé, pire, pris pour quelqu’un qu’il n’était pas. Un des amis qu’il côtoyait à l’époque lui a un jour raconté qu’un journaliste lui avait demandé, pour la télévision, de s’habiller en chasseur, ce qu’il n’était pas. Il a obtempéré, par timidité, et s’est attiré les foudres d’une partie de son public comme ça, sur un malentendu. Son public à lui, ce soir, était clairsemé : loin de chez lui, dans une petite ville de province, un temps de Toussaint… Il les connaissait bien, pourtant, ceux qui venaient encore le voir : ils avaient, comme lui, vécu avec ses chansons pendant combien ? Trente, quarante ans ? Lui ne comptait plus depuis longtemps : quand on lui offrait la chance de vivre des moments comme ça, dans la douceur d’un théâtre à l’italienne, il fonçait. Ses dernières années avaient oscillé entre les croisières pour personnes âgées - avec bande-son pré-enregistrée - et les repas-spectacles pour des gens du même âge. Qui goûtaient la nostalgie quand lui ne s’y complaisait pas. Il avait soixante-dix ans, et alors ? Ceux qui venaient l’écouter trouvaient chez lui la même innocence candide qu’à ses débuts, quand Lucien Morisse lui avait lancé qu’il en ferait le nouveau Charles Trénet. Il est des prédictions qui deviennent des anathèmes, parfois, mais on lui avait glissé, un jour, qu’on s’ennuyait parfois ferme aux concerts de Charles Trénet, jamais aux siens. Parce qu’il donnait. Et parce qu’il donnait, on les avait enfermés, lui et son public, dans une catégorie bêtifiante, comme d’autres, souvent aux yeux bleus et à la voix douce. Son travail avec les enfants ? Une comédie musicale? Bah, la résurgence d’un passé mal digéré, pas d’intérêt, certainement (ce qu’on dit quand on n’a pas fait l’effort d’écouter). Sa renommée, toujours vivace, au Moyen-Orient, les belles chansons qu’il a écrites sur le Liban, l’ouverture d’esprit et des frontières vers le Maghreb de sa naissance, son goût quasi-oulipien (« en règle générale ») pour le bon mot, là où il faut ? Plus porteur, Coco, pas assez MEDIATIQUE… Alors, trente ans après les feux de la gloire, il se retrouve là, face à un parterre clairsemé venu comme au spectacle. Sans être par avance convaincu, sans plus avoir la force des standing-ovations qui réglaient les concerts de Barbara ou Reggiani, ses aînés dans la présence scénique, le rapport aux autres. Moustaki, aussi, dans l’indolence poétique, avec une voix mâtinée d’intonations d’un Sud qu’il chante en permanence. En parlant de son enfance, de son père (quelle superbe chanson que « le Mistral », qu'il faudrait réorchestrer en acoustique), de ses terres. Il chante avec la pudeur des gens heureux qui refusent la complainte. Il chante les choses les plus simples, les ânes (!), la nature, l’amour et l’amitié. Il est sur les routes depuis trente ans avec des musiciens de moins en moins nombreux mais de plus en plus fidèles : un piano, une guitare, un accordéon, dans un théâtre, que demander de plus ? Surtout quand l’accordéoniste est passé du côté de Lemarque et Trénet, justement, que le pianiste passe du Rolland au Steingraeber avec le sourire de celui qui fait tourner le tout… Il chante plus de deux heures pour un public dont le nombre ne compte plus. Et pendant ce temps, chez le spectateur, s‘opère un drôle de bouleversement : comme si toute forme de scepticisme, de raillerie, de méfiance sur ce que vont penser les autres, disparaissait. Dans un monde de méfiance, le don de soi est toujours suspect, comme le bonheur. On lutte encore un peu, on se dit que non, quand même, pas après plus de trois cents concerts, pas avec toute l’intelligence cumulée… Et pourquoi pas finir poète à Barbizon, pendant qu’on y est ? Quand il évoque Danel, Léonard et Georges Chelon, c’est à Lleprest, bizarrement, que je pense : qui sait, à part les initiés, que Hervé Villard a chanté « le Café littéraire » et pas seulement « Nous » ? Il faudrait parler moins, lire et écouter plus, la leçon est connue. Hier, un chanteur est venu s’excuser d’être heureux et a présenté plus d’une vingtaine de morceaux qui, reliés les uns aux autres, composent une existence, en pointillés. C’est le type de concert auquel il faut, tant qu’il est encore temps, emmener sa maman. Pour faire le lien, avant que ces chansons-là ne soient complètement perdues. C’est mon innocence et une partie de mon enfance, ravivée, qu’hier, en fait, Bernard Sauva(t).
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26/10/2012
Ecran noir.
On a l’impression, parfois, que l’existence n’est qu’un festival de petites coïncidences, heureuses ou malvenues. Dans le tourbillon de la vie, on se connaît, on se reconnaît, on se perd de vue, l’air, pour le coup, est (archi)connu. Et dans ces micro-symphonies, on rêve tous de conclure sur un dernier et flamboyant coup de cymbales, quitte à être catalogué comme l’homme qui en savait trop. Après le truffaldien l’homme qui aimait les femmes, la boucle serait bouclée, l’ultime petite bulle pourrait éclater. Et paf !
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25/10/2012
Helléniste et les garçons.
Je commence à me dire que le galeriste qui refusa jadis les toiles de mon ami parce qu’elles ne contenaient - selon lui - pas assez de bleu était soit de l’avant-garde schtroumpf soit l'oracle de ma propre nécessité.
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24/10/2012
Faire court.
Un mot, ce matin, sur ce qu’étaient, en somme, les quatre vérités d’une vie, ou les quatre vérités de la vérité elle-même, puisqu’on perd de sa singularité en se multipliant, c’est bien connu. La vérité, d’abord, comme l’énoncé tenu pour telle, coopté : le sens commun, en somme. Et puis, l’escalade, la révélation : l’expérience de la pensée, d’abord, la vérité qui s’éprouve, qui s’apprend (par l’échec, souvent, paradoxe à part), l’acte éthique, ensuite, la vie tendue vers sa recherche, son cheminement : un mode de vie. Et enfin, le télos absolu, l’essence même de la vie, l’aletheia grecque. La révélation, l’envolée : la découverte de la vérité, par parallélisme, se fait la vérité de la découverte, dit-on. Le malvoyant et malentendant ne s’attendait pas à ce que l’agence de voyages lui vende au prix d’un cours de Philosophie dans l’île d’Ulysse une simple boîte d’éthique et Ithaque.
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23/10/2012
Ancrages.
Ma mécanique des places m’a mené aujourd’hui, à l’heure du déjeuner, vers cette adresse dont j’ai mesuré toute la symbolique et l’ancrage dans le temps : c’était en 1982 que l’histoire ici, s’est terminée. A l’époque, la Croix-Rousse des Pentes, on voulait davantage la fuir qu’y habiter, mais la personne qui a vécu là a passé l’essentiel de sa vie à aider tous ceux qui y passaient et qui manquaient de quelque chose. Je pense souvent à elle parce qu’elle a 100 ans de plus que les plus jeunes de mes nièces. Qui n’auront connu d’elle, par procuration, que la rudesse et l’exigence, de celles qui vous font aller plus loin. En 1982, pour reprendre un exercice fait hier en d’autres lieux, je n’avais pas conscience qu’un jour du siècle d’après, un téléphone devenu portable et appareil photo me permettrait d’arrêter le temps une seconde, avant qu’un jour l’immeuble soit ravalé, ou détruit.
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22/10/2012
Par le vide.
Ce qu’il y a de terrifiant dans le rangement par le vide, ce sont les mots d’amour que l’on retrouve. Pas ceux qui ont duré longtemps ou ceux qui tiendront leurs promesses, ceux qui disaient trop, tout de suite, envers lesquels on éprouvait, sur le moment, une imperceptible impression de gêne qu’il eût fallu que nous écoutassions. De cheval.
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21/10/2012
I'm not a man.
Il y avait moins d’enjeu, forcément, dans la rencontre, hier, avec Eric Cantona, que dans celle avec Alain Larrouquis. Dont les caractères, je l’ai suffisamment souligné, sont proches, dans l’anticonformisme et le refus de l’autorité. Cantona, je l’ai vu hier en même temps que 2500 autres, ça casse un peu l’intimité, mais ça ajoute, d’un autre côté, à la satisfaction collective 1) d’avoir vécu une belle époque avec des débordements qu’on n’est pas près de revoir dans le domaine sportif 2) d’avoir en commun avec 2499 inconnus - plus ceux qui n’ont pas pu rentrer -des répliques qui pourraient (devraient ?) être enseignées dans toutes les écoles d’art dramatique voire de philosophie. En plus, quand ce moment se fait sous l’égide de Ken Loach, dont le cinéma raccommode avec l’idée qu’on se fait de l’humanité, c’est un pur moment de bonheur (encore !) que j’ai vécu hier. Avec un public qui applaudit chacune des maximes historiques de ‘LooKING for ERIC » , un de mes KL préférés, avec « Land & Freedom ». Ken Loach, qu'on a récompensé hier du Prix Lumière, a dit qu’il avait reçu un soir un coup de téléphone d’Eric Cantona et qu’il n’y a pas cru, de prime abord : « Eric, c’est le King. Or le King ne passe pas de coups de téléphone », a-t-il plaisanté. Mais l’histoire s’est faite parce que les deux hommes avaient la même aspiration : Cantona voulait d’un film qui essaie de retranscrire non pas la trace qu’il a laissée dans le football, mais la relation exclusive qu’il a eue avec les spectateurs, à qui il donnait tout, quitte à devoir, chaque soir, se réinventer et prendre les risques que les autres ne prenaient pas. Ken Loach avait l’habitude, déjà, de prendre comme héros de cinéma des personnages de la réalité, souvent sordide mais toujours portée par des élans, de fraternité, de solidarité, ces vieilles antiennes d’un monde ouvrier qu’on a cru trop vite oublié. Les deux se sont trouvés et Ken Loach – et Paul Laverty, le scénariste génial – a imaginé deux Eric se croisant, un qui aurait tout raté, un à qui tout aurait réussi. Aborder celui qui a tout gagné par le prisme de l’échec, voilà qui me rappelle quelque chose et qui me gonfle d’orgueil quand mon travail se rapproche de celui de ce cinéaste si humain et si proche des gens qu’il a eu toutes les peines du monde à surmonter l’aspect grand-guignol d’une cérémonie comme celle d’hier. Le résultat, si vous ne le connaissez pas, il faut vous ruer dessus ou plutôt, comme je l’ai fait, attendre (trois ans dans mon cas) qu’il repasse dans une salle de cinéma. Quel les émotions soient partagées, que le happy-ending vous prenne aux tripes et vous redonne la foi. Seuls ceux d’hier auront eu le privilège d’applaudir pendant le film aux aphorismes cantonesques, en présence – sans doute émue – de celui-ci. Rodin, désormais, dans sa stature. Mais petit enfant devant celui qui lui a permis de faire passer ce qu’il avait envie de dire sans pouvoir le faire. La plus belle des scènes de « Lokking for Eric », c’est quand Eric le postier – qui se souvient de tous les faits et gestes de son héros » - lui demande quel a été son plus beau geste, pensant que c’était forcément un but. Et que Eric le King lui répond que son plus beau souvenir, c’est une passe, pour le geste accompli et sa beauté, pour le don de soi que ça représente. Un monde oublié, disais-je. Quand le postier lui dit que c’est dur pour un homme de choisir ce qu’il a fait de mieux, le Roi répond : « I’m not a man. I’m Cantona ». Avant de sourire malicieusement et de rire de lui-même. Ken Loach est important à la santé mentale. J’en ai fait une cure cette semaine, je vais mieux.
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