07/01/2016
Sidération.
Deux chiffres se répondent, aujourd’hui, dans mon fil d’actualité : 40000 personnes meurent de faim dans une ville assiégée et pour le double du nombre converti en euros, une chaîne anciennement culturelle me propose un téléviseur. Oui, un téléviseur. A 80000€. Ça a fait ma journée. En bon disciple de Boris Vian, j’en ai acheté deux et les ai retournés de l’autre côté.
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06/01/2016
Chronique d'un lecteur imbécile.
J’ai mis longtemps à aborder « les Nefs de Pangée », le deuxième roman édité chez Mnémos de Christian Chavassieux, qui en plus d’être un ami, est un auteur absolument remarquable, dont « l’Affaire des Vivants », je le répète, est un des tout meilleurs romans de ces dernières décennies, rien que ça. Peut-être était-ce pour cette raison, d’ailleurs, que j’appréhendais de me plonger dans le massif volume d’héroïc fantasy, un genre de science-fiction dont – litote – je ne suis ni amateur, ni spécialiste. J’avais trouvé dans « Mausolées », son précédent livre de genre, un intérêt à lire ses passages sur les bibliothèques et sur la transmission. On se raccroche à ce qu’on peut, mon cerveau reptilien glissant sur les créatures, les monstres, les tribus et les nov-langues. Mais une fois les scènes d’exposition passées, les Nefs m’ont fait forte impression, là encore, dans les passages maritimes. La dixième chasse, programmée après l’échec de la neuvième (symphonie ?) est une allégorie à elle seule d’un monde qui met toutes ses forces dans ce qu’il doit engager pour sa survie : tous les peuples, de cultures différentes, de cet immense et seul continent, payent un tribut à l’ensemble, contribuent donc à la quête ultime et melvillienne de la chasse à l’Odalim, le maître de l’Unique, les eaux dont il est la légende et le gardien. Chaque chasse garantit un âge de survie, proche d’un quart de siècle humain, et la gloire de ceux qui l’ont menée à bien, dont le récit sera magnifié par un conteur. On construit et on arme des navires, une flotte jamais vue encore, trois cents nefs, et déjà, dès le début du roman, le style Chavassieux opère : la description est pointilleuse, dans l’Arsenal, Logal, personnage central, s’enthousiaste devant l’opulence de cordes, de bois et de soie, cette chorale de vergues et de poulies. Comme dans « Mausolées », le lecteur réticent à la SF se trouve plongé dans une énonciation ultra-réaliste, qui le rassérène : on peut continuer. L’idée géniale du pouvoir de Basal, la capitale, est de réunir les peuples, qui se font la guerre, pour la tourner vers un adversaire unique, l’Odalim : « Nous en sommes réduits à la guerre parce qu'il n'y a tout simplement pas d'interprète entre nos civilisations. » Les Grecs l’ont fait avec les Jeux Olympiques, mais les peuples de Pangée vont plus loin encore, car la croyance veut qu’une victoire sur le Maître, régénéré à chaque chasse, garantit la survie de leur monde et sa domination sur l’ennemi ancestral – et bouc émissaire de tous les maux - qu’ils pensent avoir exterminé, les Flottants. C’est une victoire de Chavassieux sur le lecteur imbécile (moi) : même quand il n’y comprend rien à toutes ces histoires, il peut se raccrocher à une crypto-anthropologie - voire un anthropomorphisme, comme dans l’analyse à la Littel* que Hamassi fait des Flottants - du récit À une lecture politique, aussi : pendant que l’Odyssée se prépare, un conflit fratricide se génère et Logal, le Bâclé, verra son frère, le Préféré, Plaisil, devenir Remet, équivalent dystopique du Führer, terreur, costumes et défilés compris. Le récit s’articule autour de l’exil forcé de Logal, de la chasse commandée par Bhaca, suivie par Hamassi, qui devra la raconter, au retour. Car seul compte le retour, vois-tu ! On assiste à des scènes dantesques et très précises d’orages, de mutineries, de stratégies navales, de contre-attaques du Maître. Le lecteur – quand il ne s’arrête pas à la moitié du livre** - voit passer l’Odalim de la légende à la réalité, comprend qu’il est habile, jusqu’à feindre la mort, pugnace et même pluriel, sans tout raconter. Le même lecteur, comme les protagonistes, finit par douter du bien-fondé de la chasse, dans le même temps où, sur terre, le vieux monde s’écroule pour laisser place à un ordre nouveau, guère plus reluisant : les (bons) livres disent toujours plus que ce qu’ils racontent. Chavassieux, entre deux clins d’œil, l’un à Salammbô, avec les lions crucifiés sur les terres des Thanafer, peuple sans pitié, l’autre aux Dix Commandements avec les eaux qui s’ouvrent devant leur Maître, balayant toute résistance – hommes, Nefs, Terres même - comme un fétu de paille. C’est toute la question des cultes qui est posée par cette guerre qui n’a ni fin ni finalité, au bout du compte : chacun des peuples est guidé par sa croyance et sa culture, on trouve des pacifistes qui s’affaiblissent, privés en mer du sucre des fruits dont ils se nourrissent, des neutres et des bellicistes. Des condescendants, aussi. L’Armada, prétendue invincible, devra s’armer contre le poison de sa corruption autant qu’empoisonner les flèches et les harpons qu’elle réserve au Monstre. La belle cérémonie de prononciation du nom des victimes ne supporterait pas l’échec de la dixième, ils le savent, et la responsabilité de celle – beau personnage que cette Hamassi, grâce à qui on comprend mieux les nombreuses ellipses du récit – qui devra raconter la chasse est grande. Trop ? Les tempêtes soudent les équipages, l’attente et l’angoisse les défont, on peut prendre, je le répète, le roman dans un sens classique, réaliste : naval. Non dépourvu d’ironie : on trouve des oracles qui ont de mauvais pressentiments, des pantomimes ratées, des élus de Dieu qui perdent contrôle et donc des conteurs qui, quoi qu’il arrive, sauront faire de ce combat minable un récit épique dont tous se souviendraient. La parabole des oiseaux messagers qui suivent le Maître des eaux et lui désignent sa proie à venir - celle qu’il éloignera dans les eaux glacées pour qu’elle perde tout espoir de retour et s’abandonne à l’idée qu’elle puisse être mortelle et lui plus qu’un ennemi – est digne d’interprétation, également : Quand nous serons orphelins de notre propre légende, quel sens aura notre existence? interroge l’un des personnages, démontrant que l’homme se construit sur des légendes davantage que sur des actes. Il y a tout un monde à reconstruire après « les Nefs de Pangée » et Chavassieux, s’il questionne ses frères humains sur la propension qu’ils ont à sublimer leur condition, laisse le lecteur dans le doute, le juste, sur des visions qui prennent vie et sur un épilogue mi-dépité mi-romantique.
Si je devais mettre un bémol à mon heureuse réception du livre, ce serait sur la dernière partie, celle des Humains, que j’ai sans doute mal comprise. Mais l’auteur m’avait donné un conseil, le même qu’il a donné à sa Maman : lire le roman sans se soucier trop des ramifications, complexes. Ce que j’ai fait. Et j’ai tout gagné, au passage : j’ai lu des scènes à couper le souffle, de celles qu’il faudrait faire étudier à ceux qui se destinent à prendre la mer, je me serais même retiré sur Memphée si je n’avais pas déjà trouvé mon île singulière et le bleu qui va autour. Et j’ai itéré d’une unité l’œuvre décidément à suivre d’un auteur essentiel.
* dans "les Bienveillantes", le rapport anthropomorphique hallucinant qui décide du sort d'une peuplade du Caucase.
** clin d'oeil à l'article récent d'une blogueuse qui n'a pas aimé un livre dont elle dit avoir arrêté la lecture tout en le chroniquant.
Les Nefs de Pangée, Editions Mnémos
http://www.mnemos.com/catalogue/les-nefs-de-pangee-aout-2015/
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05/01/2016
Mon petit camarade.
Je me souviens être tombé sur Nizan à l’âge de dix-sept ans, alors que je cherchais chez Sartre de quoi nourrir mon anxiété. Je trouvai en Nizan mon petit camarade dans l’intemporalité, qui s’immisçait dans ma vie avec sa gracieuse insolence, le regard baissé sur ses ongles(1). Je l’avais trouvé seul, je me l’appropriai donc… Puis à entendre des personnes qui l’avaient connu avant moi, je compris que c’était à leur jeunesse que je me substituais. A l’Université, des professeurs souriaient de savoir qu’Il faisait encore son effet. L’un m’a conduit à mener un travail qui fut plus qu’une maîtrise : avant de l’appeler à l’aide, j’allais entrer dans la police, puisque « on rentre dans la police comme on se suicide. » (1) J’ai raté mon suicide : je ne suis jamais devenu policier. Claude Burgelin m’a convaincu que j’aurais plus à faire dans cette vie-là que dans une autre, usurpée. Il m’a permis de déduire que : Lange + Bloyé – Rosenthal / Antoine Bloyé = Nizan (2). Sans que, dix-neuf ans après, je me souvienne très bien pourquoi…
Dans ma vie d’homme, Nizan m’a accompagné, avec ironie parfois, quand j’ai dû, soixante ans après lui, muter à Bourg-en-Bresse … J’en déduis que Paul Nizan est une part de moi-même : nous cohabitons, en mêmes parties d’un tout, comme les androgynes d’Aristophane. Part manquante, mais présente en moi. C’est mon Nizan à moi.
Nizan, aujourd’hui, c’est pourtant le sentiment d’une réhabilitation, qui s’installe dans le temps, qui diffuse le sentiment nouveau de la tranquillité. Il arrive qu’elle nous explose à la figure : à Dan Franck qui présentait son Libertad !(3)place de la Comédie, à Montpellier, je fis remarquer qu’il manquait quelqu’un dans son index des intellectuels engagés dans la Guerre d’Espagne … De mon côté, j’écris des romans, dont Une soirée à Somosierra (jamais paru) parce que je déteste, comme tout le monde, que la vraie se soit perdue. Et un autre (à paraître) qui traite du basket-ball, du mythe d’Epiméthée et d’une initiation dans les mêmes cols! (4) J’ai fait de Nizan un élément récurrent de mes écrits, pour rappeler qu’on se trahit plus en devenant des carcasses qu’en mourant tragiquement… J’ai étudié le syllogisme d’Aragon (quelqu'un qui écrit sur les traîtres ne peut être qu'un traître lui-même), cherché les acceptions du temps détruit (5)dont parle Nizan à Henriette… Je sais que ce qui lui préside importe plus que l’œuvre elle-même : on peut trouver ces romans surannés. Mais l’homme, la démarche resteront. Un jour, peut-être, je ne ressentirai plus la nécessité de démanteler le monde ; je n’aurai plus une conscience aussi aiguë de la mort. Ce jour-là, je me rendrai compte que je n’étais pas aussi damné que lui, qui l’était doublement. D’abord parce qu’on ne se moque pas impunément de l’ordre humain ; ensuite parce qu’on ne se détache jamais de la mort qu’on porte en soi : c’est une règle. Mais bon, ce jour-là n’est pas encore arrivé : s’est-on déjà demandé, en lisant Jules et Jim si l’amour s’était tari ? Quand on relit Nizan, nous non plus nous ne louchons plus.
(1) Jean-Paul Sartre, préface à Aden Arabie, mars 1960, Ed. La Découverte, p°8
(2) La trahison et ses dérivés dans l’œuvre romanesque de Paul Nizan, conclusion, p°75
(3) Grasset, 2004 ; dédicacé : « pour Laurent, admirateur de Nizan… Comme il a raison ! »
(4) Le poignet d’Alain Larrouquis (2011), chap.11, p°85
(5) Lettre aux Armées, fin 1939. In Paul Nizan, intellectuel communiste, Petite collection Maspero, 1979
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04/01/2016
Pour tout bagage on a sa gueule.
5’20 pour vingt années de vie. Les vingt premières, qu’il pourra quintupler, s’il s’y prend bien, mais sans moi. Sans mon émerveillement de le voir, sur ces images, fixes ou en mouvement, sourire, manger un yaourt-Mamé, un choco Prince, des Pim’s (pas de sponsoring indirect, mais Combray n’est plus ce qu’il était !) mais surtout sauter dans le vide, par deux fois, s’élever dans les airs, tenter d’apprivoiser le vent et regarder beaucoup plus loin que ce qu’on verra jamais.
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03/01/2016
Loi Macron.
Ne jamais oublier que Fanny paie à boire, la galette et se laisse parfois embrasser le derrière, tout cela un dimanche.
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02/01/2016
Mary's dress waves.
Ces trois derniers jours ont défilé chez moi un saxophoniste, un contrebassiste de jazz, un Bluesman romantique et, en transit, un auteur-compositeur-interprète de mes amis qui, entre deux de ses compositions, m’a interprété avant de repartir cette si belle chanson de Bruce Springsteen qui me met immédiatement le bleu à l’âme, au moral et enflamme ma mémoire. Il n’y a pas de raisons pour que les passants d’ici y échappent. C’est fait sans rien, mais ça donne envie de parfaire les Sète Sessions auxquelles je pense : avec un micro, une carte-son et le talent d’un ou deux des futurs passants, mon île pourrait rapidement devenir, sur la lancée du plus célèbre balcon de la St Sylvestre, désormais, the place to be. Or not to be.
20:04 Publié dans Blog | Lien permanent
01/01/2016
Vermot.
Du balcon, on voit mieux le monde qui arrive, lâcha la vigie aveugle, juste avant de s’appuyer sur le parapet branlant.
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31/12/2015
Kuindji.
Quand Nikolaï se réveilla, il regarda par la fenêtre, contempla la steppe qui défilait. Son Ukraine. La Constitution dont il rêvait inutilement, selon les mots mêmes du Tsar. Il y avait pourtant cru : à la révolution bourgeoise, pas à l’insurrection. Il y avait cru, à une démarcation nette d’avec la Russie. Il avait même rêvé du retour des peintres, déportés en Sibérie parce qu’ils ne voulaient pas s’établir à Saint-Pétersbourg. Il pensait à ce même paysage, immortalisé par Kuindji. Son ciel menaçant, rougeoyant, les strates de ses nuages vers un ailleurs auquel il se destinait. Ces hommes qui rêvaient de revoir l’Ukraine, il les niait et se perdait en voulant la fuir. Le conflit de Nikolaï était permanent, mais en bon ingénieur, il avait refoulé les questionnements et choisi la solution rationnelle. S’il partait, c’était pour la question juive, parce que celle-ci comprenait les autres ; c’était aussi parce que Varvara avait ailleurs la possibilité de vivre une vie qu’elle regrettait. Que Vladislav y trouverait son compte. Et que la famille Kreit sauverait sa peau, que personne ne se retrouverait le corps cloué sur une grange, au vu de tous, le lendemain.
Bonne année 2016. La mienne sera consacrée à la finalisation de ce projet. En espérant une sortie pour l'année d'après, ce qui ferait sens, après tout.
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