14/05/2024
Une soirée avec Liliane (Open Space, Sète, 13.05.2024)
Il s’est vraiment passé quelque chose, hier, à l’Open Space, pour notre (première ? unique ?) représentation de Barbara, Serge & Liliane, à l’occasion de la sortie officielle – enfin – de mon dernier ouvrage, « la Cantate & l’Écluse ». Consacré, c’est dans le sous-titre, aux vies manquées de Liliane Benelli, la pianiste de Barbara au fameux cabaret. Pas la seule, mais la préférée, la choisie. Elles étaient comme deux sœurs, s’amusaient beaucoup. Liliane avait quitté Oran à 13 ans pour faire le Conservatoire de Paris – sa famille finira par la rejoindre, pallier son mal du pays. Elle n’ira pas au bout de son rêve d’être une pianiste classique, mais vivra une vie heureuse, d’accompagnatrice, (re)trouvera même l’amour, à 30 ans, dans les bras de celui qui a succédé à Barbara sur la scène de l’Écluse, le jeune et ambitieux Serge Chauvet, de dix ans son benjamin. Elle compose même deux chansons pour la patronne, « Ce matin-là » et « Ni Belle ni bonne », les deux que Martine entonne pour ouvrir le spectacle. Hervé est au piano, à sa gauche, je suis perché sur mon tabouret d’auteur, à droite. Derrière nous, il y a cette belle image de Liliane, pensive, vidéoprojetée : un fond de scène anachronique, à la Morrissey – tiens – qui a dû intriguer plus d’un spectateur qui ignoraient tout – ou presque – de cette jeune femme au parcours remarquable, qui avait tout pour elle et qui a tout perdu, un soir d’été, sur la N7. Elle était avec Serge, c’est Jean-Claude qui conduisait la 404, il y aura deux morts, et un autre qui, survivant, devra trouver les mots pour le dire : Martine chante « Toute blanche » a capella et dans la mesure où c’est l’orchestration, habituellement, qui contredit un peu l’authenticité du morceau, c’est déjà un moment magique. Puis je lis un extrait du livre qui annonce le morceau dont Hervé joue la mélodie, pendant que je parle : c’est d’aventures en aventure, et là le lien se fait, dans la tête des gens. Serge Chauvet, c’est Serge Lama, qui n’est pas seulement le chanteur cabotin des Petites femmes de Pigalle. C’est à moi d’expliquer, après, que ces chansons-là qu’il a écrites pour sa fiancée disparue – il y a Seule, également, qu’on n’a pas intégrée - arrivent après que Barbara, qui avait pressenti la mort de son amie - ne me dites rien, je le sais, Liliane est morte - lui a écrit un titre que dans la presse, à sa sortie, on jugera comme un chef d’œuvre de justesse et de sensibilité. Une chanson qu’on finira par croire écrite pour sa maman quand la mémoire de Liliane s’est effacée, mais qui l’est définitivement pour son amie, sa douce, sa si petite à elle. Hervé lance la mélodie de la Cantate, je prends une respiration profonde et, pour la première fois de ma vie, je chante en public, m’étonnant moi-même dès les premiers mots. Mais ça passe, et plutôt bien, me diront beaucoup de proches, qui ne s’y attendaient pas. C’est du phrasé-chanté, mais le texte m’a tellement habité, le temps de l’écriture, que je le connais par cœur, que je peux m’offrir des (petites) variations de tonalité. Ça aurait pu être gênant, ça ne l’a pas été et mes 2’30 de gloire passées, je reprends le fil, raconte comment Libé s’est trompé de photo – c’est Darzee, la blonde - dans un hommage à Liliane, 54 ans après sa mort, et que ça a déclenché chez moi l’écriture de cette (grosse) nouvelle. Ça permet de rendre hommage à Christian Stalla, le premier à avoir relevé l’erreur, de dire aussi à quel point il a été difficile pour Serge Lama et Barbara de vivre, en parallèle, leurs existences sans Liliane. Avec, chacun, ses fêlures et ses triomphes, bien souvent mêlés. Comme ce morceau mythique, que Martine ne met pas à son tour de chant puisqu’il appartient trop à la Dame Brune, selon elle. À ma demande, elle a accepté de chanter l’Aigle noir, me renvoyant à mes premiers souvenirs de Barbara. La version est magnifique et je n’ai plus qu’à clore, en ouvrant (paradoxe) sur la création qu’Hervé et Martine vont présenter en Avignon, cet été (à l’Ambigu théâtre, à partir du 3 juillet). Ils en ont déjà donné une représentation au Comedia, à la projection du film Franz, que Brel a écrit pour sa Léonie, en 1971. Moi, j’ai terminé, je suis aux premières loges, à leurs côtés, pour les entendre enchaîner la Valse Franz, les Marquises associé à Gauguin, lu comme la lettre (à Jacques Brel ) qu’il est, la Cantate chantée de nouveau – mais par Martine, faut quand même pas déconner – puis, en finale, Quand on n’a que l’amour, en duo, puisque j’ai préservé les spectateurs du crescendo que j’ai poussé avec les artistes, en répétition. La soirée a été épique, après, il fallait, de mon côté, que les tensions retombent, mais j’espère pouvoir présenter ce projet encore, un jour. En tout cas, quelque chose me dit que Liliane était contente. Parmi nous, hier. Il est grand temps qu’on parle d’elle, encore et encore.
photo: Jeanne Davy
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04/05/2024
L'Embuscade (version 2024)
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01/05/2024
Les Beaux restes de son Altesse.
Aujourd’hui, c’est le 1er mai. Le jour des muguets, du farniente et des défilés dans la rue, au soleil (auto-conviction). Mais c’est surtout, dans ma mémoire immédiate, le jour où, l’année dernière, je rejoignis le centre de rééducation, à Bourgès, après ma première perm’ (le terme est militaire, comme ma coupe de cheveux de l’époque, mais exact), un jus d’oranges pressées chez Boule et des moules farcies au ThauThem, après 30 jours d’hospitalisation, 10 jours avant ma sortie définitive. C’est aussi, aujourd’hui, le jour qu’a choisi Stéphane Pétrier pour sortir – enfin – le premier morceau de son projet solo, l’Homme coupé en deux, les Beaux restes, une sorte d’a-contrario célinien des Beaux draps qui dit combien le temps qui nous reste est précieux, tant qu’on peut faire les choses essentielles qui sont de respirer, humer et aimer. On a tous (et surtout moi) de fortes propensions à s’accaparer une chanson, si tant est qu’elle corresponde à nos humeurs du moment, aux crises que l’on traverse etc. Ça n’est pas celui qui vient de publier une ode à la Cantate qui va dire le contraire, et je dois ajouter que mon camarade Jean-Yves, qui a eu – comme le Jean du morceau – le mauvais goût de nous quitter brutalement a ajouté un degré de complexité en préparant, pour son enterrement, un p… de concert gratuit de 7 titres à écouter dans leur intégralité, sans faiblir, même au moment de l’Ange déchu, qu’il aura rejoint. Ici, c’est Jean qui, s’il était encore là, conseillerait, via un tiers, au protagoniste des Beaux Restes d’y aller, puisque la vie file, puisqu’elle va vite, qu’elle éclabousse tous ceux qui s’y collent. Et qu’elle décompte, via le tam-tam de nos cœurs, symbole des émotions et de la possibilité que ça lâche. Comme ça, pfuiiit. Il est question d’un amour dont cet imbécile à qui il faut tout dire dénie encore l’évidence – elle ne rêve que de ça et toi tu fonds à chaque battement de tes cils – et qu’il faudra qu’il vive sous peine de ne pas mettre à profit la chance d’être en vie et de donner. Il se trouve, je peux le dire, maintenant, que l’auteur de cette chanson et son producteur m’ont fait l’amitié de m’en envoyer la maquette il y a un an (et des poussières) et qu’écouter cette élégie au temps restant m’a aidé à me remettre debout, pas à pas, à réapprendre à goûter à la moindre des voluptés de la vie. Pour moi, pour ceux qui m’aiment et aussi pour ceux qui n’auront pas eu la chance de continuer le chemin. Celui qu’emprunte ce chanteur enfin seul – déférence gardée envers son Voyage de Noz – sur un tapis de course, images (un poil didactiques) à l’appui, derrière. Il marche, court, finit un poil essoufflé, sans duper personne. Entre temps, dans ces Beaux restes, il associe Truffaut à Sheila & Ringo, fait rimer Paris & paries avec une audace hugolienne (celle de tombe et tombe) et mène sa (fausse) bluette avec maestria. Je souris aujourd’hui de l’évolution du morceau et de mon privilège – à venir – d’en réécouter tous les jours la version originale, non mixée, plus brute. Moins publique. Mais j’arrêterai vite : je déteste l’appropriation, je l’ai dit, et son Altesse – puisque c’est ainsi que je l’appelle – pourra témoigner que j’ai mis 20 ans avant de l’aborder. À un concert de Murat, tiens. C’est devenu un ami, qui m’a fait l’immense cadeau de la chanter, les Beaux restes, au Mangeur d’étoiles, en novembre, quand je présentai Aurelia Kreit. En exclusivité, sans doute, mais partagée avec tous ceux qui étaient là. Qui l’ont vu accepter de jouer juste avant Tito – ou derrière, c’est selon – comme à l’époque. Ça dit tout de la nature et de la longévité du garçon, de l’impatience avec laquelle j’attends la suite de son projet. Auquel participe, entre autres musiciens talentueux, mon copain de (petite) école, Denis, à la batterie, histoire de prouver qu’on est encore vivant, le verbe haut et le reste. J’étais encore alité quand Stéphane m’a également dédié le Train, au Transbordeur, ainsi qu’à Jean : si j’ai eu plus de chance que lui, j’en suis conscient, en fraternité, sans l’avoir connu. Le 24 mai, je ferai la route jusqu’à la Casa, parce que je ne peux pas rater ça. On peut donc attendre une -simple – chanson un an en l’ayant écoutée plusieurs milliers de fois. Tous ceux qui me connaissent savent qu’il ne s’agit en rien d’une hyperbole. On a encore envie, oui.
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13/04/2024
Premiers retours de Cantate.
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25/03/2024
Les bonnes fées - une chronique sur Aurelia Kreit.
J'ai souvent évoqué ici cette prédiction elliptique de Laurence Tardieu dans sa lettre de remise de prix, en 2012. Elle me souhaitait d'être accompagné, ponctuellement, par des bonnes fées qui se pencheraient sur mon parcours. J'ai vécu des émotions dans la littérature que bon nombre d'auteurs bien mieux diffusés que moi ne vivront jamais, je suis très clair là-dessus. Mais s'il m'arrive parfois de céder au découragement, ma bonne étoile - tiens, c'est un des sujets d'Aurelia - se rappelle à moi. Ici, sous la plume d'Alain Rollat, qui fut directeur-adjoint du Monde et qui oeuvre désormais pour Dis-leur, ce journal en ligne dont je parlerai bientôt dans le deuxième volume de mes Figures Singulières. En attendant, voilà un article complet, référencé, qui témoigne d'une lecture poussée, exigeante. Je le disais, Alain Rollat a aimé Aurelia et Aurelia - qui n'est pas facile d'accès - l'aime en retour, assurément.
l'article en intégralité ICI.
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10/03/2024
La Cantate et l'Écluse.
22:05 Publié dans Blog | Lien permanent
La Cantate et l'Écluse.
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07/03/2024
JOURDOTHÈQUE (5/10)
Avec Paradis noirs, Pierre Jourde explore le terrain du souvenir d’enfance et des mésaventures d’école via une réminiscence qui touche un jour son double de papier, l’écrivain qu’on invite à une résidence dans une ville qui abrita le théâtre de sa scolarité de jeunesse, dans l’Institution catholique locale, avec les religieux à soutane qui dominent le pandémonium, semblables à de gris fonctionnaires des enfers occupés à dénombrer les damnés. Il le fait via deux visions troublantes, la première, celle d’une petite fille qui fut sa meilleure amie quand elle était petite, l’autre avec l’apparition spectrale de qui lui semble être François, revenu de l’oubli pour exiger de moi la mémoire. Problème, la première est morte noyée à neuf ans et le second, il ne l’a pas revu depuis la Fac de Lettres. Et à 60 ans – pour la deuxième salve - l’âge du narrateur, ça date. Parce que François, il l’apercevra deux fois, à vingt ans d’intervalle. Suffisamment pour que revienne la genèse de leur relation au moment de cet adieu à l’enfance qu’est le collège, que remonte une histoire, d’abord vieille de vingt-sept ans, la trilogie François, Serge et lui à laquelle s’ajoutera Boris, le seul qu’il ait gardé et qu’il vient visiter. Lui a vécu une vie normale et ne s’est pas attaché aux souvenirs. Mais le narrateur voit réapparaître, tour à tour, comme s’ils s’incarnaient, des figures d’abord pittoresques, le Surgé Goering, Napoléon, le directeur aux six doigts, puis comme une faille qui ne cesse de se rouvrir, la raillerie, la vie de la victime vécue comme un enfer, dans les hurlements du Père Anselme. Et la victime, ce sera Serge, promis au sacrifice. Ce spectre ferroviaire, c’est l’allégorie de la violence, celle qu’on fait vivre aux autres et celle qu’on s’impose à soi-même, dira François. C’est un souvenir d’enfance qui n’a rien de joli et qu’on a tu longtemps, tellement qu’il revient de lui-même. Tout enfant finit par se défaire, pense le narrateur, tandis que Chloé - celle qui a aimé François et que le narrateur a pensé, un soir, supplanter - dit l’inverse, quand, s’appuyant sur une enfance passée sur les tombes, elle avance tout le passé m’est présent. Dans cette vie campagnarde que Jourde dépeint avec un réalisme parfois glaçant, il y a la double énonciation – me dit Chloé que François lui a dit – qui met de côté, pour le coup, celui de l’action. Paradis noirsmet en avant la fascination des enfants pour la violence, leur avidité de débusquer toute espèce de sentiment pour blesser, regarder saigner et mourir. Comme le crapaud de l’aïeule que François aura massacré sans raison, comme les jeux de récréation d’époque, les partisans contre les SS dans la cour. Avec des tortures à la limite de la comédie, jusqu’à la cruauté ultime, doublé d’un sadisme certain, le piège qui se referme sur Serge. Les habitants du passé sont fragiles, glisse Jourde, dans une cacophonie qui rappelle le dénouement du Prisonnier – se succèdent (…) l’Ouverture de Guillaume Tell, les premières mesures de la cinquième symphonie de Beethoven, l’appel du héron en rut, la marche d’Aïda, le début de Yellow Submarine des Beatles, un pépiement de canari, le vrombissement d’une formule 1, le sifflet d’une locomotive à vapeur, « le Printemps » de Vivaldi et le rire de Woody Woodpecker – et le roman recrée la confrérie initiatique qui aura perdu Serge, les légendes des habitants secrets et du frère oublié dans une atmosphère fantasmatique, les trois épreuves qu’il a dû subir –raconter quelque chose dont il avait honte, montrer sa soumission en torpillant son trimestre et signer une lettre ordurière qui provoquera son renvoi après une ultime humiliation. La culpabilité que les deux autres chasseront chacun à leur façon – l’un en voulant faire le grand écrivain, qui dépeint mieux que les autres les ambiances de résidence et de rencontres littéraires – l’autre en devenant, dans ses rêves de gamin fasciné par la Wehrmacht, le parangon du salaud et du paumé, qui passera par les groupuscules fascistes jusqu’à, dit-on, trouver une mort mystérieuse de Barbouze en Angola. Dans une irréalité définitive, puisque le narrateur raconte leurs retrouvailles comme s’il était là, puisqu’ il le voit, partout. Lui s’intéresse aux recoins sales des vieilles maisons et si c’est une juste métaphore, c’est aussi la réalité naturaliste – du Maupassant, du Zola, le berger qui a engrossé la fille de ferme – de la dernière partie du roman, qui remonte à la fin du 2nde Empire dans le Cantal, dans ces histoires de familles qui se ressemblent toutes. Le/les fantôme(s) qui hante(nt) le narrateur en veu(len)t aux vivants – quelle affaire ! – de n’être que de leur temps et non leur éternité. C’est pourtant sa propre damnation - c’était il y a de ça vingt ans. Depuis ce temps je ne dors plus guère – qu’il expie dans ce discours de l’ombre, dans la vie retracée de l’aïeule, les quelques explications données au comportement de François, son inexplicable antipathie avec Serge. Les paradis noirs, ce sont ceux dans lesquels il a été élevé, par manque d’électricité, d’abord, et ensuite parce qu’il ne fallait pas tout savoir, de ces petites pièces qui recèlent de lourds secrets. Ça n’est pas François, finalement, qu’il entr’aperçoit, c’est le double qu’il a longtemps dénié, la tristesse d’être mort, d’avoir passé nos vies l’un sans l’autre : c’est plus pratique de prétendre être différent de celui qu’on a été, ça peut même parfois aller au bout. Sauf qu’il suffit d’un rien pour que le souvenir apparaisse, s’il y en a un qui le sait, c’est bien Jourde. Un roman suffocant, mais salvateur.
19:46 Publié dans Blog | Lien permanent