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27/11/2009

Quel week-end?

 

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17:52 Publié dans Blog | Lien permanent

26/11/2009

N°6

Dominique de Rivaz, 56 ans, réécrit l’Empire post-soviétique, à la russe : entre burlesque et mélancolie.

Les âmes mortes, deux fois.

DdR+Chavaz22.jpgDominique de Rivaz n’est pas la première à écrire sur des cadavres et ce qu’ils deviennent. De Will Self dans « Ainsi vivent les morts » à Kenzaburo Oé dans « le faste des morts » - en passant par le polar-légiste de Herbert Lieberman, « Nécropolis » - le sujet a cet avantage d’être universel et, c’est bien le seul, égalitaire. Son « Douchinka », cette petite âme, ramène le sujet dans un Empire qui n’a pas besoin de dire son nom, c’est l’âme slave qui est ramenée sur le devant d’un court premier roman d’une artiste déjà accomplie (cinéma, photo, expériences multiples depuis « la course autour du monde »…). Dans l’hiver de la Capitale, bastion abandonné de ce qui a été une société, on ne distingue plus les âmes errantes de celles à vendre. Mais le souvenir, « trente ans plus tôt », de « la première Exposition » n’a laissé personne indemne, surtout quand la Grande Révolte (née, dit le narrateur, de la colère des mères des sous-mariniers du Koursk, sans qu’évidemment le nom fût donné) n’a conduit qu’à la plastification, cette œuvre ultime qui consiste à embaumer les cadavres après avoir acheté les âmes. Evidemment, les différents scandales de l’Art-body, les « écorchés morts » du Professeur Gunther Von Hagens font écho, mais c’est davantage une fausse piste qu’autre chose : ce que Dominique de Rivaz veut incarner, ce sont ces vies déjà mortes et ces âmes qui le seront donc deux fois. C’est l’abandon dans lequel survivent les différentes ex-républiques soviétiques qu’elle a traversées, dans lesquelles, à chaque fois, elle a vécu, un peu. Elle sait que la vodka s’achète par « cent grammes » en kiosque, elle l’a entendu, le chineur, éructer sa haine antisémite. Elle a compris ces déceptions nées des espoirs de changement quand tout est resté tel quel, l’assistance de l’Etat en moins. Ses personnages s’adonnent au commerce des âmes par nécessité, pas par ennui comme l’ont fait dans le réel et aux enchères quelques illuminés en mal de reconnaissance. Dans le même temps, d’autres, comme Alexeï, «préparent » la très grande Exposition, « cent mille corps plastinés », pour recréer l’instant ultime du Grand Nuage. Toutes ces majuscules dont use Dominique de Rivaz sont autant de signes que si l’action se passe là, c’est bel et bien partout qu’elle aurait pu se passer puisque cette Humanité-là a dépassé son terme depuis longtemps.

« il ne reste plus que les pires substrats, une télévision qui vomit des messages religo-publicitaires, apologie mercatique d’un idéal que les fantômes qui traversent « Douchinka » n’envisagent même plus»

Quand ils « préparent », les thanatopracteurs de « Douchinka », ils participent d’une vaste entreprise mafieuse consistant  à récupérer des cadavres – que Vassili conduit dans son camion des glaces Morojonoe Lux sous l’étiquette de « Viandes (de renne) avariées » - à tout prix, donc en tuant des vagabonds, des indigents sur lesquels Alexeï trouvera systématiquement « le morceau de carton numéroté (…) découpé à la va-vite dans un paquet de Belomorkanal » : « le récépissé de la vente  d’une âme ». Après qu’il a considéré que ses morts lui ont « rapporté suffisamment d’argent », Vassili entreprend un ravalement méthodique des « pingouins-poubelles », symboles ravagés de l’illusion d’un bien-être. Dont il ne reste plus que les pires substrats, une télévision qui vomit des messages religo-publicitaires, apologie mercatique d’un idéal que les fantômes qui traversent «Douchinka » n’envisagent même plus. Si tant est qu’ils l’aient jamais espéré. Dominique de Rivaz a vécu à l’Est, elle a vécu, également, ce basculement – à Berlin, notamment, objet de son dernier travail photographique* -  elle doit connaître ces micro-cataclysmes qui ont fait que, soudain, plus personne n’ait rien d’autre à attendre qu’une fin absurde, cycle sisyphien du traqueur devenu cadavre à son tour, d’un amour dont il ne reste plus qu’une photo anonyme incluant le pingouin. Alexeï nourrit les âmes dès qu’il s’aperçoit qu’elles sont venues trouver refuge là où il travaille les corps : elles se confient à lui, comme elles se sont confiées préalablement au chat Béhémoth, qui « de mémoire d’habitant, n’était jamais descendu de son arbre »… Le récit de Dominique de Rivaz, sous ses aspects fantastiques, fait converger les destins de tous ses personnages, la vieille Rada en tête : fine allégorie des destins entremêlés dans la misère, des grandes épopées qui n’ont pas abouti, ils n’ont plus rien à quoi se raccrocher, ils sont, comme la monnaie, dévalués au plus haut point, mais, l’âme slave toujours, s’enthousiastent d’un poisson d’avril à venir, d’une tulipe qu’on voudrait délivrer de son élastique… La fin du roman touche à la poésie pure, quand Rada et Alexeï, chacun de leur côté, participent à ce « loto des morts » sans rien vouloir gagner d’autre que la liberté de leurs âmes. Qu’elles ne meurent pas deux fois, alors. Qu’on leur offre le rituel auquel elles ont droit, même si elles n’ont rien au de leur vivant : ces  « petits riens des morts », qui s’échappent en voltigeant quand Alexeï les confie au fleuve qui, déjà, « se perd dans la nuit », ce sont autant de traces qui, comme les pingouins-poubelles qui viendront mystérieusement mettre l’Exposition totalitaire en échec, redonnent à ceux à qui on l’a niée jusque-là une véritable identité. Il est curieux de voir à quel point ce très bref roman contient des choses auxquelles on s’efforce de ne pas penser : comme si notre âme a nous était déjà damnée de trop d’indifférence et d’insuffisamment d’altérité. Quand la vieille, à l’incipit, crache son mépris sur la porte du bus qui n’a pas voulu l’attendre, c’est un peu de cette partie du monde reniée qui nous crache à la figure. Il est des histoires russes qui ont marqué l’imaginaire collectif. Il en est d’autres qui le sollicitent encore. L’imaginaire de Dominique de Rivaz est bien celui du rideau de fer. Mais elle l’a laissé ouvert** LC

** Boris Vian, bien sûr

« Douchinka», L’Aire

ISBN 9-782881-088483

*« Sans début, ni fin, le chemin du Mur de Berlin » ed. Benteli Verlag & Noir et Blanc)

Prochain numéro : « La main de Dieu », de Yasmine Char

 

 

 

 

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25/11/2009

Parenthèse enchantée

KENT "Reste encore" LIVE from Brio Music* on Vimeo.

 

21:24 Publié dans Blog | Lien permanent

24/11/2009

Quintolet

Julie Delaloye, 30 ans, ravive l’Absence, ciselle l’impression et fait corps avec l’élément, sans un mot de trop.

DECOMPTES D'HIVER

Cliché 2009-11-22 09-17-10.jpgJulie Delaloye est médecin. Autant dire qu’on s’attend à ce que cette belle et brillante jeune femme ait d’autres préoccupations que de griffonner sur papier autre chose que des résultats d’ordonnances et des diagnostics avisés. Pourtant, Julie Delaloye est aussi poète, et dans une assemblée comme celle de Lettres-frontière, si elle n’est sans doute pas la seule à s’être adonnée à la poésie, elle est la seule à s’être vue éditée pour ça, et seulement pour ça. Dans les salons bourgeois du XIX°s., on lui aurait demandé de choisir entre ses deux activités, mais elle les mène de front et sans difficulté. Il est intéressant d’ailleurs de voir que quelqu’un dont le rapport au monde est déterminé par sa lecture rationnelle peut sortir de cette restriction par le seul ordre du sensible. Dans "le ciel de février », son recueil très joliment édité, Julie Delaloye recrée une absence et la dessine à très petits traits, dans des poèmes qui sont brefs, ciselés, musicaux, et qui surtout empruntent à la nature le souvenir de ce qu’elle lui a pris. Puisque c’est la mère qui s’en est allée précocement, Julie nous redonne de sa présence en évoquant tout ce qu’elle a sans doute intensément respiré, de son vivant : des cerisiers en fleur, les feuillages des tilleuls, l’arbre de Judée, l’amertume des citrons… Tout est saisonnier dans ce recueil, jusqu’à la 13ème saison qu’il met en abyme, jusqu’à Pâques également, puisque « le ciel a mûri ce printemps, me dites-vous, au-delà de toute douleur, toute oraison ». C’est bien ce refus de la douleur qu’exhale ce ciel de février, souvent bas et lourd mais, de facto, annonciateur de lendemains plus lumineux. Julie fait de l’absente une figure absolue du recueil ; comme d’autres, de la même sélection, elle procède par petites touches et ramène dans ses paysages de montagne ce que le Narrateur ressentait de ses aubépines (chez Delaloye, les pivoines, le soir) : la certitude d’une présence plus durable, éternelle même. Dans un poème en prose annonciateur, en 2000, la très jeune poète jurait déjà qu’elle la passerait, cette éternité, « à te retrouver ».  Les poèmes de Julie sont construits comme des haïkus, parfois, en quatrains et tercets, aussi,  en proses poétiques, sinon, mais aucun d’entre eux ne revendique de forme fixe : c’est la musicalité des mots qui recrée l’impression, souvent, l’ordre libre qu’il respecte, c’est : une impression, une métaphore, un renvoi à la sensation propre. Ainsi, pour continuer la lecture stylistique, l’azur et le soleil sont liés et le brasier (des étoiles) alimente les feux d’un « chagrin incendiaire » qu’elle se charge elle-même, Je à l’appui, d’allumer.

« C’est la musicalité des mots qui recrée l’impression, souvent, l’ordre libre qu’il respecte, c’est : une impression, une métaphore, un renvoi à la sensation propre »

Mais la poésie, c’est mon avis, supporte mal la stylistique et ce n’est pas la peine d’aller plus loin : Julie ne revendique pas de baudelairité, elle place, au gré d’une discussion, les figures tutélaires de Yves Bonnefoy, de Philippe Jaccottet, d’autres poètes du lieu, de la présence. Il est de pire compagnie… Julie Delaloye, en débat public, surmonte son trac, paradoxe à part, par une voix ferme, assurée, presque agacée, fruit, sans doute, de sa formation médicale et de cet empressement des vérités, du moins celles dont on est sûr. Quand elle fait lecture – difficile exercice ! – de ses vers, elle donne l’impression inverse, celle d’une fragilité sans laquelle, de toute manière, on ne devrait pas être autorisé à faire de la poésie. La délicatesse est partout, d’ailleurs, dans le recueil, qui revisite, via « l’œil ébloui du passé » « les écharpes blanches » de Sassey, qui passent et qui,  toujours, sont accolées aux saisons, tel l’été «(qui) affleure ». Une tautologie dans l’Art poétique consiste à dire que ce ne sont pas les mots qui comptent, c’est ce qu’ils ne disent pas : en cela, Julie Delaloye ne se trompe pas et son économie d’effets est salvatrice : chacun des lecteurs est à-même d’aller vers ce ressenti qui est celui du promeneur, de la rêverie. Sans le néo-romantisme qui en découle trop souvent, Julie cherchant dans l’élément la seule relation qui lui reste avec la disparue. C’est une manière de faire le deuil -  références bibliques et mythologiques à l’appui - et en même temps c’est parce que le deuil est fait que les mots sont justes. « La mort a roulé, comme une framboise sous la langue », ce n’est ni naïf, ni mortifère. C’est de la sensation pure, de celles qui permettent un moment de dire que oui, là, Elle est retrouvée – Quoi ? – L’Eternité.

La réminiscence est en marche, le recueil a, je l’ai dit, cette magnifique qualité de ne jamais insister.  Soixante-quatre pages de petits éclairs poétiques, organisés – après l’éveil blanc -  selon des parties constituées en « heures limpides »,  en « éblouissement de l’été » et en « treizième saison », donc. Des lieux affleurent, dont on parle au passé comme dans « l’olive » ou au futur comme dans « Porquerolles ». Parce qu’il y a dans ce « Ciel de février » la certitude d’une salvation à venir, « roses à la main », l’assurance que l’éternel retour n’est pas que celui des saisons. Les nuits et pluie d’été, comme chez Duras, ravivent des souvenirs qui, au fil de la lecture, ont perdu de leur tristesse et ravivé « le rire cristallin », « sa voix qui sonne encore et gagne la mer ». C’était la visée de l’exercice, c’est réussi, en cela : la poésie a ceci d’universel que chacun d’entre nous peut reconnaître dans une association de mots et d’images ce qu’il est prêt à y mettre, une part de son ressenti qu’il n’aurait pas exprimé autrement mais qu’il trouve là exprimé pour lui.

Son amour des lieux, son appartenance, a fait de Julie Delaloye un poète dont les valaisans attendront les œuvres futures. Ils ont de la chance, ils tiennent avec elle les deux pôles essentiels à l’équilibre d’une communauté, la raison et la passion. Qu’ils sachent néanmoins qu’elle ne leur appartient plus tout à fait, en tout cas pas exclusivement. Mais que ce n’est pas triste. LC

« Dans un ciel de février», Cheyne éditeur

ISBN 978-2-84116-140-9

 

Prochain numéro : « Douchinka», de Dominique de Rivaz.

 

 

20:15 Publié dans Blog | Lien permanent

23/11/2009

Le temps de la lecture.

Evidemment, vous vous doutiez bien que je n'allais pas pouvoir fournir des articles aussi nourris tous les deux jours dans la mesure où, fort heureusement, ils me demandent des efforts et dans l'autre mesure où, depuis l'éternité, le temps de l'écriture se nourrit de celui de la lecture: je mets la touche finale à l'article sur "le ciel de février" de Julie Delaloye, j'entamerai ensuite le bal des quatre derniers livres, ceux que je n'avais pas lus - pour des raisons diverses - avant l'Usage des mots. J'aurai plaisir à avoir lu Thomas Sandoz avant le 15 décembre, puisque je le retrouverai à la Médiathèque de Sierre.

Je me régale dans le même temps de la façon dont Christian Chavassieux nous fait revivre par épisodes la journée du 13 novembre. Et puis, parce qu'il faut que l'oeuvre se fasse, je replonge un peu dans l'esprit de ma "partie de cache-cache", j'en ciselle les parties déjà écrites avant que son dénouement ne s'impose à moi.

La littérature existe, je l'ai rencontrée.

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21/11/2009

Tétralogie.

Claudie Gallay, 48 ans, chemine à la Hague et, en entomologiste, donne sens aux secrets et silences.

Un peu de Prévert, sur nos cœurs  endoloris

-GALLAY©.jpgClaudie Gallay n’a rien vu venir. Elle qui habite le Sud mais a, dit-elle, « besoin du Nord », cherchait un lieu où se ressourcer : elle venait d’arriver dans le Finistère nord, elle a poussé jusqu’à un endroit où elle était sûre de ne trouver aucun touriste, aucune agitation. Elle a débarqué à La Hague, qu’on ne connaît que par sa centrale nucléaire, qu’on imagine moins livrée aux éléments qui sont partie prenante de l’existence des gens de là-bas. Son roman, « les Déferlantes », le seul livre à ma connaissance dont le titre et l’effet de bouche-à-oreille sont conjugués, grand succès public de l’année 2009, commence avec Prévert et continue avec des gens comme lui. Des vrais gens, dirait Kent, à qui j’ai déjà piqué le titre de cet article. Prévert aimait se promener, à deux pas de sa maison, dans le petit vallon de Saint-Germain-des-Vaux, peut-être, dans quelques années, des curieux viendront y retrouver les lieux dans lesquels s’est installée la narratrice des Déferlantes, une femme sans nom et entre deux âges venue franchir les différentes étapes d’un deuil. Une femme qui observe et se nourrit de la Beauté de la nature, sans que ce soit en rien un cliché : employée au Centre ornithologique, elle contemple autant les oiseaux qu’elle remarque les « petites fleurs bleues qui poussaient sur le muret d’enceinte », les grands arbres et les lieux « de mousse et de fougère », voire  les ânes, ceux qui reviennent « toujours, avec les beaux jours » et qui «allaient rester là tout l’été et qui un jour repartiraient. Qu’ils feraient ça sans prévenir ». Pas facile, quand même, cette écriture d’entomologiste, dans cet « espace sans lumière », cette brume qui monte de la mer et ne laisse à personne la possibilité de composer avec d’autres volontés que la Sienne. Celle de cette Valkyrie qui décide du sort de ceux qui la travaillent. Qui les avale tous, et les relâche les uns après les autres. Par pudeur, là-bas, on dit de ceux qui ne sont pas rentrés qu’Elle les a gardés. On n’en dit rien de plus, d’ailleurs : les personnages de Claudie Gallay sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. En se mêlant d’abord à la terre meuble, en n’attendant rien d’autre que ce que la Nature veut bien donner. Le roman de Claudie Gallay est une apologie du silence et, en cela, elle le rejoint, Prévert, quand il assénait son « un mot de plus et tout est perdu ». Lambert, par exemple, pour ne pas avoir à demander à la narratrice de rester pose incidemment la question : « et ça arrive souvent que des oiseaux qui pensaient migrer changent d’avis ? », avant d’enfoncer ses mains au fond de ses poches et de ruminer sur la façon dont il n’a pas tué Théo.

« Les personnages sont taiseux, les secrets du village, les histoires enfouies ne se restituent qu’à force de patience et de pointillisme. Exactement comme on approche des pluviers. »

La Hague, nous dit le personnage, vomit les gens qu’elle ne souhaite pas voir rester ; les autres, elle les garde, parfois définitivement. Elle n’est que de passage, mais comme pour Lambert, on perçoit que ce qu’elle est venue chercher burine son âme autant que son visage, mais la renforce, la reconstruit. Les dialogues de Gallay sont ciselés, quand l’un demande, pour en finir avec le silence, si justement « le silence ne vous gêne pas ? », l’autre « fait non avec la tête », point. Dans ce roman, il est question de lande, de terre et de mer mêlées puisque quand on se plaque le ventre contre la terre, on entend la mer, apprend-on encore. C’est donc un roman de la sensation, que Claudie Gallay a perçu dans la continuité de ce qu’elle a déjà écrit, notamment dans la solitude de Venise. La brume est un élément essentiel de ses promenades, elle symbolise l’état des non-dits et des secrets qui finissent par nous composer. Ce qu’il y a entre Théo et Lambert, ce que la vieille Nan ne dit pas, ce qu’on a dit d’elle, ce qui s’est passé dans la nuit parce que « tout se fait de nuit ici, c’est comme ça », toute ce qui ne s’est jamais dissipé s’éclaire à la lecture desDéferlantes autant qu’à la lumière du phare, qu’on n’a jamais éteinte. « Les nuits dans le phare, personne ne peut comprendre », dit Théo. Il faut cette inconnue pour trouver dans le roman de Claudie Gallay les raisons d’un renouveau, pour dépasser les damnations – la scène de la vieille qui vient cracher sur la tombe de sa rivale – se réjouir, comme à la Griffue, d’une heure de soleil même si le soleil ne dure qu’une heure.

La narratrice garde ses secrets, elle est aussi sensitive que l’est son auteur face à la beauté d’un lieu ou d’un instant. Claudie dit qu’elle peut trouver une humanité époustouflante dans le regard d’une vache ou – encore – d’un âne, qu’elle peut désormais se passer des élèves qu’elle avait dans sa classe d’institutrice, mais qu’elle ne se passerait pas pour écrire du chat qui vient se blottir contre elle quand elle travaille. Pas étonnant alors que les Déferlantes aient déferlé, quand tout dans la vie actuelle des hommes les empêche d’aller vers le vrai, quand on se dit qu’à l’instar de Michel, on peut n’avoir existé pour personne. Sauf que Michel, on l’apprendra, avait deux ans quand il est mort et que la narratrice – qui pourrait être nous – a une vie derrière elle, qu’il lui faut valider pour que naisse celle devant soi. Pas étonnant que les lecteurs aient été touchés, pas étonnant que le regret, toujours, « de ne pas aimer suffisamment », se rappelle à chacun de nous sans que, face à l’océan, on n’ait plus la possibilité de se mentir. 250 000 personnes (plus de trois Stade de France !) se sont attachées au destin de cette femme, qui s’est régénérée, dans toutes les acceptions du terme, dans des lieux sur lesquels elle se promet de revenir, quand elle les quitte. Avec, dans ses bagages, la même vertu que celle des femmes de marins. LC

Photo : Laurent Giraudou

« Les déferlantes», Editions du Rouergue

ISBN 9-782841-569342

Prochain numéro : « Dans un ciel de février», de Julie Delaloye.

 

 

 

19:04 Publié dans Blog | Lien permanent

20/11/2009

Faites du buzz, il en restera toujours quelque chose...

Je me sens tel un Boris Vian ou un Bobby Lapointe, d'avoir su infiltrer par la farce absolue des sites dont la finalité me semblait être un peu sérieuse... Mais ma nappe devient célèbre, à mon insu.

à voir ici

16:50 Publié dans Blog | Lien permanent

Décalogue, Episode III.

 

Delphine Bertholon, 33 ans, remonte l’écheveau de l’enlèvement de Madison Etchart, de sa mère dans l’antre de la folie et de l’inconnue de S.

La complainte de la psycho-killer

db.jpgDelphine Bertholon est une jeune femme avenante, dont Christian Chavassieux a pourtant dit qu’elle lui avait parue intimidante. L’auteur de « Twist », le coup de cœur de Lettres-Frontière en Rhône-Alpes (après qu’il aura été, successivement, vanté par Michel Field, prix Ciné du roman Carte noire et récompensé par un succès public important), dont l’écriture « oblige à réfléchir sur soi », fait l’expérience de sa propre liberté en donnant à Madison, 11 ans, la petit fille enlevée, les cahiers dont elle a besoin pour supporter sa captivité et réinventer une liberté qu’elle éprouve davantage que ceux qui n’en sont pas privés. Le sujet est posé, la polémique n’est pas loin quand on relie la fiction à une actualité régie par l’émotion. Dutroux, Kampusch & autres, « un sujet qui fout les jetons », pas besoin, entend-on en amont, que le roman en ajoute, voire en profite. Sauf que Madison, dans le journal qu’elle tient dans ce livre multi-livres, fait le portrait d’un ravisseur qui s’attache progressivement à l’homme qui la prive de liberté. Elle reconnaît qu’il a tellement manqué d’amour qu’il a fini par la choisir elle comme élément de substitution. Syndrôme de Stockolm basique, alors ? Non. Madison fait plutôt le lien entre ce que R. éprouve et de ce qu’elle a éprouvé pour S. avant d’être privée de sa vie d’avant, comme si elle ne pouvait qu’accepter qu’un autre l’aimât comme elle aurait aimé. Alors, dans son quotidien, elle continue d’affirmer un caractère un peu frondeur, raille, moque, revendique mais, parfois, s’inquiète aussi. Pour lui. Elle essaie de reconstituer des repères temporels, comme tout prisonnier, des visions de jardins, de crayons Hello Kitty et de Converse arc-en-ciel aux initiales de Stanislas, son professeur de tennis. C’est Madison qui mène le bal, qui a l’emprise sur celui qui la séquestre. Parfois, R.  râle en retour, « comme quoi il en avait plein le dos de m’entendre me plaindre », elle trouve ça juste « poilant ». Ce que Bertholon a trouvé de juste dans le récit, c’est qu’elle raccroche en permanence la jeune fille à la vie d’une jeune fille normale, qui sera juste déterminée par l’expérience qu’elle est en train de vivre. En parallèle, les lettres que sa mère lui écrit sont des complaintes, des désolations, pourtant nourries d’espoir puisque l’instinct maternel lui dit qu’elle est vivante. On subit, dans les changements d’écriture, ces perceptions différentes au point qu’il nous paraît que la même histoire est vue de différentes façons : apologie de l’ordre médiatique, refus par celui qui ne l’a pas vécu que l’horreur soit parfois d’une normalité confondante…

« Je sais aussi que je suis en train de vivre une expérience hors du commun qui fait que je ne serai plus jamais une fille comme les autres. »

Dans « la complainte du psycho-killer », superbe chanson d’un superbe album* resté quasiment inconnu, Bertrand Betsch faisait dire au pervers qui torturait ses victimes : « si tu savais combien ça me coûte ».  L’homme « à la Volvo noire », à qui ce roman choral ne donne pas de voix, ne fait aucun mal à Madison ; c’est sans doute elle qui lui en fait le plus dans l’impossibilité qu’elle aura à l’aimer en retour. C’est le dernier récit enchâssé, celui de Stanislas, qui ravive le fantasme sadien de vierges sodomisées, mais ce n’est que pour un mémoire de maîtrise, qu’il délaisse, d’ailleurs, pour d’autres expériences tout aussi sensuelles. De quoi désespérer Madi, déjà heurtée par l’existence de A. sans qu’elle ait à s’inquiéter de celle de L. pour S. Quand R. lui demande « de quoi tu te plains ? », quand elle décide de « faire comme s’il était une table de chevet », Madison esquisse le portrait des vies misérables passées à attendre qu’il arrive quelque chose. Elle, elle a déjà, à onze ans, à douze ans, à « treize ans et deux mois », à quatorze ans etc. la sensation que ce quelque chose d’extraordinaire lui est déjà arrivé et qu’elle en tirera profit : « je sais aussi que je suis en train de vivre une expérience hors du commun qui fait que je ne serai plus jamais une fille comme les autres. » C’est la puissance de vie de Madison, doublée des histoires d’amour entremêlées, qui donne à Twist – « deux cents fois elle » - la force romanesque du dépassement, de la résistance. Delphine Bertholon dit qu’elle a écrit un roman sur l’apparition, plus que sur la disparition. On sait depuis Pérec que l’élément disparu devient le plus présent ; c’est sans doute pour cela que Madison se dédouble, au dénouement, en jeune fille immobile qui se voit agir pour sa survie sans qu’elle ait l’impression d’esquisser le moindre geste. Elle s’échappe, Madison, se réapproprie son existence juste parce qu’il était temps de le faire. « La jeune fille immobile », c’est un des nombreux poèmes qui ponctuent les carnets de Madison et, de facto, le roman de Delphine Bertholon : une écriture « de fille » - m’a dit un libraire, sans que ce soit péjoratif mais sans que j’ose lui demander ce que ça signifiait : peut-être les images des poèmes, cette façon - fait dire Desplechin à un de ses personnages de « Rois et Reine » - de passer d’une bulle de vie à une autre quand les hommes, dont Stanislas, qui renonce à l’écriture quand le livre se referme, sont programmés pour mourir. C’est en cela que Delphine Berholon a plu à ceux qui l’ont lue : parce qu’à 33 ans, elle a encore quelque chose de l’innocence d’une Madison puisqu’il est dit que Madison aura plus appris que n’importe qui d’autre. Elle sait maintenant dispenser des « baisers de marbre », mais continue, tout de même, « d’adorer trop » … Elle reste en équilibre, alors. Tout en évitant de marcher sur les lignes de service sur un court de tennis : ça porte malheur. LC


« Twist», JC Lattès, 2008

ISBN 9 782709-629942

Prochain numéro : « Les déferlantes», de Claudie Gallay.

 

* « La soupe à la grimace », EMI, 1997

13:04 Publié dans Blog | Lien permanent