13/10/2021
79.
III -
Ma banquière, désormais, me donne des rendez-vous cinq minutes avant la fermeture de l’agence, quand il n’y a plus, dans la place, que la femme de ménage, elle et moi. Elle vient à ma rencontre, aujourd’hui, elle a de formidables collants couleur chair à gros poids rouges. Un ensemble impeccable, taillé sur ses grandes mesures. Elle me prie de rentrer, je n’en ferais rien, bref, je passe devant, puis je la laisse passer. Il y a entre nous un manège de séduction tel que même la Banque de France ne pourrait pas s’interposer. D’un coup, sa vie devient signifiante, nous déambulons, main dans la main, sur les berges du Rhône, elle est en week-end, pense à une année de disponibilité pour que nous fassions, ensemble, le tour du monde… Monsieur Cachard? MONSIEUR CACHARD? Vous n’avez pas stipulé « lu et approuvé », au recto de votre « clé en mains ».
IV -
Ah, ça, ça a dû lui en boucher un coin, que je demande un rendez-vous pour un prêt immobilier, à ma banquière ! Que je sorte du champ des potaches distrayants au salaire minimal. Mais ça m’a aussi permis de la voir en pleine activité, se remuant les méninges pour m’offrir, comme dans un rêve, le meilleur taux, les remboursements les plus fiables, des perspectives à vingt ans, soit, globalement, le nombre d’années que les gouvernements qui se succèdent vont m’obliger à travailler. En bord de mer. Avec, comme cantine, un écailler qui va me demander si j’en veux six ou douze. Un Picpoul ou un pot, en fonction des cours de l’après-midi. Mais je me perds : ma banquière, Lady Cash-Cash, deuxième femme de ma vie imaginaire, scrute son écran, légèrement penchée, sa robe Courrèges un peu froissée, au niveau de l’épaule. Elle me demande si mes revenus d'écrivain Lettres-Frontière sont pérennes, j’ai envie de lui dire oui, mais quelque chose me dit qu’il est compliqué de mentir à l’établissement bancaire. J’opte pour un Goncourt potentiel, à la moitié de mon temps passé là-bas, quand j’aurai ressorti mon roman-monstre du tiroir, elle sourit, c’est toujours 0,3% de taux gagné. Elle garde le silence, quand je n’ai pas d’inepties à dire, l’espace se remplit de ses clics, puis elle se redresse, et dans un sourire immense, m’énonce la condition sine qua non pour que mon prêt soit validé, dans les meilleures conditions possibles : que je m’engage à ne pas changer d’agence, que je reste avec elle, en somme. Les comptes bancaires sont parfois de vrais comptes de fées.
12:42 Publié dans Blog | Lien permanent
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