29/06/2015
Todo sobre su madre.
Il est entré sur scène d’un pas lent, un sourire immense sur son visage devant cet Odéon complet, aux couleurs bigarrées (un bouquet de fleurs, selon lui), dans sa traditionnelle tenue noire, des pieds à la tête, la chevelure toujours ébouriffée, comme le caractère. Il s’est installé dans le carré rouge (le rouge pour naître à Barcelone, le noir pour mourir à Paris, normal !) au centre de la scène, devant le parterre de ses premiers admirateurs, assis devant lui comme de vieux écoliers revenus voir leur vieil instit. Parce que si l’animal a toujours la verve, il a passé les quatre-vingts ans et il fallait s’y attendre : on n’a pas fréquenté Dali, Neruda, enregistré un album avec Brassens sans casser quelques dizaines d’œufs de temps. C’est aussi pour ça qu’on vient le voir, Paco Ibañez : parce qu’il est la marque encore vivante d’un temps qu’on n’a pas connu, mais dont on a su, par ceux qui l’ont vécu, qu’il maria le pire et le meilleur de l’homme. Deux entités souvent concomitantes, même si, en ce moment, on cherche un peu de respiration en attendant que le meilleur se (re)montre, un peu. Alors on va vers l’anachronisme, volontiers, on converge vers ce si beau théâtre, tellement mieux que son aîné, à côté. On sourit des têtes chenues, des vieux combattants venus reprendre une dose de révolte, on écoute les mots de lutte, de José Agustín Goytisolo, dont la mère est morte sous les bombardements franquistes alors qu’il n’avait que dix ans. La mère, la madre, de Paco, elle, était basque, et lui, son frère et sa sœur, ont trouvé refuge au pays quand son père subissait les camps de concentration français, dans les Pyrénées Orientales : de quoi consacrer toute sa vie aux mots de combats, ceux des autres qu’il a choisi de faire siens. Chanter l’amérité des choses. Paco, partout dans le monde, chante Brassens, Neruda, Alberti, Goytisolo, Guillen et d’autres, le pied sur une chaise, le micro ouvert et la guitare en bandoulière. Si la voix fatigue un peu, s’il doit lutter contre un souffle un peu court, la magie opère : il y a peu d’artistes qui peuvent tenir un auditoire seul (ou presque), avec des mots de langues étrangères (les quatre qu’il a maniées hier soir), le récompensant d’un « Parapluie » repris à tue-tête, ailleurs qu’au théâtre de la mer de Sète. Invitant un guitariste flamenco pour chanter Garcia-Lorca, un saxophoniste, un accordéoniste et un percussionniste pour d’autres chansons, puis tous pour un final qui nous aura privés des deux chansons les plus connues, que j’attendais : un « A Galopar » de combat, qui s’imposait, un « Andaluces de Jaen » qu’il a dû trouver inapproprié, ici. Un peu par la faute de l’organisation, devenue militaire, des Nuits de Fourvière, un peu pour les raisons que j’énonçais à mon fils, qui les attendait aussi : parce que, depuis toujours, Paco fait ce qu’il veut, comme tous les libertaires, et il a bien raison. L’important était ailleurs, justement parce que mon fils était là, et qu’il l’aura vu pour la deuxième fois, en treize ans : la première, il ne s’en souvient pas, mais il s’en rappellera quand il en lira la recension que j’en fait dans « le poignet d’Alain Larrouquis ». C’était à Sète, au théâtre au fonds de scène le plus beau du monde. Juste avant Moustaki. Un autre temps, je vous disais. Néanmoins, si Paco a ponctué son discours, hier, de références à sa maman, qui disait fièrement aux gens qui se précipitaient à l’Olympia, en 69*, qu’ils ne seraient pas là si elle ne l’avait pas été, ce sont les plus jeunes qui ont chanté le plus fort « Me Lo Decía Mi Abuelito », la chanson la plus subversive qu’il ait connue, que des parents – dont moi – ont eu l’irresponsabilité de chanter à leurs enfants. Venus hier, du coup, voir une dernière fois l’aieul à la chemise noire. Celle des anarchistes. Hier, Paco a déclaré la guerre aux Yankees, une guerre culturelle sans pitié. Vous êtes d’accord ? Alors ne lui dites jamais Okay, vous en prendriez une. Et je suis sûr que le Papy a encore une sacrée droite. C’est bien tout ce qu’il a gardé de ce côté.
*devant un public d’Espagnols réfugiés en France, en attendant que le Caudillo crève.
14:40 Publié dans Blog | Lien permanent
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