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09/02/2011

Odisseo dello spazio

fusaro.jpgQuand Fusaro va voir en Italie s’il y est, il a le bon goût de ne pas emmener le lecteur dans un road-movie aux allures trop ritalo-convenues. Les pistes sont soigneusement faussées dès le départ puisqu’il faut avancer dans le récit pour en situer, à quelques éléments près, l’époque. Les ruptures, spectaculaires ou non, ont ceci de plus que ceux qui les vivent qu’elles sont a-temporelles et soumises à la même récurrence que les feuilles des marronniers qui tombent Place Sathonay, au-dessus du Café de la mairie, où commence l’action, sous une pluie drue de vinyles, de livres et de vêtements, de « l’Italie si j’y suis ». Ce sera donc le journal d’un échec amoureux, un de plus dira-t-on, mais celui-ci est signifiant justement parce qu’au fur et à mesure que Sandro avance sur les routes italiennes, il reconnaît que « jouer les hommes blessés, ça ne (lui) va pas ». Voire, à la fin du parcours, qu’il lui aura fallu celui-ci pour s’avérer. Pas de rédemption dans cette initiation-là, qui se double de la paternité en train de se jouer puisque Sandro a emmené son fils Marino avec lui pour les semaines d’été qui désormais lui sont dues. Ils partent tous les deux, entre hommes, en Alfa Romeo Giulietta Spider. Marino ne se dépare jamais de la tenue que son grand-père lui a offerte, une réplique de la combinaison de Gagarine, floquée d’un CCCP convaincu. C’est ainsi, discrètement, que Fusaro situe l’époque, les convictions, les drames (l’exil du grand-père Nonno, communiste, qui a fui le fascisme) et les reproductions. Sandro s’abandonne dans la chute, ponctue ses étapes de Campari ou de Negroni bus par trois, toujours, surveille du coin d’un œil son fils qui joue et de l’autre l’opportunité qui s’offrirait à lui de La supplanter. Elle dont il énonce, par anaphore, comment elle lui a dit qu’elle croyait ne plus l’aimer alors même que lui n’avait jamais trouvé le courage de le lui dire. Elle m’a dit… Les deux hommes aux chaussures symboliques – lui porte celles de Brian Ferry, récupérées dans un hôtel, son fils les bottes de sa mère qu’il croit à Gagarine – posent leur pas dans le pas de chacun, ils se soutiennent et se portent jusqu’à ce qu’apparaisse, sur le bord de la route, la belle Dolores, qui les mènera jusqu’à Stromboli, via Palerme, ville fétiche de l’écrivain Fusaro puisqu’il lui a consacré un roman, déjà (« Palermo solo »).

n Deux sur une banquette et toi dans le hall de l’hôtel

Les trompe-l’œil de Fusaro sont nombreux : l’époque, qui pourrait être celle de ses parents, les lieux, qu’on visite parfois sans s’y arrêter, comme les protagonistes, les choix aussi, entre les regrets et les avancées. On suit la libération de Sandro, pas à pas, qui ne substitue pas Dolores à la femme dont il dit pour aller vite qu’elle est morte. Il ne s’abandonne pas autrement que dans l’alcool, le tabac et la vitesse, comme pour bien stipuler au lecteur que si les ruptures sévissent toujours, les moyens de les oublier ne sont plus tout à fait les mêmes… L’enfant qu’est Marino joue aussi des références qui sont celles de l’auteur, entre ritournelles italiennes de son enfance (de Adriano Celentano à Patty Pravo) aux références rock d’une époque pour qui tout est en train de bouger, du « Berlin » de Lou Reed au « Ziggy Stardust » d’un Bowie récurrent, en passant par Jagger et les New-York Dolls. A la différence près que c’est Marino qui porte les T-shirts quand Sandro préfère porter beau. Il n’y a pas que ces croisements-là, d’ailleurs : on note plusieurs parallélismes qui, sans dévoiler, donnent à la deuxième partie du récit, narrée par Dolores (fille d’Isabel, d’Espagne), une force que la première ne laisse pas croire. Dolores, née de la côte d’un pêcheur sicilien quand Sandro, lui, est né de celle d’un poète. Marino, qui s’est fait de Gagarine l’ami imaginaire que se font les enfants de son âge, ne se dévoilera qu’à la fin, occupé qu’il est, tout au long du récit, à soutenir son père dans son périple. Sans vraiment qu’on sache qui est l’enfant des deux, puis des trois, puisque ce qu’ils y trouveront par définition, les révèlera à eux-mêmes.

Les scènes de cinéma sont omniprésentes, également, les monstres sacrés italiens sollicités, mais sans enflure, sans procédés convenus : le public de Rossellini est sensible et cultivé, nous dit Dolores, il n’envahit pas. Quand elle choisit une cassette dans la voiture (on retrouve tout, dans « l’Italie si j’y suis », les K7, la touche << dont on a tous rêvé qu’elle pût corriger nos vies, les milliers de lires et les cabines de téléphone à pièces, la même Dolores prend « Marie & les garçons », clin d’œil passager, dont il est dit que le fait d’armes est de s’être fait arroser de cannettes lors d’un concert à Fourvière. A Lyon, la ville natale de Marino, pas celle de Sandro. Téléphone et Starshooter leur étaient venus en aide sur scène, mais on n’aura gardé que l’échec d’un groupe en avance sur son temps. C’était entre 77 et 82, entre le punk et Mats Wilander : une ère sur des airs italiens, entre deux aires d’autostrada. Entre Belletto pour la topographie lyonnaise et Quignard pour son final entre terre et mer, Fusaro regarde les hommes faire semblant d’avoir une histoire, mais sans pathos. Entre deux Campari, en attendant le troisième. 

19:45 Publié dans Blog | Lien permanent

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