02/09/2024
JOURDOTHÈQUE (8/10)
Il faut savoir relire les livres qui vous ont – considérablement – marqué en leur temps. Ainsi, l’antépénultième station de ma jourdothèque m’a conduit à rouvrir Pays perdu, un roman dont on a trop parlé pour le scandale qui a suivi que pour sa réalité littéraire, époustouflante. Même 20 ans après, ou un peu plus. Ainsi Jourde, dans Pays perdu, s’attaque-t-il à la légende des villages pour mieux, a contrario, en restituer la réalité, fût-elle sordide. Aux yeux de qui, par ailleurs ? Son abord est celle d’un orographe – celui qui étudie l’étude des reliefs montagneux, on l’a vu dans Littérature & authenticité (2005) – dans un premier temps, puisqu’il aborde vite, après le prétexte littéraire d’un héritage sur des terres anciennes, la notion de paysage fait d’axes, de bifurcations, de courbes, de route épuisée pour vite, interroger l’idée même de lieu, la présence invisible et tyrannique de l’espace. S’il revient 35 ans après, parce que son frère a hérité du cousin Joseph, c’est pour (re)trouver un pays plus perdu que jamais, ce qui reste une expression puisque le temps n’a eu aucune emprise sur la topologie, pas davantage sur les êtres, sauf que la plupart des seconds ont disparu, sans bruit, alors que la première est en place, ad vitam aeternam. Si les deux frères y vont dans la fantasmagorie du trésor (souvent fait de dettes et de lieux dont personne ne veut), ils retrouvent des hommes qui ont fini, dit l’auteur, par ressembler aux pierres. Et tombent, puisque l’analogie ne manque pas d’ironie, au moment de la mort de Lucie, qu’ils ont connue, qui est de leur âge. Ainsi se doivent-ils d’aller saluer les parents – François et Marie-Claude – lors de la veillée funèbre, et voir défiler, au fur et à mesure de la journée, toutes les figures du village et des villages voisins, que Jourde étudie en entomologiste, avec des descriptions qu’on jugerait dures si elles n’étaient pas l’exacte réalité de ce qu’il voit mieux qu’il ne voyait enfant.
La matière des morts, dit-il, agit comme un révélateur de ce qu’ils ont vécu, voire de ce à quoi ils échappent désormais. Le village, c’est Freaks, empli d’obèses, d’handicapés, de vin rouge dans le biberon, de dents uniques, d’estropiés et de blessés par les machines modernes, on y croise, dans l’histoire, un scalpé qui remet son chapeau tranquillement, un autre qui laisse ses doigts gelés dans les barbelés dans lesquels sa cuite l’a laissé toute la nuit. Des fatalités domestiques locales, comme ces monceaux et chiffons qu’on laisse s’accumuler et se déliter. Des araignées dans les verres, du pus sur le visage, des cadavres de chiots dans les draps, la crasse entre les doigts qui s’écoule sous l’effet du jambon cru mangé à pleines mains… Une dizaine de foyers, dans un très petit espace, à 40 minutes de route de la première ville, où personne n’est allé. Des êtres qui sont des très peu d’hommes, des vies qui sont si peu, mais rien ne relève du jugement ou du dégoût. Juste une réflexion sur le temps – qui ne passe que pour celui qui s’est défait de ceux, différents,entrecroisés pour l’enterrement, des gens d’ici (ou de là-bas, c’est selon), sur la nécessité de revenir à l’image du mort, à sa tombe, à son corps. Le père du narrateur est enterré dans ce pays perdu, détenteur d’un secret que seule la tante Léontine pourra lever : généalogiste et chroniqueuse, dit Jourde, en digne héritier, puisqu’il mène, de son côté, une étude sociologique qui vaut celle de la Vie mode d’emploi, sans l’esthétique. Ou alors avec l’esthétique propre aux rituels complexes de la vie paysanne. Il y a parfois une pointe de nostalgie – le pays de son enfance perdue – dans le constat clinique : si rien ne semble évoluer, les machines ont remplacé les fenaisons avec les vieux et les enfants au râteau ; il n’y a toujours pas de toilettes ni de douche, mais des télés, qui ouvrent sur un monde qu’ils ne connaîtront jamais. Dans ces crêtes désertiques, on croise les écrasés, les ébouillantés, les énuclées, ceux qui se pendirent d’ennui, une détrousseuse de cadavres, les tonnes de merde remuées, puisque, écrit-il, une grande partie de l’activité agricole lui est consacrée. Et l’alcool, partout, dont Jourde étudie la fonction avec dureté mais – une fois de plus – justesse. On gage que ça n’a pas plu, et que le mode coup de poing (et pire) a remplacé le débat sur réalité et fiction, la licence littéraire, les prête-noms, les lieux déplacés ailleurs. Mais un ailleurs qui ne se reconnaît pas comme tel, surtout pour ceux qui n’en sont pas, et qui se sont reconnus jusque dans l’holocauste des mouches. Dans les années 80, on vantait le mérite littéraire de l’autofiction, baudruche heureusement vite démontée (quoique)… Au début du XXI°s. Jourde posait là un brûlot dont le seul défaut est celui de sa très grande qualité : une écriture du réel, sans faux-semblants, sans récit mélioratif qui éloigne de la véracité. Dure mais juste. Il s’est expliqué largement depuis, sur le sujet, mais ce roman-là, qui enterre les derniers paysans avec une mélancolie qu’on n’aura pas reconnue, va au-delà de la nécessité de mémoire : il en est le sujet.
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01/09/2024
JOURDOTHÈQUE (7/10)
Sacrée gageure, pour un intellectuel, de poser la question de Dieu en 40 pages, dans la belle collection des Tracts de Gallimard. Pourtant, il y a deux ans, Pierre Jourde s’y est attelé, sous le titre Croire en Dieu, pourquoi ? qui n’a rien d’anodin puisqu’il pose en soi la problématique de l’utilité dans un domaine supposé immanent, au-dessus même de toute question. Il y répond en un essai en six points, qui vont de la Création à sa bizarrerie, de l’autorité des textes sacrés au choix d’un Dieu (plutôt qu’un autre), des prescriptions divines au concept de morale. Une construction philosophique, qui commence – on s’en serait douté – par déconstruire la croyance, au nom de l’évolution et de la connaissance. Jusqu’à l’époque moderne, dit Jourde, toutes les sociétés étaient religieuses, et n’offraient donc pas la possibilité d’interroger la nature de la religion. On sait désormais par la science que Dieu ne peut pas être considéré comme la cause originelle – une cause en soi – pour autant, il relève encore, pour certains, d’un besoin profond, considérant (avec Kant) qu’il est impossible pour l’homme seul d‘avoir une connaissance de l’absolu. Dieu devient donc, dit Jourde, sollicitant Nabilla (sic) une hypothèse possible, mais non nécessaire, dans la perception des multivers qu’appréhendent les cosmologues. Dieu devient donc, avec l’histoire, un créateur bizarre, que l’auteur interroge en même temps que l’idée de souffrance qui justifierait une vie meilleure, après. Difficile de ne pas rapprocher les drames qu’il a vécus lui de l’idée d’en questionner Dieu, dans l’idée de salut, qu’il finit néanmoins par associer, de l’Immaculée conception chrétienne aux vierges du martyr d’Allah, à des énormités qu’il convient, toujours, de dénoncer, au nom de la connaissance.
C’est ainsi qu’il faut aborder les textes sacrés, dans leur autorité même, qui ne trouve réponse que dans le nombre, la répétition et l’opinion. En philosophie, l’inverse de la vérité, parce qu’elle est fondée sur l’aléa, le fait que possiblement, l’autre ait la même opinion que moi – auquel cas ça me conforte dans l’idée que j’ai raison – ou pas – auquel cas, je considère que c’est un imbécile, voire que je peux le tuer, au nom de Dieu. Le texte sacré, avance Jourde, a ceci de sacré qu’il décide à l’avance être la vérité, quelles qu’en soient les approximations, les imbécillités ou les anachronismes. Mais qui a décidé de ça, s’interroge-t-il, encore, opposant le discours scientifique, réfutable par essence, au religieux, définitif, même s’il est fondé sur des connaissances d’époque, une vision du monde très militée, de fait. Et Jourde de souligner un paradoxe (de plus) : les croyants évitent de se poser des questions sur un sujet aussi important que Dieu et, par extension, c’est l’ignorance qui fait la religion. Facile, ensuite, de donner les exemples multiples dans la vie que nous menons ou celle que nous entendons des autres. Alors, interroge-t-il, puisque c’est la nature de l’exercice de susciter des questions davantage que d’apporter de réponses, pourquoi ce Dieu plutôt qu’un autre ? Là encore, il remet l’aléa en route, soulignant qu’un Turc, par exemple, serait né Chrétien au XVI° siècle, à Istanbul, alors qu’il naîtra musulman, vraisemblablement, aujourd’hui. Ça n’est ni idéologique, ni spirituel, mais factuel. Dans l’histoire, des conversions se sont faites au nom d’un confort social, pas d’une croyance acharnée, rappelle-t-il. Sur ce terrain glissant – on tue des intellectuels pour moins que ça – il cite l’hindouisme comme la croyance la moins opposée à la connaissance, puisque la divinité se confond avec la matière, ramène les règles, contraintes et interdits (souvent imbéciles) à la crainte que l’homme se fait de sa propre liberté. Et conclue sur la confusion qu’on doit, chacun, éviter de faire entre la morale et la croyance, sous peine de tartufferie, notamment quand il s’agit de définir et faire le Bien. On lapide des jeunes filles, dans certains pays, parce qu’elles ont été immorales, dit-on ; ceux qui jettent les pierres – et Jourde, malheureusement, sait ce que le geste signifie, même dans d’autres circonstances – le font au nom de la morale, mais pose-t-il, qui fait mal à l’autre ? La morale n’a pas besoin de Dieu, elle est inhérente à l’homme.
C’est toujours un plus, des petits textes philosophiques très abordables, offerts (3,90€) à la conscience de chacun. Et dans l’œuvre – la vie, même - d’un auteur, c’est important qu’il se confronte à des idées beaucoup plus grandes que lui. C’est réussi.
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06/08/2024
JOURDOTHÈQUE (6/10)
Il y a près de vingt ans, deux ans après l’avoir traitée dans son roman Pays perdu – qui prend une dimension autre à la lecture de cet essai – Pierre Jourde aborde la notion de l’authenticité dans la littérature, avec comme sous-thèmes le réel, le neutre et la fiction et reprend des scènes rencontrées dans son roman-phare (que complètera la première pierre, et on sait pourquoi) en traitant, dans une démonstration philosophique, épistémologique et analytique, de la dimension complexe de l’authenticité, au sens même où elle n’existe pas à partir du moment où on la considère. Où l’on se perd dans notre propre fiction, énonce-t-il, en mettant en jeu, déjà, le nous, le je. Le réel, dit-il, n’est souvent qu’un désir de réel, une comédie, et l’authentique, si l’on n’y prend garde, ne sera lui-même qu’une affirmation de l’authenticité. Jourde avance d’entrée quelles seront ses références, dans l’essai, cite Blanchot, Bataille, Jabès, d’autres, comme Barthès et son Vers le neutre ; Heidegger, en filigrane, pour son Être et Temps, entre être jeté et oubli de l’être, Giorgio Agamben - penseur des formes de vie - et sa communauté qui vient. Jourde se targue donc de définir l’indéfinissable, s’excusant en amont de ne pas y parvenir : c’est que l’essai, par nature, joue au neutre, c’est donc complexe, pour le moins, d’en déterminer l’aura métaphysique, l’indistinction heureuse. Dans sa volonté, difficile, de délimiter le réel, il se sert de ce qui a fait son matériau littéraire, dans Pays perdu : la mort et l’enterrement (d’une enfant) tels qu’ils sont vécus dans la campagne profonde, jouant de l’authentique, de l’illusion et du langage inhérent pour rendre compte d’une impression, taraudante et parfois destructrice selon laquelle une part de nous, infiniment minime, mais suffisante pour tout compromettre reste étrangère à ce qui se passe. Jourde offre une (auto) réflexion ouverte sur ce qu’il nomme l’autorité du réel, via la régence de la parole, son indiscrétion : il n’y a pas plus de lien entre le monde de la terre et soi qu’entre soi et soi, déduit-il de son expérience de l’enterrement où même le chagrin n’a rien d’absolu et semble vécu à travers une toile du XIX°s. Même constat devant le paysage qui nous fait face : on ne contemple jamais, dit-il, se référant autant à son Auvergne qu’au Tibet qu’il a parcouru, on oscille entre le sentiment, son débordement et la frustration qu’il génère pour dire qu’on n’est jamais vraiment là – au sens du dasein d’Heidegger – voire qu’on n’y est plus du tout : un événement dont je comprends avoir toujours été exclu. Son orographie – l’étude des reliefs montagneux – Jourde la double d’une analyse de la neutralité dans le paysage, explique qu’être là implique une dissipation du je. Double sa réaction devant les reliefs tibétains (ça n’est pas possible, littéralement) d’une étude du beau tempschez Proust, explique comment faire de la littérature avec de la contemplation, sachant que c’est l’impersonnel, contre toute attente, qui constitue la personnalité. Ainsi, au village, l’authenticité croit venir des rites agricoles alors que c’est précisément l’inverse. Valère Novarina, que l’auteur a adoubé depuis longtemps (notamment depuis la Littérature sans estomac) énonce qu’être homme, c’est aussi avoir en soi l’absence d’homme, dans la perte des traditions – la tradition n’a de sens que dans sa perte– ou la contestation d’un romantisme qui est en soi une négation de la neutralité. Que Jourde démontre par son addiction au Saint-Nectaire, l’objet singulier, ce qui vaut quelques pages remarquables et étonnantes.
Être est aussi éloigné de l’étant que l’existence l’est de l’essence, dit-il, citant Sartre avec distance, par le biais de Kierkegaard, surtout. Ou de Merleau-Ponty, puisque la deuxième partie de l’ouvrage relève, quand même, de la somme de références. Il faut savoir parfois ne pas regarder er ne pas prêter attention, c’est ce qu’on relève de son étude du paysage, que sauve son abord par le foot ou la cueillette des champignons. Il applique ça à l’amour – champ d’écriture infini – sachant que tout ce qui s’est dit et écrit sur l’amour fait aimer. Que la souffrance qui en découle ne peut être vécue comme telle – idem pour l’expérience du deuil – puisque l’amour est toujours, dès l’origine, un chagrin d’amour. Dans l’Être et le Néant, Sartre définit l’écart de cette façon : Je ne suis pas ce que je suis ; Jourde en détermine une culpabilité narcissique, une théologie négative de soi, qu’il rapproche de la souffrance du neutre dans le moi, un état hypnagogique – une forme de conscience particulière entre la veille et le sommeil, qui a lieu durant l’endormissement – qui mènerait à un dessaisissement du langage. Jourde exécute les phases de narcissisme coupable (l’homme qui souffre de n’être que lui) mais aussi de modestie, le mensonge stratégique, définit-il, d’un orgueil bien géré. Il faut, lâche-t-il (enfin ?) un mélange de solitude neutralisante et de vanité active pour déterminer une vocation littéraire, et il sait de quoi il parle. Quel que soit le sujet abordé, celui qui écrit ne fait jamais que parler de lui : l’authenticité de l’émotion est un leurre – du rousseauisme spectaculaire – et l’on en arrive, via la faute, à l’antique doctrine théologique du péché originel, dixit Agambon, fil conducteur de l’essai. Jourde cite le succès de Houellebecq, pour sa critique de la compétition individuelle, mais le contrecarre par René Girard, qui donne la réalité en tant de ce qu’elle a à être. Ou Louis de Funès, cité ici pour ce qu’il dit de l’expression Mon Dieu (inepte puisque Dieu est un dépossessif). Dans l’acte littéraire – le rêve de quelque chose comme un désert mondain, d’une parole sans bruit et d’un acte sans acte – tout se passe comme si le neutre n’était que parole, sans considération d’un rapport à soi entre volontaire et involontaire. Ainsi, ce que Jourde intitule les Artifices littéraires, s’appuie, dit Blanchot, sur l’impropriété :écrire, c’est vouloir se faire, par le livre, l’autre de l’autre. Montaigne même n’est, de manière plus ou moins implicite, que le nom de quelqu’un qui a su n’être personne, puisqu’il a fait des livres. Et Jourde, qui ne se prive pas d’une analogie supplémentaire avec la boxe, d’opposer l’authenticité à l’excès, de saveur ou de visibilité, de s’appuyer, aussi, sur les écrivains moins que rien(Delerm, Autin-Grenier, Holder) qui font que la chose ou la sensation particulières ont une valeur en elles-mêmes, de par leur particularité. Son analyse de la modestie vaut également son pesant de cacahuètes, sa réflexion sur la tradition moderne de la critique aussi, son stratagème de vouloir dissocier l’homme de l’œuvre, Céline à l’appui, surtout. Comment faire en sorte qu’il existe un langage sans vouloir dire, pose Agamben, une possibilité littéraire du neutre ? Jourde n’en trouve que dans les comptines et les vieilles chansons populaires, comme la Claire Fontaine, dans l’incongru comme effet produit : le réalisme loufoque avec lequel il clôt son essai. Ou la littérature bouffonne, avec Pierre Dac, Max Jacob ou, encore, Valère Novarina, puisque son texte sonne comme une parodie mais on ne saurait dire au juste ce qui s’y trouve parodié, sinon le langage même. C’est dans l’épilogue, entre deux précautions psychanalytiques et un dernier renvoi à l’ipséité via Ricoeur que Jourde bascule vers le lecteur – je suis le sujet de ce que je lis – pour faire de l’écrivain un homme du réel et de l’irréel, en quête de sa voix. C’était il y a vingt ans, et la curiosité reste de savoir comment l’écrivain Jourde se mesure à l’aune de l’essai sur la littérature qu’il a posé là : entre contradiction et authenticité, en soi. Une vie d’homme, quoi.
Pierre Jourde, Littérature & authenticité (le réel, le neutre, la fiction), l’Esprit des Péninsules, 2005
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20/07/2024
Because the night.
Je n’ose pas faire la moyenne de l’âge des artistes que je suis allé voir cet été, et plus globalement au cours d’une année 2024 que je terminerai, si Dieu me tripote, par un octogénaire sémillant, mais quand même. Une espèce de Farewell Tour, après que j’ai failli moi-même tirer ma révérence avant Véronique Sanson. Après Simple Minds mercredi dernier, mon retour est passé par Nîmes, aux Arènes, pour un coplateau atypique mais (plus qu’) attirant. Patti Smith, je n’aurais sans doute jamais payé pour la voir seule, malgré tout le respect que j’ai pour une œuvre que j’écoute régulièrement. Mais bon, avec elle, il faut jongler entre les moments où elle vient déclamer des poèmes (j’ai déjà les Voix Vives en bas de chez moi) ou autres créations censées l’éloigner un peu de ses standards auxquels, sans doute, une bonne partie de son public la restreint. Mais Patti Smith, comme Joan Baez, c’est une voix de la folk-rock, auteure elle-même mais, surtout, formidable passeuse de textes. Et hier, en formation rock – un quartet avec son fils à la guitare – elle ne s’en est pas privée, chantant du Lana Del Rey, du Bob Dylan, jouant un morceau en hommage à Johnny Cash, un autre pour les 30 ans de la mort de Kurt Cobain, enchaîné avec un Smells like Teen Spiritsde très bon aloi, qui fait oublier aux fans qui secouent la tête à tout crin qu’ils n’ont presque plus de cheveux. La femme à côté de nous, dans le vomitoire (sic) nous a annoncé en amont que c’est Patti qui ouvrirait le concert : sa sœur de rock, dit-elle, joue à Marseille aujourd’hui, il faut qu’elle parte tôt. De fait, il fait jour quand elle donne son show, mais le son et la voix sont impeccables, la présence scénique impressionnante et puis un concert qui offre Dancing Barefoot, Because The night en clin d’œil au rendez-vous manqué avec le Boss, en mai, et People have the power, une des dernières raisons de lever le poing en public, à notre époque, est déjà un concert à part. Qui ferait presque douter de la capacité d’Etienne Daho de relever le gant. Peut-être est-ce pour ça, en partie, que le changement de plateau est très long, surtout parce que le light show est impressionnant : un double cadre lumineux, l’un qui définit la scène en entier, deux pans d’écrans réunis derrière pour un show impressionnant, stroboscopique – obligeant une encore récente victime d’AVC à détourner les yeux, souvent – avec des ombres d’un Daho derrière, dansant, en mode générique d’Amicalement vôtre. L’esprit pop (Satori) n’a pas bougé, et malgré un son très fort et une voix en avant qui a franchement relégué les cordes, Daho est le même qu’il y a quarante ans, et c’est toujours fascinant de voir un type plutôt sympathique vous rappeler qu’il a dicté la bande son de votre vie en multipliant les tubes : le grand sommeil, sortir ce soir, Comme un boomerang - avec un rappel des parrainages qu’il a connus dans le métier avec Hardy, Dutronc et donc Gainsbourg, dont il n’est pas sorti vivant, selon ses termes, de l’apéro qu’il a un jour partagé avec lui – Des heures hindoues qui tirent déjà des larmes (même si je suis rien, si j’suis personne, personne), mon manège à moi, Duel au soleil, qui en tire d’autres, Tombé pour la France, Bleu comme toi, le premier jour (du reste de ta vie) qui ouvre les vannes, Week-end à Rome, Épaule Tatoo, j’échangerais bien mon dernier relevé SACEM (31,02€) contre le sien, mais je ne lui en veux pas. C’est touchant également de le voir présenter des morceaux moins connus, pour lesquels il a une certaine affection, dit-il avec pudeur : j’espère un temps Promesses, qui ne viendra pas, mais il lance l’homme qui marche, sa préférée, En surface, que lui a écrite Dominique A. Et d’autres, qui ponctuent un show rodé, qu’il termine, en rappel, par Ouverture, histoire de marquer la vie de cet éternel jeune homme, qui ne vieillit pas quand son public le fait, ce qui ne l’empêche pas de danser dans les gradins des Arènes comme on dansait dans les boums des 80’s. Il a parlé d’une K7, à un moment, s’est enquis de savoir si tout le monde savait de quoi il parlait. Et c’était ça, en fait, hier : deux heures calées avec un walkman sur les oreilles, à faire comme si rien ne s’était passé depuis la Teste-de-Buch, en 1983.
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17/07/2024
Dévaler la pente.
Un retour de libraire sur l'auteur lui-même (avant le livre), c'est suffisamment rare pour être souligné. Merci, Anthony, du Panier de livres, à Caluire-et-Cuire : "Très belle rencontre hier soir à la librairie de Caluire, avec en effet un écrivain singulier Laurent Cachard, un écrivain qui a des ressources mystérieuses, opiniâtre, habité, attentif, dévalant la pente, emporté, exigeant, furieux, à bonne hauteur puis tout à coup d’une grande mansuétude, un écrivain qui fait des rencontres et change alors le nuancier des lumières de sa vie. Un écrivain qui va au bout des choses en oubliant de respirer, je suis touché par sa présence complexe et son audace. La littérature au centre de notre vie comme une nécessité première. Et encore ce constat chez certains passionnés pour qui le feu n’est pas un accessoire d’un soir : une capacité de vivre à plusieurs époques à la fois. Mais que la gravité des choses n’empêche pas l’œil pétillant et facétieux de l’instant qui passe."
le micro-concert de Jean-Christophe Géminard, brut et sans autre prétention que de témoigner de l'instant, se trouve ICI.
Et ce titre, qui me rappelle ce texte écrit il y a longtemps, pour Guillo :
Photo : Stéphane Thabouret
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13/07/2024
Liliane & Aurelia au Panier de livres, un 12 juillet.
Il y a des soirs où tout concorde et où, malgré les défections du jour, ou les absences notoires, on respire un peu de voir arriver des têtes connues, en nombre suffisant (déjà pour les chaises disponibles) pour le libraire, histoire de le remercier de l’invitation. Des soirs où l’alchimie se fait vite, dans le discours, les regards, cette façon muette d’acquiescer. À une vision de la littérature, une exigence qui respire dans cette toute petite échoppe au milieu de nulle part, mais dont la programmation m’a alerté, et dans laquelle j’ai trouvé des titres qui ne rendront pas le libraire riche mais qui l’aident sans doute à respirer au quotidien. Anthony, le maître des lieux, s’est montré curieux de ce que je faisais en amont et impatient, disait-il, d’accueillir un auteur singulier – c’est le mot qu’il a choisi – de m’entendre parler de Liliane, d’Aurelia, de Camille aussi, puisque le Réalgar, une maison d’édition qu’il a découverte via son rayon poésie, l’a intrigué, au point qu’il a invité Daniel Damart, le Boss, il y a quelques semaines. Hier, c’était mon tour, devant une petite trentaine de personnes, et Anthony m’a fait parler de mon parcours. De ma première vie d’écrivain, de Claude Raisky et de Raison & passions, Lettres-frontière, Grignan, Carole Martinez, tout ça. De Tébessa, qui a tout lancé. Puis d’Aurelia, du travail dantesque que ce livre m’a demandé, sur près de dix ans, de l’histoire de l’Ukraine, de la philosophie – sur la judéité – de cette nécessité que j’ai éprouvée de faire vivre ce personnage qui me marqua tant, à l’adolescence. Je peux enchainer sur les Jardins d’Ellington, sur la notion de sujet qui m’importe, dans la littérature ; sur le corps expéditionnaire russe, sur la Courtine. On me dira après que je donne envie, et, au vu des exemplaires vendus après, tant mieux : pour le libraire, qui fait sa soirée, pour le lecteur, qui découvrira Aurelia. J’ai tellement fait de rencontres que je ne peux pas ne pas mesurer la promesse que j’ai faite hier de livrer (c’est le mot) un 3e et dernier volume des aventures de mon héroïne : j’ai commencé. Je raconte en souriant que Daniel, qui n’est pas au courant (ne lui dites pas encore !), fera sans doute une exception pour moi, lui qui se demande s’il va continuer à éditer des romans. J’en arrive à Liliane, à Barbara, je raconte la genèse de ma Cantate, cette erreur insultante de photographie dans Libé, la façon dont j’ai remonté la courte vie de la Pianiste, son histoire d’amour avec Serge Lama et, dans la tragédie de son existence, les mots que la Dame en noir lui a laissés, ce chef-d’œuvre de justesse et de sensibilité qu’est la petite Cantate. Cette adresse sublime à son amie, sa douce, sa si petite à elle. Tout est lié, dans ma volonté de remonter le temps, les cours des vies. Je suis passionné et ça doit se ressentir, puisqu’on m’a dit que c’était passionnant, au sens littéral. J’avais prévenu Anthony, je pourrais parler des heures, mais il reste la petite surprise, le (gros) quart d’heure musical, les cinq chansons qui résument mon parcours à moi dans la chanson, avec Eric Hostettler en compositeur. Là, c’est JC qui chante : il s’est déjà approprié Ton Égide, restructuré Au-dessus des eaux & des plaines (qui me permet de dire du mal d’Aragon), on a inséré in extremis Le Mont Sans-Souci de Jean-Louis Murat, l’essentiel, et préparé la scénographie du morceau suivant : je me lève,prends sa place derrière le micro et lui lance les accords, arrangés pour la guitare, de la Petite Cantate. Que je chante, pour la deuxième fois en public, au grand étonnement de ceux qui jamais ne se seraient attendus à ce que je le fasse. Anthony, au bout de mes 2’30 de gloire, est ravi, enthousiaste, me remercie chaleureusement. Mais ce n’est pas fini, JC doit encore interpréter l’Embuscade, ce morceau mythique inspiré de Tébessa, dont il oubliera un mot, le même, mais à chacun des couplets : rien de grave, Samantha, qui l’entend répéter chez eux depuis des mois, le lui souffle, ajoute même, discrètement, une deuxième voix. Puisqu’il faut finir, JC entonne la masterpiece du duo Cachard/Hostettler, extrait du flop industriel de Trop Pas !, ce Café des Écoles qui n’existe plus sur la grande place, mais qui continuera dans la mémoire de tous ceux qui croiseront cette chanson. Que Nicolas Bacchus, présent hier, songe à intégrer dans son (6e) album à venir. On a fait près 1h15, il est temps de signer de nombreux livres, de voir du coin de l’œil ces personnes aimées qui se retrouvent ou se découvrent, de boire un verre dans la librairie puis enchaîner sur une belle soirée, au Capot, à deux pas de chez ma mère. C’est un privilège de pouvoir rassembler autant de figures de ma vie autour de mon travail. Et la joie – j’ose – des libraires, la promesse qu’on s’est faite de nous retrouver ponctuellement, est une belle récompense. Je souris en moi-même en me disant que si tous ceux qui auraient dû venir étaient venus, on n’aurait jamais pu caser tout le monde. C’est souvent ainsi que les choses s’équilibrent.
PS : un beau retour de Laure, hier, juste avant que je parte pour le Panier : « Un roman exquis qui nous introduit dans l’intimité d’une relation hors du temps, d’une histoire que j’ai toujours devinée sans en connaître réellement la source d’inspiration . L’écoute de cette chanson que j’adore a pris par la grâce de votre plume sa véritable dimension . J’ai hâte de vous écouter parler de Liliane , un jour prochain peut-être , ma santé pour l’instant ne me permet pas de me déplacer mais je tenais à vous remercier Laurent pour ce secret si joliment dévoilé et qu’il me plaît désormais de connaître . » Un truc à se mettre aux anges, avec leurs trompettes.
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11/07/2024
Let me see your hands!
Il faudrait être fan hardcore pour dire si le concert de Simple Minds hier au théâtre antique de Lyon était mieux qu’un autre (de la tournée) ou un des meilleurs d’un groupe tellement antique lui-même que les Lyonnais les plus vieux l’auront vu dans des salles aussi diverses que le Palais d’hiver (en 1983), le Palais des Sports, la Halle Tony-Garnier, la salle 3000, et donc, hier, à guichets archi-fermés, au théâtre de Fourvière, dans ce cadre que le groupe semble affecter, en témoignent leurs passages à Taormina, Rome ou autres enceintes idylliques, par leur disposition, la beauté du site. On peut avoir jugé le concert d’hier un peu mou, avant une première session ramenée à New Gold Dream, l’album sorti en 1982 – après, quand même, que Jim (Kerr) a enflammé le site, d’entrée, sur Waterfront, puis Someone somewhere, le titre-phare de NGD, celui que n’importe quel quinqua a accompagné, dans sa jeunesse, d’une danse new-wave pénétrée, en espérant que la fille de la fac le regarde enfin. SM, depuis 2015, ce sont des concerts en deux parties, au milieu desquelles le chanteur-patriarche, toujours aussi classe, va se rafraichir en loge devant un ou deux whiskies, de son propre aveu. C’est aussi un lead-singer qui a accepté de vieillir et qui confie des parts vocales – voire des chansons entières, comme Book of brilliant things - à sa superbe choriste Sarah Brown, résurgence d’Aretha Franklin à la robe lamée. C’est sur elle que Jim s’appuiera pour lancer le mythique Mandela Day, qui nous fait nous rappeler qu’on a tous levé le poing un jour en chœur et qu’on a tous aussi rêvé du t-shirt noir manches longues porté lors du concert de Wembley, en 1988, juste avant que Johnny Marr vienne assister un Charlie Burchill toujours aussi cristallin dans un son que seul ce groupe a su faire perdurer. Mandela Day, alors, dans un light-show aux couleur sud-africaines, pour saisir qu’on est dans la deuxième partie, plus tubesque, plus enlevée, forcément. Il y a Sanctify yourself, pour faire – enfin – se lever les vieux (dont moi), un dernier sursis avec le long et progressif « Belfast Child », la formation est rodée, le bassiste excellent et la batteur(e), Cherisse Ossei, animale, finissant la moitié des morceaux debout. L’immense frontman qu’a toujours été Jim Kerr se contorsionne, nous met minables avec ses génuflexions, nous qui souffrons d’arthrose et d’un manque de place, dans les gradins, pour étendre nos jambes. Il n’y eut guère de surprises, ou je ne les aurai pas reconnues, quelques morceaux, peut-être nouveaux, tentés pour se convaincre d’une actualité qui est, quand même, l’essence des artistes qui nous font vivre. Et puis, comme un exutoire, le Don’t you que tout le monde attendait, qui fait qu'en une seconde, on se demande qui de Bender, d'Andrew, de Claire, de Brian ou d’Allison – les personnages de Breakfast Club – nous sommes restés, à moins qu’on ait construit nos vies, comme le film, sur un mélange des cinq, avec la même question, toujours en suspens, celle pour laquelle les élèves du lycée Shermer ont été collés, le samedi 24 mars 1984 : Qui pensez-vous être ?
Il y a tout ça dans un concert de Simple Minds, enfin, pour moi, même un peu plus. Et puis les aléas, les accidents, ça vous incite, quand vous recroisez quelqu’un qui a été très proche, à le regarder sortir de scène jusqu’au bout, sans ciller. En vous disant, sans urgence, qu’il ne s’est finalement passé que quarante ans, ou presque, depuis le premier concert. Le final de Dont’you, ça n’est pas compliqué, se souvient cet ex-groupe de stades : la, lalalala, lalalala, lalalalalalalalalalala, et on recommence, à s’en casser la voix. Jim s’amuse, regarde sa montre, les coussins voler dans la lumière, ils pourraient finir là-dessus, mais il propose d’en faire une dernière, et c’est Alive & Kicking, qui se termine, variation, par palalalalala, palalalalala, palaooo, palaooo, ad libitum. De quoi partir heureux, en se donnant rendez-vous pour le prochain. Sans savoir quand, ni si. C’est le jeu.
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04/07/2024
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