27/02/2011
la disparition du point-virgule.
J'ai du mal, comme d'autres bloggers, à nourrir l'animal quotidiennement, comme pourtant, paradoxe à part, je vais très bientôt m'engager à le faire pour d'autres. Ceci explique peut-être cela.
Grosse séance de travail sur le "Larrouquis", et quelques dizaines d'heures qui m'attendent encore d'ici début mai, date à laquelle je remettrai ma copie définitive. Le travail avec un éditeur est passionnant, mais j'écrivais ailleurs qu'au risque improbable d'arriver avec la grosse tête, l'impression en retour était celle d'être passé chez les jivaros. Difficiles mais nécessaires moments, quand l'homme en face souligne toutes vos approximations. Et elles sont nombreuses, encore... A commencer, m'a-t-il dit, par la disparition pure et simple du point-virgule de la syntaxe littéraire.
La bonne nouvelle, puisqu'il en faut, c'est que l'opération "Trop pas!" est définitivement lancée: deux temps de travail, vacances scolaires de notre interprète principale oblige. A Pâques, début mai, les quatorze morceaux seront "squelettés" avec les musiciens principaux, à la Casa Musicale d'Eric Martin, sous la direction artistique de Fred Dubois, l'homme qu'il nous fallait. A la batterie, Denis Simon, "lochnessissime" puisque monstrueux ne suffit plus pour parler de ses talents; à la guitare, Gérard Védeche, qu'Eric Hostettler connaît sur le bout des arpèges; aux claviers, Olivier Castan, un oeil sur les keyboards et l'autre sur le portable puisque sa femme devrait accoucher dans ces eaux-là (facile...). Ensuite, en juillet, nous investirons le lieu que je connais bien pour y avoir vu travailler les Deuce, les Noz et Valeria Pacella et finaliserons chacune des prises, avec des guest stars ciblées pour interpréter la mère de Marjo', l'héroïne, et son proviseur de lycée. Des musiciens, aussi, qui viendront poser du violoncelle, du trombone, de l'accordéon, ce qu'il faudra. L'ensemble devrait être finalisé à l'automne sous forme de livre-disque, avant, espérons-le, une adaptation télé, ciné, vivante, qui sait?
Des projets, j'en ai, oui. Il faut juste espérer que la roue tourne dans le bon sens. Mais on me souffle dans l'oreillette qu'Astor Piazzola aurait dit hier: "n'attendez pas que les choses arrivent; faites-les arriver".
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21/02/2011
Ghost-writer
J'envisage très fortement de changer partiellement d'activité l'année prochaine. Le métier dont je ne dis rien sur ce blog prenant un tour dangereusement malhonnête - au sens littéral, je vais faire une partie du grand saut et chercher le demi-salaire que je ne gagnerai plus en menant une activité comme celle que vous venez chercher ici, mais pour d'autres. Je ne deviens pas ghost-writer pour autant (quoique postulant pour n'importe quelle autobiographie romancée de n'importe quelle star de la téléréalité, à la condition que même mon nom de nègre échappe à tout le monde!), mais je me construis un autre statut, compatible avec l'activité que je garde et avec mon émergence sisyphienne d'auteur. Je les rédige, ces statuts, ils semblent pertinents et originaux dans ce qu'ils proposent. Pour la première fois, cependant, j'en arrive à estimer la valeur marchande du temps passé sur un texte, à le lire ou à l'écrire. En deux jours et demi, j'ai rédigé deux prévisionnels d'activité et rien que le nom m'amuse. Ils sont quantifiés, attendent validation: demain à la Casa Musicale, avec Eric Martin, pour voir ce qui sera faisable sur le projet de la comédie musicale, jeudi avec mon supérieur hiérarchique pour le convaincre de me laisser partir à moitié.
Des informations moins elliptiques bientôt, d'une part, et des liens à venir dès le mois prochain: si vous me suivez là où j'irai travailler, de chez vous, ça me fera une valeur ajoutée!
Ah, j'oubliais : je travaille vendredi à la version finale du PAL (appelons ainsi, alors, "le Poignet d'Alain Larrouquis") avec Claude Raisky, mon éditeur. L'accord signé du dénommé devrait arriver mi-mars, via son avocat, qui m'a courtoisement reçu la semaine dernière. Il y aura donc un Cachard de l'été, qui vous surprendra certainement.
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16/02/2011
Je pars pour de longs mois en laissant Margot (1/2)
J'ai participé, il y a quelques années, maintenant, en filigrane et toujours en décalage avec l'actualité, à la merveilleuse revue de cinéma "La Berlue", que Luc Hernandez menait avec maestria. J'y ai rédigé quelques articles oubliables, et un qui l'est moins, puisqu'il rendait compte à la fois de l'admiration que j'avais (et ai toujours) pour Eric Rohmer et de l'affection que j'ai gardée pour "une" de ses actrices, Amanda Langlet. Je reproduis (et retape en l'état) ici l'article extrait du n°27, d'oct. nov.99 : 60 pages, 20 francs...
Quand Amanda Langlet se livre sur son métier d'actrice, sur un passé rohmérien et un avenir qui s'inscrit en pointillé, on n'est plus vraiment dans "Pauline à la plage", mais on n'est pas très loin, par contre, de Margot, la confidente de "Conte d'été": quelque part entre la vérité qui fuse et la confiance qui s'instaure. Ne serait-ce que pour cet art du dialogue, jamais actrice n'aura sans doute autant mérité l'appellation aussi galvaudée qu'elle peut être réductrice, d'actrice rohmérienne.
Je dois dire que ça a commencé comme ça. Nous étions en septembre 1998 et toute une presse s'extasiait devant des actrices censées représenter la nouvelle Nouvelle Vague du cinéma français; que du beau monde, à vrai dire, mais qu'il était surprenant de voir élevé au rang de stars. Des stars très simples, nous disait-on, mais très porteuses aussi. Sandrine Kiberlain, Virginie Ledoyen, Elodie Bouchez posaient toutes les trois à la Une de Première et quelque chose me gênait là-dedans. Pour qui a vu la petite Elodie se hisser sur les planches du Transbordeur, il y a quatre ans maintenant, et chanter avec Jean-Louis Murat un morceau de la Bande Originale de "Mademoiselle Personne", pour qui se souvient de Sandrine Kiberlain se retournant rue de la République pour le dernier plan de "En avoir ou pas", il y avait comme une intrusion, pire, une défloraison.
Et puis, tout simplement, j'ai rencontré Amanda Langlet. Parce qu'on rencontre simplement Amanda Langlet. On ne l'attend pas des heures dans les salons aseptisés d'un grand hôtel lyonnais ou parisien, on la croise au détour d'un petit festival de cinéma qui programme "Conte d'été" juste avant "Conte d'automne", en toute logique, et puis on l'écoute parler du cinéma de Rohmer, de Rohmer lui-même et de son métier d'actrice. Et puis, puisqu'elle est "bavarde" et l'avoue volontiers, on la laisse faire parce qu'elle s'avère passionnante, et très solidement ancrée dans une réalité qui ne désavoue pas ce personnage de Margot auquel, quand les lumières se rallument, elle finit par ressembler autant qu'elle s'en distingue. On aimerait être Gaspard à la place de Melvil Poulpaud pour que la conversation devienne excusive et se poursuive sur les rivages de Saint-Enogat. Et puis on se console, parce que la parole d'Amanda survit à la mise en scène de celui qui a su la filmer. D'ailleurs, pour elle, "ce sont les gens qui enferment les acteurs dans Rohmer", et si elle témoigne volontiers que l'auteur sait se servir de ceux que peuvent lui apporter ses comédiens, elle sait que la distance inhérente au métier d'acteur est respectée comme partout ailleurs: "c'est ma façon de parler mais ce ne sont pas mes mots". Simple tautologie, ou manière élégante d'évacuer les questions qui ne manquent jamais d'arriver quand un Rohmer est au programme: est-ce que vous improvisez quand vous parlez? Vous croyez qu'on parle comme ça dans la vie? etc. Amanda y répond simplement, encore, répète que la part de spontanéité apparente est "une impression fausse", que les acteurs "doivent faire preuve d'une grande connaissance du texte parce que celui-ci est écrit à la virgule par Rohmer", ce dont témoigne la parution récente des scénarii des Contes des quatre saisons dans la Bibliothèque des Cahiers du cinéma.
On rompt ainsi avec un syllogisme qui veut que parce que Rohmer, en une scène, celle du repas dans "le Rayon vert", a joué sur la spontanéité et le dialogue direct, et qu'il a reproduit ponctuellement l'entreprise, notamment dans certaines scènes de "Conte d'été", Rohmer est un metteur en scène qui improvise. "Bien sûr", les mouvements de caméra sont préparés, même si leur application ensuite est toute rohmérienne, avec "un plateau en bois, et cette caméra fixée sur une charrette, poussée par Eric lui-même", ou encore "ce travelling, dans "les rendez-vous de Paris", fait sur un fauteuil d'handicapé". Et notre phrasé rohmérien, alors? "La seule conséquence d'une prise de son directe, sans post synchronisation, et l'obligation de couvrir le bruit des mouettes, et de la marée qui monte"... Quand les mouettes ruinent la critique, c'est toute une légende qui se trouve mangée au mythe!
"Eric", Amanda l'a croisé tout aussi simplement que nous l'avons rencontrée elle. Par une espèce de "chassé-croisé" qui l'a vue envoyer une photographie au réalisateur, lequel l'a ressortie par hasard quelques mois plus tard et a décidé que Pauline, ce serait elle. Alors, il l'a appelée. Un jour, sur son répondeur, elle a entendu "Allo, bonjour, c'est Eric Rohmer". Une belle histoire. Parce que les castings, chez Rohmer, "ce sont souvent les actrices qui les font: elles lui écrivent, et lui demandent de tourner pour lui". Elle, elle a eu une place un peu privilégiée, parce qu'il l'a prise sous son aile paternelle, du fait de son jeune âge; elle a un peu grandi avec lui, parce que leur relation a dépassé les "cinq semaines de tournage consacrées à Pauline". Quand elle va voir Rohmer, Amanda ne lui parle pas spécialement cinéma: ils conversent, il lui parle d'un livre qu'il a lu, elle lui parle de l'actualité. Ils parlent de tout, "rien de spécialement intéressant", selon elle. On aimerait voir... Avant "Conte d'été", quand elle lui demande à quoi "va ressembler le film", il lui répond: "au scénario", par coquetterie et goût du mystère. Rohmer, nous dit-elle encore, "c'est quelqu'un de fondamentalement drôle, dans sa vie et dans ses films", un "homme de culture", de plus de quatre-vingts ans, "qui se fiche de sa position dans le cinéma français", déteste qu'on lui libère une place dans le métro et "affole les vendeuses" d'un grand magasin en choisissant des maillots de bain pour ses personnages féminins, qu'il voulait filmer "avec une unité de couleur". Léna, l'absente, sera en bleu, Margot, la confidente, en rouge, principalement. S'il le faut, sur l'instant, il lui prêtera même sa casquette chinoise, un peu grande pour elle, mais qui accentue ce côté mutin qui pousse Margot à regarder Gaspard et à lui dire: "Eh bien, réalise-toi à moitié si tu ne le peux pas pleinement. Tu arriveras peut-être aux trois quarts d'existence, avec un petit effort!".
(...)
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14/02/2011
Rouletabille
J'ai reçu un renfort précieux dans le cadre de mon projet "Aurélia Kreit". Mon amie Véronique, historienne de l'Art et érudite, s'est engagée à travailler avec moi pour que le cadre historique - à travers l'Europe, de l'Ukraine en 1905 jusqu'à Marseille en 1917 - du roman soit incontestable. Je l'ai même chargée de transformer tout document visuel trouvé en texte descriptif, que j'intégrerai dans le récit. Je me charge du monologue intérieur de la jeune fille, dont le lecteur suivra les douze années d'exil et d'aventures. Nous avons décidé de réunions de travail et d'un cadre pré-déterminé à l'été, avant que l'écriture commence. Je prendrai d'ici là les risques que ma vie me commande de prendre pour que je puisse mener cette fresque à bien. C'est enthousiasmant. Vertigineux, mais enthousiasmant. Evidemment, le roman, terminé, sera signé de nos deux noms : j'ai plus d'aspiration à devenir nègre moi même - et à travailler comme tel sur mon projet, n'en déplaise au pestilentiel M.Guerlain - qu'à en embaucher un.
Pour commencer, et contre toute attente, je me détache des travaux d'historiens, fastidieux, pour retrouver toute la période qui m'intéresse dans "l'Agonie de la Russie Blanche', de Gaston Leroux. Quand la littérature autrefois dite "populaire" (si la littérature populaire d'aujourd'hui pouvait avoir cette qualité d'écriture!) sert les plus grands desseins... Chronique à suivre très bientôt.
14:47 Publié dans Blog | Lien permanent
10/02/2011
Auto-destruction d'un auteur prometteur
Je retrouve et relis quelques pages du tout premier roman que j'ai commis, il y a désormais un certain nombre d'années (de mémoire, commencé en 1993, achevé en 97). J'ai appelé ça, au final, "l'amphithéâtre": le personnage central meurt en page 2, se retrouve dans un amphithéâtre de l'ENESAD de Dijon(!) et voit se matérialiser, l'une après l'autre, les femmes qu'il a aimées ou du moins avec qui il a correspondu (oui, le XX°s. battait son plein...). Certaines d'entre elles ont de l'empathie, d'autres moins. Le roman inclut les passages sauvés d'une poubelle de Neuilly-Plaisance d'une pièce de théâtre ("Correspondance(s)", ouais, je sais, c'est moche!) dans laquelle deux personnages, subissent un enfermement: les huis-clos, même à ciel ouvert d'Algérie ou du Berry, m'inspiraient déjà, il faut croire. Je relis, je ne peux pas ne pas éprouver d'affection pour cette horreur dont je ne peux même pas isoler un morceau à vous faire lire... Il y a pourtant tous les éléments de ce que quelques personnes, désormais, trouvent bien. Comme quoi tout est à relativiser, à commencer par les petites victoires. D'ailleurs, je suis de ceux qui pensent qu'il faut écrire des livres-monstres avant d'en écrire des biens. L'important étant qu'il n'y ait personne pour les éditer, évidemment.
22:04 Publié dans Blog | Lien permanent
09/02/2011
Odisseo dello spazio
Quand Fusaro va voir en Italie s’il y est, il a le bon goût de ne pas emmener le lecteur dans un road-movie aux allures trop ritalo-convenues. Les pistes sont soigneusement faussées dès le départ puisqu’il faut avancer dans le récit pour en situer, à quelques éléments près, l’époque. Les ruptures, spectaculaires ou non, ont ceci de plus que ceux qui les vivent qu’elles sont a-temporelles et soumises à la même récurrence que les feuilles des marronniers qui tombent Place Sathonay, au-dessus du Café de la mairie, où commence l’action, sous une pluie drue de vinyles, de livres et de vêtements, de « l’Italie si j’y suis ». Ce sera donc le journal d’un échec amoureux, un de plus dira-t-on, mais celui-ci est signifiant justement parce qu’au fur et à mesure que Sandro avance sur les routes italiennes, il reconnaît que « jouer les hommes blessés, ça ne (lui) va pas ». Voire, à la fin du parcours, qu’il lui aura fallu celui-ci pour s’avérer. Pas de rédemption dans cette initiation-là, qui se double de la paternité en train de se jouer puisque Sandro a emmené son fils Marino avec lui pour les semaines d’été qui désormais lui sont dues. Ils partent tous les deux, entre hommes, en Alfa Romeo Giulietta Spider. Marino ne se dépare jamais de la tenue que son grand-père lui a offerte, une réplique de la combinaison de Gagarine, floquée d’un CCCP convaincu. C’est ainsi, discrètement, que Fusaro situe l’époque, les convictions, les drames (l’exil du grand-père Nonno, communiste, qui a fui le fascisme) et les reproductions. Sandro s’abandonne dans la chute, ponctue ses étapes de Campari ou de Negroni bus par trois, toujours, surveille du coin d’un œil son fils qui joue et de l’autre l’opportunité qui s’offrirait à lui de La supplanter. Elle dont il énonce, par anaphore, comment elle lui a dit qu’elle croyait ne plus l’aimer alors même que lui n’avait jamais trouvé le courage de le lui dire. Elle m’a dit… Les deux hommes aux chaussures symboliques – lui porte celles de Brian Ferry, récupérées dans un hôtel, son fils les bottes de sa mère qu’il croit à Gagarine – posent leur pas dans le pas de chacun, ils se soutiennent et se portent jusqu’à ce qu’apparaisse, sur le bord de la route, la belle Dolores, qui les mènera jusqu’à Stromboli, via Palerme, ville fétiche de l’écrivain Fusaro puisqu’il lui a consacré un roman, déjà (« Palermo solo »).
n Deux sur une banquette et toi dans le hall de l’hôtel
Les trompe-l’œil de Fusaro sont nombreux : l’époque, qui pourrait être celle de ses parents, les lieux, qu’on visite parfois sans s’y arrêter, comme les protagonistes, les choix aussi, entre les regrets et les avancées. On suit la libération de Sandro, pas à pas, qui ne substitue pas Dolores à la femme dont il dit pour aller vite qu’elle est morte. Il ne s’abandonne pas autrement que dans l’alcool, le tabac et la vitesse, comme pour bien stipuler au lecteur que si les ruptures sévissent toujours, les moyens de les oublier ne sont plus tout à fait les mêmes… L’enfant qu’est Marino joue aussi des références qui sont celles de l’auteur, entre ritournelles italiennes de son enfance (de Adriano Celentano à Patty Pravo) aux références rock d’une époque pour qui tout est en train de bouger, du « Berlin » de Lou Reed au « Ziggy Stardust » d’un Bowie récurrent, en passant par Jagger et les New-York Dolls. A la différence près que c’est Marino qui porte les T-shirts quand Sandro préfère porter beau. Il n’y a pas que ces croisements-là, d’ailleurs : on note plusieurs parallélismes qui, sans dévoiler, donnent à la deuxième partie du récit, narrée par Dolores (fille d’Isabel, d’Espagne), une force que la première ne laisse pas croire. Dolores, née de la côte d’un pêcheur sicilien quand Sandro, lui, est né de celle d’un poète. Marino, qui s’est fait de Gagarine l’ami imaginaire que se font les enfants de son âge, ne se dévoilera qu’à la fin, occupé qu’il est, tout au long du récit, à soutenir son père dans son périple. Sans vraiment qu’on sache qui est l’enfant des deux, puis des trois, puisque ce qu’ils y trouveront par définition, les révèlera à eux-mêmes.
Les scènes de cinéma sont omniprésentes, également, les monstres sacrés italiens sollicités, mais sans enflure, sans procédés convenus : le public de Rossellini est sensible et cultivé, nous dit Dolores, il n’envahit pas. Quand elle choisit une cassette dans la voiture (on retrouve tout, dans « l’Italie si j’y suis », les K7, la touche << dont on a tous rêvé qu’elle pût corriger nos vies, les milliers de lires et les cabines de téléphone à pièces, la même Dolores prend « Marie & les garçons », clin d’œil passager, dont il est dit que le fait d’armes est de s’être fait arroser de cannettes lors d’un concert à Fourvière. A Lyon, la ville natale de Marino, pas celle de Sandro. Téléphone et Starshooter leur étaient venus en aide sur scène, mais on n’aura gardé que l’échec d’un groupe en avance sur son temps. C’était entre 77 et 82, entre le punk et Mats Wilander : une ère sur des airs italiens, entre deux aires d’autostrada. Entre Belletto pour la topographie lyonnaise et Quignard pour son final entre terre et mer, Fusaro regarde les hommes faire semblant d’avoir une histoire, mais sans pathos. Entre deux Campari, en attendant le troisième.
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07/02/2011
Se mettre à écrire
Vous savez que "le poignet d'Alain Larrouquis" suit son processus de publication, que "cache-cache", croisons les doigts, n'a pas encore fini de faire parler de lui (ici encore, dans la blogosphère), entraînant même, dans sa suite, une résurgence de "Tébessa". Je pourrais être, même si je ne suis dupe de rien, un auteur comblé, donc détestable. Fort heureusement, par conséquent, je ne le suis pas. Parce que j'aimerais que les choses aillent encore plus vite, parce que j'aimerais assez qu'elles m'entraînent dans un champs de décisions autre que conflictuelles, parce qu'on n'a jamais assez envie que ses livres soient lus quand on sait qu'ils sont prêts pour l'être. Mais plus encore, je tenais récemment le propos de ces livres que l'on a en nous et que tous ceux qu'on a écrits, pour merveilleux qu'ils soient, ne sont que les annonciateurs. J'ai un "Dîner" en cours, j'espère qu'il vous plaira, mais maintenant, c'est à mon "Aurélia Kreit" que je dois m'atteler, et à rien d'autre. Pour cela, il me faut en faire, des choix. Parce qu'on n'écrit jamais moyennement, je le sais. Et ce que j'ai réussi à faire jusque là, je ne pourrai pas le reproduire, ou alors inutilement. Je travaille, comme d'autres auteurs de mes amis, à accorder ma vie au cycle d'écriture d'un roman absolu, mais sans la prétention de l'être. Il le sera pour moi, déjà, qui contemplerai bientôt les trois romans édités en trois années (mais écrits, évidemment, sur une séquence plus longue!) comme un lointain et émouvant souvenir au regard de ce que je m'engage à faire, tout en procrastinant.
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03/02/2011
Une soirée à Somosierra
Somosierra n’existe pas. C’est un col de montagne, à 1 438 m d’altitude, qui relie Madrid à Burgos. Un défilé long de deux kilomètres, large de trente à certains endroits, serpentant, sinueux, enserré de rochers et d’éboulis. Plusieurs chaînes de montagnes abruptes - les sierras - parallèles, une enceinte entre le nord et le sud de la péninsule, séparant la Vieille Castille de la Nouvelle. Quand j’y suis arrivé, il faisait quatre degrés, en mai. La rudesse de l’endroit, son histoire, ses secrets correspondaient à la rupture que j’étais venu chercher. Le journal m’avait détaché à Riaza, en charge de rédiger un article pour un supplément histoire prévu l’année d’après ; un article que j’aurais à rendre avant de rentrer en France : j’ai accepté.
Je n’arrivais pas dans l’inconnu : Somosierra, c’est le lieu de trois batailles au moins. C’est Napoléon qui, le 30 novembre 1808, fit charger le 1er régiment de chevau-légers polonais pour écraser la résistance e et faire chuter Benito San Juan ; c’est Franco qui en fit une voie royale vers Madrid, dès juillet 1936 ; c’est Nizan, l’écrivain, qui fit enterrer le manuscrit du roman qu’il venait d’achever, la Soirée à Somosierra, avant d’aller se faire tuer au front, en juin 1940. J’étais venu chercher la tranquillité, j’allais trouver le silence des morts dans ce dédale de roches métamorphiques. Moi qui n’avais jamais supporté ni la campagne ni la masse oppressante de la montagne, je m’échouais en exil. Je logeais dans le village de la Pinilla et venais tous les jours passer des heures sur les lieux, avant de me plonger dans les livres d’histoire et les sites spécialisés : il me fallait ressentir, m’imprégner de la saturation de présence. Alors qu’il m’arrivait de ne croiser personne. Pas une seule fois je ne tins compte du temps qu’il faisait, m’imposant l’épreuve comme les combattants du 9ème d'infanterie légère, du 96ème et du 24ème de ligne, les fusiliers et la cavalerie de la Garde et, cent-vingt neuf ans plus tard, des 6ème et 7ème divisions d’infanterie de l'Union Militaire Espagnole du général Mola. Qu’on pût à peine y accéder ne m’arrêtait pas non plus : tous les jours, pendant trois mois, j’arpentai les lieux avec mes cartes, tachant de retrouver là où la division Ruffin établit le campement, où furent piégés les républicains et les anarchistes de la CNT. J’étais dans l’obsession, voulais tout rattraper : les vies qui avaient cessé d’être, le silence qui les a supplantées, l’esprit d’un manuscrit qui devait terminer son pourrissement à Recques-sur-Hem. Je marchais parmi les cadavres mais n’en percevais aucun de détestable compagnie : c’était ici que j’allais asseoir le deuil de mes années, de mes amours passées, passer mon histoire au révélateur de la Grande et accepter que tout fût relatif. Je savais que des corps vivants pouvaient être plus morts que ceux que je foulais aux pieds, Solène me l’avait prouvé à Madrid. Je marchais dans les vallons, scrutais les brèches, les défilés ; en quelques semaines, je devins un spécialiste de l’endroit : j’aurais pu y guider des touristes, leur indiquer qu’entre El Collado de la Quesera, El Pico del Lobo et El Cardoso de la Sierra, il y a la route de Navacerrada, celle qui mène à Burgos ou à Madrid, selon la direction que l’on prend ; j’aurais pu le faire si je n’avais pas ardemment désiré de m’y trouver seul, face à moi-même et au nouveau défi que m’avait posé Margot.
Extrait du "Poignet d'Alain Larrouquis", à paraître, printemps 2011
09:06 Publié dans Blog | Lien permanent