12/05/2023
Chroniques d'un AVC (31 mars/10 mai)
16:35 Publié dans Blog | Lien permanent
09/05/2023
10 ans de Camille.
12:42 Publié dans Blog | Lien permanent
04/03/2023
C'EST VRAI L'HIVER DURE TROP LONGTEMPS.
L’hiver, ce sont les vingt ans que Brigitte Giraud a passés avant de pouvoir écrire sur la seconde d’une vie qui en fait basculer d’autres, celles de la femme, de la mère, du fils, et – même s’il n’en sait rien, à dix mille kilomètres de là – d’un constructeur de motos, routières ou sportives, la distinction a son importance. Un hiver commencé en plein été, un lendemain de solstice et de fête de la musique, dans la routine absolue d’un vieux rocker rentré dans le rang, chef de famille, papa attentif et entreprenant – on est dans l’ère des nouveaux pères, précise l’auteur, aux responsabilités partagées, et Claude ne raterait pour rien au monde la sortie d’école, les jours où il en a la charge – conjoint comblé et amoureux, tolérant, aussi, concédant à sa compagne des lubies de changement. De lieux, de projections. Passer de l’appartement à la maison individuelle, du Canut (« des surfaces qui avaient, au XIXe siècle, abrité des ateliers de soierie et dont la généreuse hauteur sous plafond permettait l’installation de métiers à tisser et le couchage des soyeux ») au mobilier de jardin en fer forgé, acheté aux Puces du Canal. Vivre vite (et mourir jeune), indépendamment d’un emprunt à Lou Reed – qui n’a rien respecté de l’injonction – c’est le récit d’une culpabilité déchargée de sa faute : non que le temps ait fait son œuvre (l’antiphrase la plus célèbre de la langue française) mais parce qu’il a autorisé l’auteure à faire du jour le plus triste de sa vie un matériau d’écriture, qu’elle aborde méthodiquement. Par la litanie des Si, commence-t-elle, elle tente de revenir au marché des vivants, et fait correspondre la vente de la maison, qu’ils n’auront jamais occupée ensemble, en vingt ans, avec le sujet du roman. Est-ce roman, est-ce diable, à qui s’adresse la lumière, écrit-elle, pour conjurer le sort, ou, du moins, accepter qu’on ne le pût plus ? La cause de l’accident, officiellement, n’existe pas, il faudra donc à l’enquêtrice en remonter toutes les possibilités, ramener une réalité au conditionnel passé. Toutes les pistes deviennent têtes de chapitres – courts, oppressants, au fur et à mesure que l’issue, pourtant connue, s’annonce – égrènent l’ironie du sort, les mauvaises coïncidences, les regrets et les remords, dessinent aussi un contexte d’époque – l’appel qu’on ne passe pas parce qu’ils sont surtaxés entre Paris et Lyon, l’absence de portables, lesquels auraient permis le SMS salvateur, la gentrification, qui provoque, même chez les amis très à gauche, une injonction d’expansion qu’ils ne se seraient, tous les deux, jamais imaginée, un jour.
Claude a su aborder le virage de sa vie qui l’a fait passer d’un travail dont il ne voulait pas à un poste dont il aurait rêvé : à la Bibliothèque de la Part-Dieu, il est en charge du service musique, vinyls, cds… Quand il rentre chez lui, il écrit des chroniques, est pigiste au Monde – dommage qu’on ne parle pas de M. Hublot dans le livre – connaît tout avant les autres, partage ses découvertes, sans jamais se la jouer. Elle écrit, a du succès, déjà, entre dans le grand monde de l’édition, qui la couronnera plus de vingt ans après, avec un livre qu’elle aurait voulu ne jamais devoir faire, et qu’elle échangerait évidemment, séance tenante, contre la possibilité de revenir une seconde avant le feu rouge fatidique. Le récit est resserré, étouffant, l’auteure – faut-il parler de narratrice, ici ? – s’en veut à elle-même avant d’en vouloir aux autres, à son grand-père de s’être suicidé et ainsi de lui avoir légué la part nécessaire à l’achat de la maison, elle dit d’elle-même qu’elle n’est pas du genre à renoncer mais qu’elle aimerait renoncer, enfin, à ne jamais renoncer. Les énumérations – Je me souviens – les anaphores – Et si… - les changements d’énonciation – ponctuellement, et à la ligne, un présent de narration qui refait l’histoire – servent le récit dans son analepse, graduée : d’abord recréer les conditions de l’accident, remonter, s’il le faut, à Jean Moulin, ceux qui l’ont servi, ceux qui l’ont trahi. Solliciter, puisqu’il le faut, des forums de spécialistes, sous le pseudo de Carburateur flingué, pour comprendre comment une moto jugée trop dangereuse au Japon pour être commercialisée, peut circuler en France librement, et finir dans les mains d’un homme qui, on ne saura jamais pourquoi, la préfère un jour, pour une escapade – le matin à 200km/h sur le périphérique, l’après-midi, en mode plan-plan pour revenir du travail – à sa Suzuki habituelle. Pourquoi Claude a-t-il réinvesti la mythologie du rocker, transgressé les interdits – emprunter la moto de son beau-frère, sans assurance ni autorisation –profité de l’absence de sa femme pour revenir à ses premières amours, jamais l’intolérable ne trouve de réponse suffisante à celui qui se pose la question, mais Vivre Vitepropose des pistes, comble des vides, ramène le sort à son destin, finalement. Ça fait seulement vingt ans que je me repasse la scène, avoue l’auteure, qui marque les esprits parce qu’on a tous, à cette époque, connu cet instant où tout bascule, où une phrase, On n'a rien pu faire, détermine, en une seconde, le temps qui vous reste. Il y a une véritable abnégation dans l’écriture de ce livre, celle de lutter, toujours, contre le pathos ; de restituer Claude tel qu’il était et, in fine, tel qu’il est resté ; d’accepter son propre vieillissement, de fait, les prémices – pas de l’oubli – mais d’une mémoire qui a fait son temps. Son œuvre. Et qui ravive un homme qu’on croyait perdu. L’excipit est poignant et valide à lui seul la lecture du bouquin. Qui se lit, comme souvent chez Giraud, avec la bande-son intégrée - et si gémellaire ! - du Courage des oiseaux jusqu’au Dirge de Death in Vegas, peut-être le dernier morceau que Claude a écouté. On trouve même Philippe Pascal, passé par là, parti lui aussi : ça tombe bien, son Éclaircie, d’ailleurs reprise par Dominique A, pourrait résumer l’entreprise littéraire. Ou signer la fin de l’hiver. Apprendre, en passant, qu’un des livres jamais écrits par l’auteure, devait s’intituler « Cache-Cache » ne me surprendra finalement qu’à moitié. La question de la littérature ne se pose plus quand le sujet s’impose de lui-même. Nous tous, qui avons pris notre temps, devrions lire « Vivre vite » : il en dit beaucoup sur nous, plus que sur ce/ceux que nous avons perdu/s. LC
Brigitte Giraud, « Vivre vite », Flammarion, 2022
10:58 Publié dans Blog | Lien permanent
04/02/2023
Demande à ma sœur!
C’est toujours très particulier de donner rendez-vous à un proche deux fois dans l’année, quasiment le même jour, au même endroit en tout cas. Ça donne l’impression de venir vérifier que quelque chose a clocho, forcément, parce que, tout le monde le sait, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve… Héraclite, pourtant, n’avait pas son mot à dire, dans la soirée : quand on vit à Lyon, ou même quand on en est éloigné, mais toujours raccroché, venir voir Biolay est de l’ordre du commun. Plus encore, aller voir Benjamin Biolay en concert à Lyon quand on habite à Sete, c’est faire le même chemin que lui, c’est accentuer les coïncidences qu’il faudra bien un jour relever. Benjamin Biolay, l’enfant du pays, en concert avec l’Orchestre National de Lyon, c’est un événement, mais un événement de l’année dernière. Entre-temps, il y a eu un album, « Saint-Clair », pour rajouter un peu encore au malentendu : quoi, ce lyonnais de naissance – ou du moins assimilé –s’approprie-t-il le mont le plus élevé de l’île singulière ? Que retenir de ces appartenances, qui décrète, d’un coup, qu’il est là « chez lui» où il est ? dans la mesure où, dès le deuxième titre, violet d’une donne du « Lyon, presqu’île », on pourrait presque trouver ça cavalier, puisque en plus ça annonce une playlist quasi identique à l’année dernière, qui ne tient donc aucun compte du dernier double-album. On est prêt à le pardonner, un concert avec un orchestre symphonique ne s’improvise pas, et d’ailleurs, très vite, l’impression qui domine est celle que l’ensemble est mieux maîtrisé que l’année dernière, que les morceaux sont plus aboutis, et que du coup, l’interprète est moins livré à lui-même. Ce qui, et ce sera le coup de griffe de la soirée, l’installe un peu trop, a contrario, dans sa zone de confort, et notamment le fait qu’il ne puisse plus se passer de ses prompteurs et de son cahier de chansons. Pour la première fois, depuis 14 ans que je le vois en concert, « ton héritage », un des textes les plus beaux qui est jamais été écrit, Assemblée un peu fade, conventionnel. Il n’y aura que deux morceaux du dernier opus, c’est pas forcément les plus attendues : « De la beauté là où il n’y en a plus » et « pourtant ». Terrible, même quelques heures après, de se dire qu’on aura pas eu droit à « (Un) Ravel » là où il aurait dû être joué. Mais encore une fois, et la captation vidéo aura sans doute joué aussi, c’est difficile de faire bouger un orchestre aussi impressionnant. Alors il faut garder la progression notable, les solos de cuivre (comme une mise en abyme avec le tromboniste du conservatoire, il y a des années) ou le violoncelle isolé sur le désormais mythique « Comment est ta peine ? »… Biolay est aux anges, comment pourrait-on ne pas l’être quand 60 musiciens, à la louche, déclinent l’art auquel vous vous êtes adonné depuis toujours? Il suffit qu’il lève la main pour que le public tape dans les siennes, pas toujours très en accord, mais avec une admiration sans bornes : Biolay, c’est l’homme qui depuis 15 ans, aligne des mélodies que tout le monde reconnaît, qui chantonne, comme dans « les cerfs-volants » que tout Lyonnais associe au parc de la Tête-d’Or, alors que ce n’était peut-être pas le calcul initial. Peu importe, entre ses deux guitaristes - que de toute manière on n’entendra pas - Biolay occupe un espace restreint, mais exponentiel : plus il chante, plus on mesure son importance dans nos vies, et dans le paysage audiovisuel français, puisque c’est de cela qu’il s’agit. On le contestera sans doute - et l’ironie veut que le chanteur dont parle l’article en dessous ne lui reconnaît ni talent, ni légitimité. Pourtant, à force, et malgré les paresses relevées, je ne connais pas d’autres interprètes, dans cette génération, qui fasse autant impression. Par les textes, la mélodie, les arrangements. C’était, d’accord, déjà le cas l’année dernière, mais « Négatif » ou « La Superbe » avec un orchestre symphonique, c’est juste extraordinaire. Ça nécessite d’être là comme les générations précédentes ont vu les Symphoniques Sanson ou Sheller. L’analogie longtemps menée avec Gainsbourg ne tient plus : Biolay s’est assagi, ne compense plus ses angoisses par l’alcool sur scène, ou la démesure. Son chemin est minimaliste, mais authentique, touchant, toujours. Et quand qu’il entonne « La Ceinture » d’Élodie Frégé, dont il a écrit le texte et composé la musique, on se dit qu’il peut tout chanter. Bon, peut-être pas Sinatra, ce qui a l’air de l’amuser, mais qui fait tiquer l’aud un: l’anglais n’est pas naturel à tout le monde… C’était une soirée au cours de laquelle tous les temps pouvaient se confondre, jusqu’à la superposition. Un truc à finir très tard le soir dans un bar aux allures de relais autoroutier. Avec des figurants aux visages familiers mais oubliés, et ravivés, de fait. Si un concert de Benjamin Biolay sert à ça, ça justifie le voyage à chaque fois, comme un repère vital, au moins. Le reste, l’absence de « joues roses », ça n’est que de la littérature, comme un recueil de Portraits soumis à la lecture, sans autre réaction que celle d’une Sophie dont finalement on n’aura rien su.
02:25 | Lien permanent
30/01/2023
TOUT EST ENCORE À REFAIRE.
LE VOYAGE DE NOZ, 36 ans, transborde ses passagers d’une salle à l’autre, à trente ans d’écart.
On ne peut même pas leur reprocher ça. En choisissant, comme une évidence, « Tilda & Dad » pour la première partie de leur concert au Transbordeur, les Nozn’ont pas seulement tapé juste dans le talent, ils ont aussi refait le lien avec ce qui reste le fait d’armes de leur passé, sans jamais insulter l’avenir. Emmanuel Perrin foulera donc bien la scène du (plus petit) Club-Transbo comme il a foulé celle de la grande salle d’à côté, en 1989. Le 24 mars, dix jours après Niagara, pour la petite histoire. Mais il la foulera avec sa fille, qui n’était pas au programme d’une époque qui a vu le Voyage s’affirmer comme le groupe lyonnais pouvant remplir une salle comme celle-ci et succéder, pensait-on, aux Ange, Ganafoul & Starshooter. Qu’advient-il des chemins qui n’ont pas suivi leur voie, c’est une question métaphysique, qui ne regarde personne d’autre qu’eux, leurs choix, les incidences. Reste que plus de 30 ans après, ils sont toujours là, et réussissent même, donc, à ramener ceux qui ont quitté le train, le temps d’une escale. Il y a cinq ans, déjà, ils avaient comblé trois décades depuis Opéra, leur premier album, invité leurs copains d’Aurelia Kreit en première partie, à Rillieux. Depuis, les Kreit sont retournés à leur retraite et les Noz ont enchaîné, toujours soumis au rythme frénétique de leur auteur, qui doit craindre que ses créatures le dépassent dans la vraie vie et les couche, de fait, sur papier. En 2011, « Bonne-Espérance », un roman musical en 21 chapitres avait déjà validé des velléités que Stéphane Pétrier n’a jamais éludées : ses chansons sont à textes, et ponctuées de renvois, cinématographiques, littéraires… Des RCCC, références culturelles collectives cachées (suivant les parcours). La moindre des choses pour un groupe né sous une bonne étoile, celle des Chants de Maldoror et d’une new-wave consciente, et pénétrée. Les affres de la post-adolescence, des déterminismes sociaux et culturels, le groupe y gagne une certaine préciosité qu’il mettra quelques années à combattre, en se salissant musicalement, en s’acoquinant avec l’Enfance éternelle, le temps d’un festival lyonnais, en faisant masteriser le Signe (2e album) à Los Angeles. Marc Baujard - le guitariste qui a succédé à Éric Clapot - lequel a un temps, assuré seul les guitares qu’avait posées l’aîné des Perrin – a posé sa griffe, ces dernières années, sur un son plus électrique, que Xavier Desprat, l’ingé-son attitré, tente de restituer, sur disque comme sur scène. Leur dernière double-galette est née de l’expérience traumatisante d’un virus et d’un confinement, lesquels ont généré chez Pétrier une accélération de son hypocondrie, dont il tire une dystopie aussi juste qu’effrayante : dans le monde de demain, l’épidémie à combattre, c’est celle de l’amour, qu’eux-mêmes (le groupe) s’acharnent à diffuser en masse, dans toutes les zones libres. Il semblerait que l’amour fut, et qu’il soit encore, si l’on en croit les premiers concerts, et la photo de Stéphane Thabouret qui annonce les retrouvailles au et avec le Transbordeur. Il y a chez eux quelque chose d’inoxydable et pour une fois, ça n’a rien à voir avec le richissime propriétaire de Simplex Records : les voilà qui reviennent, donc, bien que jamais partis. Ces dernières années, on les voyait sous les boiseries amicales de la Casa, ou au Radiant Bellevue. Dans des plus petites salles, également, ou des festivals improbables, toujours avec la même sensation d’assister à quelque chose d’exceptionnel, un peu décalé dans sa réception. Comme si, souvent, revenait l’idée du parcours inachevé, pas reconnu à sa juste valeur. Dans « la chambre d’hôtes », Nathalie (P.) prend la voix autant que les claviers, parle d’un film qu’on a vu cent fois, signe qu’il est temps de s’arracher à tout ça, tout faire voler en éclat. C’est peut-être ainsi que le groupe se sent en vie, lui aussi, ainsi qu’il envisage de tout reprendre à zéro, le 7 avril. Il y aura leurs fans de toujours, qui ont parfois entretenu le malentendu, d’autres qui, récemment, ont reconnu qu’ils étaient passés à côté de ça. Aldo, le dernier pilier, celui dont Stéphane dit que sans lui, le Voyage de Noz aurait cessé depuis longtemps, se chargera de poser les bases rythmiques avec Pedro à la basse et plus que la mélodie, il y a l’idée d’une harmonie qui s’annonce. Dans l’air du temps. À eux de s’en libérer suffisamment pour ne pas verser dans des best-of qu’ils ont parfois concédés, mais la matière de ces dernières années est largement suffisante pour qu’ils surprennent encore. Même quand le VDN s’empare d’un standard des 70’s, le Diabolo Menthe d’Yves Simon – Dans les cafés du lycée Faut que tu bluffes, que tu mentes – il le déconstruit suffisamment pour lui donner sa marque, et raviver un anachronisme quasi-politique : qui écrirait ainsi sur la jeunesse et ses émois, qui filmerait encore un exhibitionniste à la sortie d’une école ? Qui sait si Pétrier portera encore son t-shirt de « la Boum », déjà postérieur et plus policé que le film de Kurys, qui sait si, un mois après avoir vu Morrissey à la Salle 3000 – sous réserves – il fera diffuser derrière lui des caméos de films liés à ses emprunts ? - Thomas, vous avez triché ! - Thomas triche toujours. Ce qui ne risque pas d’arriver sur scène, vu l’énergie que le groupe dégage depuis qu’il s’est convaincu qu’il n’y aurait pas de fin à ce Voyage-là puisqu’il n’y a aucune nécessité d’en connaître une. On l’a dit, les membres qui s’en vont ne sont jamais très loin et on ne leur connaît d’ennemis que chez ceux qui ne les connaissent pas. Il y aura certes moins de chevelures déliées, moins de pulls torsadés sur les épaules et de Winston qu’en 1989, personne ne s’inquiétera plus du sort des peuples de l’Est en révolte ni de l’arrivée d’un certain Jean-Michel Aulas – ami de Bernard Tapie - dans un club local moribond. Personne ne se vantera plus de les avoir vus au Vaisseau Public, dans cette petite rue au prénom enchanteur. C’est le drame des groupes générationnels, surtout quand ils finissent, comme avec Tilda, par englober deux lignées (et ça ne fait que commencer) : tout le monde se les est appropriés au moins une fois dans sa vie, a assimilé un événement à une chanson, une relation à un concert, etc. Les Noz au Transbordeur, c’est comme trouver une affiche de leur concert dans le foyer des élèves du lycée quand on en est devenu le proviseur. Mais pourtant, ça n'a rien de nostalgique, au contraire, ça n’a jamais été aussi vivace, et essentiel : comme des constats lucides qu’on fait sur ce qu’on a raté ou réussi (Nous n’avons rien vu venir) en trente ans et des poussières. Seule la Beauté est à l’abri des outrages du temps, disait Oscar W. Il n’est plus question, pour autant, du portrait de Dorian Gray, à moins que le groupe exhume « la mer morte », ce à quoi l’événement ne se prête pas. On les imagine plus dans la nouveauté ou la surprise, comme s’il devait y avoir, dans l’assemblée, des producteurs à convaincre, ou des maisons de disque à séduire. Pareil qu’en 89. Ils ont prévenu il n’y a pas si longtemps, les Noz : le début, la fin, ce sont des notions aléatoires, surtout avec eux. Plus encore avec ce mantra, philosophie d’une vie (et d’une œuvre) : « Même s’il n’y a plus aucune chance, je sais qu’on essayera encore ». Il faut sans doute avoir quitté les Noz un moment dans sa vie pour apprécier qu’ils soient encore là, et qu’ils nous aient attendus. Ne plus en perdre une miette tout en restant à distance – question de principe – en faire un vecteur de calendrier, de retours fréquents. En 89, Pétrier sera ravi de l’apprendre, le dernier grand concert organisé à Lyon, après le Transbo des Noz, ça a été Paul Mc Cartney, en novembre, à la Halle Tony Garnier. Pas sûr qu’on y programme le Voyage, pas plus qu’on en anoblisse le chanteur, mais l’essentiel n’est pas là et qu’on le prévienne vite, Macca : les places pour le Trans-Club partent comme des petits pains. LC – Photo ST©
Places en vente ICI.
16:05 Publié dans Blog | Lien permanent
30/12/2022
Nuit de lecture.
Et voilà que le livre qui devrait tout emporter en 2023 – un conditionnel de l’ordre du souhait – est un roman à l’eau de rose ! Pas un opus de Marc Lévy que la vieille Rita souhaite au narrateur, pour en vendre autant que lui et devenir aussi riche et célèbre, mais de cette odeur un peu fade et désuète qui en parfume les pages et les figures. Un vrai livre de famille, en neuf parties, comme les branches de l’Hannoukkia, vestige familial aux mille et une histoires, mystiques ou bien réelles. « Les Méditerranéennes », c’est le titre du roman-fleuve de Emmanuel Ruben, à qui l’on prêterait bien, et il ne s’en cache pas, certains des traits du personnage central, Samuel, qui s’apprête, en 2017, à vivre une de ces fêtes juives qu’il a longtemps refoulées, rejoignant « toute la smalah » dans cette « maison de dingues » qu’est sa famille. Une famille nostalgérique, notera-t-on plus loin, qui vit en banlieue de Lyon mais qui n’a pas oublié d’où elle vient. D’où Samuel revient, précisément, sans encore le dire à ceux qui l’attendent pour Hanoukka. C’est à partir de cette situation qu’Emmanuel Ruben remonte l’écheveau de la généalogie de Samuel et, ce faisant, la complexité d’une identité fondée sur l’exil, la déchéance et l’amertume. De Baya Reine, en 1836, à Solange, sur les bords de Loire à la fin du XXe siècle, « Les Méditerranéennes » décline, par chacun de celles qui vont raconter la part de ce qu’elles en ont vécue, l’histoire de Constantine, où l’étoile de David et la Main de Fatma ont cohabité dans la fraternité, jusqu’à ce que l’idéologie, liée à une haine de deux mille ans d’âge, s’en mêle, et plonge le pays dans le chaos. Constantine, pour laquelle l’auteur utilise, plus d’une fois, l’appellation Ad’Hama, l’Écrasante, est une ville assise sur un monceau de squelettes, n’est plus qu’un souvenir déchirant pour toutes les membres de la famille, tous réfugiés – une deuxième fois – dans le rejet de l’Arabe ou la rationalité la plus rassurante, quitte à mettre la poussière mémorielle sous le tapis. Mais chez les Juifs, écrit Ruben, la mémoire précède la naissance, et si « Les Méditerranéennes » font une large part à l’humour, à la psychanalyse et aux recettes de cuisine, si l’auteur fait appel de lui-même à Marthe Villalonga ou à Roger Hanin pour traduire les hyperboles des personnalités familiales, il fait aussi référence, tout au long du roman, à des visages hollywoodiens – Clark Gable, Vivian Leigh, Humphrey Bogart, Errol Flynn - pour mieux esquisser un temps perdu qui n’a rien, précise-t-il, de proustien. Parce qu’imposé, brutal, jusqu’à l’insoutenable, pourtant écrit. Du pogrom du 5 août 1934 où l'État français laisse les mauvais djinns massacrer leurs frères en toute impunité aux mauvaises répétitions de l’Histoire, quand, à Guelma, le 8 mai 1945, se joue une manœuvre à taille réelle de la future Guerre d’Algérie. Génération après génération, la famille de Samuel s’est forgé une histoire que chacune des narratrices raconte, sans se soucier d’un subconscient qui grandit, tord le souvenir et le lie tout entier au parcours fantasmé de ce chandelier à neuf branches. Défendu, dit-on, par la Shekhina - l'immanence divine dans le monde - puis dérobé, fondu, peut-être, retrouvé, reperdu, réincarné, par la force d’une foi avec laquelle on s’arrange. C’est en parallèle (forcé) à une Histoire de France qu’Emmanuel Ruben nous convie, dût-il pour ça bousculer le roman national : « Je veux sortir de la guerre d’Algérie et de la Shoah », lâche Elisabeth, une des convives invitées à lâcher leur part de gâteau familial. Rappeler que la première guerre mondiale a commencé en Algérie et que son premier mort fut André Gaglione, des Ponts & Chaussées, tué à Bône le 4 août 1914. S’ensuivent, dans le roman, des questions sur la dette, sur le bénéfice d’être Français (pour aller se faire tuer au front, vêtus de coiffes rouges voyantes) et sur les lieux, les hommes, qui changent de destination. D’ennemis, aussi. On croise le maire de Constantine de mêche avec Drumont, on relève les conflits d’intérêt entre le Mufti de Jérusalem et Hitler, l’île de Madagascar et Goebbels, la question de la place, jusqu’à l’Eldorado stalinien du Birobidjan, aux confins de la Sibérie et de la Chine… Ce roman érudit n’est jamais pédant, ni didactique et trouve de drôles de résonances actuelles (« Situer l’État hébreu en Palestine, mes frères, c’est confier aux Arabes le soin de régler la question juive ! », on rit franchement de certains pans de personnalités et on partage avec Samuel l’envie d’alléger tout ça. De s’affranchir d’une culpabilité fondée sur les binômes intenables (algérien et français, colonisateur et colonisé, esclave et maître, oppresseur et opprimé) et écouter, même, l’autre version de l’histoire, celle des vaincus. Djamila, la berbère, rencontrée dans la manifestation en faveur de Charlie, la pasionaria du printemps arabe, redonne corps - et cul - au personnage, même si là aussi, il arrive de jouir sur des ravages.
On croise Hugo, de génération en génération, jusqu’à l’analogie Constantine/Besançon – aux sept ponts réciproques – mais c’est Camus qu’on cite le plus, dans toutes les acceptions, des Noces jusqu’au poteau, du premier homme jusqu’au dernier été, dont la photo précipite la fin. Dans l’histoire de cette malédiction, on passe, avec Samuel, le demi-juif, traître potentiel,
du désespoir (Roger, le communiste, ne croit plus dans la France, en Dieu, en Marx) à la résilience. Tintin n’ira plus en Syldavie, le réel est le meilleur des romanciers, philosophe-t-on devant un étal de poissons strictement détaillé, et l’analepse finale est la touche ultime d’un très grand roman.
« Les Méditerranéennes », Emmanuel Ruben, Stock, 2022, 412 pages
09:34 Publié dans Blog | Lien permanent
07/11/2022
Visiteur & voyageur.

19:54 Publié dans Blog | Lien permanent
28/10/2022
l'Aigle noir (dédié à Laurence)
Les virages musicaux, s’ils sont toujours périlleux, ne sont pas tous mortels. Que reste-t-il de la Chanteuse de l’Écluse, quand, à la même époque, alors que commencent les 70’s, Michel Colombier veut pousser plus loin dans l’expérimentation rock de l’univers de la Dame en noir. Et s’appuie sur un des textes que Barbara veut insérer dans l’album qu’elle prépare, dont Roland Romanelli, un soir, au théâtre de la Renaissance, a posé la base musicale, sans le savoir. Lui faisait des descentes harmoniques à la Schubert, sans compter sur la Patronne, qui passe la tête et lui demande de continuer. Pour une fois qu’elle n’avait pas à murmurer une mélodie que les musiciens transformeraient en notes… Elle écoute, se dit qu’elle la tient, la partition de ce morceau qu’elle a en tête depuis six ans, dont les mots et les notes ne venaient pas. Ou pas de façon satisfaisante. Une histoire d’oiseau, tirée du mélange d’un de ses rêves et d’une prophétie biblique. Au bord d’un lac, elle dort, quand un aigle noir fond sur elle : allégorie de la puissance et – plus inattendu – de la douceur, quand il lui caresse la joue. Les exégètes s’en feront des gorges chaudes, pour l’instant, les mots viennent, se libèrent d’eux-mêmes et le texte est bouclé, en six ans et quelques heures, donc : l’aigle s’envole. Que signifie-t-il, cet accipitridé, dans quelle part de son esprit est-elle allée le chercher ? On n’explique pas les rêves, on les interprète, mais elle refuse de le faire, ça lui ôterait son mystère. Il y a parfois des dalles mémorielles qu’il vaut mieux ne pas soulever. Figure monstrueuse du père, évocation du nazisme, elle-même ne le sait pas, à cette époque. Et ne s’en soucie guère. Au printemps, elle enregistre - au studio Gaité, tout près de Bobino - cet album auquel elle rajoute in extremis ce titre qui devient le nom du disque : Barbara est en noir, pléonasme, l’Aigle noir est en blanc, paradoxe. Et Michel Colombier prend les manettes de l’enregistrement, ne lésinant sur rien. Sur le titre-phare, 36 musiciens, huit choristes, un crescendo permanent, break excepté. Colombier double la contrebasse de Paul Amat de la basse électrique d’Antoine Rubio, puis privilégie la session rythmique rock, la batterie d’Armand Cavallaro en tête. Le piano ouvre le morceau, puis la voix et enfin les orchestrations, que Colombier a rodées sur scène et qu’il libère, ici : montées et descentes d’harmonie, effets de phasing – un décalage temporel entre les voix, mis en boucle, qui augmente et diminue au cours du morceau – on n’a jamais entendu ça dans la chanson française et on reconnaît la patte de l’ancien directeur de chez Barclay, ancien assistant de Quincy Jones. À quarante secondes, le phrasé jazz des baguettes multibrins, l’entrée de la basse à 1’, les riffs funks de guitare, les chœurs à 2’, le lever de batterie vingt secondes après, l’envolée de la fretless quatre cordes, tout cela fait de l’Aigle noir un morceau qui fait rentrer la chanteuse rive gauche dans une nouvelle catégorie. On aime ou on n’aime pas, mais elle n’a pas à se justifier de son succès. L’album sort durant l’été, on danse sur l’Aigle noir, que les radios diffusent en masse, malgré son format. En octobre, il est troisième au hit-parade de « Salut les Copains », le monde à l’envers. Pourtant, elle refuse d’en faire la promotion, ne le chantera que deux fois à la télévision française. On lui reproche sa grandiloquence, elle fait le dos rond. Seule l’article de « l’Express » du 13 juillet, qu’on lui rapporte, la blesse, pour une raison précise : Danielle Heymann, la journaliste, écrit d’elle qu’elle noie ses déchirantes petites cantates sous des grandes-orgues de Requiem. Quand la critique vient de professionnels, Barbara l’accepte, toujours. Mais qu’à travers une formule, peut-être inconsciente, on en vienne à penser qu’elle ait oublié sa belle amie de l’Écluse, elle ne pardonnera pas.
Extrait de Quelle petite Cantate pour piano droit au fond de l'Ecluse, ou les vies manquées de Liliane Benelli, à paraître.
07:23 Publié dans Blog | Lien permanent