25/05/2012
Enten-Eller.
Je ne peux jamais dissocier un pas dans un sens de celui que j’aurais pu faire dans l’autre. Mis bout à bout, il en découle une réelle inaptitude à la normalité, mais une mémoire décuplée. Pensez-donc, j’approche les cent années d’existence, en ne comptant qu’une seule des multiples directions que je n’ai pas prises, mais suivies quand même. Il ne manquerait plus que je n’en fasse rien.
15:13 Publié dans Blog | Lien permanent
24/05/2012
Allez l'orchestre!
J’aurai donc vu- puisqu'il le faut! - Robert Combas tourner en rond en téléphonant, dans la cage de verre sans tain qu’il s’est fait faire au Musée d’Art Contemporain de Lyon. Les six cents œuvres de lui qui y sont exposées. On dira prudemment que je ne suis – à une ou deux toiles près – pas sensible à son talent si ça n’éveillait pas chez moi de vagues accès conspirationnistes, où se mêlent cooptation et supercherie générale. Comme dans d’autres domaines de la culture. Dans ces cas-là, Monsieur, on se laisse dire qu’on a sans doute rien compris, ou qu'on n'est qu'un vieux réactionnaire. On se tait et on laisse faire.
17:00 Publié dans Blog | Lien permanent
23/05/2012
Aux frontières de l'Enfance.
J’avais promis de parler du EP de Denis Lecarme, dont je disais ici à quel point il était rassurant, pour un animiste comme moi, de savoir qu’il y avait toujours quelque part un bout de notre enfance éternelle, fût-elle en train de s’enfoncer dans un marais berrichon. La production de ce petit bout d’album, faite de bric, de broc et des conseils avisés de BobX et de Chocko laisse un peu pantois quant au son final, absolument parfait et équilibré. Les arrangements électro de Fred Dubois, dont j’ai toujours dit le plus grand bien, ses voix en contrepoint sur « Misono », les grattes – puisqu’il en faut – saturées sur les programmations, l’assemblage est étonnant et fonctionne. Laisse quand même la part belle au texte, aux différentes tonalités du « Little Big chief », qui monte un peu en voix de tête, ajoute une pointe de gouaille (« la démocrraatie ») pour balancer ses vérités, sans prétention : juste, « ouais », rappeler ce qui est beau, en « optimiste étourdi ». Quand il chante la « foutue poésie de nos vies », Denis Lecarme se situe à mi-chemin entre la chanson réaliste, mais à peine s’aviserait-on d’y rajouter – forcément - un accordéon larmoyant, le voilà qui fredonne en italien sur fond de distorsion. Il y a plus de variété dans la version disque que dans la configuration concert, c’est le lot malheureux des chanteurs non solvables (emprunté au « Non Solvables Tour » de Guillo, Vitas & Fergessen, on dirait le nom d’une agence de notation). Il faut être super fort dans la chanson pour entrer dans la narration chantée, alterner le récit et l’oralité comme il le fait, et ça marche avec ce super fort grand monsieur, un iconoclaste qui s’est toujours mis là où on n’attendait personne. Entre la vision de sa ville qu’il a de sa fenêtre (et par effet miroir ce qui se passe dans son lit) et son « Fatalitas » amoureux – une fatalité qu’il envoie paître, puisqu’on vous dit qu’il est optimiste – les six petites chansons se succèdent, s’enchaînent, se complètent, filent un discours optimiste, amoureux, érotique, satirique, inversé quand il décrit une société des « moins d’1m » dont les adultes auraient peur (« les enfants sont méchants »). Pour les amateurs d’analogie, on croit entendre un Thiéfaine en voix mâtiné de Frehel qui chanterait du bon Higelin, puis on se rappelle qu’avec tout ce qu’il a fait et tout ce qui lui reste à raconter, Denis Lecarme n’a besoin de personne. Sauf d’autres étourdis qui, pour le coup, n’oublieraient pas de lui donner quelques euros pour avoir chez eux un disque qui ne paraîtra jamais nulle part ailleurs. On parle beaucoup de personnes dont on devrait moins parler, pas assez de celles qui nous apportent un petit bout de quelque chose. Rien ne nous empêche de rééquilibrer ça.
17:56 Publié dans Blog | Lien permanent
22/05/2012
Nawak.
J’aime bien me retrouver dans cet index en compagnie de William Shakespeare. Il me semble que nous pourrions prendre le thé, il me demanderait si mon Emilie n’est pas un peu inspirée de son Ophélie et moi je lui dirais « Quoi ? Pas du tout ! Pour qui me prenez-vous ? », d’un air pincé. Mais nous nous réconcilierions vite en disant du mal d’Aragon, qui n’en peut plus d’être en tête de liste mais dont on a vite perçu, sous ses mots amènes, le côté sournois. Par contre, on a beau faire, mais le Bill, là, il ne comprend rien à rien aux staliniens et aux trotskistes. Un tour au paradis des ouvriers lui ferait le plus grand bien, à mon sens.
18:07 Publié dans Blog | Lien permanent
21/05/2012
D'une postérité fragile et poussiéreuse.
Mon éditeur m'avait dit qu'on l'avait contacté à ce sujet, puis on ne lui a plus rien dit et moi, j'ai pensé qu'on m'avait fait une fausse joie. Oh, à moi, pas tellement, mais à deux personnes que je connais bien, oui, qui verront Gérard passer un petit peu plus encore à la postérité. Celle, bien poussiéreuse, des étagères qui ploient, sous la peine de ceux qui planchent davantage que par le poids des livres. Etre de mon vivant dans un manuel scolaire, même si l'on ne dit rien sur moi (mes éléments biographiques lapidaires ne leur ont-ils pas suffi?), voilà qui me fait drôle. Beaucoup plus que quand je cherche moi-même à répondre aux questions qui sont posées. Bonne chance, les enfants! Et dites à votre prof que je suis disponible, plus que Louis-Ferdinand Céline, pour venir vous rencontrer et mettre un peu de sel dans les cardons. J'écris sans doute moins bien que lui, mais je suis plus fréquentable.
"Fenêtres ouvertes", Manuel unique classe de 3ème, Bordas, 2012.
19:07 Publié dans Blog | Lien permanent
20/05/2012
Bilan.
Quand je serai à jour de tout ce qui me reste à faire, il fera sans doute nuit.
19:12 Publié dans Blog | Lien permanent
19/05/2012
Antoine Bloyé.
Je cherche, pour Nicolas Blondeau, le fichier - que j'espère avoir sauvegardé - de ma maîtrise de Lettres sur la figure du traitre dans l'oeuvre romanesque de Paul Nizan. Il est en train de lire la biographie qu'Yes Buin vient de lui consacrer. Ce fichier, je ne le trouve plus. Par contre, l'idée de faire d'Anton Alexinovitch Kreit une personne qui se demande si elle n'a pas trahi sa cause en progressant socialement, je la garde précieusement.
17:46 Publié dans Blog | Lien permanent
18/05/2012
Au Colophon des routes (4/4).
La seconde d’avant qu’on vous nomme dure une éternité. Pas par coquetterie ni par goût du suspens, puisqu’il n’y en avait pas. Pas pour ça, non, pour tout un tas d’autres raisons qui font qu’un auteur avec mon parcours arrête un peu plus l’instant au cours duquel, publiquement, on reconnaît son travail. Il se trouve qu’à Grignan, les choses s’arrangent pour être bien faites : en l’absence de la Présidente du Jury, Chantal, la libraire, chargée d’annoncer le nom du lauréat, ne l’a pas fait elle-même mais par le biais d’une lettre que Laurence Tardieu m’a écrite. C’est donc à l’énoncé de l’adresse (Cher Laurent Cachard) que le public a su que c’était à « la partie de cache-cache » que revenaient les honneurs. Dérisoires, certes, mais c’est le lot des honneurs, justement. A cet instant précis, et au son des applaudissements nourris, j’ai été en impesanteur, un moment. Touché. Atteint. Ça y était, ce dont je n’avais jusque là qu’une vision indistincte arrivait vraiment, et cette conscience-là, pour une fois, ne me donnait pas la nausée. J’étais à la fois dans l’instant et dans celui qui allait suivre, puisque j’étais venu dire quelque chose à tous ceux qui m’avaient reçu, et nommé. L’instant se prolongeait puisqu’après les bravos, il fallait bien la lire, cette lettre de Laurence Tardieu. Qui me remerciait de mon livre – ce qu’on n’ose pas toujours faire – de cette introspection dans l’enfance qui n’en est plus vraiment une. Qui me souhaitait bon vent dans mon parcours d’écriture, en me disant de me perdre – mais pas trop – et en espérant que des fées se penchent un peu sur mon chemin. Sans savoir que la première de ces fées, c’était elle. Je restais de marbre, à l’écoute de ces mots-là mais tout en moi bourdonnait. Le souvenir difficile de l’écriture du roman. Son abandon, irrévocable. La délivrance de l’avoir terminé et d’avoir écrit ce que je voulais écrire. Le travail pointilleux avec Claude Raisky, qui ne m’a jamais caché ne pas beaucoup aimer le livre, mais qui l’a édité quand même. Et à qui les amis de Colophon ont donné raison, au bout du compte. A moins que ce ne fût à moi, qu’ils l’aient fait. La bibliographie d’un écrivain se fait de toutes petites touches, par pointillisme. Je savais qu’après « Tébessa, 1956 » et l’émotion qu’il a suscitée, « la partie de cache-cache » allait m’identifier, à mon petit niveau de diffusion, comme un métaphysicien, un aventurier des tréfonds. Un iconoclaste dérangeant, qui met le doigt, souvent, là où ça fait mal. Je n’ai aucune préférence pour un de mes trois enfants de papier, même si Emilie, pour d’autres raisons, me ramène à ma permanence. Ils sont tous les trois les différences facettes d’une même personnalité, pas forcément la mienne, mais celle, aussi, de ceux qui ne veulent pas s’en rappeler. On m’applaudit à Grignan et je me revois dans le train qui me mène à Yverdon, pour une rencontre Lettres-Frontière. Dans la médiathèque même où Chessex, quelques mois plus tôt, était mort d’une crise cardiaque, provoquée par un membre du public qui l’avait pris à partie. Dans ce train bleu, je mettais une touche que j’imaginais finale au manuscrit, sans savoir que j’aurais, maintes fois, tout à reprendre. Le soir, à Yverdon, j’avais lu l’incipit, le « ils ne me trouveront pas », le chapitre qui suivait. Je prenais rendez-vous, dans l’insouciance. Trois ans après, alors que je le pensais oublié, je vivais à Grignan les émotions qu’un roman qu’il a écrit ne suscite pas chez son auteur. Il faut être lecteur pour être pris par un livre. Je les vivais en filigrane, via les réactions, les sourires des gens présents. Qui avaient eu le temps, en une journée et demie, de s’habituer à moi. De me trouver plus normal que ce qu’ils avaient imaginé. Il fallait que je leur parle, juste avant qu’on reprenne les agapes et qu’on termine le week-end par le café littéraire qui m’était consacré. Que je leur dise que là aussi, je prenais rendez-vous : qu’il ne sert à rien, je le répète, d’élire pour oublier ensuite. Que les « petits » auteurs ont besoin qu’on les diffuse quand ils le sont mal. Qu’on ne prête pas leurs livres mais qu’on les offre, qu’on en commande deux, pas un : un pour soi, un pour offrir. Un tout annoté, comme l’exemplaire de Christelle Guy-Breton, et un vierge, dont on peut encore imaginer, au titre et à la couverture magnifique de Jean Frémiot, qu’un tel titre cache forcément de beaux souvenirs d’enfance. De ceux dont on voudrait que la vie elle soit faite, pour reprendre l’anacoluthe repérée par mon incollable lectrice. Je prends des rendez-vous, ce n’est pas ma faute : quand on attend un instant pareil, annoncé depuis de longs mois, on peut en ressentir la quintessence tout en en appréhendant le lendemain, le retour. L’intensité est un moteur dans l’existence, c’est un poison aussi, dont on ne se remet jamais. Alors il faut que les instants se vivent deux fois. Même s’il n’y aura jamais qu’un seul deuxième roman dans la vie d’un écrivain. Ça ne fait rien : pour ressentir les émotions que j’y ai vécues, dans la lignée de ma mécanique des places, je reviendrai à Grignan. A Colophon. Dans l’atelier de Philippe. J’y reviendrai en invité, ou je m’inviterai moi, à l’ombre des acacias. Savourant un sirop en dévorant un livre. Scrutant du coin de l’œil la réaction d’un auteur, qu’on soumet à son tour à la question. Je me remémorerai les visages que j’y ai croisés ces deux jours, les connus, les inconnus, les proches, ceux qui le resteront, ceux qui ne le seront peut-être plus. Ainsi va la vie : son cours n’est pas étale, et je mène ma barque comme je peux. Mais ces petits îlots de temps n’ont pas de prix : ils valident – et le mot m’importe – les choix que j’ai faits. Les fondent dans l’étain et les mettent sous presse.
17:58 Publié dans Blog | Lien permanent