25/09/2025
LM WAS HERE (MAISON VIDE & PLEIN DE SENS).
Drôle de sensation que de rentrer ce soir du grand entretien avec Laurent Mauvignier, et du dîner qui a suivi. Outre le Momentum littéraire, de haut niveau – il faut toujours inviter des auteurs qui ont quelque chose à dire sur la littérature, pas seulement sur leur roman – il y a eu cette rencontre avec un écrivain qui a marqué ma vie : nous avons le même âge, à quelques mois près, et les thèmes d’écriture que nous avons choisis, chacun de notre côté, sont diablement identiques. À la différence près que la Maison vide, le livre dont tout le monde parle et pour lequel, sans suspens et sans concurrent, il va décrocher le Goncourt, prochainement, une anomalie – sans jeu de mots – pour quelqu’un qui aurait pu être récompensé dix fois déjà, pour dix romans différents, est un roman, je l'ai dit, comme il en paraît un tous les cinquante ans. Alors, attendre Mauvignier au pied de l’escalier de l’Orque bleue, c’est se remémorer les rencontres avec Pascal Quignard, Pierre Jourde, Éric Chevillard, Alexis Jenni et autre ; c’est se dire que le premier contact, dans la réalité, est un sérieux indice sur la dimension du bonhomme : je suis rassuré, je le trouve plus en forme que sur des photos des mois antérieurs qui circulaient. On marche jusqu’à la Maison régionale de la mer, qui accueille les Automn’Halles pour la première fois – le quotidien local en a fait un sujet en réussissant l’exploit de ne citer ni Mauvignier ni Haddad, que Marie-Ange interrogera samedi… Première victoire sur une communication un peu poussive, la salle est pleine, il y a entre 50 et 60 personnes qui prennent place, peut-être plus, je ne sais pas, mais déjà l’exercice est réussi, la crainte initiale évacuée. Les deux Laurent prennent place sur la scène – à l’inverse du roman, on ne peut changer de prénom parce que trop commun, comme le patriarche du récit, Firmin Proust, qui s’appelait Paul, à l’origine. C’est la première grosse révélation (ou pas) de la rencontre, Mauvignier évacue d’un coup d’un seul la nuance autofictive entre narrateur et auteur, la Maison vide, c’est l’histoire réelle de sa famille à lui, avec des failles sidérales, comme la grand-mère tondue à la Libération, le père suicidé parce qu’il n’a pas supporté l’Algérie etc. Mauvignier raconte comment il a inscrit cette histoire dans la réalité historique, l’entrecroisement de trois guerres sur quatre générations (en comptant celle du narrateur), dont on a parlé sans rien y comprendre, une qu’on a tu, à un niveau de névrose que personne ne peut soupçonner. LMV, c’est donc le récit de trois femmes, qui finiront, par obligation, par démontrer que la présence des hommes, finalement, n’est pas nécessaire au bon fonctionnement de l’entreprise familiale et plus globalement de la vie en général. Les hommes sont au front, l’Histoire se passe, elle est perçue via la distance de la Bassée, cette vie à l’arrière de tout où la guerre se perçoit via les morts qui, à force d’encombrer les devants des maisons en deuil (par la croix) se réunissent en des monuments aux morts devant lequel Marguerite, la dernière, tentera de deviner à travers ce qu’aurait été sa vie avec une mère aimante et un père présent. Mauvignier remonte l’écheveau de la patate chaude des histoires familiales, il est dissert en tant qu’auteur, bon client, semble apprécier les questions d’un interlocuteur qui a retravaillé TOUTE son œuvre avant de le recevoir, ça change des émissions télévisées où l’on passe plus de temps à parler autour du texte que du texte lui-même. J’adapte, c’est prévu, mes questions, reviens sur des sujets qu’il aborde lui-même, la topologie, les récits dans le récit, je regarde le public captivé et me réjouis parce que l’auteur est captivant – je le savais – mais qu’il faut aussi savoir lui donner la réplique. Il parle de ses recherches, de ses inspirations – l’enterrement de Jules est inspiré d’une toile de Courbet, le prénom Florentin de la peinture du XIX°, également – on bifurque sur le sujet de la Guerre d’Algérie, traité en filigrane dans ce roman-là, abordé dans Des hommes, évidemment, mais aussi, indirectement dans Apprendre à finir – paru en 2000, dont Mauvignier lâche qu’il a failli s’appeler… la Maison vide – dans Seuls, dans le Lien. Mauvignier confesse une irrépressible envie de savoir les choses, qui l’a poussé, enfant, à poser les questions là où d’autres se seraient tu. Il avoue également ne jamais dissocier la réalité de ce qu’on en raconte, même pour des scènes de massacre à la tronçonneuse. Alors, pour des scènes de guerre, dont les protagonistes disent eux-mêmes qu’il n’y a rien à en dire tant c’est indicible… De temps à autre, je regarde ce type à côté de moi, avec ses boucles de marin, j’ai du mal à me dire qu’il est là et il sera dur, après ce que j’ai vécu, de vivre des émotions aussi intenses : celles d’un lecteur, qui voudrait que le temps s’allonge, que des questions fusent, du public. Il n’y a que Marie-Ange qui me reproche de ne pas avoir parlé de Continuer quand j’ai délibérément évacué la question, pour rester dans le temps imparti. Il répond un peu à côté en parlant de Dans la foule et de Autour du monde, avec ses premiers lecteurs qui lui ont répondu que même en ouvrant sur le monde, il finissait dans ses huis-clos pré-carrés. C’est drôle, parce que l’auteur a du recul sur son œuvre – c’est rare – parce qu’il s’amuse de lui-même en disant que finalement, si c’est être passé d’une Maison vide à une autre en 25 ans, il n’a pas trop avancé… On a parlé un peu de cinéma, il s’est aventuré sur la question de Dieu – concédant lui en avoir beaucoup voulu – sur l’époque, l’information, les petites crottes que des auteurs satisfaits peuvent laisser et le doute avec lequel les vrais continuent d’avancer, bon an mal an. La suite est agréable, convivial, laisse déjà l’impression proustienne – on y revient – qu’il valait mieux que les choses ne fussent pas encore arrivées pour qu’on n’ait pas à regretter qu’elles soient déjà passées. Mais Laurent Mauvignier was here, à Sète, j’en suis témoin.
NB: pour l'instant, aucune photo sur le Net pour illustrer l'entretien. Un nouvel oubli? A voir.
NB2: Ci-après, le fond d'écran qui n'a pas pu être diffusé.
23:30 Publié dans Blog | Lien permanent
Les commentaires sont fermés.