28/07/2021
156.
Le principe de la philosophie étant de s’exprimer sur la place publique, à la portée de tous, il y avait des raisons réelles de douter de l’opportunité de la venue de Michel Onfray sur l’esplanade du Roquerols, à l’occasion d’un centenaire Brassens dont on peut regretter – quelles que soient les bonnes volontés – qu’il ne fût pas si populaire que l’aurait certainement voulu le célébré. Le prix des places fixe toujours la sociologie du public, et il y avait de l’ironie (voltairienne) à voir les têtes chenues de l’île singulière venir écouter le remueur d’idées traiter d’un Brassens libertaire. Vite assimilé, dans l’imaginaire collectif, à l’anarchie de droite, qui n’a rien d’économique mais privilégie l’individu et ses valeurs à l’illusion collective. Onfray, en renard des plateaux rompu à la rhétorique, construisant son raisonnement par le langage, commence par la déconstruction, quand Bernard Lonjon met en perspective son œuvre et celle de Brassens, rappelle que La Boétie a 17 ans quand il écrit « le discours sur la servitude volontaire » et assène, déjà, que rien ne restera de ce que lui a fait. Préciosité ? Non, simplement parce que pour comprendre les traces qu’on a laissées, pour décoder les livres, il faut avoir appris à décoder et que ce n’est plus d’actualité : il faut une culture qui n’existe plus, ce sera son credo d’athée post-chrétien. Et le premier Exocet envoyé à Emmanuel Macron, sa cible préférée : il rappelle que le Président actuel a obtenu une maîtrise de philosophie, mais que son directeur de mémoire, Etienne Balibar ne s’en souvenait même plus ! C’est gratuit, mais ça soulage, et c’est le principe d’Onfray, l’exigence permanente qui l’a perdu médiatiquement, parce qu’il met l’appareil médiatique en face de ses manquements culturels, de Léa Salamé à Cyril Hanouna : qui peut décoder, encore, l’ironie de Voltaire, l’intelligence subtile de Montaigne, le politique dans l’œuvre romanesque d’Hugo, questionne-t-il, rappelant que l’école républicaine dont il est issu doit apprendre aux élèves à disposer d’un jugement avant d’apprendre bêtement, mais usant de l’exemple de son père, ouvrier agricole, capable de mémoriser des dizaines de poèmes et de s’en vouloir d’avoir confondu deux auteurs contemporains. Onfray attaque rapidement, use de l’effet-miroir avec son interlocuteur pour le traiter ironiquement de fasciste, de réactionnaire, de vendu à la solde du capital histoire d’évacuer les procès qui lui sont faits pour mieux aborder les thèmes qui lui sont chers, sa Gauche old school et la manifestation de la vérité, via l’Histoire, celle qu’on travaille, pas celle qu’on reçoit toute faite. Il évoque ses émotions d’enfant lorsque, dans une famille où la culture n’existait pas, il entendait Brassens, dans la Citroën paternelle, faire danser la langue française. Se réjouissait d’apprendre de nouveaux mots, vite cherchés dans le dictionnaire, d’entendre l’intelligence s’exprimer dans un genre populaire, abordable. Il insiste sur la distinction entre démocratie et démagogie, la seconde prétendant s’abaisser au niveau des plus faibles quand la première a l’espoir de les élever. Élever un enfant, dit-il, c’est le faire grimper le plus haut possible, dans un pays partagé, à son époque, entre Aragon et Bernanos, les cocos et les cathos. Onfray est de gauche, profondément, et croit en l’éducation populaire : le sale gosse qu’il était (la Mauvaise réputation, c’est mon affaire !) a reçu l’aide et l’enseignement, au sens propre, d’instituteurs, de surgés, lesquels ne l’ont pas jugé quand ils ont compris qu’il ne ferait rien comme les autres. Il rit des syllogismes qui font de lui, parce qu’il ne partage pas le catéchisme bêlant d’une partie de la gauche un homme de droite, donc d’extrême-droite et, après tout, allons-y, un antisémite, un nazi, un ennemi de classe. Il parle de Brassens comme d’un libertaire écrasé par le rouleau compresseur marxiste, lequel marxisme s’est empressé de réduire la gauche libertaire au rang de porteuse de valises : quand Proudhon refuse, parce qu’il a sa propre pensée, de devenir le secrétaire général de Marx, Marx écrit une « Misère de la philosophie » éreintant la « Philosophie de la misère » du premier, rappelle-t-il. Il préfèrera toujours la Commune qui brûle les guillotines à la Révolution française, bourgeoise et contre le peuple, qui les construit. Conchie les Versaillais qui feront des émules, de François Mitterrand à Manuel Valls, jusqu’à l’autre Manu, l’enfant-roi. Ça dézingue, chez Onfray, et ça n’est pas fini : les communistes en prendront pour leur grade, de la dictature du prolétariat qui conduit à mener une partie du prolétariat à l’asservissement de l’autre jusqu’à la relecture de la résistance communiste, effective, puisqu’il faut faire de l’histoire, après la rupture du pacte germano-soviétique, seulement. Avant, les prolétariats français et allemands prônaient la destruction des mêmes ennemis, souvent Juifs ou Francs-Maçons. Et cette crapule d’Aragon émettait l’enthymème suprême, lors du procès Nizan, arguant qu’un écrivain qui écrit sur les traitres ne pouvait être qu’un traitre lui-même. Quelle jubilation d’entendre Onfray sous-entendre que la balle qui a tué l’auteur des Chiens de Garde n’était peut-être pas venue de l’ennemi… Tout à sa quête de défendre la vérité, fût-elle dans le camp adverse, de ne pas confondre la liberté et la licence, il déconstruit aussi le mythe récent de Guy Môquet – qui distribuait des tracts défaitistes visant à convaincre des bienfaits de la collaboration – et refait l’éloge de la pensée libertaire. Cite Camus qui dit que si la vérité était de droite, alors il le serait aussi. Renvoie dos à dos les résistants et les collabos, comme dans « les deux oncles » quand les premiers sont de la dernière heure. Onfray, à trois fois vingt ans – l’âge auquel on voit la vie en noir et blanc, les couleurs arrivant tardivement - a poli son diamant, affiné son trajet : il sait que la pensée libertaire est subtile, passe, comme chez Brassens, par les copains, la guitare, les pâtes et les femmes, sollicite l’horizon indépassable de la Gauche, distingue l’idéal de Mai 68 des larrons de soixante-huitards, pédophiles avérés, fils de bourgeois dont les fils reprendront les places. Les pédagogues qui prônent que la langue est fasciste et ont contribué à son effondrement. Il donne des noms, qu’on connaît tous, se fout de se faire des amis puisqu’il faut faire de l’histoire. Le maître mot de la soirée, finalement. Il a parlé plusieurs fois de son père, comme dans Antoine Bloyé. Résume Proudhon à la belle allégorie de l’aubaine, quand deux-cents hommes ont érigé l’obélisque de la Concorde en une heure alors qu’un homme, en deux cents heures, n’aurait rien pu faire. Les exploitants y ont vu une aubaine, celle de payer chaque homme une heure seulement, en dénaturant la force collective du travail. Il le voit comme ça, le contrat libertaire, dans le couple, au travail, en amitié ou ailleurs : donner à l’autre sans rien attendre, espérer qu’il fasse de même. Ne plus rien solliciter d’une force régalienne, mais prôner le circuit court, la solidarité, l’échange et le don. Défendre tous les patrimoines, quels qu’ils soient. Il préfère Hobbes à Rousseau, mais rappelle que dans le Contrat social, la liberté, c’est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite. Il est aussi enthousiaste et dithyrambique sur la force individuelle qu’il est sombre sur l’avenir des civilisations, en l’absence – définitive – de morale. Dans ce contrat libertaire, qui me parle, il faut être au centre de soi-même, pas par égoïsme, mais en conscience de ce qu’on peut apporter. Le vrai discours que la gauche devrait tenir, et que ses représentants ne tiennent pas. Il s’est passé trois heures, devant le Roquerols, les réactions sont nombreuses, il ne répond pas forcément, revient sur des antiennes, montre les dents (ironie mordante) avec une femme qui n’écoute pas la réponse à la question qu’elle lui a posée. Les bourgeois sétois se sont acoquinés et rentrent chez eux ragaillardis, rajeunis de quarante ans. Ils n’en garderont rien le lendemain, mais ça n’est pas grave : ça n’est que bien longtemps après que la philosophie porte ses fruits, le plus souvent au moment de se demander ce qu’on a réellement fait de sa vie. Le Michel Onfray d’hier s’est demandé comment s’en sortirait le M.O d’il y a 52 ans, aujourd’hui. Sans doute très mal, de son propre aveu. Il n’empêche, par-delà le Bien et le Mal (E.M & M.L.P), c’est un souffle nietzschéen qui s’est posé sur l’esplanade, hier : « la maturité de l’homme, cela veut dire retrouver le sérieux qu’on avait au jeu, étant enfant ».
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27/07/2021
157.
Le syllogisme remplace l’argument, l’illusion de la raison fait la raison, l’interlocuteur est déconsidéré avant même qu’il ait parlé, tout est en place pour l’abrutissement des masses, et l’agonie des amitiés.
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26/07/2021
158.
Chaque année le même rituel: cet ami de 35 ans qui vit au bout du monde depuis longtemps, qui passe me voir tous les étés comme il va voir d’autres de ses proches et que je quitte dans un train, lui poursuivant moi descendant. Avec la même angoisse qui monte au fur et à mesure que la gare approche: que serons-nous devenus dans un an?
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25/07/2021
159.
Le terme de besogneux fit débat, jusqu’à l’étymologie.
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21/07/2021
163.
Mon ami veut me parler d’une auteure française mais comme seuls éléments de recherche dans le moteur idoine, il n’a que jolie femme, écrivain, origine maghrébine (quoiqu’il l’ait nommée Nadia, au départ).
Il en a fallu, des circonvolutions du cerveau, pour (re)trouver Nina Bouraoui.
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19/07/2021
165.
Mon prochain roman sera écrit par une femme.
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18/07/2021
166.
Puisque la mode éditoriale est aux extraits de phrases de chansons, pour masquer l’indigence (plus rien ne s’oppose à la nuit, que nos vies aient l’air d’un film parfait, rien ne t’efface, blah blah blah), je me demande si Travadja la moukère ne serait pas un titre qui pourrait coller à l’air du temps, pour mon prochain roman.
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17/07/2021
167.
C’était bien de voir Joël Favreau, ce soir, dans le cadre du Centenaire Brassens, parce qu’il y a des rendez-vous que l’âge vous impose de ne pas rater. Le sien plus que le mien, en l’occurrence : à 82 ans, eût-il bon pied bon œil, il est possible qu’il ne multiplie pas les tournées pendant des décennies. Et il est quand même le dernier guitariste que Brassens ait eu, le premier à avoir enregistré les chansons que Georges n’a pas eu le temps de chanter. C’est sa légitimité, et sa sidération d’être là, encore, à témoigner d’une époque que tout le monde aurait voulu connaître mais que peu ont vécue. Alors il parle, beaucoup, entre les morceaux, dans la première partie du concert, pas seulement de Brassens mais de l’impact que Brassens a eu sur lui : il s’en excuse, c’est parfois un peu incommodant quand il évoque des aspects de sa vie (amoureuse, principalement), et l’on se sent de temps à autre étranger à ce qu’il raconte, mais on le regarde, il est bon camarade, il a un bon accordéoniste, à ses côtés, et quand il ne parle pas, il chante bien, d’une voix beaucoup plus claire que Georges (plus neutre, aussi), il a fait des arrangements sur des chansons, ne va pas vers le plus simple et c’est déjà bien. À mon regard, il faut attendre « les quatre bacheliers », sublime chanson sur l’amour d’un père qui ne juge pas son fils, même quand il est de la mauvaise herbe. « Les passantes » font leur effet, toujours, mais c’est difficile de vivre ce concert de Bruno Granier, qui ne m’a rien demandé mais que je considère comme le meilleur interprète de Brassens (et voilà comment on se fait 22 millions d’ennemis dans une ville), et qui doit se concentrer sur la Favino que sur la façon de chanter son grand cousin. Il n’empêche, sur les gradins casse-cul du Roquerols, quand on regarde les photos en arrière-plan, on se dit qu’on aimerait bien nous aussi être un petit vieux aussi fringant, et qu’on aimerait aussi pouvoir s’approprier une partie de l’héritage comme il le fait. Et quand les techniciens apportent un écran et qu’on projette la Supplique (Bobino 1966), qu’on revoit Pierre Nicolas à propos duquel je vous réserve une grosse surprise, pour bientôt, et que Joël fait la deuxième guitare, à côté des deux autres, eh bien on se dit que ce qu’on était venu chercher est juste là, dans le creux de la main : et c’est toujours la même chose, un rapport au temps qui se joue, 50 ans qui s’effacent, d’un coup. Pour un centenaire, ça n’est pas rien.
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