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06/12/2009

Au matin sur l'embarcadère...

Hostettrond.jpgQuatre chansons de "l'Eclaircie" en écoute sur le "Myspace" de Eric Hostettler. L'album, enfin, est sous presse et sera disponible dans les jours qui viennent. Je dirai ici comme ailleurs par quel biais ceux qui s'y intéressent pourront se le procurer, et je ferai une note sur la genèse d'une chanson, au hasard "Au-dessus des eaux et des plaines".


C'est par ici, l'Eclaircie!

11:14 Publié dans Blog | Lien permanent

05/12/2009

Tomber sept fois, se relever huit.

Thomas Sandoz, 42 ans, montre une adolescente se perdre en même temps que le monde qui l’a vue naître.

le désespoir du formica

sandoz.jpgThomas Sandoz aime Derrick. Il lui a consacré une anthologie, « l’ordre des choses », fondée sur plus de six cents heures de visionnage de ce feuilleton presque immobile, mais dont le scénariste unique, Herbert Reinecker, l’a fasciné par sa permanence aux 281 épisodes. On s’inquiéterait presque de la santé mentale de l’individu s’il n’était pas lui-même docteur en psychologie. Non, ce qui mène Thomas Sandoz de Derrick à Leprest, des essais - sur les médecines parallèles, sur la distinction entre « déprimé ou dépressif » - aux variations poétiques et romanesques, c’est la curiosité, celle de l’épistémologue. En Suisse, dont il est citoyen, l’épistémologie, ce n’est pas qu’une option en faculté de philosophie : de Descartes à Husserl, c’est une qualité qu’on revendique et qu’on nous reconnaît. Sandoz, sur la lignée duquel un livre* est paru, mène donc son bonhomme de chemin, celui de la connaissance, dont on sait qu’il est, une fois qu’on l’a choisi, infini et exponentiel. Sa dernière station, romanesque, nous conduit à « la Fanée », cette adolescente qu’on saisit alors qu’elle se ravage, « seule, dans une histoire consumée », au cœur d’un « village qui sent la mort » mais qui n’est justement plus un village. Le roman de Sandoz montre ces vies qui ont basculé quand les fermes se sont vendues, matériel aux enchères, « paysannerie en perdition » qui jalouse les citadins « qui paient comptant les métairies ». Au beau milieu de ce paysage de défaite, Elle est là, qui se définit comme «le dernier témoin, le souvenir de trop » depuis « le matin d’hiver où la mère les a quittés ». Elle grandit dans la haine de soi, comme toute adolescente, « elle se rêve citadine », s’auto-détruit dans sa scolarité et dans sa chair, entretenant la blessure qu’elle s’est elle-même infligée et qu’elle entretient savamment, comme une « amie intime » dont elle ne sait pas encore qu’elle deviendra « rivale retorse », plus encore que sa douleur entretenue par l’image de la mère dans le médaillon de la salle à manger minable du petit appartement dans lequel son père a échoué. Un père « à la langueur présente dès le réveil », « qui a le temps de penser » mais préfère ne plus penser à rien d’autre qu’à cirer ses chaussures et écouter son « crachoir à piles ».

« la jeune fille, en rentrant dans son immeuble au toit bas et au concierge triomphant, prend soin, quand même, de piétiner les plantations de ces terres infertiles, « autant de reproches, de condamnations » liées à un choix qu’elle n’a pas fait »

Elle, dans ce chaos, se scarifie, se donne aveuglément, jubile de l’agonie d’un oisillon, de la noyade de chatons, quand au loin – c’est à dire tout proche de cette commune sans âme – une jument meurt de mettre bas, symbole d’un monde qu’on laisse dépérir. Pourtant, nous signifie Sandoz, « plus ils sont laids – les paysans – mieux ils prennent soin du bétail», un parallélisme que le narrateur reprendra pour Elle, pour dire que « moins elle respire, plus elle s’oublie », quand elle s’en va pratiquer l’apnée des heures pâles de la nuit. Cette femme du médaillon, dont on s’est étonné « que l’on puisse sourire si tristement », cette fanée, métonymique figure de la vie qu’elle traverse, s’est-elle demandée ce qu’elle avait à offrir d’autre à l’enfant qu’elle a mis au monde que « la douleur et l’ennui, un couffin de barbelés et des jeux de mulots » ? La Fanée met en jeu les vies déchues, les montagnes qu’on a délaissées pour des vies qu’on imaginait plus simples et qui, au final, n’ont rien apporté. « L’allégeance aux formes lourdes et aux résineux militaires » n’est plus de mise, mais la jeune fille, en rentrant dans son immeuble au toit bas et au concierge triomphant, prend soin, quand même, de piétiner les plantations de ces terres infertiles, « autant de reproches, de condamnations » liées à un choix qu’elle n’a pas fait. Thomas Sandoz inclut dans sa narration des séquences d’un temps indéfini, peut-être celui de la mère quand elle avait peut-être l’âge de la narratrice, il est question de guerre, de patrie, de cranes rasés… Mais il n’en dit pas plus, la mère, d’ailleurs, disparaît du salon de l’appartement «parfaitement propre et fonctionnel » - avec une table en formica dans la kitchenette - il revient à son héroïne qui, parfois, « s’essuie le cœur aux fougères » et, quand même, «espère encore un signe, un embellie ». Comme n’importe quelle enfant de son âge. Sauf que dans « la Fanée », quand une jeune fille est projetée sur le lit, la  poupée qui en chute « a les yeux révulsés ». Et que quand Elle se réveille dans une chambre d’hopital, « elle découvre l’horreur d’être en vie », elle qui, plus souvent qu’elle espère vraiment, se souhaite « la plus violente des dépurations ».

L’adolescence est, dit-on, l’âge de l’agir. Elle le sait, la Fanée, que rien ne peut se passer dans cette vie qui ne produit que des perdants. Comme ceux que le formateur du centre professionnel qui lui offre sa dernière absence de chance refuse de considérer, de peur d’en faire trop rapidement partie. Quand elle enlève le pansement de sa plaie, dont elle dit qu’elle la soigne pour mieux la laisser s’infecter et marquer le pourrissement de son existence, ce sont de « gros insectes (qui) tournoient autour d’elle, prêts à plonger dans l’océan exsudant » de sa pauvre vie. Tristes fées autour du berceau

Les illustrations de Catherine Louis qui ponctuent chacune des pages de ce roman aussi bref que le fut la vie de son personnage montrent de paysages d’hiver, des arbres morts, des usines désaffectées et de vieilles granges laissées à l’abandon. Des vies qui se sont éteintes. Aucun espoir n’est laissé au lecteur, c’eût été une injustice de plus au regard de ceux qu’Elle n’aura donc jamais connus. Et puisque l’héroïne est de tragédie, puisque la tragédie se dénoue dans le sacrifice, la fin de la fanée, sans que je la dévoile, renverrait à la fameuse tirade de Perdican, dans sa 3ème proposition, sans que le propos bascule grâce au « mais »… Elle aurait pourtant voulu « savoir aimer », la Fanée. LC

 

« La Fanée», G d’encre

ISBN 978-2-84116-140-9

 

Prochain numéro : « L’ange hurleur», d’Anne Richter.

* « les Sandoz, du Moyen-Age au Troisième millénaire », Editions Gilles Attinger, 2000

 

 

 

23:26 Publié dans Blog | Lien permanent

04/12/2009

A part ça.

J'ai reçu "la Fanée", de Thomas Sandoz. Je vais me consacrer à sa lecture et j'essaierai de retrouver de la confiance pour écrire un papier.

17:38 | Lien permanent

Retour de bâton.

Je reçois à l'instant où je rentre chez moi cette missive blanche... Elle est de mon ami Richard, à qui j'appréhendais, à raison, d'envoyer le Dom Juan. Je le savais très imparfait, dans sa métrique, rattrapé que j'étais par le fait, inattendu, de son édition. Au XVII° siècle, il était plus facile de corriger un manuscrit au fur et à mesure que la pièce se jouait. "Mon" Dom Juan, iconoclaste, l'était jusque dans les quelques libertés qu'il s'est offertes avec la forme, que je n'ai pas repérées à temps mais que je subodorais: des "elles" monosyllabiques, des hiatus passés inaperçus. La diérèse et la synérèse en abondance, au libre choix. Et d'autres libertés dont ce libertin ne m'a pas prévenu...

 

dom-juan1_david-anemian.jpg

 

Je vais publier cette très belle lettre, magnifique objet d'amitié. Elle me servira sans doute à ne plus me risquer à un tel exercice, à défendre autrement mon Dom Juan. Parce que certains l'ont aimé quand même, parce que je me suis consacré corps et âme à ces personnages-là. Je les ai écrits comme une urgence, je peux le regretter. A l'inverse de Musset après "la Nuit vénitienne", j'aurais dû attendre qu'elle fût jouée avant d'en accepter l'édition. Rien de ce qui est écrit ci-dessous ne me surprend parce que tout est juste; le publier, c'est plutôt demander qu'on n'y revienne pas.

"Enfin je me décide...

Pardon pour cette attente cruelle, ce silence énigmatique. Je voulais choisir mes mots, t'ai-je dit. Parce que bien sûr c'est difficile et que je ne veux pas te blesser. Surtout pas.

Ce que tu as accompli est surhumain. Et j'en sais quelque chose. Ma tragédie m'accapare corps et âme, nuits et jours depuis plus de trois semaines, ne me laissant que peu de répit. D'où mon silence aussi, ma lente réaction. Mais il ne s'agit pas de cela.

J'avais donc emmené Dom Juan à la campagne, en retardant la lecture, repoussant le rendez-vous qu'il me fixait pour réunir certaines conditions, irréalisables hier encore, aujourd'hui possibles: un bon fauteuil, un feu de cheminée, un grand feu, dans une grande cheminée. Et la nuit de novembre tout autour.

Et j'ai commencé à lire... J'ai tout d'abord été intrigué par les deux premiers vers qui ne riment pas, ai alors pensé à ces deux fameuses coquilles dont tu m'avais parlé puis me suis reproché de méconnaître une référence que tu glissais d'entrée ou une signature ignorée de moi. Ensuite j'ai dévoré les dix ou onze vers suivants, découvrant la langue, le rythme, le chant, impatient de la suite.

Malheureusement, et le mot n'est pas usurpé, j'en conçus un réel malheur, la suite allant immédiatement me heurter.

"Elle n'est plus là, la Belle, pour qu'on l'écoute geindre

Mais elle ne sera pas la dernière à se plaindre..."

Ces deux vers, et d'autres après, nombreux, ne sont pas des alexandrins. Pas si l'on respecte les règles de versifications classiques suivies par Racine, Corneille, Molière, Ronsard, Hugo... notamment relatives au e muet et au e sonore, à la diérèse et à la synérèse... Autant de noms barbares pour autant de règles qui fondent la métrique de l'alexandrin.

Ainsi "Elle n'est plus là la Belle" mesure treize pieds, le vers suivant treize,

"Est-ce une raison, Madame, pour qu'ainsi votre époux" 14

"Et de la surveillance relâchant l'attention" 14

C'est le respect formel de cette métrique et de ces règles qui donne aux alexandrins de Racine ou d'Hugo leur chant si particulier. Et c'est à ce chemin que je suis accoutumé, dont je suis prisonnier même. Puisque la lecture de chaque vers "mal mesuré" m'obligeait à une gymnastique cérébrale assez contraignante qui déréglait la fluidité du texte et le chant des vrais et superbes alexandrins dont ta pièce recèle aussi en (grand) nombre. Je te l'avoue, j'ai interrompu ma lecture. Contrarié, malheureux même comme je l'ai dit plus haut.

Le lendemain, je me suis convaincu de lire Dom Juan dans son intégralité en essayant de m'affranchir de mes habitudes et des règles formelles dont j'étais pétri. Ce ne fut pas toujours facile mais j'ai lu. Et peu à peu j'ai oublié l'incomfort du premier rendez-vous et ai reconnu la beauté du

"Objet de tous les voeux, chimère obscurantiste

Ce n'est que par les sots que ton règne persiste"


"Vous voudriez, Monsieur, qu'après qu'il m'a tuée

J'accorde mon pardon à qui m'a condamnée"

...

"Mon amour revenu me ramène en souffrance"

Et tant d'autres vers.

Mais le mal était fait. Hélas. Et jusqu'à la fin, l'irrégularité de certains vers me tapait dessus. Et la musique déraillait. J'ai remonté Dom Juan à Paris. Ne me résignant pas à le laisser à la campagne. Voulant le garder près de moi. Pour essayer encore. Y plonger au hasard d'une fin de journée. Ou au commencement d'une autre. Chaque fois l'impression est la même. Je bute. Mis à mal par cette rythmique qui ne me rentre pas.

Voilà mon ami. Ces terribles choses que je voulais te dire. Ces terribles mots. Et finalement bien mal choisis.

J'espère vivement que cette lettre ne t'affectera pas d'une outrageuse façon et que tu me conserveras une amitié fidèle."

 

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02/12/2009

En attendant le 8 & le 9...

Je dois remercier Paul Herfray, mon alter-ego du Cheval de Troie, revue revenue des enfers elle aussi, de s'être substitué à moi pour écrire l'article sur "Tébessa, 1956". La décence m'impose de ne rien dire de plus, et l'éducation de m'excuser du fait que cet article paraisse avant ceux sur Thomas Sandoz et Anne Richter :  pas plus qu'hier, la Poste ne m'a livré leurs oeuvres respectives. J'attends, donc.

 

Laurent Cachard, 41 ans, participe au travail de mémoire et redonne la voix à qui semblait l’avoir perdue.

N’etre plus, avoir été

LC.jpgLaurent Cachard  n’a pas « fait  l’Algérie» : ça, c’est fait ! C’est au moins le postulat que posent les 40 ans qu’il avait au moment de l’édition de «Tébessa, 1956 », en 2008. Une fois cette évidence énoncée, il reste la question de la matière, à laquelle il n’échappe jamais, et répond patiemment. La genèse de son premier roman édité vient d’une histoire familiale dont seule a survécu une valise blanche en fer – « réglementaire, chacun la même, l’armée, c’est  fait pour unifier ! ». Celle avec laquelle les plus chanceux des soldats revenaient, qui était renvoyée à la famille de ceux qui n’en avaient pas eue, de chance. Gérard Poncet, au patronyme qui rend compte de l’époque, est mort le 5 avril à Tébessa, dans le canton de Djeurf, alors même qu’il n’avait posé le pied sur le sol algérien que six petits mois plus tôt, en novembre 1955.

En 55, on n’est pas encore dans la psychose d’un conflit qui s’enlise, il doit même y avoir des moments de joie sur le Ville d’Oran qui les a menés vers une terre qui n’était pas la leur mais qu’on leur demanderait bientôt de défendre comme si c’était la leur. De tirer « comme si votre vie en dépendait ! », disait Rivière, avant de mourir dans cette embuscade du 5 avril 1956 ; comme d’autres, comme Gérard, qui se doute qu’il n’en échappera pas et s’évade en pensée sur les pentes et le plateau de son quartier natal de la Croix-Rousse, à Lyon. Là où il les aurait « semés, les fells », là où il en retrouvait certains, peut-être, place Colbert, quand ils n’étaient alors que ses « voisins » de misère, dans un quartier où ouvriers et immigrés partageaient encore ce qu’ils avaient. C’est que la guerre, Gérard, plus encore que Bardamu, elle lui est tombée dessus sans qu’il y comprenne rien. L’apprenti-fleuriste de chez Beurrier, il aurait bien aimé qu’on le laisse à ses compositions fleurales et au doux sourire d’Elise, mais on a fait comme avec les autres, on ne lui a rien demandé. C’est l’oralité qu’a choisie Cachard pour redonner une voix à celui qui l’a perdue et c’était un piège : celui d’en revenir au Voyage, justement, celui de trahir une deuxième fois l’existence de quelqu’un. Etrangement, c’est Gérard lui-même qui lui vient en aide, par sa simplicité extrême, sa façon candide d’aborder, par petites touches, le contexte politique (« D’après Ballandras, qu’ils appelaient Lénine à la caserne : «  si l’Algérie n’était pas un protectorat, c’était tout comme : il fallait reconnaître son indépendance » ») tout en répétant qu’il n’y comprenait rien.

« Gérard revit et avec lui une Croix-Rousse - puisque les deux récits de l’embuscade et de la promenade mentale sont enchâssés – ressuscitée »

Gérard, dont la beauté d’âme n’est même pas ternie par les petits écarts (de bordel militaire) qu’il confesse en pensée, Gérard qui s’inquiète pour sa mère, ses deux sœurs et son chat Misou. Pas pour son père, qu’il rejette de son tableau de fin, reconstitué point par point. Gérard n’a pas le cynisme de Bardamu, « Tébessa, 1956 » est donc débarrassé de tout poids politique et psychologique. Et aborde l’Histoire en  « mettant en récit » (l’expression est de Ricoeur) le fragment que Gérard lui sacrifie : la connaissance se construit, s’organise, se dote d’un sens, même si ce sens confine à l’absurde. Laurent Cachard, dans le débat qu’il a eu pour « l’Usage des mots » avec Eugène Durif sur ce « devoir de mémoire » dont ils ont tous deux réfuté l’injonction, a défendu la « juste mémoire » chère à l’auteur de « la mémoire, l’histoire, l’oubli » et repris – sans le savoir – la conception heideggérienne de « l’avoir été » opposé au « n’être plus ». Une positivité de l’avoir été qui fournit, par le roman, une nouvelle sépulture à l’ex 2èmeClasse PONCET Georgges ce que je voudrais, c’est qu’ils se trompent pas de prénom quand ils enverront le télégramme à mes parents » ) dont l’inventaire des effets est reproduit en épilogue de l’ouvrage. Gérard revit et avec lui une Croix-Rousse - puisque les deux récits de l’embuscade et de la promenade mentale sont enchâssés – ressuscitée, du «Paris Méditerranée » de la Vogue des Marrons aux cinémas « le Marly » ou « le Chanteclair », de l’Eglise Saint Bernard au Café des Ecoles. S’il y a présence de l’absence dans la mémoire et si cela entraine reconnaissance, alors on s’est tous reconnus dans ce personnage qui décide de ne pas se laisser dicter sa fin par l’absurde et de se construire, on l’a dit, son tableau de fin. Jusqu’à la vision finale, belle surprise pour un pépiniériste (« « Qui n’a jamais planté un arbre ne peut prétendre savoir ce qu’est la vie », c’est un dicton japonais, ils sont forts les japonais pour les jardins. ») qui l’autorise à lâcher prise parce que rien ne le retient dans un monde qui envoie « des hommes » - Laurent Mauvignier reprendra les mêmes thèmes dans l’Après, le retour  -  perdre leur vie (« voilà, c’est la fin, maintenant, la vraie fin ») dans des instants d’éternité pas si différents « des instants que j’ai voulu arrêter quand j’étais à la Croix-Rousse ».Ce sont les autres qui pleureront sur son sort et c’est ça qui l’embête le plus, Gérard, en plus des chrysanthèmes qu’on mettra sur sa tombe alors que « - pourvu que Maman ne m’entende pas ! – c’est quasiment un crime de les mettre dans les cimetières. »

Il arrive que le « trop de mémoire » par ci, le « trop d’oubli ailleurs » - dit encore Ricoeur – produise, socialement, un spectacle indécent. La fiction est en charge, désormais, de dissocier, pour rester dans la philosophie, la mnémé, le souvenir qui affecte, de l’anamnésis, la mémoire qui compose. C’est pour cela que « Tébessa, 1956 » ne propose pas de fin, parce qu’elle est donnée au début et parce que le minimum était d’être aussi pudique que Gérard devant la Mort (« Si seulement je pouvais juste faire qu’Elise pense très fort à moi au moment où ça se passera, j’aurais une mort complète et soulagée »). Laurent Cachard dit l’ironie d’avoir redonné la voix à quelqu’un qui l’a perdue et de le laisser parler avec bonheur, sans tristesse rajoutée ; de voir aussi que Gérard lui survivra, nous survivra à tous. Comme restera le parfum du lilas blanc au mois d’avril quand nous serons partis. C’est aussi ça la transmission. PH

Paul Herfray

pour « le Cheval de Troie »

 

« Tébessa, 1956», Raison & Passions

ISBN 978-2-917645-00-0

 

 

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01/12/2009

La rue de la Chouette.

J'attends que la poste suisse daigne me livrer "la fanée" de Thomas Sandoz et qu'on daigne me signaler que "l'ange hurleur" est arrivé en magasin pour terminer mon décalogue critique et passer à autre chose dans l'écriture. Je prends juste le temps de vous signaler ici que je suis enchanté d'avoir trouvé ce week-end un moulage (réussi) de la Chouette de Dijon, laquelle recueille dans la rue du même nom, les voeux et les souhaits les plus secrets des passants. J'aime l'irrationnel quand il est incarné dans quelque chose d'aussi inessentiel. Il n'empêche, je suis très heureux de pouvoir, de chez moi, caresser la chouette (de la main gauche) et formuler d'autres voeux aussi secrets que ceux que j'ai déjà formulés en d'autres temps.

 

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30/11/2009

Faire tapisserie.

Il y a des endroits pires que le Palais des Ducs de Bourgogne pour attendre, deux jours durant, que le passant s'arrête sur votre livre. J'ai de la chance, encore, mon anonymat absolu étant en partie compensé par l'accroche de la couverture, par ce que le titre provoque chez celui qui a vécu cette période de l'histoire de France, par la discussion qui s'engage... Je parle de Tébessa, ici, pas de Dom Juan, évidemment: Dom Juan, il n'y a que les jeunes filles qui l'ont aimée (l'oeuvre...) qui s'y intéressent, mais c'est déjà beaucoup! La petite histoire de ce week-end, c'est Régine Deforges qui est allée deux fois directement vers Claude Raisky, mon éditeur, le vendredi parce que le livre l'a attirée, le lendemain parce qu'il lui a plu. C'est déjà ça.

 

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Heptalogie

Yasmine Char, 46 ans, ramène sa jeune héroïne de 15 ans dans le Liban en guerre qu’elle a quitté enfant.

Phèdre du Liban

Femina_10_Char_200.jpgYasmine Char est une tueuse. Non qu’elle ait – du moins pas à ma connaissance – commis quelque homicide dans le Cénacle des Lettres-Frontière, mais, comme l’inconnu qui s’adresse à l’héroïne de sa « Main de Dieu », on reconnaît chez elle l’assurance orientale des personnes sûres non de ce qu’elles paraissent, mais de ce qu’elles sont. Sauf que son personnage, jeune et « sauvageonne » beyrouthine de 15 ans, isolée de la guerre qui s’y joue par son milieu social (surtout « ne pas s’en mêler ») mais rattrapée par cet amour interdit qu’elle y rencontre, sait elle démonter et remonter à l’aveugle le révolver qu’on lui a offert, ce « doudou des temps modernes » pour marquer un peu plus « le déclin irrémédiable du peuple rieur ». Celui dont les Occidentaux veulent garder la mémoire quand tout, dans le réel, ramène les habitants d’un pays en guerre au chaos et à la rancune. Cette jeune fille vit ses premiers émois amoureux et Yasmine Char, par sa voix, nous glisse que l’amour, dans ce pays qu’est le Liban de 1975, a des rapports semblables à la guerre : « partout s’introduire et saccager ». Elle vit le cataclysme du départ de sa mère, qui voulait « redevenir française » et qui prétexte – « profite de l’émotion générale » - l’attaque, le 13 avril 1975 à Aï Remmaneh, d’un car de réfugiés palestiniens par les phalanges chrétiennes de Pierre Gemayel pour s’enfuir avec son amant, laissant le père de ce « garçon manqué » exsangue, anéanti. Pas un mot pour elle, dans la lettre qu’elle lui a laissée, et une photo de cette étrangère « blonde aux yeux clairs », au « sourire poli avec une distance » dont elle crèvera les yeux avant de la manger, justifiant auprès du père son vol par l’action de « la main de l’ange »… Dans un Liban déchiré par des groupuscules armés maronites d’inspiration franquiste d’une part et les nationalistes et progressistes arabes de l’autre, on se tue dans les rues et on finira par dresser une barrière est-ouest, on le sait. Seulement, notre Phèdre du Liban n’a pas la tragédie ancrée en elle : elle est « comme ces gens du sable, libre et rebelle », une « enfant nomade en devenir » ; elle aime et se donne à cet homme, ce franc-tireur dont elle ne sait rien sinon qu’ « elle n’a pas peur de ce qu’il est ». Elle sait qu’elle devra résister, dans sa vie de femme, à son éducation qui se raidit, à ses tantes, « oiseaux de mauvais augure », qui la reniflent sous toutes ses formes, « réclamant un test de virginité », à cet oncle tyrannique qui lui impose un professeur de Coran, qui veut se substituer à l’autorité du père, ce « héros du désespoir » qui a lâché prise.

« Yasmine Char tresse les cultures et les époques et dresse, dans le délien, notre part de responsabilité dans l’échec d’un monde, dans sa rétroaction, dans les chambres condamnées que les appartements les plus poétiques ne manquent pas de comprendre »

Au fil des aventures de cette jeune fille, Yasmina Char distille quelques pensées qui éclairent, rétroactivement, l’enfance en guerre de la jeune fille qu’elle fut : on apprend qu’il n’y aura sans doute jamais de pardon pour le Juif, « mais l’oubli, un jour, pour alléger la mémoire ». Toutes les religions monothéistes sont donc visées dans ce livre très resserré, «point de départ du désenchantement » et les époques sont entremêlées : on sait que le Liban n’est jamais à l’abri, que le ressac de la guerre et de la haine l’a secoué de nouveau : du « ni guerre, ni paix » des années 77-81 à « Paix en Galilée » en passant – en s’arrêtant, plutôt – sur Chabra et Chatila pour revenir en 2006, « raisins de la colère », la guerre, là-bas, c’est comme le soleil, tout le monde y a droit.  L’énonciation s’entremêle, le Je et le Elle se confondent sans qu’on sache – parce que ce n’est pas l’objet - si Yasmine Char parle d’elle, ou de toutes les femmes qui voient la guerre nourrir l’obscurantisme et réciproquement. Le rêve qu’elle fait de cette femme qui l’enlace, contre les seins de laquelle elle se laisse charnellement aller, c’est celui de Layal, la « Charmouta » du lycée, « exclue de l’honorabilité à jamais » pour avoir couché, c’est celui de toutes celles qui voient venir la régression et ne l’acceptent pas, celles dont on retrouve parfois la bouche et les yeux cousus, à titre de répression. Le lycée français que la jeune fille fréquente, l’identité de sa mère, le mandat sous lequel sa grand-mère est née, l’officier qui s’est tué pour elle, l’homme qui maintenant lui demande de tuer pour lui, Yasmine Char tresse les cultures et les époques et dresse, dans le délien (« Je pensais à vette France qui m’avait laissée tomber »), notre part de responsabilité dans l’échec d’un monde, dans sa rétroaction, dans les chambres condamnées que les appartements les plus poétiques ne manquent pas de comprendre. Son amant du Liban de l’Ouest, celui qui lui a appris un monde qui n’est pas celui que son père aurait voulu lui transmettre, elle l’effacera comme il a effacé toutes ces personnes qu’il a eues dans son viseur, acceptant de ne jamais savoir pourquoi il l’avait regardée. Quand elle parle des miliciens, Yasmine Char dit : « ce qu’ils n’emportent pas, ils le cassent. Ce qu’ils ne cassent pas, ils le brûlent. On ne saura jamais ce qu’elle – ou son héroïne – a sauvé de son enfance pour l’emmener en Suisse, ce « cher pays ».   On ne saisit d’elle que cette ligne de démarcation mentale qu’elle a gardée, la frontière insaisissable entre ces « gens normaux », ces miliciens chrétiens « jumeaux des miliciens musulmans ». Le souvenir de Sami aussi, dont elle ne peut, puisqu’elle n’en connaît pas le nom, même pas savoir s’il est de la liste des massacrés du camp de réfugiés. Mais elle le sait, pourtant. Comme elle a la certitude définitive que la main de Dieu n’a plus d’emprise, si tant est qu’elle en eut. Les Libanais se sont « installés partout dans le monde » et partout « l’ont rendu florissant ». Mais la douleur de l’exil ne s’est jamais éteinte quand dans le même temps, au pays, les vendeurs ambulants jettent à terre en crachant leur mépris les colliers de fleurs que plus personne n’achète.  C’est dur et c’est triste à la fois. Comme une tragédie sans fin. « Sans salamalecs ni chichis ». LC

« La main de Dieu», Gallimard

ISBN 978-2-07-078694-7

Prochain numéro : « La fanée», de Thomas Sandoz.

 

 

 

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