26/08/2021
127.
Tu vois, parfois j’ai l’impression que je peins pour me venger, de ne pas avoir été assez aimé de ne pas être reconnu comme j’estime devoir l’être. Je me venge des échecs que j’ai moi-même construits par auto-destruction. Mépris de soi réactivé, tu te souviens de la chanson ? C’est comme avec les femmes, je vais m’éloigner de celles qui m’ont aimé justement parce que j’ai peur qu’elles aiment un autre en moi, celui que je ne suis pas. On a suffisamment dit de moi que j’étais un séducteur pour ne pas me reconnaître dans ce portrait-là : comme si j’avais besoin, jusqu’à la fin, de me chercher. Il y a un brin de paranoia, là-dessous, parce que je reste au centre d’un univers que ceux qui me voient pensent être le mien, mais qui m’échappe, que je ne m’approprie pas. Toi, j’ai l’impression que tu écris par damnation : pas la tienne, non, celle de ceux qui t’inspirent. Si tant est qu’ils se reconnaissent dans l’exercice, ils n’y échapperont pas. Ni le temps, ni l’idée que le livre soit livre ne leur permettront de s’en sortir. Oh, ils s’en convaincront, mais une petite part d’eux-mêmes sait qu’il n’y a pas d’issue. Je la comprends, Clara Ville, qui n’avait qu’une crainte, finir tuée dans un roman. Mais il y a pire, finalement : que le peintre tienne le portrait, que l’auteur le réussisse et le portraituré sera redevable, dans sa vie et dans ses choix, de ce qu’on a dit et fait de lui.
09:12 Publié dans Blog | Lien permanent
24/08/2021
129.
J'arrive à me souvenir très précisément des jours et des conditions dans lesquels des chansons sont entrées dans ma vie, pour n'en jamais ressortir. La playlist ultime ne date pas du numérique: quand on achetait (cher) une BASF 90mn métal, il ne fallait pas se rater dans les enchainements. Le temps passant, les chansons se font plus mélancoliques, seulement. J'ai la chance d'avoir les miennes, celles que j'ai écrites; et celles des autres, quelquefois, qui me percent l'âme et le coeur à la fois.
07:57 Publié dans Blog | Lien permanent
23/08/2021
130.
J’imagine que ça n’a surpris aucune d’entre nous, mais ça a fait l’effet d’une déflagration. Plus encore que l’annonce de sa mort. Personne ne l’aurait imaginé vivre plus vieux qu’il l’avait fait et les circonstances m’étant alors inconnues, j’ai plongé vite dans l’idée qu’il était mort comme il l’avait décidé, ce dont il me parlait déjà, quand nous nous sommes rencontrés. Il y a près de cinquante ans. A une époque où il fallait courir les cabines téléphoniques pour lâcher quelques mots d’amour et attendre une semaine pour se voir.
07:38 Publié dans Blog | Lien permanent
22/08/2021
131.
Je n’éprouve jamais autant d’affection que pour les supposés vainqueurs qui reprennent le contrôle de leur vie, au détriment de tout ce qui les a supposément fait gagner.
08:36 Publié dans Blog | Lien permanent
20/08/2021
133.
Il faut remercier les deux jeunes filles qui se sont enfuies au quatrième morceau du concert des Amis de Brassens, hier, au Roquerols, à l’occasion d’un centenaire qui n’en finit pas de s’étirer. Parce qu’elles m’évitent, de fait, l’hagiographie – il y en a au moins deux à qui ça n’a pas plu – et la jalousie liée au fait que, comme d’autres, ce groupe fait qu’à chaque fois que je les vois, je les chronique et qu’à chaque fois que je les chronique, j’ai encore plus envie de les voir. Hier, c’était la grande scène devant le bateau-phare qui leur était offerte, et le public était très nombreux, au point que j’ai cru devoir passer le concert debout, jusqu’à ce que ces jeunes filles libèrent deux places au tout premier rang, sous les pédales de Philippe Lafon, quasiment. Lequel Pilou, n’étant pas de la dernière session à l'Hôtel de Paris, le 21 juin, avait obligé les deux membres restants à reconfigurer répertoire et arrangements pour du classique guitare/Contrebasse, comme Tonton Georges. Là, il n’allait pas manquer ça, Pilou, et reprendre le manche, qu’il tient à droite parce qu’il est gaucher. Dobro, mandoline, folk, son jeu est multiple et les versions pour dobro, la part Blues que le trio a accentuée encore hier, resteront longtemps dans les mémoires, comme un supplément d’âme : à ce titre, l’introduction de « Brave Margot » est juste extraordinaire, et j’ai eu l’impression d’entendre Dylan – le vrai – lancer « Blowin’ in the wind », en hommage à la tram’ qui s’est levée hier, menaçante, mais que l’hommage à Georges a aussitôt calmé. Ça fait du bien d’entendre du Brassens réinventé musicalement, sans fioritures, juste en accentuant les racines revendiquées de sa musique, du manouche de Django au swing de Trénet, et l’idée de jouer, dans ce marathon de plus de deux heures, les chansons de son enfance, celles qu’il ne s’est jamais lassé d’écouter, a permis de se faire une idée moins injuste que celle qui continue de courir, comme quoi sa musique est sommaire. Une confusion avec son ami de Pézenas, qui sait, mais les imbécillités ont ceci de supérieur à la culture qu’elles touchent plus de monde et durent plus longtemps. Un jour, je l’ai entendu et répété, Brel a répondu à quelqu’un qui insinuait ça que si Sidney Bechet reprenait du Brassens, ça n’était pas pour les paroles. Hier, ramené par son petit cousin – juste en face de son reflet en plus jeune, menaçant de lui fracasser sa guitare sur la tête s’il le trahissait, Bruno Granier & ses hommes ont encore emporté le morceau, enchainant les classiques comme les morceaux plus rares, parlant peu mais bien, sur les blessures du poète, son rapport au texte et à la musique, insérant avec brio du Hugo, du Paul Fort, du Antoine Pol, du Verlaine… Du Mireille, du Trénet, du Paul Misraki, avec ce sublime « petit bateau de pêche » - paroles de André Hornez - qui fera ma joie le reste de ma vie, puisque je ne la connaissais pas encore, hier seulement. Ça swingue chez les Zazous, Laurent Clain – dont je reparlerai ici bientôt – accompagne tout cela, (beaucoup) moins cheval de fleuve que Pierre Nicolas, mais tout aussi prégnant, jusqu’au contrechant des sublimes « Passantes ». J’ai déjà tout dit sur les amis de Brassens, mais il faut imaginer l’effet qu’ils font sur le public, qui s’écrie « Ah ! » à chaque chanson qu’il reconnaît, c’est-à-dire les neuf dixièmes. Qui chante dans sa barbe, ou fort et faux, mais qui chante. Remue son popotin, un peu sclérosé par l’arthrose, mais quand même. Bruno va chercher dans sa moustache ces morceaux qu’il connait par cœur, qui lui échappent parfois un peu, comme pour souligner que son travail, c’est d’abord de la mémoire. Pas seulement pour chanter, mais pour recréer une atmosphère, une ambiance tellement archaïque dans sa langue (passé simple, subjonctif imparfait, conditionnel passé) qu’on ne peut que se battre, avec lui, pour qu’elle perdure. Qu’on voie encore, sur le pont du Roquerols, une jeune serveuse prendre sa pause et chanter avec tous ceux qui étaient là, hier. À Sète, le soir où le centenaire a pris son sens absolu. On aimerait dire que dans cent ans encore, coquin de sort, on chantera encore. C’est une autre question. Mais lui, d’où qu’il soit, dira Bruno avec émotion, il a dû retenir une petite larme, vite réfrénée. On ne parle pas de Brassens sans pudeur.
00:16 Publié dans Blog | Lien permanent
18/08/2021
135.
Dans mon rêve de cette nuit, je ne sais si le plus absurde, c’est de me retrouver en finale des J.O par équipe ou de me rendre compte au départ qu’il s’agit d’un 100m nage libre, et pas d’une course à pied, comme prévu.
08:24 Publié dans Blog | Lien permanent
17/08/2021
136.
C’est une émotion ou une sensation qui crée le mécanisme du souvenir: si on le ramène tout cuit, ça active une partie de la mémoire, mais non enfouie. Les générations futures n’auront aucun souvenir de leur grand-mère par l’arôme de sa purée gratinée, mais des kilo-octets de films d’elle.
09:26 Publié dans Blog | Lien permanent
16/08/2021
137.
AU LECTEUR.
C’est comme souvent parti de rien, d’une idée en l’air et, pour l’occasion, d’un projet jamais terminé. Écrire sur la Contrebasse après Patrick Süskind est une gageure, hélas, un véritable effet-boomerang. Je ne remettrai jamais la main sur ce mini-mémoire de Littérature au présent, titré « Solitude & Bonhomie », mais j’en garde le souvenir prégnant de Jacques Villeret, sublime dans le rôle. Et renchéris, 30 ans après, profitant, dans l’ombre tutélaire du grand Georges, de l’omniprésence silencieuse de son contrebassiste, qui accompagna les plus grands sans sortir de l’anonymat de ses deux prénoms réunis, tel un fils de l’Assistance. Ce qui suit n’est qu’une blague destinée à (re)faire parler de lui. Une blague sérieuse, comme il s’entend, référencée, documentée, et validée par celui avec qui je lance l’aventure, Laurent Clain, des fabuleux « Amis de Brassens ». Dans ma tête, à l’instant, c’est pourtant la ligne de basse de « l’Aigle noir », qui occupe mon espace mental : je ne m’en suis jamais sorti. C’est tout le charme de la session rythmique, quand elle donne le tempo. On ne construit rien sans la fondation.
"Contrebrassensiste", théâtre, à paraître (novembre 2021).
12:21 Publié dans Blog | Lien permanent