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30/12/2015

En voeux-tu.

Je termine l’année là où je n’aurais jamais osé rêver la commencer. Quelque chose de l’ordre du signe, qui m’incite à prendre les encouragements ci et là, m’efforcer à en faire quelque chose.

16:30 Publié dans Blog | Lien permanent

29/12/2015

Pour Sacha.

Sacha leur fut d’un secours inouï, palliant les effondrements par une solidité sans faille, un sens de l’organisation qui convainquit Anton que ce jeune homme était au fait des évolutions du monde, des combats qu’il aurait à mener. Il commença par dire que deux des commandants des navires reliant Odessa à Constantinople étaient corrompus et qu’en échange de pots-de-vin, ils laissaient des bandes ou des marins dépouiller des Juifs en pleine nuit, les laisser pour morts ou les passer par-dessus bord. On savait ça depuis les Bilou, les premiers Juifs venus de Russie rejoindre le Yichow. Le jeune homme allait surpasser tout ce que les autres avaient pu faire pour rester les Juifs éclairés qu’ils pensaient être, comme Moshe. Sacha leur parla comme à des frères : la mort de Nikolaï avait scellé un pacte, il ne leur cacherait plus rien. Il cita l’autoémancipation de Pinsker, l’idée d’une identité nationale qui dépasserait les interdits qu’on leur réservait ici. Une désaliénation, s’emballa Sacha : on créa même, en 90, une Société d’assistance aux agriculteurs et artisans juifs en Syrie et en Palestine, à Odessa, qui fit croire qu’on touchait au but, jusqu’à l’année d’après... Sacha s’était interrompu et au même titre que Anton avait saisi qu’il n’était pas seulement un neveu venu prêter main forte, il sut que Sacha était lui aussi passé par là où ils venaient juste d’arriver. Il posa quand même la question qui lui brûlait les lèvres :
- Mais pourquoi n’es-tu pas parti à ce moment-là, Sacha ? Qu’as-tu à espérer, ici ?

- Parce qu’ils ont eu mon père avant qu’il prenne la décision qu’il devait prendre. Ils l’ont tué, comme ils ont tué le tien, Vladislav. Mais devant moi, en plus de ça. Et devant ma mère.
Vladislav était bouche bée, dans un drôle de mélange de rage contenue et de honte rétroactive : plus à cause de son comportement de la veille, mais de sa réaction juste avant. Anton le sauva, qui continuait :

- Mais enfin, justement, pourquoi n’êtes-vous pas partis juste là, alors ? Ce n’était pas suffisant ?
- Ma mère est malade, elle ne tiendrait pas le voyage. Et puis...
Sacha garda un silence gêné, baissant la tête pour ne pas croiser, à cet instant, le regard de Moshe. Mais tout le monde saisit : partir, c’était montrer que les ainés avaient échoué et les condamner à mort, en les laissant ici. Sacha était resté et avait organisé la résistance. Sans doute s’était-il fait craindre autant que Medvedenko, sans doute était-ce pour ça que sa mère et son oncle étaient encore vivants. Reprenant, c’est à Vladislav qu’il s’adressa :

- C’est pour ça que tu dois partir, emmener ta mère, qui est jeune, là où elle doit aller.
- Alors viens avec nous ! Vladislav avait retrouvé une forme d’enthousiasme qui parut déplacé, mais que chacun prit pour soi : avoir Sacha dans le groupe faciliterait les choses, de par sa force comme par sa connaissance de ce qui entourait le chaos général, que les malheureux de Ekaterinoslav prenaient de plein fouet.
- Je ne peux pas, pour les mêmes raisons, déclina-t-il. Mais nous sommes nombreux, et je te donnerai un nom, à Paris, Vladislav. Ça prendra du temps, ça ne se fera peut-être jamais, mais si tu veux, une fois que tu auras mis les tiens à l’abri, sauver la Russie de cette vermine, eh bien, si je suis toujours vivant moi-même, nous nous retrouverons et nous combattrons côte-à-côte.

17:50 Publié dans Blog | Lien permanent

28/12/2015

Pas de mots.

Tout est .

15:42 Publié dans Blog | Lien permanent

27/12/2015

Le vieil homme.

Il a peiné à sortir de la voiture, perclus d’arthrose. L’image est venue de suite : au début des années 90, c’est avec lui que j’ai ramené une autre nonagénaire à sa résidence, une fois le repas de fête passé. Elle était rentrée enchantée, s’était couchée de la même humeur et ne s’est jamais réveillée. On a tous rêvé, depuis, de ce type de fin, on en a beaucoup parlé, comme pour évacuer, un peu plus à chaque fois, la crainte d’une fin qui s’annoncera à nous aussi, un jour. Dans moins de la moitié du temps donné, si tant est qu’on considère un temps vécu, un temps qui reste. Il est venu quand même, après avoir longuement hésité, puis s’est dit, puis nous a dit que ce serait la dernière fois, qu’il était venu nous voir une dernière fois. Ça n’est pas à prendre au sens propre, ni pour une menace, mais s’il s’avérait qu’un autre Noël se présente, il ne fera plus l’effort, restera au chaud en l’attendant encore, sa dernière compagne. Avec toute sa tête, et c’est déjà ça, dit-on communément. Ça n’est pas moi qui l’ai ramené, mais les trois qui avaient l’âge que j’avais, à quelque chose près, au début des années 90. Qu’est-ce qu’il a fait, une fois dans sa chambre, avec quoi, avec qui s’est-il mis au clair ? On passe tous par les mêmes stades, dans une vie, mais il en est qu’il ne faut pas rater, sous peine de ne pas pouvoir se dire, une fois que tout est terminé, qu’on a vécu.

18:12 Publié dans Blog | Lien permanent

26/12/2015

Las!

Par conviction, et refus des achats manufacturés, il tricota deux écharpes de laine pour ses parents, mais devant l'admiration de la famille toute entière, dut se résoudre à délocaliser la production à Taïwan pour tenir les commandes de Noël prochain.

18:24 Publié dans Blog | Lien permanent

25/12/2015

Conte de Noël.

L’habitacle de la voiture est devenu le cabinet du juge d’instruction : il fallait démêler l’écheveau des accusations gratuites, des suspicions et des grâces un peu trop vite accordées. Après tout, le réveillon de la veille avait coupé court suite au rappel d’un blasphème, le crucifix dans la cuisine promptement enlevé, par défi, par conviction ? Chacun s’était mutuellement accusé de la chose, on avait sollicité telle ou telle fête, soirée, ivresse, à chaque fois démentie ardemment. Puis le lendemain, en rentrant du repas de famille, les souvenirs se sont peu à peu dévidés : on s’est remémoré telle soirée cocktail, excluant ceux qui ne les aimaient pas, la présence de telle personne, aujourd’hui perdue de vue, a été confirmée par le témoin principal, pris entre deux eaux, celle de la justice et celle du pacte d’honneur, celui de ne jamais balancer. Dans la voiture, on a vu des faux témoignages se construire, pour défendre le suspect numéro un, par solidarité mythomane. Petit à petit, mais à plusieurs, le souvenir nous est apparu, précisément. Deux des accusés, profilés en première instance, ont été disculpés, sans qu’on évoquât un quelconque préjudice moral. Pas encore. Mais la vérité a jailli, sans doute guidée par l’esprit de Noël.

21:54 Publié dans Blog | Lien permanent

24/12/2015

Malgré moi.

Chaque liste jamais établie porte toujours la marque des absences.

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23/12/2015

Cantilène.

Ses pas l’avaient menée sur les quais de Seine, au Pont Neuf où, étudiante, elle avait sympathisé avec un bouquiniste qui lui avait trouvé des trésors. Cela faisait un siècle qu’elle n’avait pas fouiné dans les bacs. Cédric attendrait un peu : cela lui permettrait de faire plus ample connaissance avec son fils de huit ans. 

- Je peux vous aider, ma p’tite dame ?

A peine célibataire, déjà importunée. Mais le brave homme ne lui ferait pas de mal, voulait juste passer le temps.

- Je cherche un roman d’amour qui ne serait pas niais. Vous avez ?

Ça avait toujours été une de ses roues de secours, à Esther, l’ironie. Mais l’homme en avait vu d’autres, et n’allait pas laisser partir une cliente comme celle-ci.

- Alors, j’ai ce qu’il vous faut. A la condition que vous ne vous laissiez pas abuser par le titre. Fermez-les yeux. Fermez-les, je vous dis !

Ça ne pouvait pas être une mauvaise solution, se laisser aller, pour un temps : les nuages s’amoncelleraient après. Esther ferma les yeux. Le bouquiniste lui mit un livre dans les mains, dont elle sentit le papier usé, râpeux, avec l’humidité qui disait les années perdues  dans un grenier, un coffre ou la chambre du fond. L’homme lui serra les mains sur l’ouvrage. Une familiarité qu’elle n’aurait jamais acceptée, hier encore. La voix douce continua, sûre d’elle-même et de son effet.

- Imaginez une histoire du début du siècle, pas de celui-ci, celui d’avant. Une histoire d’amour à trois, contre tout usage. Un ménage harmonieux, une amitié jamais démentie, même par la guerre, une histoire sublime, écrite avec une grande simplicité, une absence d’effets. Pas d’afféteries, juste la plus belle histoire d’amour jamais écrite. Et par un homme de soixante-quatorze ans, s’il vous plaît !

Esther savait de quel livre il lui parlait, elle en avait peut-être trois ou quatre exemplaires dans sa bibliothèque, dont un original de 1953. Que son bouquiniste favori lui avait déniché, déjà, il y a longtemps. Mais elle ne dirait rien à celui-ci, et achèterait le livre comme au premier jour, comme Truffaut l’avait fait avant elle, dans les mêmes bacs, attiré, avant tout le monde, par l’allitération du titre. En payant le bouquin – cher, pour l’édition – Esther remercia vivement l’homme qui ne comprit pas qu’elle le remerciait pour autre chose que ce qu’il avait l’habitude de faire. En l’abordant, au hasard, il venait l’ancrer, de nouveau, dans une double réalité : celle d’une femme qui avait besoin d’une histoire qui ne ternisse jamais, celle d’une autre qui déciderait, comme la Katherine du roman, de son sort, quoi qu’il arrive.

15:30 Publié dans Blog | Lien permanent