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06/02/2025

Le secret, du live au livre.

"Les mystères sont-ils faits pour être dévoilés ? Les murs qui les abritent ne sont-ils pas là pour conserver l’équilibre qu’un dévoilement ne manquerait pas de provoquer ? S’imagine-t-on, au bout de la nuit, quitter la maison sur la pointe des pieds, rassurer Thelma — qui n’en a pas besoin — lui souffler qu’il suffira de passer le pont de pierre et s’enfoncer, plein ouest, à travers les champs, histoire d’aller vérifier si le secret qu’elle dit avoir découvert était encore en place. De quel ordre sont les secrets d’enfance ? Ne reste-t-il pas — par nature et étymologie — ce qui reste séparé, à part, ce par quoi un sujet pourra se libérer du langage comme discours de l’Autre... Pourquoi Thelma tient- elle à me le révéler, sinon parce qu’elle n’a pas la force de l’aborder seule, parce qu’il est trop grand pour elle, au sens propre ? En me confiant ce qui doit rester caché, en le partageant, Thelma devient elle-même son mystère, jusqu’à m’inciter à le vérifier moi-même, dans la nuit. Nous voilà marchant sur la pointe des pieds, chaussures à la main, frôlant la chambre des parents. Lieu, déjà, de tous les non-dits. Trop petits pour envisager l’héritage traumatique, assez hardis pour se lancer dans cette exploration. Pour y trouver quoi ? Mon rôle de grand-frère se limite à l’esbroufe et je fais semblant d’être confiant, quand nous traversons les chardons, les bruyères, mais plus on avancera dans l’inconnu, moins j’aurai de certitudes : c’est une évidence que Thelma a comprise, mais que je ne lui concéderai pas, tant que nous avançons."

extrait des Noz d'émeraude, l'An Demain éditions, 2024

https://www.audasud.fr/les-noz-d-emeraude

vidéo: David Ranaldi.

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02/02/2025

Le Voyage en Suède.

41YiPli+GXL._SX210_.jpgC’est toujours assez fascinant de lire un livre dont on a connu les premiers manuscrits : parce qu’on a un peu oublié d’une part, et que l’histoire se dévoile à vous avec complicité, mais aussi parce que le travail est passé par là et que ce qui s’annonçait comme prometteur s’avère, ce qui peut satisfaire l’auteur et celui à qui il a confié la lecture pour avis. Pas de triomphalisme, mais l’assurance forte d’être allé au bout d’un projet. Dans le dernier rêve de René Descartes (Éditions Istya & Cie), le philosophe Jean-Louis Cianni joue d’un ouvrage à trois niveaux de lecture.

Le premier est romanesque et table d’entrée, dès l’avertissement, sur la vérité possible mais invérifiable : l’histoire qu’il va raconter le sera via un personnage inconnu de l’histoire officielle, Thomas Vasseur, jeune orphelin recueilli par le sulfureux abbé Picot, libertin notoire – au sens politique et physique – qui le confie à son tour à son illustre ami Des Cartes (la graphie sera celle-ci), lequel a repéré sa vigueur- Thomas est du genre je bande donc je suis -  et son talent pour les mathématiques, cette façon de sortir de la grande rotation des apparences (quand la philosophie, lira-t-on, consiste elle  à les refuser).

Le deuxième est philosophique, strictement, puisqu’en faisant de Descartes un personnage, Cianni permet au lecteur d’en saisir le propos comme si le Maître s’adressait à lui (au discours direct, en italique). Il y a un indéniable apport de savoir dans l’ouvrage, mais il n’est jamais didactique : ainsi croise-t-on, au hasard, la description de l’arbre de la connaissance tel que Descartes l’a défini, avec la métaphysique comme racine, la physique comme tronc et toutes les autres sciences comme branches ; l’appareil à mesurer la pression de l’air, qui lui permet de nourrir la réflexion sur le vide qu’il mène avec son jeune ami Pascal ; ses travaux sur l’animal-machine, sur les passions humaines, dans les entrailles d’un lapin écorché vif ou via les mouvements de Monsieur Grat, son petit chien. On notera également les façons dont Descartes (Cianni ?) règle quelques comptes avec ses opposants, contemporains, tels Gassendi, prêtre et savant atomiste, qui prêche l’inverse de son cogito, et Thomas Hobbes, l’Anglais, pour qui l’essentiel n’est pas dans ce que je suis, mais celui que je suis. Ou des plus anciens, Platon en tête, cette vieille peau de l’Antiquité.

Le troisième niveau de lecture, enfin, est historique, puisque le roman se construit sur l’invitation de Descartes à la Cour de Christine, Reine de Suède, et fabrique son exposition là-dessus : sur l’hésitation qu’il met à y répondre – du fait de son âge, son peu d’appétence pour le froid, sa misanthropie, aussi : J’aime la solitude et la liberté. Je me consacre à la recherche de la vérité. Pourquoi me jetterais-je dans le nid de vipères d’une cour royale ? - puis au mitan du roman, sur la décision et le voyage lui-même, qui s’organise. La reine Christine désire que le philosophe l’éclaire sur l’amour et le souverain bien, des questions sur lesquelles Thomas, à Egmond, le sollicitera aussi, tiraillé entre les séances furieusement sexuelles qu’il s’accorde avec Geertje, la fille de ferme et l’émotion absolue que lui a procurée Ana - l’exquise passante - dès le premier regard. Elle est femme du marchand de fleurs, l’entreprend pour travailler son français, se refuse à lui tout en se promettant. En Hollande, Thomas perd de son innocence, commence à contester l’autorité du maître – tout lui semble artificiel dans le monde de Descartes (…) La vérité n’a pas sa place ici – ses accointances avec des milieux ésotériques (les frères de la Rose-Croix), sa duplicité dans son histoire amoureuse. Il règle sa rivalité avec Schlütter, le secrétaire, par une émulation dans la mathématique qui le voit suppléer, pas à pas, son aîné. Voit l’homme qu’il est venu servir se servir pour résoudre son dilemme (partira, partira pas ?) de la méthode énoncée dans le discours du même nom, celle du chemin en forêt : Quand on se perd dans une forêt, il faut aller tout droit ; on arrive toujours quelque part. au terme, , où qu’on se trouve, on s’est au moins sorti de l’égarement et de l’indécision.

La deuxième moitié du roman, sans trop en dire, s’annonce en son juste milieu, en titre de chapitre : la mort pourrait venir. L’Histoire a retenu que Descartes a quitté la Hollande pour la Suède en septembre 1649, qu’il est mort à Stockholm en févier 1650, à 54 ans. Après un dernier portrait à Haarlem réalisé par le peintre Hals, de la chambre de rhétorique, dans lequel Thomas jurera reconnaître un bout de l’âme du philosophe, Descartes et sa troupe prennent la mer, une odyssée au cours de laquelle Thomas s’affranchira plus encore d’un philosophe qui lui confie pourtant une mission essentielle, une fois qu’ils seront arrivés à Stockholm : retrouver Francine, qui y vit, qu’il a aimée jadis – un amour d’enfance dont le vrai Descartes n’a jamais cherché la trace, tu t’en doutes, me glisse l’auteur. Le même Descartes qui sera averti via le pittoresque Commandant du bateau des mœurs assez confuses de cette Reine qu’il va visiter, son genre indéfini, le piège dans lequel il pourrait tomber, dans ce nid de vipères que Picot confirmera par lette, dès son arrivée. Entre temps, sur mer, on aura droit à de belles scènes, comme celle où Pierre, matelot français (de Marseille, avé l’assent) démontre à Thomas, sur les filins des mats, qu’entre penser et agir, il y a une distinction que sa connaissance ne dépassera jamais, ou quand dans une scène quasi-théâtrale (stichomythies à l’appui), Schlütter et Thomas se confrontent enfin, déterminant la prise de pouvoir du second. Descartes, lui, fait encore illusion, expliquant le phénomène de parhélie, l’impression d’avoir deux soleils, le premier n’étant qu’une réplique lumineuse du second, là aussi. Mais Monsieur Grat est mort en mer, et la superstition est forte, dans ce milieu : c’est un mauvais signe, que le séjour du philosophe à Stockholm confirmera. Les dés sont pipés entre le calvinisme de la Reine de Suède et le pan luthérien que défend Descartes en lui parlant d’Elisabeth de Bohème – tout en restant distant sur le terrain de ses propres croyances, même quand le retors père Viogué l’entreprend sur le terrain glissant de la transsubstantiation (du lexique barbare, pour Thomas) et sa parabole issue des Méditations métaphysiques, le morceau de cire* extrait de la ruche -   à qui il a dédié les principes de la philosophie, à qui il a dédié le traité des passions de l’âme. La Reine Christine, mystérieuse, le bat froid tout en le maintenant en résidence, s’intéresse davantage à son jeune secrétaire, qu’elle entraînera via sa suivante, Astrid, dans des parties qui lui rappelleront – la construction est cyclique – celles qu’il menait à Paris avec Lisette, dans l’insouciance. Mais entre-temps, l’homme a vieilli et s’est affranchi, comme on le fait d’un maître dont on a tiré la leçon. La mort de Descartes, inattendue – au vu du centenaire qu’il s’était lui-même promis – laisse une part policière à un roman dont on nous dit qu’il est en soi une enquête                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      libertine, avec ses rebondissements finaux, ses leurres féminins, et la fin de l’innocence de celui qui aura passé neuf mois – une éternité – auprès de M.Des Cartes. La vérité telle que nous voudrions qu’elle soit, définitive et incontestable, n’existe pas, dit Thomas, en guise de finale. On jurerait que Jean-Louis Cianni romancier s’est joué lui-même des mille masques imaginés pour incarner à son tour la grande fable qu’est la vie, et le rêve qu’il a prêté à René Descartes, en 311 pages. 

* « Prenons pour exemple ce morceau de cire : il vient tout fraîchement d'être tiré de la ruche, il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes ; il est dur, il est froid, il est maniable, et si vous frappez dessus, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent distinctement faire connaître un corps se rencontrent en celui-ci. Mais voici que pendant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évapore, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine peut-on le manier, et quoique l'on frappe dessus, il ne rendra plus aucun son. »

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30/01/2025

Alceste à cheval (sur les principes).

image.jpgMa carrière d’homme de théâtre s’est arrêtée quand j’ai compris – après une UV décrochée au théâtre des 30 de Michel Pruner, à qui mes amis et moi avions affligé une scène d’un très mauvais café-théâtre quand nos coreligionnaires lui jouaient (mal) du Beckett, qu’il adorait – qu’au lieu de me confier d’entrée, à 17 ans, le rôle d’Alceste ou d’Hamlet, on me ferait faire des exercices de respiration ou des saynètes débiles. Depuis, mon bilan est honorable, puisque trois de mes pièces – Dom Juan, revenu des enfers, Trois-Huit, Contrebrassensiste – ont été éditées et qu’il m’a donc été donné, une fois dans ma vie, de servir l’alexandrin, déférence gardée envers J.B Poquelin, dont on jouait le Misanthrope hier, au domaine d’O, à Montpellier. Mis en scène par Georges Lavaudant, un monstre de théâtre qui ne s’était jamais, encore, attaqué à Molière. La scénographie, disons-le, puisque c’était la dernière, hier, avant une reprise à Paris, était magnifique, épurée, une espèce de grand mur de verre (9X3 carreaux opaques et réfléchissants à la fois) au verso empli des 33 robes de Célimène, une scène recouverte d’une forme de neige qui accentue les contrastes, des lumières habiles, sur les côtés, pour les changements d’acte, une profondeur de champ qui varie suivant les scènes, des couleurs – pour les verres – des habits sobres et intemporels pour le reste. Et d’entrée – I,1 – quand Alceste et Philinte se querellent, quand Molière pose l’intention (Moi, je veux me fâcher et ne veux point entendre), un contraste, inhabituel : François Marthouret est assez âgé, Éric Elmosnino l’est moins, il y a un léger décalage dans la diction, entre diérèse et synérèse – dans le jeu tout court, sans que rien de tout ça soit incompatible. Et heureusement : en théâtre, l’inégalité des comédiens peut changer à elle seul le texte et son cours. Le duo prend place, comme souvent, maintenant, il faut parfois davantage tendre l’oreille pour un des comédiens, mais le hiatus est posé : Lavaudant montre un Alceste de 60kg – des propres termes d’Elmosnino, après le spectacle – quand on s’attend, qu’on s’est habitué à ce qu’il en fît le double, à devoir incarner la force et la colère à la fois. On comprend vite que l’acteur de cinéma n’est rien quand on confie au comédien un tel rôle, tout le rejet du monde (entendre la société) dans un seul discours, dans ses tirades jamais oubliées depuis leur découverte, à 14-15 ans. Il est félin, Elmosnino, quand Marthouret est plus patelin, mais c’est le mélange des deux qui crée l’alchimie. Et – au contraire de ceux que j’ai entendus après le spectacle et dont l’autorité ne me fera pas changer d’avis – ils sont complétés à la perfection par Mélodie Richard qui joue une Célimène ancrée, séduisante, pénible comme il le faut mais faisant ressurgir par sa présence l’idée d’une jeune femme décomplexée et très en avance sur son temps. Qui rembarre Arsinoé la fausse prude – l’idée de la robe soulevée et des bas-résille qui apparaissent est une seconde de génie – et laisse croire au public qu’elle est finalement furieusement moderne. C’est du théâtre de très haut niveau, et si l’impression globale n’est pas incroyable, c’est qu’il manque peut-être à cette mise en scène la possibilité d’être au cœur de ce qui se trame dans l’action ; des derniers fauteuils de cette très grande salle – bonheur de voir 400 personnes se déplacer pour Molière, encore ! – si j’ai pu apprécier de voir arriver les personnages de derrière le rempart de verre, j’ai regretté de ne pas mieux les entendre, dans tous les sens du terme ; mais quand on connaît le texte par cœur, il faut parfois juste fermer les yeux et s’imaginer plongé dans le procès qu’on fait à Alceste. L’histoire de ma vie, la direction que j’ai prise : à se construire un monstre social, on sort épargné  d’une part des vicissitudes de la société, mais rattrapé par l’autre ; jamais indemne. Et la chute d’Alceste, au sens littéral - Je vais sortir d’un gouffre où triomphent les vices Et chercher sur la terre un endroit écarté Où d’être homme d’honneur on a la liberté – est toujours, en soi, aussi effrayante sur l’état d’un monde qui n’a finalement pas beaucoup changé. C’est peut-être ça qu’on va vérifier, à chaque fois qu’un Misanthrope se joue : qu’il faut savoir rester prudent. Qu’à la fin, c’est toujours Philinte – mon flegme est philosophe autant que votre bile – qui gagne. Et repart avec Éliante.

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28/01/2025

80 שנה.

Il fut un temps, les élèves de Terminale Technologique avaient un cours pluridisciplinaire de Philosophie & Histoire mêlées, et j'ai travaillé - 5 ans - sur la Shoah, avec étude d'extraits du procès Barbie, témoignage d'une ancienne déportée dont je ne me souviens plus du nom, seulement qu'elle s'était farouchement opposée à Geneviève De Gaulle à la Libération, et qu'avec une poignée de résistants, ils avaient retrouvé la trace du susdit Barbie à... Pont d'Ain, dans le jardin du maire d'alors, en 1946, mais qu'on leur a demandé de passer à autre chose... J'ai lu, sur la période, Levi, Bettelheim, Frankl, Arendt, Czapski, Veil, Kolinka, Eisner, d'autres, Littel, depuis. Je me souviens de cette élève dont le travail avait été si conséquent, et si marquant, pour elle, qu'elle n'a pas pu répondre à une seule question après son brillant exposé, fondant en larmes, inconsolable (on lui a mis 20 quand même); je me souviens moi-même m'être demandé, au visionnage d'images atroces d'un pogrom en Lituanie, si la littérature pourrait, sans effets, retranscrire une scène aussi terrible et j'ai écrit, l'estomac à l'envers, les lignes que j'insérerai bien des années plus tard dans Aurelia Kreit. Je me souviens aussi de Jean-François Forges présentant le DVD pédagogique du film de Lanzmann, dont je passais systématiquement la scène du petit vallon bucolique se transformant, via la narration, en théâtre horrible des charniers que creusaient ceux qui allaient les remplir, par couches... J'ai oeuvré à ce "devoir de mémoire" dont je contestais déjà la connotation obligatoire, j'ai passé 15 ans de ma vie à réfléchir - entre Sartre et Levinas - sur la question juive, lui dédiant un personnage et un ouvrage en deux volumes. Je me souviens de la méfiance qui doit accompagner l'émotion, la rampe de tri d'Auschwitz-Birkenau qui n'est pas l'originale, détruite. J'ai râlé sur les facilités de "la liste de Schindler" puis me suis tu en apprenant que Spielberg en avait eu l'idée en comprenant que 80% des jeunes Américains ne savaient pas - déjà...- qu'il y avait eu un génocide en Europe, quand ils savaient où était l'Europe. J'ai saisi que ma culture - littéraire, musicale, cinématographique - était déterminée par la judéité, même si je ne suis Juif moi-même que quand ils subissent des harcèlements ou des agressions, quand l'Histoire, malheureusement, bégaie. Je suis Joann Sfar ou Delphine Horvilleur  aujourd'hui, comme des lanceurs d'alerte courageux et si le programme Philo/Histoire n'existe plus, je pense aux enseignants qui éprouvent les pires difficultés à enseigner des événements soumis à la sempiternelle question du "mais qu'est-ce que vous en savez réellement?". La vie a fait que j'ai cessé de me battre sur ce sujet en espérant que d'autres prennent la relève. Parce que le danger n'a jamais été aussi grand et que la masse, acculturée, ne cesse de le minimiser.

 

"(...) – Ça t’a fait quoi de tuer mon père, Medvedenko ? Tu as ressenti quoi au moment où il a rendu l’âme ?

L’autre ne comprenait décidément plus rien à la situation. De quoi lui parlait-il, de qui ? Quel père aurait-il tué ? Était-ce le moment de s’en soucier ?

– Je vais te rafraîchir la mémoire. Odessa, l’auberge du vieux Moshe, la rue Vorontsovs’kyi, le lendemain. Il s’appelait Nikolaï Bolotnikine, taillé comme une ablette, incapable de faire du mal à une mouche...

À la façon dont il regardait tout autour de lui pour voir quels étaient les moyens d’échapper à ce qu’il se passait ici, Vladislav comprit que le souvenir, petit à petit, lui revenait.

– Tu l’as tué parce qu’il était Juif. Est-ce que tu sais ce que c’est que d’être Juif, Medvedenko ?

– Mais pourquoi tu me racontes tout ça, Cyka ? C’était il y a cent ans...

– Laisse-moi finir. On est Juif parce qu’il y a une valeur univer- selle donné à l’être juif. C’est comme si le Juif n’était pas seulement dans le Juif, mais dans l’homme en général. Comme s’il y avait une part de Juif en toi...

Vladislav n’attendait pas que l’homme comprenne, mais voulait au moins l’ébranler, si c’était possible. Il n’aborderait pas les questionS plus complexes, celles du Juif dont la judéité s’oppose à l’histoire et à la marche de l’univers, le caractère impardonnable de son être et la faute qu’on lui accolait. Une crise spirituelle, entre l’élection et la souffrance. Avec la part de damnation consistant à n’être défini que par ceux qui veulent les effacer, comme Medvedenko. (...)"

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21/01/2025

SHARDANE

Il y a toujours quelque chose de symbolique dans la transmission d’un bateau et à vrai dire, j’avais très envie qu’elle soit dans la lignée de ce que Christophe Naigeon m’a conféré quand il m’a vendu Shardane il y a six ans. Un temps infime quand on considère que ce bateau-là en a aujourd’hui 75 , quelques années de moins qu’Henri, son nouveau Capitaine, dont je subodore qu’il l’acquiert à la fois pour retrouver une partie des impressions de son enfance et pour en partager, le temps qu’il pourra, les réminiscences avec son fils Stéphane – co-propriétaire – et ses enfants. Lesquels pourront, désormais, entretenir et faire perdurer un navire dont on sait, en l’achetant, qu’il vous survivra même s’il est beaucoup plus vieux que vous. C’est le charme de ces pointus – techniquement une barquette marseillaise, de la ville de naissance d’Henri – qui vous mettent sur toutes les photos des touristes, l’été. Quand j’ai pris la décision, sans réfléchir, de l’acheter, quand j’ai convaincu mon ami Dgé de ne pas réfléchir non plus, c’est parce que le bateau et l’idée qui va avec nous ont séduits. La suite n’a pas été simple, il a fallu apprendre à naviguer et naviguer ce type de navire, sa barre franche, ses manœuvres qui paraissaient impossibles et qui nous font sourire, maintenant. On a tâtonné, touché quelques fois les pontons ou (un peu) d’autres bateaux voisins, puis on a compris, comme François, l’Indien, puis Léon, en plus efficace, nous l’expliquaient, qu’il fallait connaître notre navire, le comprendre, pour savoir comment il réagissait. Au début, on a sollicité tous ceux de mes amis qui savaient naviguer et puis on s’est lancé, seuls, complémentaires, et on a compris le plaisir de sortir. Oh, jamais loin : Shardane est un bateau de balades, d’apéro sur l’étang, de parade, aussi, dans le canal royal. La grande traversée, pour nous, c’était jusqu’à Bouzigues, pour aller boire un coup avec Léon, vers la baraque. On a galéré, payé pour voir ce qu’était une pompe à eau ou un presse-étoupes jusqu’à en gagner les surnoms, on s’est fait remorquer plus d’une fois pour un boot laissé dans l’hélice ou une batterie défaillante, on a appris comment faire un carénage, vu Léon-les-doigts-de-fée calfater le bois ; j’aurai passé six ans à entendre Dgé s’inquiéter qu’il y eût de l’eau dans la cale quand il faut qu’il y en ait sur un bateau de ce type ; je ne compte pas, par décence, le nombre de bouteilles éclusées à bord, quand on arrêtait le moteur (type 2CV, pour ceux qui ont connu), que le calme du large (relatif), se faisait et qu’on se disait qu’on était bien. Privilégiés. Quand on mettait l’échelle et qu’on allait se baigner loin de la plage, à tourner autour du bateau et se dire : p…, c’est à nous, ça ! Ou quand j’ai fait, pour la première fois, mon arrivée au lycée de la mer en bateau : quand on est prof de Lettres et de Philosophie, on ne s’attend pas, un jour, à ce qu’on débarque – littéralement - au travail en amarrant. Pourquoi vendre, alors, pourquoi défaire le lien ? Parce que les temps ne sont plus les mêmes, parce qu’un accident est survenu dans ma vie qui m’a laissé en perte d’équilibre et que ce n’est pas rassurant sur un ponton. Parce qu’un bateau en bois a un coût, en énergie, en disponibilité et que ni Dgé ni moi ne l’avons, désormais. Shardane a eu des propriétaires avant nous, il en a désormais après. Si j’imagine (déjà) la petite pointe de nostalgie qui me saisira quand je le verrai passer sur les canaux, ici, je sais que je serai fier, également, d’avoir fait partie de la chaine temporelle qui l’aura vu glisser, avec élégance. Il faut toucher son bateau, le saluer à chaque fois qu’on monte à bord. Lui dire au revoir, aussi, quand on le quitte, au risque de s’attirer les foudres de Poséidon. Je l’ai fait, aujourd’hui, lui ai souhaité bon vent. Je suis presque sûr qu’il a souri, qu’il ne nous en veut pas qu’un philosophe et un guitariste aient composé, un temps, son drôle d’équipage.

O Captain! My Captain! our fearful trip is done;

The ship has weather'd every rack, the prize we sought is won;

The port is near, the bells I hear, the people all exulting,

While follow eyes the steady keel, the vessel grim and daring

Walt Whitman, leaves of grass, 1865

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20/01/2025

On parle des Figures!

FSR1.jpgJe m'étais évidemment demandé comment on allait faire, au bar du Plateau, pour faire entrer autant de monde que l'année dernière pour le volume 1, plus ceux du volume 2 et les intéressés, ceux qui ont compris que ce n'est pas parce qu'ils n'en sont pas que l'exercice n'est pas intéressant... Alors la réponse a été apportée puisqu'il y eut autant de monde, mais pas les mêmes, qu'on a compté - Jean-Renaud Cuaz, l'éditeur, et moi-même - autant de bonnes surprises que de défections habituelles. Mais l'endroit est choisi pour, pour la rencontre, le croisement entre des gens (d'ici) qui ne se connaissent pas ou croient se connaître au point d'avoir une idée l'un sur l'autre, ce qu'un (vrai) portrait, fouillé, distancié, peut contredire. La journée a été belle et longue, réussie du point de vue des ventes (ça, c'est pour l'éditeur, et ça conforte l'auteur) et de l'avenir d'un projet dont la somme sera sociologique, je l'ai dit. Palme d'or à l'entrée inopinée, en pleine présentation, du maire de Sète qui pensait pouvoir prendre un café et qui a bien dû se dire que cet écrivain-là, décidément, libertaire et potache, échappait à tout étiquette (ma mère m'a dit que ce n'était pas bien d'en mettre!). Merci à Yves Izard pour une interview rapide et efficace, qui a posé les bases d'un travail (littéraire) qu'on ne fait plus beaucoup, maintenant, mais qui réconcilie auteur - qui n'a pas besoin de parler de lui - et lecteur, qui peut à tout moment se voir cité ou, pire, portraituré. Moi, je m'en fous, j'avance,et c'est bien.

Qui plus est, l'exercice a les honneurs de la presse régionale :

Ici, l'article très complet de Thé Ollivier pour Hérault Tribune (Quel titre!).

, celui de Patrice Espinasse pour Midi Libre.

et sa version papier :

ML18.01.jpg



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14/01/2025

Le lien refait.

s-l1600.jpgOn parle aussi de Jean-Louis Murat, dans les Noz d'émeraude.
Entre autres, ici:
"Murat, c’est celui qui a présidé à ma rencontre avec Stéphane Pétrier, qui m’a poussé, certainement, à raccrocher les wagons du Voyage. C’est aussi celui qui a lancé mon blog, à peine ouvert, quand j’ai recensé une rencontre à la fnac, en 2009, avec un papier signé Il faut sourire à Drucker qui m’a valu ses félicitations, des vues comme je n’en avais jamais eu, des flopées de réactions et une amitié essentielle, celle d’un autre Bougnat⁸. J’ai vu Murat à chacune de ses tournées, même si en 1993 (et après) je n’éprouvais pas le besoin de faire un compte-rendu de concert. Pourquoi cela m’est-il venu, sans doute parce qu’il est difficile d’expliquer l’acmé qu’on ressent quand on rencontre un artiste sur scène… J’ai donc signé deux ou trois papiers par an au sujet de Jean-Louis, sur les 14 ans pendant lesquels le Cheval et lui ont été contemporains. J’ai fini par un décalogue à sa mort, en avril 2023, pour pouvoir le laisser partir. C’est pour ça que l’analogie s’arrête, parce que les Noz sont plus jeunes, en meilleure santé et, à mon sens, interdits, eux, de mourir ou d’arrêter, ce qui reviendrait au même, pour les autres."

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13/01/2025

Ceux de Mycènes.

IMG_4799.jpgC’était il y a plus de 20 ans, j’avais emmené des élèves de Terminale STAE en Grèce, en compagnie de Gérald Montagneux (photo à gauche), qui était à l’époque l’autorité ultime en termes d’histoire des jardins et d’aménagement paysager, la spécialité du lycée. J’ai eu l’outrecuidance d’annoncer que puisqu’ils partaient en Grèce, il fallait qu’ils vivent la philosophie antique in situ. Et cette image qui ressort du néant (le rangement de mon cellier) vient témoigner, bien longtemps après, que je ne me suis pas (trop) trompé : me voilà à Mycènes, sur les terres d’Agamemnon, roi des rois de toute la Grèce, époux de Clytemnestre, père d’Iphigénie, de Chrysothémis, d’Électre et d’Oreste, chef héroïque des Achéens lors de la guerre contre Troie. J’ai dû à un moment évoquer la capacité des Dieux Grecs à déchaîner les éléments, mais dans la Cité antique, plutôt préservée par le climat du Péloponnèse jusque-là, soudainement, la tempête s’est déchaînée, avec des vents à décorner les bœufs et de la neige qui s’est mise à tomber, en tourbillons, s’accumulant sur mes vêtements et ma capuche de fortune. Sans doute un coup d’Achille, toujours fâché, voire du maître des lieux, rentré cocu et tué par son rival, Égisthe. À charge de revanche, par ailleurs, puisque Clytemnestre n’a pas épargné Cassandre, la sienne. Bref, je me souviens quand même de ces moments-là, des séances (facultatives) de philosophie antique que je faisais après le dîner, à l’auberge, auxquelles les étudiants participaient tous. Sans doute intimidés par ma façon à moi de régner sur le temps.

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