25/11/2025
VUES D'ENSEMBLE.
Stan MATHIS, 48 ans, en mode symphonique, dans l’intériorité des âmes.
Je ne pourrais jamais prétendre à l’autorité de l’éminent Dominique Blanc-Francart – qui a masterisé l’album, enregistré dans le prestigieux studio d’Abbey Road – ni même à celle de ceux qui l’ont conseillé, mais j’aurais arrêté Synopsis, le nouveau disque de Stan Mathis, aux envolées symphoniques (de l’orchestre de Budapest, sous la direction de François Rousselot) au finale de Je n’oublie rien, le morceau le plus long de cet album décliné en dix scènes, toutes entrecoupées de dix mises en situation. En extérieur, pour la plupart d’entre elles, dans le métro de Londres ou ailleurs. Des transitions qui contiennent ou reprennent instrumentalement le cœur de ce qui va suivre ou de ce qui a précédé, d’où leur nom. Je n'oublie rien (sache que, l’impératif est catégorique), est une belle ballade à la guitare sèche sur le parfum des promesses, l’imprudence en passant, les instantanés provisoires auxquels on a tous été confrontés, avant que la trompette et le lever de batterie nous adjurent de ne pas cesser d’y croire, de Séville à Ferney-Voltaire, avant que le crescendo de cordes nous laisse sur un climax magnifique. C’est la première vraie (et bonne, pour moi) surprise de ce Synopsis-là, qu’il soit musicalement beaucoup plus abouti que le précédent album, moins soumis à la technicité guitaristique rock’n’roll, celle qui ne me parle pas trop, principalement parce que je n’y connais rien. Pas plus que je ne connais Stan Mathis, en dehors de l’avoir croisé poliment ça et là, mais j’avais un double intérêt à écouter son disque : d’abord parce qu’il me l’a gentiment offert, ensuite parce qu’en électron absolument libre qui sait à quel point la scène lyonnelo-lyonnaise peut être perfide – à l’époque de Trop Pas, on parlait d’un financement illimité… – je me suis toujours méfié des curées. Et si globalement, je n’avais gardé de son 57#75 que le magnifique Revoir la mer et le violoncelle de Thuy-Nhi Au Quang, j’ai été très agréablement surpris par la variation des mélodies, la diversité des instruments. Synopsis est une réflexion sur le chemin (il le dit lui-même dans Un peu plus loin, ses au revoir aux murs et aux trottoirs) et puisque l’homme a ses références philosophiques, elle n’est pas dénuée d’une touche d’existentialisme, dans l’archéologie du champ de bataille qu’est une vie ; d’un optimisme qu’il s’agit de préserver, en protégeant la flamme, en résistant à la soumission. Ça n’est pas l’homme révolté non plus, Stan Mathis – même s’il ouvre son #1 sur la Chute - mais c’est un être qui sait ce qu’on peut faire de mal - même air arrogant, même mépris des autres, entend-on dans le forcément nwardézirien Début de siècle – avec une question centrale : quelle est la vraie souffrance, celle que l’on subit ou celle qu’on engendre ? Qui sait aussi la dose de fatalité qu’on doit assimiler pour se dire, in fine, pourtant je suis vivant. Qu’on a dépassé la peur de la mort et la peur de la vie, les luttes, les déceptions, les douleurs, qu’on en a fini avec le cycle des souffrances et qu’il est temps de briser la monotonie, dit-il dès le synopsis 2 (/10). Vivant, pas comme Ayrton Senna à qui il consacre Imola, le faisant parler, lui, le plus rapide, solitaire dans son véhicule, qui vit sans concession, transforme son inquiétude en force de caractère ; celui qui se souvient d’une enfance passée, déjà, à toute vitesse, dans les frissons de l’accélération, d’une vie (courte) menée sur la piste abrasive de ses contradictions, à tromper son angoisse. Le spectre musical du morceau – avec Fred Jimenez, l’inoubliable compositeur de Bird on a poire à la basse – fait monter une tension dont on connaît l’issue, pourtant. Les commentaires d’époque sont intégrés au morceau, jusqu’à cette paradoxale victoire : trouver la mort et gagner l’éternité. Mourir c’était la preuve que j’étais vivant, ça ressemble au Crépuscule des idoles, mais l’album n’est pas sombre, s’illumine de très jolies ballades, qui ne semblaient pas son genre, à Stan Mathis : je retiens D’elle, qui relève la gageure des rimes riches Stridence/ silence/évidence/importance, espoir/croire/pas trop tard clarté/vérité/aimer pour imposer une belle mélodie au bandonéon (?) et au piano et, d’une voix suave, (beaucoup) moins nasale que précédemment, asséner néanmoins que quelque chose se détache : l’amour je crois. Le parolier sait se dégager du piège autobiographique – ou du moins les raccourcis qu’on en fait – et épouser une énonciation externe comme dans Quand les lumières s’éteignent, un instantané sur le temps suspendu, la façon qu’ont de fuir les gens qui ont sur les épaules le poids d’un monde pourtant pas bien lourd à porter. Il faudra bien à un moment briser l’inertie qui l’étreint, Dehors (X4) peut-être. Une voix féminine vient lui susurrer des dialogues qui font peut-être partie du monde irréel, aux relations fantasmées – bien plus sincères que la réalité – qu’il voyait déjà défiler sur les murs de sa chambre, via le jeu d’ombre qui nourrit tous les imaginaires. Dans Délaissée, c’est le point de vue féminin qu’il saisit – comme Murat dans l’Irrégulière – pour dresser le quotidien d’un couple en déshérence, lui qui rentre téléphone à la main en guise de bouclier, la chambre, froide, désincarnée et cette femme enténébrée, perdue, épuisée au réveil, qui refuse de se réduire à (lui) et tout ce qu’(il) ne fait pas. La pire des punitions, c’est ma vie quotidienne, j’aimerais tellement aimer quelqu’un qui m’aime, lâche celle qui se présente comme la veuve d’un homme vivant. La vie est un bien perdu quand on l’a pas vécue comme on l’aurait voulu, c’est difficile (pour moi, au moins) de passer à côté d’une telle sentence dans la chanson française. C’est un morceau qui se termine par des vocalises féminines dont on ne sait même pas si elles relèvent du fado ou du Blues, ce qui de toute manière revient au même. On comprend mieux les insères, dans les synopsis, de Françoise Sagan- un extrait des Bleus à l’âme, dans lequel elle dit qu’il faut se colleter avec les extrêmes de soi-même pour comprendre un tout petit peu ce que c’est que la vie – de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce, lu par Gaspard Uliel ou de Amor de mis entrañas, viva muerte, de Federico García Lorca : Llena pues de palabras mi locura o déjame vivir en mi serena noche del alma para siempre oscura. C’est une somme que ce Synopsis-là, qui a le bon goût de ne pas trop afficher des moyens visiblement mis en œuvre. Puisque je ne dérogerai jamais à ma règle auto-édictée d’un coup de griffe pour trois caresses (©Girafe lymphatique), je m’interroge sur des titres dispensables, à mon goût : la jeunesse a tous les droits, par exemple, à moins d’un exercice autocritique rétrospectif : si parfois elle se donne des airs arrogants, c’est pour s’émanciper de tous nos faux-semblants. Voire le single – choix cornélien – Quelques jours avec toi, dont le final aux cordes classiques est magnifique mais dont le texte m’a un poil laissé de marbre. C’est sans doute une bonne nouvelle pour lui parce que dans un de mes tout premiers articles (disparu depuis), j’ai essayé à demi-mots de dire qu’il ne fallait pas que la pièce de café-théâtre à laquelle m’avait emmené mon ami Sammy (disparu aussi) nourrisse trop d’espoirs, et c’était… Arrête de pleurer Pénélope, qui a fait 2M d’entrées, 100000 pour son adaptation au cinéma. De quoi me mettre, comme critique, au niveau de ce plumitif parisien qui écrivit, après avoir vu Johnny Hallyday en vedette américaine de Raymond Devos, à Bobino: si ce type-là fait carrière, je veux bien être pendu. Il n’en est pas là, Stan Mathis, mais c’est toujours bon de souligner qu’il faut écouter les artistes pour les bonnes raisons, pas pour d’autres. Et finalement, Un peu plus loin, sa guitare sèche, son moins de soleil mais de meilleurs lendemains et ses roulements de tambour martiaux fait office de post-générique, sollicitant les nombreux musiciens, techniciens, arrangeurs, tous ceux qui permettent à une idée de voir le jour, et termine sur une image panoramique, quand on voit, enfant, à l’arrière d’une voiture, les silhouettes s’éloigner et les arbres défiler, sur le côté : des heures de voyage à rester bien sage à s’émouvoir des paysages. À l’âge où on s’émeut d’une impression sur laquelle on ne peut pas – encore – mettre de mots mais dont on pressent qu’elle contient quelque chose d’essentiel. C’est sans doute un peu de tout ça qu’on retrouve dans le Synopsis de Stan Mathis. Aérien, abouti, professionnel et personnel. N'en déplaise à ceux qui confondront encore la cause et la conséquence.
NB: Pour les réactions que cet article entrainerait, je me souviens d'un Dominique A. lâchant un "Allez, l'orchestre!" après avoir détourné son Twenty-two Bar pour tourner les Victoires de la Musique en dérision. Ça fera l'affaire.
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