13/11/2014
Un roman à l'envers (13).
Oubliez tout ce que vous disent les guides de voyage: novembre est un mois idéal pour visiter l'Ukraine, comme n'importe quel pays d'ailleurs. Certes, il fait nuit tôt, mais quel bonheur de n'être bousculé ni par les touristes ni par les marchands du temple. Je marche le long du Dniepr, du côté opposé à ma balade de la veille. Sur les berges, des paillotes locales, toutes fermées, personne pour m'aborder et me proposer un mauvais menu dans un mauvais anglais. Je marche, le froid me rattrape un peu, il faut dire que dans la journée, il fait 13 degrés: pour le froid sibérien, je repasserai. Ou pas, parce qu'on ne va sans doute à Dniepopetrovsk qu'une fois dans sa vie, quand on y va. J'ai toujours été sensible au choses du temps, comme dirait l'autre, sinon je n'aurais aucune nécessité à écrire. On m'a offert trois mois pour le faire sans aucune contrainte, je m'y attelle, malgré les vents contraires des avis de l'édition. Pas tous, j'espère. J'en suis à novembre, dans ma vie, mais je ne respecte aucun calendrier, donc n'en tire aucune conclusion métaphorique. Peut-être le printemps est-il beau ici comme ailleurs, je ne vois pas pourquoi il ne serait pas, avec tous les parcs dont la ville regorge. Mais je les aime bien dans leurs chaussettes d'hiver (ou presque), les arbres, aussi.
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Un roman à l'envers (12).
Ironie de l'Histoire, qui n'en manque jamais, ce sont sur les terres ukrainiennes, qui ont cherché à l'éradiquer, que la communauté juive a vu s'implanter, en 2012, ce que "The Times of Israël" définit comme le centre communautaire le plus luxueux du monde: le Centre Menorah. Dans une ville aussi anachronique que Dniepopetrovsk, on a dire que ça détonne: Igor Kolomoisky, un milliardaire juif, très populaire ici depuis qu'il a financé l'armée ukrainienne, a voulu, dès 1991, sortir la culture juive de la clandestinité dans laquelle l'antisémitisme soviétique l'avait plongé, après que 20000 Juifs ont été assassinés dans et autour de la ville, sous l'occupation allemande, avec l'aide des Einzastgruppen ukrainiens. Un bâtiment immense, vingt-deux étages, un éclairage de nuit, des milliers de mètres carrés, des salles de réception high-tech, une synagogue en marbre noir, des bains de luxe, des restaurants et le musée de la mémoire juive, avec ses deux étages, la vie d'avant et puis l'Holocauste. Au premier niveau, je retrouve des images sur lesquelles j'ai travaillé pour imaginer la vie ici en 1904. Par une fenêtre reconstituée, je vois la rue telle que Nikolaï ou Anton la voyait. Pas d'angélisme: en 1904, en Ukraine, on tue déjà les Juifs et le Tsar ferme les yeux: c'est pour cela que les Kreit et les Bolotnikine quitteront le pays. En haut, des documents déjà vus, mais toujours marquants: une fosse reconstituée sous forme de fresque, comme si on était au centre. Les murs de chaux vive dont on recouvre les cadavres fraîchement abattus. Une des scènes de rue, en 1941, que j'ai retranscrite pour essayer d'en diffuser l'horreur et l'hébétement. Je sors de là forcément marqué, il fait un temps splendide, je m'engage sur les hauteurs, parcours des squares, m'arrête sur des usines désaffectées, côtoyant les boutiques de luxe: le paradoxe de cette ville, son dernier rapport au passé avant effacement des traces. Je me dis à chaque fois que ce pourrait être là que mes personnages ont vécu, ont travaillé. Je cherche leur présence et, parfois, la trouve. C'est pour ça que je suis venu.
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12/11/2014
Un roman à l'envers (11).
J'ai l'habitude, disais-je à Jennya, l'autre jour, de ne pas vivre à l'étranger comme je ne le fais pas en France: je ne me prends pas pour un autre, sous prétexte que, parce que j'ai fait quelques milliers de kilomètres, je suis beaucoup plus riche que je le suis chez moi (où par ailleurs je ne le suis pas). Aussi, quand la ville ne s'y prête pas beaucoup non plus, je ne sors pas le soir, ne me dirige pas vers les grands restaurants où se pressent des hommes d'affaires aux voitures plus imposantes que la mienne. Oh, wait... C'est vrai que je n'en ai plus. Ce que j'aime et que j'ai fait ici, après m'être promené le long du Dniepr, c'est faire les courses, en même temps que les gens. Deviner au son de la voix de la caissière qu'elle me demande si j'ai la carte de fidélité. Observer, discrètement, le choix des gens et, globalement, faire pareil, puis, une fois rentré, me débrouiller avec ce que j'ai pris. Je me ferai quand même un restaurant demain, parce que, pour tout dire, l'option du soir n'était pas très probante. NB: toutes ces chroniques sont écrites à l'aide d'une tablette, en temps réel. Il se peut, via l'écriture automatique qui n'a plus rien de surréaliste, maintenant, que des fautes de frappe s'immiscent. Merci de votre bienveillance. Je relirai et mettrai en page à mon retour.
19:33 Publié dans Blog | Lien permanent
Un roman à l'envers (10).
C'est plutôt mal venu, ce premier refus d'un éditeur alors même que je marche dans les pas d'Aurélia, à Dniepopetrovsk. Surtout après cette belle première matinée, marquée, une fois de plus, par la générosité de ce jeune ukrainien qui m'a aidé, ce matin, à réserver mon train pour Odessa, dans les dédales de la gare. Il était tôt, j'ai remonté l'avenue Karl Marx jusqu'au centre, là où je loge, entre un Mc Donald´s et un KFC. Dniepo se veut, paraît-il, la rivale de Kiev, et le siège de nombreux hommes politiques d'envergure, en Ukraine. Il y a du travail, encore, néanmoins, et le fossé semble se creuser entre toutes ces marques occidentales, les centres commerciaux bruyants et sur-éclairés, et cette ville industrielle abandonnée, avec ses squelettes d'usines et de bicoques en plein milieu, en attente de démolition. Le tramway traverse les grandes artères, dernier témoin vivant d'une époque révolue. Pas d'alphabet latin, ici, pas plus de panneau de direction pour touriste: on se débrouille et c'est ainsi. Mais le pli est pris, de ce voyage: me satisfaire des toutes petites joies des obstacles vaincus un à un. Relativiser les échecs. De quoi aborder la suite et l'après. Apprendre, enfin, à se satisfaire de ce qu'on a.
14:03 Publié dans Blog | Lien permanent
11/11/2014
Un roman à l'envers (9).
Bon, c'est aussi pour sortir du début du XXème siècle que je fais ce chemin à l'envers. Et pour tout dire, ce soir, j'ai été servi: c'est à peine si je ne m'étais pas habillé en commando de survie pour emprunter ce premier train ukrainien, qui devait me ramener, après sept jours de capitale, à la réalité rurale du pays, à la dureté des conditions etc. Résultat, mon chapeau de Crocodile Dundee et moi nous sommes retrouvés dans un superbe train tout confort, aux sièges plus larges que j'en ai jamais vu en France. Écrans de télé communs comme dans les avions (avec film bollywoodien et Tom&Jerry), service de restauration en voiture... Mêmes mauvaises habitudes qu'ailleurs, avec un festival de sonneries de portables et de conversations fortes. Mais en russe, ce qui me permet de davantage les supporter, sans doute. Des pointes de vitesse à 150km, la campagne traversée, hélas, sans que j'en voie rien: il n'y avait qu'un horaire, et 17h40, en novembre, en Ukraine, c'est la nuit. À Dniepopetrovsk, mon logeur vient me chercher à la gare, délicate attention, esprit de partage de ces solutions alternatives que je découvre avec plaisir. Je suis à plus de cinq heures de train de Kiev, je vais découvrir une autre ville, et chercher, avec mon hôte, le moyen, d'ici quelques jours, de rallier Odessa. Il y a la solution confortable du retour par la capitale, et du direct pour la ville: mêmes trains, même absence de surprise. Antoine m'a dit hier qu'il était quasiment impossible d'aller à Odessa de Dniepo. Pour Valentyn, ça l'est. Je ne voudrais avoir à me dire, à mon retour, qu'aller à St. André de Corcy en TER, en mars dernier, fut autrement plus périlleux que mon périple ukrainien.
22:52 Publié dans Blog | Lien permanent
Un roman à l'envers (8).
En avril 1986, j'en terminais avec mes années lycée, qui ne m'auront pas laissé grand chose, sinon cet avertissement, très décalé aujourd'hui, d'avoir à se choisir, quelqu'il soit, un journal de prédilection et le lire quotidiennement. C'est ainsi que, alors même que se profilaient mes tourments nizaniens, j'étais averti des choses du monde, convaincu, même, qu'on pourrait le changer. Les années fac, Devaquet, Monory, Pasqua-Pandraud, Malik Oussekine et, deux ans et demi plus tard, la chute du Mur, m'en auraient presque convaincu, si ce siècle n'était allé, par la suite, de désillusion en désillusion. Pas de réel intérêt au musée de la catastrophe de Tchernobyl, alors, sinon l'émotion, enco, de voir des hommes pousser des chariots de sable à l'intérieur même du réacteur. De se dire qu'ils sont morts, depuis, mais que l'héritage persiste, même si le nuage a miraculeusement épargné la France, après quasiment trois tours du monde. À moins que Fabius ait voulu dire "Ouessant", parce qu'au vu de la carte qui retrace son parcours, il semblerait que le nuage ait bifurqué avant: il a dû écouter Marié-Pierre Planchon... Dans une petite paire d'heures, je prends le train pou r Dniepopetrovsk. Antoine m'a averti des conditions un peu dantesques, mais c'est aussi pour ça que je suis venu, alors... Je quitte Kiev, heureux d'avoir rencontré la ville. Dans le wagon, tout à l'heure, je serai à la place de mes personnages, même si le seul danger que je cours est de ne pas être compris. L'initiation se fait à tous les âges, même vingt-huit ans après 86. Vingt-huit ans après l'âge décrit dans le "poignet d'Alain Larrouquis", quand il fallut me décrire à la moitié de l'âge que j'avais. En arrivant ce soir, j'aurai grandi d'une étape.
14:06 Publié dans Blog | Lien permanent
10/11/2014
Un roman à l'envers (7).
C'est parfois amusant de se dire qu'on va au bout du monde pour prendre un funiculaire presque aussi exotique que celui de Lyon et se promener sur des berges (celles du Dniepr) pas du tout aménagées comme peuvent l'être celles du Rhône. Question de temps, question de moyens, mais l'important, décliné-je depuis "Ouessant", n'est pas forcément d'y être, mais d'y aller. Quinze ans après, je n'ai pas changé d'avis. J'ai juste traversé la ville en métro - désormais compris, il suffisait que je change d'axiome logique - avec ma valise pour me poser une nuit encore, et refaire, une fois l'appartement intégré, repartir pour une balade, de celles que l'on fait dans les endroits qu'on ne reverra peut-être pas. "La moitié du temps donné", tout ça, c'est du passé, même Éric Hostettler n'y croit plus, c'est dire. Je me promène, c'est encore une journée magnifique, j'aurai trimballé des pulls de laine, gants et bonnet pour rien. Ma logeuse parle anglais, et un peu français, ça n'a aucune espèce d'importance, je n'ai plus aucune appréhension, mais ça m'a permis d'avoir une discussion, ce matin, sur la littérature, avec une psychologue, qui plus est. Je lui ai expliqué mon chemin à l'envers, je laisserai un "Camille" sur la table, déjà pleine de livres d'Art. En repassant par la place de l'Indépendance, j'observe les badauds: certains sont là comme ils y étaient en février, ce mois qu'on voit apparaître sur les monuments de fortune. Par pudeur et correction, je n'ai parlé à personne des "événements", mais je sais que pour ceux qui les ont vécus, comme pour leurs parents vingt-cinq ans avant, c'est un point d'origine à partir duquel il restera à évaluer ce qu'on a gagné et ce qu'on délaissé. J'ai encore quelques heures, demain, à passer à Kiev, mais les heures qui précédent le départ, c'est déjà le départ. Et le commencement pour moi de l'aventure, jusqu'à Dniepopetrovsk. Il aurait suffi de suivre le fleuve, pourtant...
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09/11/2014
Un roman à l'envers (6).
C'est en en devenant un qu'on gagne dans le souci de l'autre. Hier soir, j'ai été ravi de sortir du silence et d'échanger avec Jennya - une amie de mon ami, et la chaîne de l'amitié semble avoir un certain sens ici - sur les différents modes de vie, peu perceptibles dans l'endroit (branché) où nous étions. La jeunesse est la même partout, et s'il fallait définir, aujourd'hui, une Internationale, elle passerait par le Spritz ou le mojito du samedi soir. Mais ce fut un rappel que d'entendre Jennya raconter son dernier périple à Paris avec sa fille de (bientôt) dix ans, la direction qu'elle demande dans le métro et cette femme qui ne veut même pas lui répondre. Un rappel à l'hospitalité, au souci de l'autre donc, et ce ne sont pas des mots de scout béât: déjà, en interne, j'ai vécu l'arrivée dans une région différente, sans personne à qui se raccrocher. J'en ai gardé des amis chers (peu) et des souvenirs cuisants (beaucoup), plus l'habitude de toujours m'enquérir des nouveaux arrivés dans le monde professionnel. Paré de cette bienveillance, j'ai pu aborder, ce matin, tôt, la Laure des Catacombes, climax touristique de la ville, 28ha d'églises aux coupoles dorées,kinésithérapeute gigantesque promenade en deux parties, la Haute et la Basse, baignée, aujourd'hui encore, d'un soleil magnifique. Dans la Lavra basse, il y a les fameuses catacombes, un réseau de tunnels souterrains dans lesquels sont exposés les momies des moines, dont Saint Antoine, le fondateur du monastère: un circuit au cours duquel, éclairés à la bougie, les croyants s'inclinent et baisent les cercueils des religieux, avec plus de recueillement que de pittoresque. L'occasion pour moi, en impie, de me souvenir de mes morts à moi, avec un peu de retard sur le calendrier. Des morts, l'Ukraine en connut entre 8 et 10 millions sur la période de la seconde guerre mondiale, qui débute pour eux en 1941: c'est énorme, à l'échelle de l'importance stratégique du pays, alors sous bannière de l'URSS. Le musée de la Grande Guerre patriotique, aux dimensions toutes soviétiques, est un extraordinaire vivier de documents, d'images et d'objets liés à la période. On frémit devant les outils de torture nazis, on sourit devant la propagande communiste, on mesure l'héroïsme ou l'absurde dans lequel des millions de personnes ont dû plonger. Les espèces de pirogues avec lesquelles elles ont gagné la bataille du Dniepr sont fascinantes. Et la dernière salle, un interminable défilé d'images de personnes, donne le vertige et rappelle que rien n'est jamais acquis. C'est une longue excursion, je prends le bus pour rentrer, assiste à une sérieuse altercation entre voyageurs et contrôleurs (toujours en civil, qui montrent une carte discrètement), comme si le refus de l'autorité était un complément de l'identité d'un pays qui en a trop souffert. J'ai mes repères dans Kiev, maintenant, signe qu'il va falloir la quitter, bientôt. Demain, je m'autorise une journée de balade sans but, sans musée, sans horaires, juste avec un changement d'appartement. Jennya m'a traduit mon billet de train: je connais le numéro du convoi, celui de mon wagon et celui de la place. J'aurai un petit peu moins d'angoisse dans le hall de la gare, mardi.
15:20 Publié dans Blog | Lien permanent