12/10/2021
80.
MA BANQUIÈRE (REPRISE)
I-
Impossible de ne pas penser à Houdaer quand je vais voir ma banquière. Ses poèmes, dans Engeances, ont conditionné le regard de quiconque les aura lus. Mais j’ai cet avantage sur lui que ma banquière à moi est une des plus belles femmes du monde : c’est simple, c’est le sosie de Sade, la chanteuse, dans les années 80. Une beauté du diable, arabo-éthiopienne, je ne sais pas, mais grande, gracile, très apprêtée, de longs yeux en amande surlignés d’un maquillage soigné, elle s’avance vers moi, court vêtue, dans une robe de tennis des seventies immaculée. Je suis fasciné, comme à chaque fois que je la croise, devant la banque, quand elle fume une cigarette avec une grâce qui fait passer Rita Hayworth pour un cageot malhabile. Oui, mais voilà : avec ma banquière, on ne se comprend pas. On s’aime bien, depuis qu’on se croise, mais on vit dans deux mondes différents et je vois bien que le mien lui fait peur. Alors, je surjoue, je fais passer l’étourderie initiale (changer mon contrat d’assurances alors que je ne suis pas assurée chez eux) pour une maîtrise totale de mon inaptitude. Elle qui m’a déjà vu encaisser un chèque avec le plan d’une dissertation de philosophie au dos, elle tente de m’expliquer les subtilités de tel ou tel plan d’assurance, mais je ne l’écoute pas. Quand elle me demande d’estimer mes biens, je lui réponds que les deux exemplaires de Nizan, intellectuel communiste que ma sœur m’a trouvés pour cinq francs chez un bouquiniste sont mes biens les plus chers. Ou alors il faut que je fasse chiffrer ma collection personnelle d’œuvres d’art, de Frémiot, Pujol, Gervaise, Parchemin, Mourotte… Mais ça ne rentre pas dans les cases de son ordinateur. Et puis moi je regarde ses mains, immensément fines, pianoter sur le clavier, je me dis qu’on a la même activité pour un résultat différent, voilà tout. Elle s’excuse de devoir respecter des procédures, de me lire les documents que j’ai déjà signés, mais je lui pardonne tout : ces moments hors du temps passés avec ma banquière, ce tête-à-tête souvent recommencé, c’est un Ou Bien ou Bien kierkegaardien. Je suis sûr que le week-end, dans son jacuzzi, en pleine manucure, elle songe aux 15,34€ mensuels de mon 50m2, et tous les possibles qu’ils génèrent.
II -
Par quel effet de prestidigitation ai-je réussi, cet après-midi, à inverser les places dans le petit bureau de ma banquière, moi à pianoter je ne sais quel code sur son ordinateur, elle qui attendait que j’en aie terminé de l’autre côté du bureau? Quelle barrière m’a-t-elle retenu de lui proposer un des nouveaux produits de notre game d’épargne, au taux intéressant, si vous bouclez vos revenus sur les soixante dix-sept prochaines années? Ces moments spécifiques, entre elle et moi, quand elle me dit que venir la voir a l’air d’être une torture pour moi et que je lui réplique que je viens la voir avec plaisir mais que quelque chose - et pas seulement son festival de robes courtes - m’empêche de l’écouter jusqu’au bout de ce qu’elle a à me dire : l’ennui, sans doute. En tout cas, j’ai été banquier, une minute trente, suffisamment pour comprendre que je n’y aurais développé aucune espèce d’éthique. Et j’ai impressionné ma banquière en déposant la Bourse d’écriture qu’on m’a attribuée. On a les moments de gloire qu’on peut, hein!
(à suivre)
19:07 Publié dans Blog | Lien permanent
11/10/2021
81.
11:59 Publié dans Blog | Lien permanent
09/10/2021
83.
Nicolas Grosso est un jeune homme très talentueux autour duquel j'ai tourné, six années durant, sans jamais l'aborder : les choses, toujours, se font naturellement ou ne se font pas. La première vraie discussion que nous avons eue s'est soldée par une vraie curiosité l'un de l'autre, et une chanson écrite pour lui, titre éponyme d'un album qui sortira début 2022, "C'était mieux demain", dont voilà le fabuleux premier extrait :
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08/10/2021
84.
Plus je m'approche de l'échéance, plus j'oublie que les jours s'écoulent et que les notes ne se font pas seules. Mais j'ai une excuse, au moins, un scénario de film haletant, dont je livre ici le dialogue-clé: "au début elle est froide mais après on s'habitue".
21:50 Publié dans Blog | Lien permanent
04/10/2021
88.
Les courriers et jardiniers des salles de théâtre dans lesquelles se produisit Georges Brassens n’eurent guère à se soucier des contraintes techniques liées à ses récitals tant ils étaient basiques. Côté cour, le « bon maître » officiait, pied sur un tabouret ou une chaise selon ce que l’on avait sous la main. Côté jardin, en fond de scène, le contrebassiste donnait le tempo, chuchotait de bons mots entre deux chansons tout en encourageant celui qui avait rendu célèbre l’impasse Florimont, dans laquelle pourtant, il naquit quarante et un jours avant le Sétois un certain 11 septembre 1921. Lui aussi avait un père maçon et adorait Charles Trenet. Lui aussi portait la moustache et bouffait du curé. Il était aussi costaud que « le gros ». Et même s’il œuvra dans son ombre durant près de trente ans, Pierre Nicolas donna ses lettres de noblesse à ce bel instrument chéri par Charlie Mingus ou François Rabbath, au « volume étonnant » et au galbe érotique, auquel il voua un « culte véritable ». Son morceau de bravoure : le sublime coup d’archet issu de sa formation de violoniste qui lui permit d’alterner les graves et les aigus tout au long des Passantes.
Laurent Cachard, dramaturge à ses heures, nous a canonisé la contrebasse dans cet impromptu de haute volée. Ce monologue, dit pour la première fois par l’auteur soi-même sur la scène cabaret du Roquerols, marqua cette année centennale en replaçant sur le devant de la scène celui qui dut se contenter du dos des vedettes durant toute sa carrière. Il eut tout de même quelques satisfactions comme celle d’admirer « l’endroit où le dos ressemble à la lune » des danseuses brésiliennes qu’il accompagnait dans leurs folles sambas au théâtre du Châtelet.
L’auréole qu’a posée Laurent Cachard sur la quatre cordes rêvée des luthiers est sublimée par cette mélancolique élégie finale à la Mi La Ré Sol.
Postface de Bernard Lonjon, Directeur scientifique du Centenaire Brassens, à "Contrebrassensiste", sortie 26.10.2021
13:25 Publié dans Blog | Lien permanent
03/10/2021
89.
C’est l’histoire de quelqu’un qui s’est demandé pourquoi on avait dit de Marie-Pauline P., née en 1863 de parents inconnus, qu’elle était sans doute péripathéticienne quand on l’a pourtant déclarée domestique, en même temps qu’indigente, le jour où l’on a déposé le fils qu’elle venait d’avoir à l’Assistance Publique. C’est l’accoucheuse - Hélène N., qui a mis au monde le jeune Louis-Marius P - qui fait cette déclaration, alors même que Marie-Pauline est employée chez elle, rue Duquesne, dans le 6ème arrondissement de Lyon. Drame bourgeois - bien qu’anticonformiste, puisque Hélène N. et Louis L. n’étaient pas mariés - amours ancillaires? Monsieur L., restaurateur, aurait-il fauté avec la servante, laquelle s’est quand même acquittée de sa tâche en mettant l’enfant au monde, puis en prenant en charge les procédures d’abandon ? Ou Madame N. tenait-elle elle-même une de ces maisons closes dans lesquelles on suivait les filles à qui la contraception avait échappé ? Toujours est-il que le jeune Louis-Marius, après avoir connu trois familles d’accueil, rencontrera un jour Marthe P., qui mettra au monde Edouard, lequel donnera naissance à celui qui cherchera à en savoir plus sur Marie-Pauline. Qui découvrira des choses curieuses, comme le fait qu’elle était l’enfant naturelle de Adèle P., lingère de son état. Que le père, déjà, était inconnu, ce qui en fait deux sur deux générations… Qu’Adèle P. habitait Impasse Monsieur – ce qui ne s’invente pas, toujours dans le 6ème, que cette impasse s’appelle maintenant Impasse Molière. Que Marie-Pauline P. retournera vivre dans le Jura où, alors qu’elle est déjà âgée de 46 ans, un âge respectable à l’époque, elle prendra pour époux un homme de quatorze ans son cadet, sabotier, portant le nom de Marie-Alphonse M. Ce jour-là, le maire, Isidore M., lui attribue la qualité inédite de lingère.… Un mariage qui ne durera que six ans, puisque Marie-Pauline mourra le 24 juin de 1916, en l'absence de son époux vraisemblablement mobilisé. Pour quelles raisons Marie-Pauline s’est-elle réfugiée dans des terres qui désormais abritent vingt-deux habitants du même nom sur une zone restreinte de trois communes ? Que faisait l’homme qui l’a recueillie, était-il veuf, libre-penseur, recueillait-il une de ses anciennes amours au crépuscule d’une dure existence ? Il n’aura évidemment pas d’enfant avec elle, mais la vie qu’ils ont terminé de mener ne sera donc pas restée vaine.
09:06 Publié dans Blog | Lien permanent
02/10/2021
90.
Les éditions l’An Demain, à Sète, se chargeront de la publication de Contrebrassensiste, ce texte que je meurs de trouille d’impatience de vous présenter sur la belle scène du Cabaret du Roquerols, le 26 octobre.
18:05 Publié dans Blog | Lien permanent
30/09/2021
92.
Il faudra que je questionne mon athéisme, déjà mis à mal par la vue, écrivais-je un jour, d'une violoncelliste. Mais là, cette paire de lunettes neuve, réapparue alors même que j'en avais fait le deuil (administratif compris, avec le refus habituel d'une assurance qui n'assure jamais), je suis sûr que c'est un des Dieux de la Grèce antique qui les a fait revenir là où, pourtant, mon regard scrutateur s'était porté trois jours durant.
16:02 Publié dans Blog | Lien permanent