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27/03/2011

Braća prijatelja*

Image 7.pngVlade fait 2,17m. Un 7’ feet tall, disent les américains. Il n’est jamais passé inaperçu dans les petites ruelles de Prijepolje, sa ville natale, ni dans les rues de Belgrade où il commence une carrière de basketteur qui le mènera au sommet. Dans les années 80, il fréquente toutes les sélections de jeunes de son pays, la Yougoslavie, et écrit avec ses camarades les pages les plus inoubliables de l’histoire de ce sport : jeu collectif, passes redoublées, adresse, tout y est. Pour ceux qui ont déjà pratiqué, il faut imaginer des moments où, jamais, le ballon ne touche le sol, un jeu qui rend fous d’impuissance les adversaires. Vlade se lie d’amitié, tout de suite, avec Drazen, qu’on appelle déjà le petit Mozart. Lui réinvente le jeu, tutoie les Dieux : on dit qu’il a marqué 120 points dans un seul match. Vlade, Drazen sont inséparables, montent un à un les escaliers de la gloire : leurs copains de sélection se mettent au diapason, le Yugoplastika Split domine l’Europe, le Partizan de Belgrade n’est pas loin, le Cibona de Drazen écœure, encore, ses adversaires. Drazen est mis au repos lors d’un match présumé facile contre l’Equipe de France, qui mène au repos à la surprise générale. Il rentre à la mi-temps, met trente points, les trente qu’il y aura d’écart, au final. En 1990, arrivent les championnats du monde, alors que les premiers bruits de l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie sourdent, que les nationalismes s’affûtent. La Yougoslavie écrase tous ses adversaires, jusqu’au titre final, c’est la liesse sur le terrain, envahi. Un spectateur brandit avec orgueil un drapeau croate. Vlade, qui voit d’un mauvais œil cette manifestation déplacée, s’en saisit, le jette à terre, puis retourne fêter avec ses amis le titre mondial au cri de « Yugoslavia, Yugoslavia ! ». Pour lui, l’incident est clos, oublié, sans doute, déjà. Mais au retour, dans un pays qui commence à ne plus exister, son geste a été récupéré : on dit de lui qu’il est un nationaliste serbe, qu’il a craché sur le drapeau, qu’il n’en est pas à sa première intimidation. Tout cela est faux, mais grandit : une rumeur peut dépasser en taille le plus puissant des Big Men… Drazen, qui n’a rien su de l’incident sur le moment, se laisse sans doute raconter plus qu’il n’en faut. Quand ils rejoignent tous les deux les Etats-Unis pour le championnat professionnel, Vlade sent bien qu’il se passe quelque chose, ne dit rien, fait comme si. Mais l’amitié a été bombardée : il n’y aura plus d’appels quotidiens, d’embrassades fraternelles. Divac est devenu, pour les Croates, l’homme à abattre. Ses anciens coéquipiers lui tournent le dos, la famille de Drazen s’écarte de lui : il est la Grande Serbie  à lui seul et la haine est profonde.

Vlade voit sa vie s’écrouler, la guerre arrive, inexorablement. Sur les terrains américains, il croise quelquefois Drazen, mais rien ne se passe. Il voudrait qu’ils se posent tous les deux, autour d’un café, qu’ils en parlent. Mais il n’ose pas lui demander. Il comprend qu’une amitié met une vie à se construire, qu’il suffit d’une seconde pour la détruire. Il suit la carrière de son « frère » en filigrane, mène la sienne. Ils ne joueront pas ensemble les Jeux Olympiques de Barcelone, face à la Dream Team d’une Amérique décidée à reconquérir sa suprématie, verra la Croatie se hisser en finale mais ne rien pouvoir faire. Il sait que la Yougoslavie unifiée aurait pu, l’aurait fait. La Serbie est au ban des instances internationales, ce qui n’arrangera rien par la suite. Lui regarde Drazen à la télévision avec un pincement au cœur, se dit qu’il va vraiment falloir parler, qu’ils ne peuvent pas en rester là. Après tout, si Drazen est le joyau de la nouvelle Croatie, son père était serbe, ce qui montre bien que tout est relatif. Après les Jeux, se promet-il, aux Etats-Unis, il le rappellera, ils parleront… Une année s’écoulera sans qu’il le fasse et, en juin 93, parce qu’il décide au dernier moment de rejoindre l’Allemagne en voiture plutôt qu’en avion avec ses coéquipiers, Drazen se tue sur la route. Vlade est en vacances aux Caraïbes avec sa famille, il apprend la nouvelle par une chaine d’informations  continue, il s’écroule de ses 2,17m. La blessure ne se refermera jamais.

Des années ont passé, de ces années où l’on se demande ce qui a bien pu entrainer tout cela. Vlade traîne une carcasse devenue lourde dans des rues dans lesquelles il se serait fait tuer vingt ans plus tôt. Il raconte toute cette histoire d’une voix triste mais décidée. Ses anciens coéquipiers reconnaissent que l’Histoire lui a fait porter un poids injuste. Lui a renoué, revient sur les lieux de leur gloire insouciante, retrouve la maman de Drazen et son frère, leur montre une photo d’eux deux enlacés. Il ira la déposer seul sur le mausolée qu’un pays tout entier a dressé à son idole. Sur cette tombe, alors qu’elle pleurait un fils disparu, un homme a morigéné la mère du petit Mozart : vous l’avez mis au monde, mais il nous appartient à tous, lui a-t-il dit. Elle raconte au grand Vlade combien il comptait pour son fils, ils rient de savoir qu’il est parti dans sa splendeur alors que eux connaissent les marques du temps. Vlade, au cimetière, met fin à ce mauvais rêve de la fin du siècle dernier. Il est un peu gauche, le Big Man. Il lui dit juste ces mots qui vont rester : « c’est bon de te revoir, mon ami. »

* les frères amis

« Once Brothers », un documentaire de Michael Tolajian, 2010, ESPN.

14:00 Publié dans Blog | Lien permanent

26/03/2011

Passerelles

J'ai écrit pour "Jules & Jim" une critique du dernier livre de René Frégni, "La fiancée des corbeaux". Je vous invite à la découvrir ici. Et à faire le voyage régulièrement.

11:21 Publié dans Blog | Lien permanent

24/03/2011

Lost in transdijon

IMG_1085.jpgJ'ai remarqué à quel point, depuis l'apparition des réseaux dits "sociaux", chacun s'occupait avec ferveur de communiquer sur sa propre vie à travers ce qu'il fait. Je ressens même, à lire ces annonces qui fleurissent, une angoisse qui monte: elle est liée au vide que l'on ressent une fois qu'on en a terminé avec ce qui nous a demandé autant. Le chanteur attend une invitation qui ne vient pas, l'auteur un succès qui ne vient pas non plus. L'adrénaline des concerts et des rencontres doit être la même, à la différence près, sans doute, qu'avant de rentrer en scène, l'auteur se demande bien ce qu'il fait là. Rien à voir avec le trac qu'ils partagent, mais avec cette idée, par contre, qu'on demande à l'auteur de se substituer à son livre l'espace d'un instant. L'offre est importante, chaque article de ce blog ne cesse de le reconnaître, et chacun aspire à une demande supérieure. Tenez, c'est imparable: près de 3000 personnes passent par cet espace par mois, me disent les statistiques. C'est beaucoup(pour moi) et c'est exclusivement dû au fait que je nourris régulièrement le pensum. Si ces 3000 personnes avaient toutes acheté un Tébessa, nous en serions au troisième tirage et l'éditeur se réjouirait. Mais ça se serait fait au détriment du plaisir qu'on a eu à le partager, et d'acheter le livre, plutôt, d'un autre auteur. Qui le mérite tout autant que moi. Cette démonstration est nulle et non avenue, donc.

Sinon, j'ai un peu honte. J'étais à Dijon ce petit matin et, rituellement, j'ai sacrifié à la célébration de la chouette. Je me suis souvenu que j'avais promis à la Maison Millière une nouvelle à son sujet. Que je n'ai pas faite. Alors que j'en ai toujours envie, tant ce symbole-là me plaît: je peux y mettre toute ma part irrationnelle et superstitieuse. En aurai-je le temps, un jour, c'est une autre histoire. Quand je ne m'occuperai plus de ma promotion, peut-être.

14:54 Publié dans Blog | Lien permanent

21/03/2011

Monter à Paris

IMG_1064.JPGLe Salon du Livre de Paris, ce doit être comme ce qu’il reste de la Samaritaine : on y trouve de tout, mais pas forcément à bon escient. Trois jours passés là-bas, c’est la perspective des mêmes fatigues que celles éprouvées lors des Salons de Régions, sans l’aspect sympathique qui les a générées : les rencontres, l’argument que l’on fait pour donner au chaland l’envie de lire le livre et, donc, de l’acheter. Parce qu’au « grand » Salon, pour peu que vous ne fassiez pas partie des « grands » auteurs des « grandes » maisons d’édition, ou si vous n’êtes pas, dans l’ordre de ce que j’ai vu, Michel Rocard, Patricia Kaas ou Justine Lévy, entre autres, vous passerez à peu près inaperçu. Aigreur, jalousie d’auteur ? Du tout. Ma perception de la chaine du livre n’a pas changé : s’il n’y a pas de libraire pour le soutenir, le livre n’existe que dans les plans des attachés de communication, qui sont à la littérature ce que le bouclier fiscal est à la répartition sociale. Or, de libraire, au Salon du Livre, on ne trouve pas. Seules les maisons d’édition s’auto-célèbrent ou, quand elles n’en ont pas les moyens, s’organisent (par région, ou dans des tout petits box) pour se faire une petite place. Il n’est même pas rare, hélas, qu’elles adoptent, quand on les aborde, les mêmes discours lénifiants qu’elles iront reprocher aux grandes, d’ailleurs. Qu’elles envisagent de multiplier leur métrage dans le stand, quitte à ce que l’offre éditoriale soit moins grande. Dans le même temps, apprend-on, des courants de pensée verraient d’un œil favorable un Salon laissé aux grands, dans un entre-soi de survie, sans doute, du type absurde de survie qui passe par la disparition de leurs semblables. Bref, j’ai observé, croisé des auteurs, des éditeurs, des gens sympathiques, mais je ne sais toujours pas ce que je suis allé y faire. A part y être. Ce qui me semble être le moteur premier de la présence des gens là-bas. Il n’en faut pas plus pour construire un malentendu…

Preuve ultime de mon absence d’aigreur, j’ai, à l’instar des 2% d’auteurs célèbres présents au Salon, croisé mes fans. A la différence près, d’accord, que je n’en ai croisé qu’une (bon prince, je ne compte pas les personnes venues me voir que je connaissais !). dont j’ai déjà parlé ici, mais venue avec une autre lectrice, une parmi tous ceux qu’elle rassemble pour des clubs de lecture dans lesquels je me suis invité, amicalement, pour la sortie du Poignet d’Alain Larrouquis. Une belle rencontre en perspective, une belle façon, aussi, d’aller chercher les circuits de lecture qu’on ne nous autorise pas forcément ailleurs.

Et puis tout n’est pas qu’artifice, dans le milieu littéraire : Jacques-André_Bertrand, des "Papous dans dans la tête", qu’on m’a présenté, est d’une compagnie exquise, d’une culture acérée et, en plus d’avoir écrit, « J’aime pas les autres », confirme que la seule règle à suivre dans l’écriture est la sienne et la sienne propre. Le reste viendra, ou pas. J'ai croisé et salué (Pace e salute!) Vannina Bernard Leoni, de la revue  "Fora", Ravolstein en mode d'édition parallèle. Et Vald, qu'on laissait à peu près aussi tranquille que moi, a pu faire cette belle dédicace à mon fils : 

 

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17/03/2011

Négatif.

Image 11.png"Quartiers livres", une émission de Lyon 1ère. Didier Rougeyron et Romain Vachoux, du "Tramway". C'est enregistré dans la librairie On parle de "la partie de cache-cache", en deuxième partie d'émission (à 3'24). Romain en dit du bien, ce n'est pas la première fois; le journaliste a l'air dubitatif mais ce n'est pas grave : "négatif et acéré", je prends.

podcast

 

21:11 Publié dans Blog | Lien permanent

15/03/2011

La cohorte

Image 10.pngOn ne se souvient jamais de ses rêves au matin. Quand on le fait, c'est souvent parce que ce sont les dernières images qu'on a gardées qui ont surpassé celles dont on ne se souvient plus. Je ne saurai jamais quel mécanisme a entraîné mon rêve de cette nuit, mais l'état dans lequel il m'a laissé toute la journée est éloquent. Je n'avais pourtant rien fait de particulier, "c'est Arthur Ganate qui a commencé", j'allais dire, mais dans ses tout derniers moments, j'ai compris que j'allais devoir assumer des conséquences que je ne saurais jamais expliquer. Que les pas que j'entendais dans l'allée étaient ceux des policiers qui allaient me reprocher quelque chose qui n'avait pas l'importance qu'on pouvait bien lui donner. Sur le lit, en face de moi, une personne accablée parce que la blague qu'elle m'a faite a mal tourné et qu'on ne comprendrait pas plus qu'elle se dédise. C'est saisi de cet effroi, lié à la conscience que rien ne serait jamais comme avant alors que rien n'aurait dû changer que je me suis réveillé, une minute avant que le réveil frappe à la porte et décide de m'emmener...

Autrement, je suis au Salon du Livre de Paris, ce week-end. J'y ferai un reportage pour Jules & Jim. Je joins ici, en médaillon, les couvertures auxquelles vous avez échappé.

17:46 Publié dans Blog | Lien permanent

10/03/2011

Je ne sais rien.

Dans ce village reculé du Berry, accoudé au zinc de l'épicerie-bar du coin, un homme jeune, beau quoique marqué par la fatigue et les nuits chargées, pose le bleu de ses yeux sur sa bière. Il ne sait même pas encore s'il va manger là ou s'il va sauter un repas et retourner à l'atelier. On ne saura rien de ce qu'il a fait avant, ni même s'il y eut un avant. Un avant quoi, au fait? Ce qu'on apprend de la bouche d'un autre, parce que lui n'aurait rien dit s'il ne lui avait pas fallu reprendre celui qui a parlé, c'est qu'il est merrandier, qu'il fabrique les pièces qui constituent les tonneaux et les barriques, qu'il fend les merrains (qui ne se coupent pas), appelés aussi douelles. On lit ici et là, à l'ombre des dictionnaires, qu'un tel artisan doit savoir lire le bois, qu'il évitera tout ce qui pourrait altérer le vin (les noeuds, les picots, les queues de vache) et qu'une fois le merrain fendu, il le délignera, le rabotera selon sa courbe pour que la douelle ait la même épaisseur sur toute sa longueur. Le merrain séchera dehors pendant trois ans: ce sont les intempéries qu'il aura subies qui détermineront les arômes du bois, puis ceux du vin qu'il abritera. On prend quelques notes absconses et hésitantes, orthographiquement, puis on rentre hébété de savoir, pour finir, que cet homme crée un tonneau par journée de travail qu'il s'impose. Ce qui est énorme pour un homme, mais risible au regard des trente tonneaux par jour qui peuvent être fabriqués industriellement. Pourtant, pourtant, quand on poursuit la visite par une dégustation, chez Teillier, de ce Mlle T. qui devra figurer, d'une façon ou d'une autre, dans un roman qu'on écrira, et qu'on apprend là-bas que ceux qui aiment le vin lui commandent des tonneaux, qu'il y aura peut-être un jour (vu qu'ils dureront beaucoup plus longtemps) davantage de ses pièces dans la cave que d'autres d'inconnus, alors on se dit qu'on a encore un peu de temps devant soi. Et qu'il faudra, la fois prochaine, faire un signe au serveur, qu'il lui remette une bière avant qu'il reparte travailler. 

19:04 Publié dans Blog | Lien permanent

Pas d'abandon

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Je ne vous abandonne pas. Je crois aux forces de l'esprit, moi aussi, mais là, plus prosaïquement, je suis en train de me débattre avec les contingences habituelles, doublées du travail que j'ai accepté de faire pour le premier de mes futurs employeurs. Voici donc, puisque Christian l'a lancé déjà, sur Kronix, le blog de la librairie "Jules & Jim", dont je m'occuperai en bonne intelligence avec celui-ci, et d'autres qui valent qu'on les visite régulièrement. Je vais animer, très prochainement, la rencontre en librairie avec René Frégni, dont "Elle danse dans le noir" m'a bouleversé et dont "la fiancée des corbeaux" figure, parce qu'il vient le présenter, au sommet de la pile des livres que j'aurai lus pour en parler. C'est un blog, plus qu'un site, à la demande des libraires, c'est encore en construction et c'est à cette adresse:

http://cenetaitpaspermis.hautetfort.com/

Pour des raisons techniques, vous y trouverez des têtes et des articles connus, mais il connaîtra très vite sa belle et longue indépendance. 

00:19 Publié dans Blog | Lien permanent