08/06/2015
Chroniques d'un départ (8).
Et puis arrivent, trop tôt pour que je m'y attende, les premières surprises, les retours de quelques anciens, les premiers mots qu'on prononce en public qui valident l'idée que, cette fois, l'issue est proche. Les premiers cadeaux, aussi, des attentions qui émeuvent, et d'autres, qui stupéfient, carrément: ainsi, cette oeuvre de mon ami Pedro, qui s'était juré de faire entrer un Marc Lévy dans ma bibliothèque. Celui-ci, je le garde, volontiers.
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07/06/2015
La mythologie du cheveu.
Il fallait bien que ce fût Fergessen pour que je comble, en une journée sans fin, les 364,2km qui séparent Sète de Jassans-Riotter, jolie bourgade à l’Ouest de Lyon qui accueille, dans son petit théâtre associatif, des spectacles vivants sans toutefois trop se soucier des préoccupations basiques d’un public de rock, qui aime boire un coup avant le concert… Pas un rade, pas une mobylette, c’est jusqu’au centre de Villefranche que nous avons été obligés de revenir, après que Stéphane Thabouret s’est fait plaisir en passant trois fois devant l’église de Jassans, ou en manquant nous amener, par erreur, au gala de danse classique du coin. C’est l’ « entrée des gymnastes » qui nous a mis le doute, bien que le Centre Culturel de Gléteins soit attenant au terrain de football local, en plein tournoi ce soir-là, confirmant la prédiction selon laquelle Fergessen deviendrait un groupe de stade. Escapade caladoise aidant, nous sommes arrivés les derniers dans la salle, trois minutes avant que le duo entre en scène. Le reste est une question technique (les matériaux du toit, l’exposition à la canicule, toute la journée ?) ou hyperbolique (Fergessen live in le réacteur central de Tchernobyl), mais aucun mot ne suffirait à décrire l’incroyable chaleur régnant à l’intérieur de ce petit théâtre bondé, transformé en hammam. Le moindre spectateur s’est réduit en torrent de sueur, hier, un truc à tordre sa chemise pour combler la sécheresse de 76 (j’ai parlé d’hyperbole). Que dire, du coup, de la performance de ces deux-là, dont l’effet, par l’action des projecteurs, était multiplié par dix… Dès les premières minutes, étouffantes, le corps de Michaëla, ses bras (l’armé, et l’autre), sa coiffure, son maquillage, tout était défait. Littéralement. Des conditions inhumaines, vraiment, à la limite d’une annulation, ou d’un report dans la cour de la ferme. Mais le duo avait amené ses techniciens favoris, Thomas à la lumière et Fabien au son, et quand on fait de sa vie la continuité de sa passion, on en accepte les stations, fussent-elles celles d’un chemin de croix. Nous qui parlions, dans la voiture en venant, de l’animalité du groupe, exceptionnelle, de sa capacité à puiser l’énergie et la transmettre, nous mêmes qui les connaissions déjà, nous avons été servis : de ma place, vite abandonnée, j’ai cru, presque, percevoir ce qu’ils se disaient sans mots, qu’il fallait y aller, surmonter le manque d’air, les gouttes qui ruissellent sur le manche, obstruent le regard et les repères. A ce titre, David est un psychopathe de la scène : courbé sur son micro, la chevelure brillante à force de rinçage, il déraisonne, relance les morceaux, va chercher Michaëla, qui s’étonne, regimbe, puis se souvient que c’est pour ça qu’ils vivent, et y retourne, au charbon. La seule économie concédée, hier, fut dans les transitions – ce qui renforça, encore, l’efficacité du show – et, peut-être, dans un ou deux morceaux de moins qu’à l’habitude, ce que personne ne leur a reproché. J’avais déjà vu le duo dans toutes les configurations possibles, pas encore dans celle d’hier. Je disais que quand j’aurai tout dit sur eux, je m’arrêterai de le faire, mais le spectacle hier, dantesque, ponctué, en fin de rangement, par un orage apocalyptique, aura profondément marqué jusqu’à la vieille garde. Quelque chose de surhumain, oui, entre transe et transcendance. Les privilégiés du Sud-Ouest, dans quelque jours, verront le duo partager la scène avec Guillo, lequel, malin, a pris un temps d’avance sur les conditions scéniques difficiles en se rasant les cheveux. Ce que Fergessen ne fera jamais : "Le rasoir ne passera point sur sa tête, parce que cet enfant sera consacré à Dieu dès le ventre de sa mère; et ce sera lui qui commencera à délivrer Israël de la main des Philistins." Pardon, je m’égare : les conséquences de la chaleur d’hier. Non un truc entre Samson et Dalila, quelque chose de la mythologie du cheveu. En guise de Dalila, c’est Rose Laurens qui a clos la soirée d’hier, mais ça c’est en off. Et c’est parce que Jean-Luc Lahaye n’était pas encore arrivé : il a dû avoir un empêchement.
photo: Anne Arnau
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06/06/2015
Chroniques d'un départ (7).
Puis arrive le moment où la ville devient la ville d’avant, où la perspective, le bras du Rhône renvoient à des étapes toujours vives mais comme détachées, de votre histoire et de votre incarnation.
17:06 Publié dans Blog | Lien permanent
05/06/2015
Chroniques d'un départ (6).
Et puis à force, avant même que ce soit le début, il y a la première nuit ailleurs, envisagée à même le sol par défaut, et pour se souvenu dans vingt ans qu'on en était encore capable. La première baignade dans ces lieux à qui on jurait, à chaque fois, qu'on reviendrait et, qui sait, pour de bon. La première douche, froide, par ce que je ne sais pas comment fonctionne le cumulus, encore. Les angoisses bancaires et notariales, les irrépressibles envies de meurtre afférentes, tout cela se lève, peu à peu. Demain, déjà, je repars, pour de justes raisons. Parce que je n'en ai pas terminé dans ma ville. Il faut partir comme on vit, ou comme on essaie de vivre: avec justesse.
20:14 Publié dans Blog | Lien permanent
04/06/2015
Chroniques d'un départ (5).
Et puis, une fois les vieilles disquettes des premiers manuscrits enfin jetées à la poubelle, il y a ces carnets, signes d’une vie d’il y a longtemps, marques de tendresse quotidiennes et attentionnées. Il y a le regret, vif, dont on ne sait pas d’où il s’extrait, de l’idée d’une jeunesse qu’on a perdue, ou d’un amour qui a muté, en autre chose : on est souvent plus à l’aise avec l’idée qu’on se fait du passé qu’avec le passé lui-même.
18:35 Publié dans Blog | Lien permanent
03/06/2015
Chroniques d'un départ (4).
Et ces archives, précieusement gardées depuis plus de vingt-cinq ans, qu'on finit par jeter parce que personne n'en veut et qu'on n'en peut plus de les emporter avec soi, au cas où? Exeunt les vieux Best, Mitterrand II, le 11 sept. 2001... Il n'y a qu'un énorme classeur auquel je ne touche pas, pas encore. Mais je le ferai en bien: dedans, la totalité des journaux, tracts, affiches, analyses du mouvement étudiant de 1986. Quand j'en aurai fini avec mon roman russe, c'est à cela que je m'attellerai. Histoire de montrer que le Sida Mental n'a pas eu de conséquences sur le angry young man que je suis (un peu) resté.
18:59 Publié dans Blog | Lien permanent
02/06/2015
Chroniques d'un départ (3).
On ne commence rien au moment de s'en aller, c'est une évidence notoire. N'empêche, tous ces terrains qu'on n'a pas explorés, qu'on aurait pu, toutes ces voltes-faces qui pèsent, reviennent, fanfaronnent… Les paysages qu'on ne connaîtra pas, les corps qu'on ne serrera plus, les vies kirkegaardiennes, Méduses contemporaines, qui viennent jusque sous ma fenêtre me rappeler que je n'avais qu'à pas les regarder dans les yeux il y a si longtemps. Je n'aurai pas pu tout faire, dans ma vie, épitaphe anticipée. Mais il me reste le reste pour faire encore beaucoup.
14:28 Publié dans Blog | Lien permanent
01/06/2015
Chroniques d'un départ (2).
Dans ma cérémonie des adieux, je commence par le paysage.
20:19 Publié dans Blog | Lien permanent