10/07/2014
Assises (2)
Déclinons : à tel moment de mon existence, on m’invite à prendre un siège, sans rien savoir du champ de mes possibles ; c’est un risque, que ne mesure pas celui ou celle qui m’y invite, parce qu’on ne sort en rien, en apparence, d’une action socialement définie. Pourtant, autour de l’acte lui-même, les incidences sont concentriques ; elles vont dicter un comportement, conditionner une existence : plus que moi qui choisis la chaise, ce serait la chaise qui me choisit ! D’abord parce qu’elle me définit comme appartenant à l’espèce des assis : elle m’intègre et me confère une normalité, au vu des autres chaises. Elle me dessine, ensuite, suivant son degré d’exposition : il y a une sociabilité des chaises, la place qu’elles occupent est parlante ou ne l’est pas, on sait, suivant que l’on est puissant ou misérable, là où on va être assis. Rien n’a beaucoup changé depuis le trône, les ors sont différents mais la crainte demeure : il est des sièges qu’on ne saurait investir sans y être invité. C’est donc avec circonspection qu’on aborde une chaise ; la présentation n’est pas terminée, il va falloir accorder la place qu’on nous donne aux attentes de ceux qui nous la donnent, rester en éveil, s’asseoir prudemment, ne jamais donner l’impression d’être installé : il y a des canapés pour ça. Il y a de la rigueur dans la tenue d’une chaise, c’est à celui qui y prend place de s’y plier : un des préceptes de l’éducation, avec l’apprentissage des libertés, celles que l’enfant peut prendre sur une chaise haute. Le rapport au temps est double, parce qu’il est courant qu’on ressorte pour l’enfant la chaise de bois sur laquelle on a soi-même fait son initiation, moins par nostalgie que parce que les leçons étaient bonnes. Cela relève de l’équilibrisme: il faut veiller à ce que l’enfant ne chute pas, qu’il comprenne que le bon usage de la chaise consiste à y rester jusqu’à ce qu’on soit invité à la quitter...
* Les dessins sont de Jean-Louis Pujol. Spéciale dédicace à Françoise.
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09/07/2014
Assises.
On ne s’est jamais suffisamment demandé pourquoi les chaises s’offraient à nous, pourquoi une place, dans une assemblée, pouvait nous paraître pré-destinée au point de s’y sentir aimanté. Parce qu’il aurait fallu pour cela accepter que tout fût écrit, les lieux, les rencontres, les phénomènes. Qu’une vie pourrait s’écrire au rythme des chaises sur lesquelles on s’est assis, pour s’en relever enrichi d’un autre déterminisme : je peux choisir un siège plutôt qu’un autre, je peux aussi ne prendre que celui qu’il me reste, le fait est que la chaise est là, que je vais m’y asseoir et qu’à partir de là, le charme peut agir.
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08/07/2014
Insulter la littérature.
Ces tombereaux de mots en trop, ces adjectifs qu’on multiplie, les tournures qu’on répète par trilogie – syndrome de l’anaphore – et les adverbes qu’on génocide : tout ce qui est dit doit l’être simplement, et c’est bien là la complexité. Mais la récompense n’est pas loin : à chaque bout de phrase effacé, à la moindre concession qu’on ne fait pas, c’est un peu de sa place dans l’écriture qui se joue. Pas celle qui fait joli, mais celle de l’effet-miroir : on écrit parce qu’on doit écrire, mais ce n’est pas parce qu’on écrit qu’on est écrivain.
NB: aucun rapport avec cette note (!), mais j'ai reçu "la Joyeuse", la nouvelle de Christian Chavassieux éditée par le Réalgar, avec des dessins - superbes - de Windfried Veit. L'occasion, prochainement, de faire un retour sur une collection magnifique, que vous pouvez retrouver là.
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07/07/2014
In abstentia.
Samantha Barendson souffre d’un déficit d’image positive. Je sais, ça n’a pas de sens, mais ça en fait : voilà que cette poète au beau minois, hyperactive sur une scène poétique lyonnaise riche mais en cercles un peu clos, voilà que cette femme qu’on pensait jusque-là de bonne lignée détruit le mode ami-Ricorée de la famille idéale réunie sous le chêne, dans le jardin. Avec « Le Citronnier », Barendson va plus loin que les jolis poèmes bien troussés qu’elle lit habituellement, plus loin aussi que les tentatives d’auto-enlaidissement stylistique auxquelles elle s’est récemment adonnée : elle reconstitue la figure paternelle, perdue quand elle avait vingt-quatre mois, autant dire rien, si rien n’était pas la conscience inversée d’un Tout. Que le livre recompose, touche par touche, impression par impression, livré à l’imaginaire autant qu’aux marques, maigres, de la réalité, à la mosaïque d’identités et de pays traversés qui font qu’aujourd’hui, on l’invite elle tantôt comme Française, comme Italienne, comme Argentine ou autre. Par strates, courts chapitres d’une courte somme, elle l’imagine in abstentia, révèle le lot de mystères qu’il a laissés, énonce les regrets de la jeune fille puis femme qui ne l’aura pas connu, puis l’utilise comme figure prégnante d’une enquête qui épouse l’époque, les grands événements, de la dictature des Colonels aux Seat 1200 Sport. Le titre, comme espéré, est une allégorie de la place qu’il occupe, ou occupera, depuis qu’elle s’est occupée de régler son absence, une fois pour toutes. Avec une gradation qui explique qu’elle vous interdise de piocher dans le livre, au hasard : comme si elle luttait, une dernière fois, contre la fatalité que ni cet être ni le livre qui lui est consacré lui appartienne, encore.
Ce serait prétentieux de parler de maturité dans l’écriture, mais c’est quelque chose de cet ordre qui s’est joué chez Barendson : la stylistique est affutée, l’absence d’effets, dans la reconstitution comme dans le sentiment, fait la force du récit. Ou de ce poème en prose, c’est selon. Elle se sort de l’exercice compliqué du deuil rétroactif et partagé : ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un citronnier qui vaut ceux de Eran Riklis, et c’est une sacrée référence, pour moi.
NB : la fréquentation de ce blog me vaut déjà quelques soupçons de copinages. Je réitère fermement mon postulat, qui est de ne dire du bien que des ouvrages dont je pense qu’ils sont bons. Je tiens à disposition de tous ceux qui en doutent un ou deux messages privés adressés à des auteurs qui insistaient pour que je leur dise ce que j’avais pensé de leur livre.
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06/07/2014
Who's who.
Jean Lessoeurs, Catherine Buisson, Pierre Lange, Michel Compteur, Karine Sauvage, David Mochenon, Stéphane Pile, Jacques Marron... ©jardin, Simon & Co.
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05/07/2014
Débaptême.
Au dernier moment, je dois changer le nom d’un de mes personnages de « Aurélia Kreit » : soucieux d’ancrer cette histoire dans une réalité historique durement vérifiée, je m’étais servi du nom d’un des créateurs des Cités du Textile. Mais au fur et à mesure que l’intrigue avançait, épousait les soubresauts de l’Histoire en train de se jouer, ce personnage est devenu beaucoup moins fréquentable que je l’aurais imaginé. D’où le débaptême, qui est un exercice difficile, d’abord parce qu’il convient de ne pas laisser passer un des noms anciens, ensuite parce que dans la tête de l’auteur, il gardera le premier nom. J’ai ainsi, souvent, en rencontre, appelé le Lieutenant Fontaine de Tébessa, Rivière (!) et Grégoire Dallot, de « la partie de cache-cache » du nom de l’ennemi intime de Jean Frémiot. Histoire de brouiller les pistes, un petit peu plus encore.
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04/07/2014
Ne passons pas à côté d'une joie, d'un bon mot et d'une note facile.
Mon fils a échoué dans son entreprise savamment élaborée de rater le Bac.
16:59 Publié dans Blog | Lien permanent
03/07/2014
Dream on.
Cette femme, dans la rue, qui tance son fils (8-10 ans?) en lui interdisant de se mettre des choses "non réelles" dans la tête, des choses "qui n'existent pas". Et moi qui me demande si je dois reprocher à ma mère de ne pas avoir fait son boulot.
15:47 Publié dans Blog | Lien permanent