16/01/2010
Conte d'hiver.
Ma bobine en carte de voeux, on n'aura donc échappé à rien...
Un petit mot pour dire, comme je l'ai déjà évoqué, que je suis heureux d'aller vendredi soir à Bloye (dont la prononciation ne m'échappe plus, maintenant, même si pour un nizanien, la tentation du Bloyé est grande), la commune aux 438 habitants référencés sur le site Internet - renforcés pour l'occasion par les lecteurs de la ville voisine de Rumilly - dont un des intérêts est d'être la commune la plus éloignée géographiquement de Ouessant. Tiens, par habitude, j'ai failli mettre des guillemets...
Je rendrai compte, évidemment, de ce qui se sera dit là-bas, dans le cadre de mon "Never Ending Tébessa Tour story".
Pour les passants de ce site plus proches des autres lieux de manifestations, n'hésitez pas, sortez, allez écouter les autres auteurs de la sélection : ma plus grande frustration, depuis novembre, est de ne pas encore avoir trouvé l'occasion de le faire moi-même.
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13/01/2010
Puisqu'il nous faut laisser tous ceux qu'on a aimés...
La période est un peu sombre, en ce moment. Mano Solo, Kristina Rady, Eric Rohmer, Daniel Bensaïd, pour ne parler que d'eux, c'est un triste début d'année, qui m'a pourtant renvoyé, en d'autres lieux, à ce texte fondateur et au temps des NADA. J'ai pris mon mal en patience et profité des nouvelles technologies avec lesquelles je tâtonne pour "faire" ce petit film, qui s'écoute davantage qu'il se regarde sans doute, et encore, avec des oreilles indulgentes. Mais il est là et comme dirait l'autre, je le valide. N'en déplaise, certainement, à Sabrina. Ecoutez voir Fred Vanneyre, alors.
Ouessant (Laurent Cachard/Fred Vanneyre) - NADA 2002
envoyé par cachardl. - Regardez plus de clips, en HD !
10:10 Publié dans Blog | Lien permanent
10/01/2010
Camille
"D'où vient une pareille férocité? Vous qui connaissez mon attachement à mon art, vous devez savoir ce que j'ai dû souffrir ; du rêve que fut ma vie, ceci est le cauchemar..."
« Je lui ai montré où trouver de l’or, mais l’or qu’elle trouve est bien à elle »*
Il n’empêche, elle n’aurait jamais dû courir vers moi. C’est la seule explication, l’alternative au néant dans lequel nous avons fini par plonger : on peut, sous l’égide des grands maîtres se brûler à la lumière de leurs œuvres autant qu’être attiré par les ténèbres de leurs vies. Auguste Rodin, Camille Claudel puis, une folie et deux morts plus tard, elle et moi, qui nous étions donné rendez-vous devant le musée, rue de Varennes. Qu’est-ce qu’il y a de plus immobile que d’attendre quelqu’un, mais pas l’immobilité que le modèle doit figer, non, celle qui fait que l’action s’accélère autour de soi, que tout mouvement devient inutile ou alors perception des instants qui vont suivre et que cette attente-là va déterminer. Un penseur à l’intérieur mais un candide hors les murs : le décor est planté, ce n’est plus qu’une question de minutes. Pour elle, le Baiser attendra, la Valse aussi. La sculpture et la danse ont en commun qu’elles concentrent le mouvement dans l’absolu, qu’elles le figent et ne le restituent qu’au regard avisé, à celui qui veut voir. C’est ce que j’aurais dû comprendre, j’aurais dû voir que tous les mouvements autour de moi étaient des agitations, des avertissements aussi, ils me prévenaient des incidences de ce que j’allais vivre : j’aurais été plus libre de les appréhender…
La rue que j’arpente est étroite, discrète, juste derrière, pourtant, ce sont les Invalides : les deux faces de Rodin dans le même pâté de maisons, dont il écrase l’identité. Les deux Rodin, le molosse et l’intime, le sacré et l’absolu, le méandreux et l’esthétique. J’attends, les œuvres sont dedans, il va falloir passer les grilles, accéder aux statues du parc, rentrer dans un univers qui fait le lien entre ce qui fut réalisé et ce qui est regardé, désormais. Une statue, comme un arbre, est davantage regardante que regardée, n’en déplaise à l’état qu’on lui donne ; la pierre dont Rodin a tiré son ouvrage – celle à qui une cause extérieure a donné le mouvement – s’est laissée griser par ce qu’elle pense être devenue : une pierre taillée, affinée, polie, qui garde néanmoins ce pouvoir d’absorption du regard, de l’émotion. Ce n’est pas l’œuvre elle-même qui émeut, ce sont les énergies qu’on lui transmet, qui témoignent, au fil des histoires qui se nouent autour, d’une genèse des sentiments. Fouler le pavé de la rue de Varennes, compter les pas jusqu’à la bouche de métro du même nom, se demander combien de personnes en sortiront avant qu’Elle n’en remonte l’escalier, c’est être déjà dans ton œuvre, Rodin. Le musée, en soi, n’est que le dernier endroit où on peut te trouver, l’atelier qui s’est habitué à ton absence, voilà tout.
Alors tu es là à attendre avec moi, finalement, à savoir, peut-être, où cette volupté-là va me mener, à te dire qu’à ma place, tu n’attendrais pas d’une seule personne qu’elle réponde à la part manquante. Tout est toi dans cette attente, oui, le sujet qui s’impose à lui-même et ce rendez-vous fixé au musée, qui porte les gènes de l’histoire qui se joue : si ce n’est plus Elle que j’attends, se pourrait-il que ce soit Camille, alors ? Ce ne peut être Rose, c’est sûr : Rose attend quand on attend Camille… Et Camille, en plus de toutes les Camille, n’est-elle pas là pour toutes les irrégulières du monde ? Ne laisse pas mes angoisses réguler mes émois, Rodin, autorise-moi à les façonner, donne-la moi, la distance du démiurge !
extrait de "Reconnais, Rodin", à paraître (peut-être).
08:00 Publié dans Blog | Lien permanent
08/01/2010
A quoi bon?
Toujours cette même impression de lutter contre des moulins à vent (chevauchant l'haridelle)... Faites part d'un doute, on vous taxera de pusillanimité; confessez un enthousiasme, on vous demandera de le modérer. Dites que vous êtes en train de faire ceci, et c'est la fatuité qui, là, est convoquée. Il me semble avoir beaucoup "donné", ces derniers temps; j'ai reçu, heureusement, grâce aux rencontres "Lettres-Frontière", mais décidément, même à l'âge qui est le mien, il est toujours "dur à apprendre sa partie dans le monde".
Que Sabrina et autres Mickey ( ou "Avatar") se réjouissent, dans très peu de temps, ce sont eux qui auront gagné.
17:34 Publié dans Blog | Lien permanent
05/01/2010
2010
On rouvre, alors. Evidemment, c'est plus facile de faire quelques brèves sur FB que de nourrir un blog au quotidien, mais je sais - parce que c'est statistique - que beaucoup de personnes, maintenant, passent par ici et je ne peux pas laisser plus longtemps mon épicerie culturelle à moi close. Même si les contingences de mon "deuxième métier devenu premier" (j'adore cette expression du sociologue Bernard Lahire, extraite de "la condition littéraire, la double vie des écrivains", La Découverte, 2006) ne me laissent que très peu de temps en ce moment. Evidemment aussi, je souhaite à tous la meilleure décennie possible, qu'elle soit sous le signe de l'ouverture et de la réalisation, on peut toujours rêver, c'est la période. Souhaitez-moi de terminer pour la période fixée ma "partie de cache-cache", un roman désormais autorisé par la réaction qu'ont eue les lecteurs de "Tébessa". Autorisé, mais obligé aussi: je sais que mon sujet est exigeant, qu'il est aussi moins consensuel que Tébessa. D'où l'importance d'"aller à l'os", de ne rien laisser de ce qui est superflu dans ce matériau qui date maintenant de quelques années, du moins dans sa première partie. J'écrirai sans doute dans ces colonnes le roman en train de se faire alors que je serai en train de le terminer. Parce que ces chroniques me sont essentielles, dans l'exercice d'écriture. En tout cas, mon "hautetfort" est reparti. Et je suis comme vous, j'attends "l'éclaircie", qui se fait désirer... Allez, un teaser, un autre?
Et retrouvez ici toutes les chroniques de "l'Eclaircie", parues sur ce blog
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14/12/2009
Saison Lettres-Frontière, ouverture!
J'entame demain ma saison Lettres-Frontière, cette rencontre avec les différents cercles de lecture qui en composent le jury. Pour l'instant, je suis invité à neuf endroits différents de Savoie, Haute-Savoie et de Suisse Romande: j'irai avec plaisir à la rencontre de ces personnes qui ont oeuvré pour que la sélection se fasse et qui, de fait, m'ont élu. Je pars demain encore plus enchanté de partager la rencontre avec Thomas Sandoz, avec qui nos échanges épistomailières (j'ai bien entendu parler aujourd'hui pour la première fois de webographie!) ont été très cordiaux.
Alors, oui, j'apprends: je sais que la prochaine fois, je dirai qu'il m'est difficile de faire un aller-retour de 700 km en moins de 12h, mais non, vraiment, rien ne m'empêchera de goûter mon plaisir. Compte-rendu dans ces colonnes, évidemment.
Thomas Sandoz & Laurent Cachard à Sierre demain
J'ai malencontreusement effacé la note du 16 décembre, relatant la rencontre de la veille. Je la reproduis ici:
Hier à Sierre
Première rencontre, hier soir, avec les lecteurs de Lettres-Frontière, à la Bibliothèque de Sierre, en Vallais. J’ai cru un temps qu’on ne m’identifierait jamais que comme écrivain berrichon, me voilà mi-suisse mi-savoyard pour les six mois à venir… J’ai dû, pour honorer cette invitation, jongler avec les horaires et les transports, prendre ma voiture et rouler jusqu’à ce qui m’aurait amené à Marseille si j’avais pris une autre autoroute. Mais quand ils aiment, les lecteurs, on ne compte pas et j’étais enchanté à l’idée de retrouver Thomas Sandoz pour une « affiche » partagée. Le temps de penser à Christian Chavassieux en découvrant la température caniculaire de la chambre d’hôtel, et mes hôtes venaient me chercher, pour nous amener, Thomas et moi, à la rencontre de Jean-Pierre Michellod, le maître d’œuvre des rencontres avec les auteurs, l’animateur au sens étymologique. Jean-Pierre Michellod, qui applique à ses préparations la même discipline qu’il a dû appliquer à celles de ses cours de Lettres, nous reçoit avec beaucoup de chaleur, l’impression d’être un écrivain me saisit de nouveau, un mois après « l’Usage des mots », à Genève. Il prend le pouls, JPM, s’inquiète en son for d’une éventuelle rivalité entre auteurs qui rendrait l’échange difficile, se rassure d’entendre que Thomas et moi avons déjà très cordialement communiqué sur nos écrits respectifs et qu’il n’y aura rien que lui ou la salle ne pourra nous demander. L’assemblée est assez conséquente, il y a une trentaine de personnes qui nous attendent dans la salle du haut de la belle Bibliothèque de Sierre, au dessus de ces auteurs endormis que Thomas et moi apprécions de fréquenter à ces heures inhabituelles. Jean-Pierre Michellod entame la rencontre en nous faisant parler de la nécessité de l’écriture, dans nos vies respectives ; la parole se répartit bien, j’aime entendre Thomas dire de lui qu’il n’est pas un écrivain romantique, que ce besoin ne lui est pas vital, mais prégnant quand même. Je me surprends à dire de moi ce que je ne n’ai jamais vraiment dit publiquement, à parler de cet équilibre que je dois trouver entre mes deux activités, mais aussi avec les contingences familiales, sociales, personnelles : ces renoncements qui fondent une aspiration.
Les spectateurs, comme souvent, sont respectueux, mais réactifs, quand on parle de « la Fanée », de cette écriture coup-de-poing qui ne laisse pas d’espérance. J’adorerais, par moments, me mettre à la place de Jean-Pierre Michelod pour questionner Thomas, par moments, je le fais, je me fais même l’avocat du père, dont l’auteur lui-même dit qu’il n’aime pas sa fille. Thomas, à qui on demande si les mots qu’il trouve pour parler de cette jeune fille ne l’auraient pas sauvée, qui répond que même les plus généreux, les plus altruistes des êtres humains peuvent avoir leur moment de faiblesse et de (petite) lâcheté et que c’est hélas à ce moment précis que la Fanée les a rencontrés. « Tébessa » est plus consensuel, évidemment, mais les Suisses ne me questionnent pas sur l’Histoire, davantage sur la petite. Jean-Pierre Michellod nous demande, à Thomas et à moi, si dans ce que nous écrivons d’une époque donnée, il n’y a pas une critique sous-jacente de la contemporanéité : dans les confrontations des religions, dans les damnations adolescentes etc. A ce moment, je comprends qu’un livre ne fait sens que quand on peut l’assimiler à d’autres qui ont déjà été écrits. On parle d’identité, de territoires perdus ou à défendre, des constructions inversées de nos structures romanesques : de la fin au recommencement pour Gérard, de la fin à…la fin pour la Fanée. JPM revient à nos écritures resserrées, Thomas avoue que pour se défaire du poids d’un roman aussi oppressant, il écrit un livre « de divertissement », avec dialogues, bagarres etc. Je réplique que pour me sortir de cette épure, j’ai écrit ce Dom Juan en alexandrins, dont certains sont à reprendre.
Il s’est dit beaucoup de choses, en deux heures de temps que nous n’avons pas vu passer. Toutes les petites fiches cartonnées et polycopiées du maître de cérémonie n’ont pas servi, mais l’échange a été réel, pas didactique. Durant le repas qui suit, après les signatures d’usage et, donc, les réceptions directes du roman, j’entends parler des auteurs qui m’ont succédé aux mêmes tables, de débat et de repas ; on parle de Pascal Garnier, Sorj Chalondon, rien, dans l’extrême courtoisie de mes hôtes, ne me laisse penser que je suis un auteur mineur en comparaison : c’est aimable. On s’inquiète même de savoir si mon deuxième métier devenu premier me permettra encore d’écrire ce que j’ai confessé être, à mon tour, chacune des composantes de mon tableau de fin, celui qui me déterminera comme l’individu que j’aurai essayé d’être. Nous rentrons à l’hôtel, Thomas et moi, sans oser regarder nos montres ; nous décrétons que nos routes se recroiseront et qu’on prendra un peu plus de temps encore pour nous connaître autrement que par les œuvres. Je me couche épuisé et cette fois, officiellement malade (quoique ça devra attendre les vacances…). Ça valait un réveil (très) matinal, l’impression étrange d’aller travailler à 350km de là où je me suis levé. Ça lance surtout magnifiquement ma saison. Prochaine étape à Bloye, dont j’ai vu sur le site de la ville que la commune qui lui était géographiquement la plus éloignée était… Ouessant ! Quand tout fait sens, vous dis-je.
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08/12/2009
Décoder les décalogues...
Voilà, c'est fini. J'ai beaucoup oeuvré, en un mois de temps, je me suis régalé à la lecture de ces oeuvres (heureusement courtes, à quelques exceptions...). Je remercie ici tous les auteurs qui m'ont répondu et encouragé. J'espère que cet exercice fera des petits, cette année ou les prochaines, j'espère également que la somme prendra un tour un peu officiel, une petite impression à la clé, que je puisse aller rencontrer tous les lecteurs de Lettres-Frontière avec quelques traces de mémoire...
Anne Richter, 70 ans, laisse les cris des souvenirs se lasser d’eux-mêmes et réinvente la tranquillité.
LA MENAGERIE DU NOVELLISTE
Anne Richter aime les animaux. Elle en a peuplé chacune, quasiment, des neuf nouvelles qui fondent son recueil, dont le titre est éponyme à celle qui l’inaugure : « l’ange hurleur ». Le détail de la fresque de Giotto qui l’illustre laisse croire que le propos sera Renaissance ou ne sera pas, mais c’est un trompe-l’œil, en fait : les nouvelles sont de petites scènes de l’humain quotidien, mâtinées de références souvent trouvées en exergue, de l’éternel retour nietzschéen qui surplombe « le crime » à l’aphorisme de Jean Grosjean en ouverture de « la bibliothèque insurgée» en passant par Bernanos pour qui « l’enfer, Madame, c’est de ne plus aimer ». Il est beaucoup question de livres, dans ce recueil, de ceux qu’on écrit à deux voix dans « Olga et le catobarian » – cet animal mystique et thaumaturge, mi-chat mi-singe - à ceux qu’on n’écrit pas parce que, dit Clovis « le poète », on ne peut agir « en propriétaire » des mots qui feront sens en poésie ou au sein d’une correspondance. Anne Richter sollicite dans ses nouvelles beaucoup de grands noms, de mythologies diverses : là encore, de la Penthésilée à Duras, Bataille et Genet pour qui l’Anna de « Anne et Anna » « nourrissait une passion avouée ». Comme Lou Andreas-Salomé et ses trois illustres amants, Freud, Rielke, Nietzsche, donc, qu’on trouve ici grimé en « homme-cheval ». Pour participer à la ménagerie, pour que loups, renards, crocodiles, singes, chats, faucons de bonze et autres ne se sentent pas seuls ? L’écriture tenue est celle d’une lectrice, dans les textes, l’écriture se questionne elle-même et va chercher sa justification. Avec ironie, parfois, quand Olga se demande, via Colette : « les femmes vont-elles si loin ? ». Elle ne s’en prive pas, Anne Richter, qui sollicite dans sa bibliothèque les incunables – ou presque : un Simenon dédicacé à son père – « ces milliers de livres rebelles » qui la décourageront dans « Maison folle » : « Que de livres accumulés en une vie et pourquoi faire en somme ? » On retrouve dans les deux bibliothèques, celle du père, celle de la mère – « la plus érudite » - les deux pôles de ce qui a fait le parcours personnel de l’auteur, qui semble mettre beaucoup d’elle-même dans ses écrits tout en maintenant une distance un peu désabusée. Un peu revenue. Même si l’essentiel de ses histoires, nonobstant les deuils toujours douloureux, se terminent plutôt bien.
« Pendant qu’elle vit seule et écrit, Anne Richter, elle repense à Anna Géramys, à ses héroïnes meurtries, elle saisit doublement, « au cœur du chaos, l’instant de beauté qui passe ». »
Dans « l’ange hurleur », on croit revivre cette scène de fait-divers où un homme a été retrouvé errant et détrempé, en costume de soirée, sur une plage anglaise, il y a quelques mois. Là encore, fausse piste : l’homme qui attend Clara est bien à l’aise, devant son piano, face au Rhin. Il va entamer « le concerto pour piano n°27 », de Mozart, c’est son père disparu, que sa grand-mère, dans sa mort à elle, lui fait retrouver en même temps que cesse sa douleur. Jeu du réel et des signifiés, « tout cela peut paraître étrange, mais tout ce qui se passe est étrange »… Comme de s’adresser à des bibliothèques, d’ailleurs, dont Sartre - que Anne Richter a convoqué en exergue de « Où est Mia ? », la nouvelle la plus maudite du lot (dans sa chute) – a toujours dit qu’ils les considéraient comme mortifères. Pendant qu’elle vit seule et écrit, Anne Richter, elle repense à Anna Géramys, à ses héroïnes meurtries, elle saisit doublement, « au cœur du chaos, l’instant de beauté qui passe ». Dans cette duplicité de la huitième nouvelle, elle élucide le lien entre ce que Ana a soulevé et ce qu’elle a fini par vivre, même si elle l’a vécu différemment, même si elle – distance oblige, toujours – ne s’est pas laissée submerger par les trois énigmes que sont « l’écriture, l’amour et la mort ». Il n’y manque que le temps et la Nature pour recréer le Manifeste romantique, mais si Anne Richter en goûte la volupté, elle en balaie l’impact : après tout, Kleist n’a-t-il pas été, jusque dans suicide, incompris de Goethe ? Et dans l’impromptu du Café Procope – encore une fois la légitimité des lieux empreints d’histoire, le porto dégusté en face de Beaumarchais – la vieille femme qu’Anne Richter sera peut-être un jour morigène sa cadette, lui dit qu’elle gâchera sa vie « à force de vouloir que tout, autour de vous, soit logique et raisonnable » . Comme dans ces miroirs auxquels il est souvent fait référence dans ses nouvelles, l’auteur-narrateur-personnage semble avoir trouvé elle-même cette « immobilité du temps » propre aux vraies histoires d’amour. Quitte à ce que celles-ci soient transposées jusqu’à ce qu’on se demande « si l’imagination créatrice n’a pas entièrement réinventé le réel », comme dans « l’Amant », écrit un demi-siècle après l’histoire qu’il raconte.
Anne Richter est un écrivain de l’expérience. Ses personnages – pas si multiples que ça – ne sont sans doute que les différentes facettes qu’un individu traverse avec les âges. Elle a compris, comme Henri-Pierre Roché avant elle (Penthésilée oblige !) qu’il faut justement attendre cinquante ans pour écrire sur ses amours, que « le temps n’est plus, pour un écrivain de créer des types merveilleux et divers, il est davantage de se créer soi-même et de s’exposer, simplement »*.
La « magicienne lucide », comme l’a appelée Jacques de Decker dans « Le soir » pourrait terminer son introspection par les mêmes questions que se pose son homme qui dort à elle, « d’un sommeil intégral, aquatique, sans images » : qui sont ces gens qui peuplent ces fragments de vies qui se réhabilitent s’il en est encore temps – magnifique passage de la danse « joyeuse et sauvage » de Adam et Olga retrouvés et du catobarian, donc, « qui prend sur lui la tristesse des hommes et débarrasse de leur peine ceux qui se sont confiés à lui » - « est-ce un autoportrait (qu’elle) tente d’esquisser ici » ? Les animaux se sont tus et l’ange hurleur a fini de crier. « Le moyen de cacher un homme ? **» demandait Valéry à Gide. Dans la bibliothèque mémorielle de Anne Richter. LC
*HPR « Autobiographie », 1903
** Jean-Paul Sartre in Préface à Aden Arabie, de Paul Nizan
« L’ange hurleur», L’âge d’homme
ISBN 978-2-8251-3820-5
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07/12/2009
Epistémologie..
Une fois n'est pas coutume, un peu d'actualité sur ce site. Parce que ce matin, dans ma voiture, j'ai été impressionné par la valeur philosophique de cet homme de science, peu enclin à se laisser dominer par l'émotion du consensus et par l'unanimisme triomphant, quand la certitude trop grande n'est plus scientifique mais religieuse, dit-il. Physique, éthique, anthropologie, ethnologie et grande sagesse au final: j'ai découvert cet homme aujourd'hui, je ne m'en cache pas, mais je vais lui prêter désormais plus qu'une oreille.
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