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16/01/2024

Sois sage, ma douleur*

grvaise.jpgDans l’enfermement, le pire, c’est parfois de vivre des scènes comme si on en était extrait. Rester là à parler de rien et fumer – l’art absolu du temps perdu – avec d’autres patients et soudainement, comme dans un film, voir, à l’autre bout du couloir, cette femme qui passe, qui est, elle, occupée, qui se dirige vers un rendez-vous, un entretien, une marque de sociabilité quand mes congénères et moi sommes condamnés au vide, aux heures distendues, entre sommeil, cachets pour (encore) dormir, errance dans un couloir entre deux séances de soins. Des soins comme on pensait qu’on n’en faisait plus, des électrochocs, des camisoles chimiques, des heures de thérapie pour mettre un joli nom à quelque chose de dégueulasse : une dépression mélancolique. Les bras qui tombent devant la vie, ses obstacles, ses acharnements, parfois. Et là, alors, cette scène de cinéma, ce bout de film de Rohmer, cette femme qui passe, qui a le charme des femmes de cinquante ans qui ont vécu. Je le sais, moi, qu’elle a vécu, parce qu’on a, dans une vie antérieure, passé vingt ans ensemble, qu’on s’est plu, reconnu, qu’on s’est aimé intensément, jusqu’à faire ensemble deux enfants, deux garçons qui sont maintenant un bout de ce que j’aurais voulu rester, un bout d’elle, aussi, et un tiers d’eux-mêmes, en propre. Elle passe, là, le traitement fait que je ne sais pas si je la revois telle qu’elle m’était apparue la première fois, ou si, dans une anamorphose, un grand-huit temporel, elle passe en parallèle, comme si j’étais devenu invisible à ses yeux. Invisible comme le mal dont je souffre, qui m’enferme et m’empêche de vivre. Qu’on ne reconnaît pas, socialement, ou qu’on évacue à coups de discours volontaristes : allez, ça va aller ! Tu n’es pas le plus à plaindre, tu es debout, tu as du temps pour toi etc. S’ils savaient, tous, que chacun de ces encouragements est un véritable coup de poignard dans l’esprit de celui qui voudrait se battre, mais qui littéralement ne le peut pas. Qui s’enferme dans l’incompréhension, la colère puis le mutisme, autant d’étapes qui finissent par vous faire douter que vous avez vécu, que vous avez été heureux et que vous ne l’êtes plus, quand tous les agents qui font que vous l’avez été passent comme ça, à côté de vous, en faisant mine de ne pas vous voir quand ils vous voient et vous entendent. On est tous un jour passé à côté de quelqu’un en faisant semblant de ne pas le voir, parce qu’on était pressé, parce qu’on n’avait pas envie, peut-être, d’écouter ses problèmes. Moi-même, je l’ai fait, parce que je ne vaux pas plus qu’un autre être humain et son misérable petit tas de secrets. Mais pas moins non plus : il y a pire que le grillage qui entoure la cour qui me sépare de ceux qui sont vivants et me reprochent presque de l’être, encore. J’ai l’air normal – l’inverse du pathologique, en médecine, sauf que ça ne se dit plus – alors je suis censé ne pas me plaindre. Mais si je me plains, c’est parce qu’ils ne me voient plus, ne reconnaissent pas que je souffre et que je souffre plus encore parce qu’ils ne le reconnaissent pas. Que les problèmes – de couple, d’argent – qu’on a eus ne devraient pas empêcher cette femme qui m’a aimé de se soucier de moi. Prends soin de toi, dit-on souvent à quelqu’un quand on le quitte, parfois pour éviter de le faire soi-même. Dans ce mauvais remake de ce qu’a été ma vie, l’héroïne ne fuit pas seulement vers un autre, elle me fuit moi comme on fuyait la mort dans les campagnes de peur qu’elle soit contagieuse. J’aimerais qu’elle me reconnaisse vraiment, qu’elle se soucie un peu, me dise qu’elle viendra demain si aujourd’hui elle ne peut pas. Mais on ne devrait jamais ne pas pouvoir consacrer un peu de son temps à quelqu’un qu’on a aimé, si on l’a vraiment aimé : tous les bancs de justice ne devraient jamais pouvoir altérer ces sentiments-là, ou alors, c’est qu’ils n’étaient (peut-être) pas plus fiables que la maison qu’on a construite ensemble et qui s’est délitée. La mélancolie, c’est beaucoup plus pernicieux que la tristesse pure, parce que ça s’appuie surtout sur des moments heureux, qu’on a perdus par maladresse, souvent. Elle est là, la perception accrue, supérieure, des hyper-sensibles. Cette femme a porté mes enfants, qui semblent, eux non plus, ne pas me reconnaître. Qui s’impatientent, peut-être, de me revoir comme j’étais. Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente, disait Camille Claudel à la fin de sa vie, à propos de ceux dont elle désespérait qu’ils revinssent. Elle aussi a été jeune, belle et flamboyante, pour finir aigrie, rabougrie et plus vieille qu’on ne l’aurait jamais imaginé ; elle aussi avait comme horizon les murs de son asile, sans grillage, mais sans avenir non plus. Elle n’a fait que les imaginer venir la voir, lui parler. Ma damnation est pire : ils sont là mais passent à côté de moi, sans me voir, ou sans vouloir me voir. Je suis vivant, pourtant, encore, à l’intérieur de moi, j’ai encore la rage suffisante pour affronter les contingences auxquelles la vie me confronte. Je ne demande que ça, moi, qu’ils aient l’élan nécessaire pour me retrouver. Et m’aider.

* à la demande, hier, de cet ami qui souffre.

« Nuit d’hiver, place des Lices, Vannes », encre de Chine, janvier 2024.

08:48 Publié dans Blog | Lien permanent

11/01/2024

CC&A

Une heure de récit-récital sous forme inédite avec Clara Védèche au violoncelle et Laurent Cachard au récit, autour de trois grandes figures féminines : Camille Claudel, Clara V. & Aurelia Kreit, l’égérie de l’Ukraine du début du XXs. Des chansons originales, des pièces musicales qui font écho aux textes, d'autres qui se suffisent à elles-mêmes, un mano a mano artistique dans une complicité qui ne se dément jamais.
(Inclus Bach, Schubert, Silvestrov, Debussy, Casals, compositions originales...)

affiche_montpellier_v2.A3-page-001.jpgaffiche_sete.A3-1-page-001.jpg

08:13 Publié dans Blog | Lien permanent

08/01/2024

Singulières figures singulières.

Capture d’écran 2024-01-08 à 18.13.11.pngOn me souffle à l'instant que j'ai trouvé à qui parler, comme Lucky Luke de l'article dégainé quelques heures après l'interview (ce matin). Et je le reconnais de bon coeur, portraitiser un portraitiste n'étant pas chose facile. Olivier Schlama, de Dis-leur, l'a fait brillamment, et sa lecture est juste et exhaustive. Vous la trouverez ICI.

photo: O.S

18:10 Publié dans Blog | Lien permanent

02/01/2024

Figures Singulières.

fsbandeauAD.jpg

La première parution de l'année, la première des éditions l'An Demain, depuis qu'elles ont été reprises par le typographe Jean-Renaud Cuaz. Un vrai travail de sociologie et d'écriture fondée sur les dernières de "Libé", ces portraits distanciés par lesquels tous mes proches sont passés, depuis vingt ans. Là, ce sont - à 80% - des personnes que je ne connaissais pas et que j'ai rencontrées. Après les avoir entendues, après quatre ou cinq pages de notes, j'ai synthétisé ce que j'ai retenu d'elles et ce qu'elles m'ont inspiré. Tous les portraits, de l'illustre inconnu à un des pontes du commerce mondial, ont été validés par ceux qui vont figurer dans ce premier recueil. J'en suis très fier, d'autant que l'édition compense(ra) la blessure liée au premier tome des Portraits de Mémoire, resté confidentiel et interdit, pour des raisons obscures. C'est aussi une de mes oeuvres, qu'on peut lire pour ce que c'est, sans en être. Le 20, l'éditeur et moi la présenterons au Bar du Plateau, cité un nombre important de fois dans cet ouvrage : parce qu'il a abrité une grande partie de l'histoire de Sète, une ville faite par ceux qui y ont vécu, et par ceux qui y vivent, maintenant.

https://www.audasud.fr/figures-singulieres

Communique des Editions l'AN DEMAIN :

kaleidoscopeFS.jpgLes figures singulières, ce sont ces personnalités sétoises que tout le monde connaît mais dont on parle moins qu’on parle des monstres sacrés. Ces Portraits de mémoire, sur la base des quatrièmes de « Libé », sont des portraits réalisés après entretien et publiés avec l’accord du ou de la portraituré(e). Un exercice psychologisant, entre domaine privé — avec pudeur — et public, comme leur image.
Le portrait écrit répond aux mêmes exigences que son homonyme de peinture : il faut restituer, point par point, ce qui ressort de la personne qu’on interroge, se confronter à l’image, déjà, qu’on avait d’elle, suivre la règle, non écrite, d’un coup de griffe pour trois caresses : un peu d’ironie potache, toujours, jamais de complaisance.
En 2023, Jean-Renaud Cuaz, éditeur-typographiste, m’a permis de rassembler 100 Portraits de mes proches (amis, amours, amants) et l’envie nous a pris de continuer, de nous recentrer sur l’île singulière. Dont on ne dira jamais assez qu’elle doit aussi être dite et racontée par ceux qui n’y sont pas forcément nés : les imbéciles heureux sont de partout, on le sait bien. LC
Présentation du livre par l’auteur, animée par le philosophe Jean-Louis Cianni (portrait n°5)
SAMEDI 20 JANVIER À 11H Bar du Plateau, 2 rue des 3 Journées à Sète
Figures Singulières est maintenant disponible en librairie et sur audasud.fr
19€ | ISBN 9-782487-131057 | Format 21x30cm | 68 pages

13:41 Publié dans Blog | Lien permanent

22/12/2023

AKII KRITIKS

Capture d’écran 2023-11-18 à 14.32.47.pngC'est rare qu'un - bon -  critique s'intéresse à un roman dont la diffusion n'est pas aidée par les réseaux classiques, c'est d'autant plus réjouissant quand il y revient, quatre ans après. Merci donc à Warren Bismuth (sic) et à sa recension d'Aurelia Kreit - les jardins d'Ellington sur le site "Des livres rances" (re-sic).

C'est ICI et c'est exhaustif, chouette!

 

Et en prime, un (beau) retour de lecture d'un lecteur avéré, qui ferait presque rougir (basque):

"J'ai fini de lire le 2éme volume des "aventures" d'Aurelia Kreit. J'ai beaucoup aimé ce livre comme d'ailleurs le précédent. Je suis assez stupéfait par ton érudition sur des sujets brûlants qui prennent avec l'actualité contemporaine une dimension prophétique. La situation actuelle de l'Ukraine est une conséquence presque prévisible de ce que tu décris de cette époque. Le style est très vivant, il y a aussi du polar (les allusions à Arsène Lupin), une reconstitution historique poignante enfin tout un foisonnement qui demande parfois de revenir en arrière pour ne pas se perdre en chemin. Le terrible épisode de la Courtine sonne comme une tragédie très bien décrite et documentée dans sa montée dramatique. On pourrait dire beaucoup d'autres choses, notamment sur les figures féminines attachantes et tellement courageuses. Un grand bravo. »
Merci à J.B, qui se reconnaîtra.
 
Enfin, Louise Cavalier y revient également, quatre ans après, sur Babelio
"La personnalité hors du commun d'Aurelia Kreit se passe de superlatifs. On voudrait un jour rencontrer la vieille dame qu'elle est devenue.
Laurent Cachard l'accompagne sur le fil de sa vie où elle montre toute sa détermination à traverser la Grande Guerre et ses horreurs, debout, positive et active malgré son jeune âge.
De Mulhouse à Etretat, d'Etretat à La Courtine, on peut la suivre, dans des événements de l'histoire de France qui ont pu échapper à notre vigilance : la question juive au début du XXè siècle ; ou encore la présence d'un soviet dans la Creuse, sous l'égide d'un président charismatique, Afanasie Globa !
J'aime cette riche et belle écriture qui use parfois d'un humour un peu acide, comme on utilise un bon vinaigre pour relever un plat d'été. Un vocabulaire recherché, une histoire structurée pour laquelle on se passionne tant l'héroïne est solaire.
Les personnages secondaires sont pour la plupart attachants, même Anton dans ses moments de désarroi, est touchant. Il se trouve soudain seul face à son existence et les choix cruels auxquels il est confronté, sans le soutien du groupe, de « l'attelage » qui détermine son envie de se battre. Très humain dans son besoin d'être l'élément utile d'une organisation.
Les jumelles Varvara et Pavline, fortes chacune de l'existence de l'autre et de la chaleur du lien qui les relie, éveillent en nous la nostalgie d'un alter-ego.
Aurelia Kreit est le livre qu'il faut pour un week-end d'automne chagrin. Il est l'accompagnement parfait de la tasse de chocolat chaud. A savourer sur canapé."
 
À retrouver aussi, la critique d'Yves Izard, ICI.
 

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16/12/2023

Librairie Bisey - Thann / 15.12.2023

clara@I.jpegC’est tout petit, Thann, et on comptait un peu sur la jurisprudence Megevette, cette idée que quand un seul événement est programmé sur un seul soir, à un seul endroit, on pourrait compter sur un peu de monde à la librairie Bisey, l’autre. Les fidèles de Luc (Widmaier, le maitre des lieux) sont venus, une petite grappe, mais Clara et moi, comme l’avant-veille à Mulhouse, nous étions décidés à jouer coûte que coûte, fût-ce pour prendre des images, monter un produit d’appel, bref, ce qu’il faut faire pour que le projet perdure. Alors nous avons joué, pour les rares présents, qui devraient pouvoir dire qu’ils ont passé une bonne soirée. Le duo est rodé, on sait depuis le Baratin qu’il faut une ouverture et Clara s’y colle, je présente la thématique Aurelia, l’aspect local, j’intègre aussi mon triumvirat féminin, Camille-Clara (l’autre)-Aurelia, j’enchaine, comme mercredi, les extraits des jardins d’Ellington – entre Zillisheim (bien prononcé, cette fois !), Dornach ou Altkirch – avec un bout de la Valse, Claudel, en restituant l’époque de l’attente avant les portables, rue de Varenne ou pas, Clara commence le morceau de Sandro en pizzicati, avant d’en jouer la mélodie, ça passe mieux que mardi, mais ça sera le morceau faible, en tout cas pas adapté, qui ne restera pas. Je prends un peu plus de temps pour situer Aurelia dans son époque – l’Ukraine du début du XXe siècle, celle des pogroms – et son action, l’urgence des départs obligés et la certitude d’une destinée pour ce personnage incroyable. J’aborde les thèmes et les souvenirs qui me font me répéter, mais dont je dois convaincre l’auditoire : l’écriture est une chose sérieuse qui demande un travail permanent, dont le premier est fuir toute sorte de paresse. Depuis le début, Clara me propose en parallèle d’Aurelia cet hommage à Bach de Valentin Silvestrov, une pièce exigeante, aux répétitions hypnotiques, c’est à la fin de ce morceau que les spectateurs l’applaudissent, comme s’ils ne pouvaient plus se retenir. C’est le moment de désacraliser, de lancer notre ping-pong commun sur un texte que j’ai écrit pour elle : il y a des sourires, on joue avec le plus grand des sérieux, celui que Nietzsche appelle quand il s’agit de retrouver nos jeux d’enfants. C’est juste avant le Chant des oiseaux, une pièce éthérée, qui confine au sublime dans ses dernières notes, de si légers pépiements pour un visage presque déformé par la concentration. Notre clôture, c’est notre marque de fabrique, c’est un Camille que je pourrais presque dire sans texte tellement je m’inspire d’une chanson que j’ai écoutée un milliard de fois depuis dix ans. Ça tombe pile, juste, l’objectif de nos retrouvailles ici est atteint, rédiger le projet, le connaître parfaitement, maintenant, chercher, à l’avenir, à en tirer une moëlle encore plus substantifique, et le proposer à qui veut l’entendre. Le voir, aussi, presque surtout, tant c’est entre nous que ça se passe, moi les deux pieds dans la terre de l’écrit et elle, sublime, dans les étoiles qu’elle tutoie. Qu’elle m’a permis de côtoyer deux fois encore, après les deux (avant)premières et avant qu’on aille faire un tour du côté de Montpellier, le 3.02. De Sète, la veille, peut-être. De la Casa – au sens propre comme au figuré – au printemps. Nous reprendrons chacun notre route, un jour, qui arrivera vite, mais on aura connu ça ensemble. Et nous sommes déjà invités à revenir dans la librairie Bisey, l’historique, quand elle aura été rénovée. Rendez-vous est pris, puisqu’il n’est pas de hasard.

Photo: Myrina/ non-contractuelle, portable oublié dans la voiture de retour! 

00:54 Publié dans Blog | Lien permanent

13/12/2023

Librairie Bisey - Mulhouse 13.12.23

IMG_3317.jpgIl y a parfois des étapes dans l’existence, et celle qu’on s’était fixée, avec Clara, était de lancer en Alsace, sur les traces de mon héroïne, la première pierre d’un projet défendable professionnellement. De sortir de nos heureuses coïncidences ou de nos ratés rattrapés pour savoir, au temps près, à quel moment lancer le morceau, nous rejoindre, passer la voix sur le jeu ou l’inverse. La belle librairie Bisey de Mulhouse, dont on ne pourrait deviner, au premier abord, qu’elle occupe des lieux provisoires est immense, superbement dotée – je vois un Pascal Ory, en passant – et Luc et Myrina nous accueillent avec sympathie, le temps de savoir où se placer, aller manger un bretzel sur le Marché de Noël et espérer que quelques bonnes âmes viennent nous écouter. Période difficile, d’après les libraires – la rencontre de demain vient d’être annulée – mais Myriam, la régionale de l’étape, a fait son travail et c’est une bonne dizaine de personnes qui viennent quand Clara et moi avions décidé que même seuls, nous jouerions pour nous, et ceux qui se sont démenés pour que l’on vienne. Que je traverse la France, via le train de 5h11 ce matin pour arriver dans un appartement mal isolé sous les toits, gelé tout l’après-midi avant que je laisse le chauffage à 29° pour pouvoir, dans quelques minutes, passer une nuit complète et réparatrice. Deux heures de répétition, de repères, de notes, et une volonté absolue de ma part, élever mon niveau, de diction, d’intonations. Ne plus rien précipiter, ne dire avec force que ce qui le nécessite. Ma pépite à côté de moi, comme un bonheur permanent : 55mn, nous le tenons, notre spectacle, il est au point, ça s’enchaîne avec limpidité, exigence quand il le faut – le Silvestrov n’est pas facile – maestria pour finir sur notre inédit à nous, ce Camille sur lequel les auditeurs s’en vont, avec le texte quand tout va bien. Il faudra revenir, un jour, là où nous avons tâtonné, et ne pas (jamais) crier victoire : à Thann, vendredi, dans la même librairie Bisey, il faudra remettre l’ouvrage sur le métier, mais c’est avec un plaisir renouvelé. Qui créé des besoins, des nécessités que ça arrive encore et encore. À Montpellier, en février. À Sète, à Lyon, au Printemps. Plus nous jouerons, plus nous aurons envie de jouer et ceux qui sont là auront envie de nous voir jouer. C’est plutôt simple, la musique. Simple et tranquille, comme une bergamasque de Debussy. Quoi, celle-ci ?
podcast

PS: merci aux autochtones d'avoir supporté mon accent défaillant. C'est vrai que prononcer Burnhaupt comme Burn-out ou Aspach comme espoir n'aide pas l'auditeur à la concentration. C'est pourtant une écoute impressionnante - jusqu'à ne pas oser applaudir Clara - à laquelle nous avons fait face.

Burnhaupt- le-Haut/Aspach-le-Bas,

23:49 Publié dans Blog | Lien permanent

07/12/2023

Tébessa, 1956 - 15 ans

(article extrait du Décalogue Lettres-Frontière, 2009)
 
Laurent Cachard, 41 ans, participe au travail de mémoire et redonne la voix à qui semblait l’avoir perdue.
 
N'ETRE PLUS, AVOIR ÉTÉ.
 
tébessa.jpgLaurent Cachard n’a pas « fait l’Algérie» : ça, c’est fait. C’est au moins le postulat que posent les 40 ans qu’il avait au moment de l’édition de «Tébessa, 1956 », en 2008. Une fois cette évidence énoncée, il reste la question de la matière, à laquelle il n’échappe jamais, et répond patiemment. La genèse de son premier roman édité vient d’une histoire familiale dont seule a survécu une valise blanche en fer – « réglementaire, chacun la même, l’armée, c’est fait pour unifier ! ». Celle avec laquelle les plus chanceux des soldats revenaient, qui était renvoyée à la famille de ceux qui n’en avaient pas eue, de chance. Gérard Poncet, au patronyme qui rend compte de l’époque, est mort le 5 avril à Tébessa, dans le canton de Djeurf, alors même qu’il n’avait posé le pied sur le sol algérien que six petits mois plus tôt, en novembre 1955.
En 55, on n’est pas encore dans la psychose d’un conflit qui s’enlise, il doit même y avoir des moments de joie sur le Ville d’Oran qui les a menés vers une terre qui n’était pas la leur mais qu’on leur demanderait bientôt de défendre comme si c’était la leur. De tirer « comme si votre vie en dépendait ! », disait Rivière, avant de mourir dans cette embuscade du 5 avril 1956 ; comme d’autres, comme Gérard, qui se doute qu’il n’en échappera pas et s’évade en pensée sur les pentes et le plateau de son quartier natal de la Croix-Rousse, à Lyon. Là où il les aurait « semés, les fells », là où il en retrouvait certains, peut-être, place Colbert, quand ils n’étaient alors que ses « voisins » de misère, dans un quartier où ouvriers et immigrés partageaient encore ce qu’ils avaient. C’est que la guerre, Gérard, plus encore que Bardamu, elle lui est tombée dessus sans qu’il y comprenne rien. L’apprenti-fleuriste de chez Beurrier, il aurait bien aimé qu’on le laisse à ses compositions fleurales et au doux sourire d’Elise, mais on a fait comme avec les autres, on ne lui a rien demandé. C’est l’oralité qu’a choisie Cachard pour redonner une voix à celui qui l’a perdue et c’était un piège : celui d’en revenir au Voyage, justement, celui de trahir une deuxième fois l’existence de quelqu’un. Etrangement, c’est Gérard lui-même qui lui vient en aide, par sa simplicité extrême, sa façon candide d’aborder, par petites touches, le contexte politique (« D’après Ballandras, qu’ils appelaient Lénine à la caserne : « si l’Algérie n’était pas un protectorat, c’était tout comme : il fallait reconnaître son indépendance » ») tout en répétant qu’il n’y comprenait rien.
Gérard, dont la beauté d’âme n’est même pas ternie par les petits écarts (de bordel militaire) qu’il confesse en pensée, Gérard qui s’inquiète pour sa mère, ses deux sœurs et son chat Misou. Pas pour son père, qu’il rejette de son tableau de fin, reconstitué point par point. Gérard n’a pas le cynisme de Bardamu, « Tébessa, 1956 » est donc débarrassé de tout poids politique et psychologique. Et aborde l’Histoire en « mettant en récit » (l’expression est de Ricoeur) le fragment que Gérard lui sacrifie : la connaissance se construit, s’organise, se dote d’un sens, même si ce sens confine à l’absurde. Laurent Cachard, dans le débat qu’il a eu pour « l’Usage des mots » avec Eugène Durif sur ce « devoir de mémoire » dont ils ont tous deux réfuté l’injonction, a défendu la « juste mémoire » chère à l’auteur de « la mémoire, l’histoire, l’oubli » et repris – sans le savoir – la conception heideggérienne de « l’avoir été » opposé au « n’être plus ». Une positivité de l’avoir été qui fournit, par le roman, une nouvelle sépulture à l’ex 2èmeClasse PONCET Georgges (« ce que je voudrais, c’est qu’ils se trompent pas de prénom quand ils enverront le télégramme à mes parents » ) dont l’inventaire des effets est reproduit en épilogue de l’ouvrage. Gérard revit et avec lui une Croix-Rousse - puisque les deux récits de l’embuscade et de la promenade mentale sont enchâssés – ressuscitée, du «Paris Méditerranée » de la Vogue des Marrons aux cinémas « le Marly » ou « le Chanteclair », de l’Eglise Saint Bernard au Café des Ecoles. S’il y a présence de l’absence dans la mémoire et si cela entraine reconnaissance, alors on s’est tous reconnus dans ce personnage qui décide de ne pas se laisser dicter sa fin par l’absurde et de se construire, on l’a dit, son tableau de fin. Jusqu’à la vision finale, belle surprise pour un pépiniériste (« « Qui n’a jamais planté un arbre ne peut prétendre savoir ce qu’est la vie », c’est un dicton japonais, ils sont forts les japonais pour les jardins. ») qui l’autorise à lâcher prise parce que rien ne le retient dans un monde qui envoie « des hommes » - Laurent Mauvignier reprendra les mêmes thèmes dans l’Après, le retour - perdre leur vie (« voilà, c’est la fin, maintenant, la vraie fin ») dans des instants d’éternité pas si différents « des instants que j’ai voulu arrêter quand j’étais à la Croix-Rousse ».Ce sont les autres qui pleureront sur son sort et c’est ça qui l’embête le plus, Gérard, en plus des chrysanthèmes qu’on mettra sur sa tombe alors que « - pourvu que Maman ne m’entende pas ! – c’est quasiment un crime de les mettre dans les cimetières. »
Il arrive que le « trop de mémoire » par ci, le « trop d’oubli ailleurs » - dit encore Ricoeur – produise, socialement, un spectacle indécent. La fiction est en charge, désormais, de dissocier, pour rester dans la philosophie, la mnémé, le souvenir qui affecte, de l’anamnésis, la mémoire qui compose. C’est pour cela que « Tébessa, 1956 » ne propose pas de fin, parce qu’elle est donnée au début et parce que le minimum était d’être aussi pudique que Gérard devant la Mort (« Si seulement je pouvais juste faire qu’Elise pense très fort à moi au moment où ça se passera, j’aurais une mort complète et soulagée »). Laurent Cachard dit l’ironie d’avoir redonné la voix à quelqu’un qui l’a perdue et de le laisser parler avec bonheur, sans tristesse rajoutée ; de voir aussi que Gérard lui survivra, nous survivra à tous. Comme restera le parfum du lilas blanc au mois d’avril quand nous serons partis. C’est aussi ça la transmission. PH

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