26/02/2016
Effet minimal.
Dans mon état totalitaire, pour compenser, le lecteur est sommé de choisir en conscience, autrement que par empathie ou paresse. Quoi, ça ne compense rien?
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25/02/2016
Lider Maximo.
Dans mon état totalitaire, les sujets de romans sont imposés aux écrivains : pas d’hagiographie ni de dévotion envers quelque idéologie que ce fût, mais une contrainte fixée, l’accès à la documentation et une échéance.
16:38 Publié dans Blog | Lien permanent
24/02/2016
Braća prijatelja*
Vlade fait 2,17m. Un 7’ feet tall, disent les américains. Il n’est jamais passé inaperçu dans les petites ruelles de Prijepolje, sa ville natale, ni dans les rues de Belgrade où il commence une carrière de basketteur qui le mènera au sommet. Dans les années 80, il fréquente toutes les sélections de jeunes de son pays, la Yougoslavie, et écrit avec ses camarades les pages les plus inoubliables de l’histoire de ce sport : jeu collectif, passes redoublées, adresse, tout y est. Pour ceux qui ont déjà pratiqué, il faut imaginer des moments où, jamais, le ballon ne touche le sol, un jeu qui rend fous d’impuissance les adversaires. Vlade se lie d’amitié, tout de suite, avec Drazen, qu’on appelle déjà le petit Mozart. Lui réinvente le jeu, tutoie les Dieux : on dit qu’il a marqué 120 points dans un seul match. Vlade, Drazen sont inséparables, montent un à un les escaliers de la gloire : leurs copains de sélection se mettent au diapason, le Yugoplastika Split domine l’Europe, le Partizan de Belgrade n’est pas loin, le Cibona de Drazen écœure, encore, ses adversaires. Drazen est mis au repos lors d’un match présumé facile contre l’Equipe de France, qui mène au repos à la surprise générale. Il rentre à la mi-temps, met trente points, les trente qu’il y aura d’écart, au final. En 1990, arrivent les championnats du monde, alors que les premiers bruits de l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie sourdent, que les nationalismes s’affûtent. La Yougoslavie écrase tous ses adversaires, jusqu’au titre final, c’est la liesse sur le terrain, envahi. Un spectateur brandit avec orgueil un drapeau croate. Vlade, qui voit d’un mauvais œil cette manifestation déplacée, s’en saisit, le jette à terre, puis retourne fêter avec ses amis le titre mondial au cri de « Yugoslavia, Yugoslavia ! ». Pour lui, l’incident est clos, oublié, sans doute, déjà. Mais au retour, dans un pays qui commence à ne plus exister, son geste a été récupéré : on dit de lui qu’il est un nationaliste serbe, qu’il a craché sur le drapeau, qu’il n’en est pas à sa première intimidation. Tout cela est faux, mais grandit : une rumeur peut dépasser en taille le plus puissant des Big Men… Drazen, qui n’a rien su de l’incident sur le moment, se laisse sans doute raconter plus qu’il n’en faut. Quand ils rejoignent tous les deux les Etats-Unis pour le championnat professionnel, Vlade sent bien qu’il se passe quelque chose, ne dit rien, fait comme si. Mais l’amitié a été bombardée : il n’y aura plus d’appels quotidiens, d’embrassades fraternelles. Divac est devenu, pour les Croates, l’homme à abattre. Ses anciens coéquipiers lui tournent le dos, la famille de Drazen s’écarte de lui : il est la Grande Serbie à lui seul et la haine est profonde.
Vlade voit sa vie s’écrouler, la guerre arrive, inexorablement. Sur les terrains américains, il croise quelquefois Drazen, mais rien ne se passe. Il voudrait qu’ils se posent tous les deux, autour d’un café, qu’ils en parlent. Mais il n’ose pas lui demander. Il comprend qu’une amitié met une vie à se construire, qu’il suffit d’une seconde pour la détruire. Il suit la carrière de son « frère » en filigrane, mène la sienne. Ils ne joueront pas ensemble les Jeux Olympiques de Barcelone, face à la Dream Team d’une Amérique décidée à reconquérir sa suprématie, verra la Croatie se hisser en finale mais ne rien pouvoir faire. Il sait que la Yougoslavie unifiée aurait pu, l’aurait fait. La Serbie est au ban des instances internationales, ce qui n’arrangera rien par la suite. Lui regarde Drazen à la télévision avec un pincement au cœur, se dit qu’il va vraiment falloir parler, qu’ils ne peuvent pas en rester là. Après tout, si Drazen est le joyau de la nouvelle Croatie, son père était serbe, ce qui montre bien que tout est relatif. Après les Jeux, se promet-il, aux Etats-Unis, il le rappellera, ils parleront… Une année s’écoulera sans qu’il le fasse et, en juin 93, parce qu’il décide au dernier moment de rejoindre l’Allemagne en voiture plutôt qu’en avion avec ses coéquipiers, Drazen se tue sur la route. Vlade est en vacances aux Caraïbes avec sa famille, il apprend la nouvelle par une chaine d’informations continue, il s’écroule de ses 2,17m. La blessure ne se refermera jamais.
Des années ont passé, de ces années où l’on se demande ce qui a bien pu entrainer tout cela. Vlade traîne une carcasse devenue lourde dans des rues dans lesquelles il se serait fait tuer vingt ans plus tôt. Il raconte toute cette histoire d’une voix triste mais décidée. Ses anciens coéquipiers reconnaissent que l’Histoire lui a fait porter un poids injuste. Lui a renoué, revient sur les lieux de leur gloire insouciante, retrouve la maman de Drazen et son frère, leur montre une photo d’eux deux enlacés. Il ira la déposer seul sur le mausolée qu’un pays tout entier a dressé à son idole. Sur cette tombe, alors qu’elle pleurait un fils disparu, un homme a morigéné la mère du petit Mozart : vous l’avez mis au monde, mais il nous appartient à tous, lui a-t-il dit. Elle raconte au grand Vlade combien il comptait pour son fils, ils rient de savoir qu’il est parti dans sa splendeur alors que eux connaissent les marques du temps. Vlade, au cimetière, met fin à ce mauvais rêve de la fin du siècle dernier. Il est un peu gauche, le Big Man. Il lui dit juste ces mots qui vont rester : « c’est bon de te revoir, mon ami. »
* les frères amis
« Once Brothers », un documentaire de Michael Tolajian, 2010, ESPN.
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23/02/2016
À propos de Paco.
On déchante souvent après une interview donnée, c’est un constat : on se dit qu’on aurait pu dire telle ou telle chose, citer tel ou tel nom, mais qu’on ne l’a pas fait. Gaële et Lyon 1ère, c’est au moins l’assurance d’un temps minimum donné pour réellement parler de notre travail, et ça n’est plus si courant. Alors, je livre l’entretien tel qu’il a été monté, qui accentue encore la vitesse avec laquelle je parle – c’est mon défaut – mais souligne le calme que je retrouve quand je lis – c’est nouveau – et la qualité de la lecture et des questions de la journaliste : ça n’est plus si courant non plus.
11:54 Publié dans Blog | Lien permanent
22/02/2016
La vie choisie.
Quitter mon île pour revenir dans ma ville y retrouver les artistes que j’ai connus beaucoup plus haut, plus au Centre, fêter avec eux, dignement, le chemin parcouru dans tous les sens du terme, puis les laisser aller, en éclaireurs, là où ma vie d’artiste à moi s’est posée depuis quelques années, partir, de mon côté, au rendez-vous fixé avec cette femme qui ne m’a pas oublié et dont le métier consiste à parler et faire parler des œuvres : passer un long et bon moment avec elle, ressortir confiant d’une interview, ce qui est rare, satisfait d’avoir pu lire un passage de son travail, d’en avoir dit ce que pensais qu’il fallait dire. Retrouver, sitôt après, d’autres compères de route, mes musiciens, retarder l’instant du départ vers l’endroit où tous, le soir, se retrouveraient. Vers où d’autres convergeraient, pour un instant de vie, de ceux qu’on note dans une biographie, une bibliographie… Voir des personnes dont j’admire la vie et/ou le travail se rencontrer, parler, échanger, promettre. Râler un peu contre ce qui me semble ne pas correspondre du tout à l’esprit – du lieu et du moment – mais effacer très vite la contrariété, parce que l’instant qui suit lui est tellement supérieur… Et ça jusque tard le soir, jusqu’au lendemain, quand les chansons succèdent aux photos, quand les projets en appellent d’autres, quand tout, dans cette vie qu’on s’est choisie, valide les errances, les regrets, les éloignements, aussi. Se retrouver, alors que rien n’était prévu, dans une quatrième ville, encore, à écouter, avant tout le monde, ce que d’autres de mes amis ont fait ensemble, trouver ça beau et emballant. Longtemps j’ai pensé que ce qui nous arrivait de bien cachait quelque chose qu’il allait falloir payer : j’en ai même fait l’intention de ce roman que rien ni (plus) personne ne peut m’empêcher de reprendre, maintenant, revigoré. Aux deux-tiers du temps donné, puisqu’il a bien fallu reprendre le texte de la chanson, je m’efforce de penser l’inverse, désormais : ces moments-là sont ceux qui en annoncent d’autres, et ainsi de suite, jusqu’à ce que ce soit terminé. Après, il restera ce que nous avons fait.
photo: Daniel Damart
11:43 Publié dans Blog | Lien permanent
21/02/2016
Se taire ou pas?
De la victoire de la musique, quand elle est jouée par Clara Védèche, sur le verbe inutile, prétentieux, sur la répétition de substantifs inappropriés, de cuistres références, sur les interminables adjectifs et les inénarrables néologismes ! Et le triomphe de l’intention - sacrée puisque telle était la question, hier, au Réalgar, pour le vernissage de l’exposition de Jean Frémiot – sur le postulat caduc et le sophisme qui s'ensuit : quand on a appris de sa matière, et qu’on respecte le sujet, il n’y a pas d’erreur possible et la note tombe juste, quand le verbe s’égare.
Photo Christine Guinamand
Titre: Isabelle Flaten
07:29 Publié dans Blog | Lien permanent
20/02/2016
Quid?
Par solidarité avec le seul journal du soir publiant les nouvelles du lendemain, "le Cheval de Troie" a attendu le lendemain d'hier pour éditer ses réflexions. Toute présence dans la ville de deux des artistes avec lesquels je travaille depuis près de vingt ans n'en serait que l'explication seconde.
07:35 Publié dans Blog | Lien permanent
18/02/2016
Mon ami, mon maître.
Un seul de ses messages m'apaise, un appel me convainc de nouveau. M'éloigne des chimères, me ramène à l'essentiel de ce que doit être l'écriture: sortir de bons livres, travaillés, retravaillés, abandonnés parfois, repris, quand tout a changé autour. Au détour d'une phrase, il s'invite au printemps, me dit qu'on en parlera là, qu'il faudra que je lui montre où j'en suis. Vu son hérédité, il peut continuer à oeuvrer jusqu'à plus de quatre-vingt dix ans, l'âge auquel son père consacra un dernier essai à Spinoza: je ne m'inquiète donc pas, mais, par précaution, je fixe à 2017 le moment où ce livre devra sortir. Il me dit que c'est une bonne date. Je l'avais pourtant par écrit, pour des raisons administratives, son engagement: qu'il le réitère là, maintenant, me comble de joie. Et je repense à ce que me dit un jour mon ami Bougnat: "Jenni vendra 1000 livres quand Cachard en vendra trois. Et alors?" D'ici, je suis regonflé à bloc, sans plus d'autre inquiétude que de me remettre à l'ouvrage, sérieusement.
19:30 Publié dans Blog | Lien permanent