14/08/2014
Genèse et jeunesse.
Je ne sais pas trop quoi penser des retours enthousiastes d'amis après la parution sur ce blog, en feuilleton, de ma "Soirée à Somosierra": un roman de jeunesse, jamais édité - heureusement - que j'ai passé au filtre de la réécriture sans concession à laquelle le travail éditorial m'a justement habitué: exeunt les adverbes d'intensité, les adjectifs par deux, les clins d'œil littéraires, les mises en abyme et les réflexions profondes sur le statut de l'auteur. Ceux qui me suivent auront reconnu des personnages de ce qui donnera, plus tard, "le Poignet d'Alain Larrouquis", des thématiques, aussi, et au bout du compte, je suis moi-même surpris de la teneur du récit: quand on raconte une histoire, dit mon éditeur, on a fait l'essentiel du travail. Le reste a consisté, au final, à garder d'un manuscrit de 94 feuillets les 30 suffisantes pour la raconter sans fioritures. D'ici quelques jours, je mettrai en ligne le fichier complet à télécharger. Je prends les compliments, mais ça reste une série de l'été, à lire sur la plage, qui m'a surtout permis de garder la main pour la suite. L'essentiel arrive: on ne lâche rien.
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01/08/2014
Préface.
Un jour, un pinson vit un ours tourner dans son antre, maugréant après tous les malheurs que l’univers avait choisi de lui faire porter, à lui, l’ours maugréant ; le pinson, épris, attiré par cette force obscure, s’approcha, papillonna, et finit par entraîner l’ours maugréant dans une valse irrégulière qui manqua de les faire chuter. Puis, lassé, il s’éloigna : l’ours maugréant, qui n’avait pas vu la lumière depuis bien longtemps ne comprit pas et voulut rattraper le pinson, mais en s’approchant, se prit les pieds dans le lierre grimpant de la forêt et s’étala de tout son long.
Moralité : il faut bien se brûler à la lumière des profondeurs pour entrevoir la juste clarté mais on peut aussi se trouver bien dans la chaleur d’un antre.
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31/07/2014
La liste de mes regrets.
Parmi les projets que je n'aurai pas menés à bien, la librairie que j'ai failli ouvrir, en association, devait s'appeler "les deux Anglaises et le Continent".
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30/07/2014
Ma banquière (suite).
Par quel effet de prestidigitation ai-je réussi, cet après-midi, à inverser les places dans le petit bureau de ma banquière, moi à pianoter je ne sais quel code sur son ordinateur, elle qui attendait que j’en aie terminé de l’autre côté du bureau? Quelle barrière m’a-t-elle retenu de lui proposer un des nouveaux produits de notre game d’épargne, au taux intéressant, si vous bouclez vos revenus sur les soixante dix-sept prochaines années? Ces moments spécifiques, entre elle et moi, quand elle me dit que venir la voir a l’air d’être une torture pour moi et que je lui réplique que je viens la voir avec plaisir mais que quelque chose - et pas seulement son festival de robes courtes - m’empêche de l’écouter jusqu’au bout de ce qu’elle a à me dire : l’ennui, sans doute. En tout cas, j’ai été banquier, une minute trente, suffisamment pour comprendre que je n’y aurais développé aucune espèce d’éthique. Et j’ai impressionné ma banquière en déposant la Bourse d’écriture qu’on m’a attribuée. On a les moments de gloire qu’on peut, hein!
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29/07/2014
La boîte à rien.
Sans doute ce qui leur était arrivé là était trop beau : l’ascension d’Anton dans l’usine, son amitié avec Nicolaï. Celle qu’elle avait nouée avec Varvara, malgré ses absences. Le plus souvent, quand les choses vont bien, elles se payent d’une dure contrepartie. Celle qui s’annonçait serait irréversible, il fallait agir, n’en dégager aucune acrimonie. Expliquer ça à Igor, qu’il sache qu’on doit pouvoir, à tout instant, emballer quatre objets et tout quitter. La boîte à rien, qu’il lui avait faite à six ans, elle la glisserait dans son sac : le rire dans lequel il était parti en la lui offrant valait pour elle tous les colliers de la Terre. Elle pourrait y glisser les médicaments qui lui restait en cas de fièvre pour Aurélia. La statuette en bronze des Valseurs, elle l’enterrerait dans le jardin, elle préférait ça à l’idée de la laisser sur la cheminée, à portée du premier pilleur venu. Elle l’aurait bien donnée à la fille de son voisin, qui venait d’acheter ses premières ballerines, mais ça aurait éveillé des soupçons. Il fallait que tout reste en place, dans l’attente du retour des maîtres de maison, qui ne reviendraient pas. Jamais.
17:00 Publié dans Blog | Lien permanent
28/07/2014
Essémestique.
Au début, c’est comme un jeu, un interdit, un message anodin, précautionneux, faussement naïf, juste un comment ça va, ou un truc du genre, je travaille, et toi, mais en fait, on le sait que c’est plus, que ça signifie je rentre en contact avec toi parce que maintenant j’ai ton 06 et que je voudrais que tu sois là mais je ne sais pas comment te le dire. Alors ça minaude, ça badine, ça antiphrase, mais elle est bien là, l’accroche, la vibration qui se double de celle du cœur, le sursaut qu’on n’a plus éprouvé depuis longtemps et qu’on culpabilise un peu de ressentir maintenant, parce que ce n’est pas le moment, parce qu’on n’a pas programmé que la vie change. Même si on sait qu’elle change quand elle veut, la vie, qu’elle est tout entière dans ces mots qui se multiplient, dont on analyse la moindre portée, la première marque d’intimité, le bisou qui se transforme en je t’embrasse puis en baisers, le je pense à toi qu’on ose un soir et qui fait tout basculer, le moi aussi qui suit dans le millième de seconde, le décor, chez nous, qu’on regarde différemment, le choix cornélien dont on nous parlait à l’école, le ah, si on s’était rencontrés avant qui tombe, le mode silencieux qu’on a oublié de mettre. On essaie bien, quand on se voit, dans la journée, de se raisonner, parce qu’on a nos vies, nos collègues de bureau, que ça pourrait jaser si on n’y prenait pas garde, mais juste après, on attend la passion, le j’ai envie de toi, le je t’aime et puis, si ça tient, le je veux vivre avec toi qui signifie qu’on ne vivra plus avec celui ou celle à qui on n’écrit plus depuis longtemps. Qui fait qu’on se demande quand même s’il n’y aura pas, un jour, là aussi, de silence essémestique, de fréquence qui se calme, d’un je vais pas pouvoir venir ce soir, suivi d’un je t’expliquerai, qui n’expliquera rien. Ça calme les ardeurs, jusqu’au je veux te sentir en moi de minuit moins le quart. Et, même si on a tout bien fait, le petit flash lumineux qui réveille et le conjoint et sa méfiance. Rendors-toi, on lui dit, mais on rêve de répondre Et si on quittait tout ? même si on n’en fera rien. Alors on fait semblant de dormir, et d’aimer, pour oublier qu’on aime vraiment, mais ailleurs, et qu’on ne sait plus comment aimer, ici. Et dès le matin, on guette le bonjour, mon amour de l’autre, sur l’écran tactile. Jusqu’à la panne de batterie. Le dernier coup de palpitant.
refrain
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27/07/2014
Mademoiselle rêve.
Avouons-le d'office, j'ai d'abord un peu pesté quand je suis allé chercher mon "Stockholm", de Jean-Marc Flahaut chez mon libraire : non que le livre soit cher, mais ramené au nombre de pages, on n'est pas loin du prix du safran au kilo. Pour autant, le safran n'a pas beaucoup de goût, mais c'est quand même lui qui détermine la paella. Et l'édition, très réussie, la qualité du papier, ses rabats, le titre qui sonne, d'entrée, comme un spectre allant du syndrome du même nom à la ville du Nobel, ou, au vu de la jeune femme à la mitrailleuse illustrant la couverture (rouge), à une tuerie genre Columbine ou Utøya, dans le pays voisin, tout cela apaisa mon courroux, coucou!
Et puis on lit, on se prend une petite demi-heure de lecture et on est d'entrée saisi par l'équilibre du style, la construction du récit, par petites touches, par anaphores (visuelles en D, p.20) et l'histoire de cette jeune fille enlevée puis convertie à la révolution de ses ravisseurs. Ce sera donc le syndrome, mais de quelle idéologie, on ne le saura jamais exactement: l'auteur procède par ellipses, ses insertions sont phatiques, on y met le sens et le contexte qu'on veut. Dans nos images mentales, on pense à Florence Rey, à Nathalie Ménigon, mais on raisonne trop français: l'Armée du peuple en question est tenue par un Noir, renverse les codes, mi-Black Power, mi-Sandinistas, ou Barbudos. Ou romantiques, simplement, vu leur façon d'aimer. C'est la réussite de ce petit livre (en taille): ne rien résoudre, ne rien divulguer, laisser le lecteur se construire le mécanisme psychologique de l'enfermement, du dilemme sur le Bien et le Mal, la justesse de la cause, l'intensité de l'action, du sentiment. À ce titre, ce que la jeune fille espère de sa mère, la façon dont elle le formule - Oh Maman si tu savais comme j'aimerais t'entendre me dire cela! - composent un passage fort du récit. Qui interroge le spectacle de nos vies régulières (mea culpa télévisé inclus), condamnées à juger comme déviantes les existences qu'elles ne comprendront jamais.
Ed. Les Etats Civils, mars 2014, 12,50€
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26/07/2014
Hit the road.
Hier, comme aux plus grandes heures de "la Route", à l'époque où je regardais encore la télévision, j'ai passé cinq heures dans une automobile à converser avec deux inconnus, au départ, dont presque une à échanger sur un phénomène psycho-somatique auquel le conducteur a été confronté, dans sa vie, via sa fille. Le même qui frappe le personnage d'Aurélia, à son arrivée à Vienne : drôle de coïncidence, et promesse de lecture, plus tard, une fois le roman achevé, édité et offert à cette petite que je ne connais pas mais qui m'a paru, l'espace d'un instant, tellement proche.
17:02 Publié dans Blog | Lien permanent