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30/11/2010

Bonne Espérance - Décodages

Photo 19.jpgDans « Bonne Espérance », en dehors de l’analepse initiale qui fait que le protagoniste du même nom est revenu d’un royaume des morts tels qu’on les figurait dans les mythologies celtes, il y a un éternel retour, du « Happy End » au « Happy Ending », avec une issue empreinte d’une lueur dont il faudrait demander à Pétrier s’il s’agit de la finitude réelle des choses ou d’une allégorie proche de la Caverne. Bonne-Espérance est revenu de nulle part chercher sa sœur Thelma, qu’il aime infiniment, depuis l’enfance, depuis les pactes qu’ils ont passés derrière le mur. Il s’en est échappé, de l’Autre-monde : revenu des enfers, il a parcouru les mers dans des bateaux de fortune et de brigands, cherché l’Arcadie, évité le monstre qui a emporté le frère qu’ils ont eu et qui revient solliciter leur mémoire par bribes de choses déjà vécues et enfouies. La réminiscence, dans « la Tempête » est apocalyptique et amoureuse, ce qui revient au même ici puisqu’on touche à des amours incestueuses. Bonne Espérance revenant habiterait donc deux identités, la sienne propre et celle d’un double qui le déterminerait dans ses choix et dans ceux qu’il compte faire. Déjà mort, il ne peut que survivre à l’opprobre qui s’annonce dans le village de la campagne écossaise qui leur a déjà coûté un père, qui n’est pas resté, et une partie de leur mère, dont la raison n’a pas survécu. Il ne peut que survivre et renaître en ne poursuivant qu’une seule quête : arracher Thelma des griffes de l’homme qui l’a épousée et qui ne se déteste de l’avoir battue qu’une fois qu’il l’a battue. S’extraire également du mariage qu’il a lui-même contracté avec Maureen Mc Kenzie, diaphane et fataliste, qui n’a comme tort que celui de n’être pas celle que Bonne-Espérance avait déjà choisie dans une vie antérieure et qu’il serre dans ses bras le jour de leur mariage. Maureen qui monte sur le toit, entend les bruits de fêtes de ses propres noces et qui sait qu’elles ne sont que de façade, qu’elles ne comptent que pour cette vie, et encore.

Bonne-Esp’ est porté, en plus de son propre dédoublement, par les esprits du frère disparu, qui le fait revenir de toutes les vies qu’il a vécues et perdues, l’autorise à fréquenter Edgar Poe dans une taverne interlope, entre autres. Les temps des verbes sont à explorer : l’imparfait désigne la vie d’avant,  l’ambition avortée de marcher sur Rome, le futur simple celle d’après. Tautologie ? Sauf que la vie de Bonne Esp’ se dédouble de celle qui le meut et qui n’est pas la sienne : celle qui fait qu’il se réveille deux, dans une confrontation permanente avec le fantôme qu’il porte. Et que c’est dans la vie d’avant, révolue, que Bonne-Espérance devra chercher sa libération, fût-ce par la mort. Laquelle n’est rien pour qui l’a déjà vécue, puisqu’elle signifie la fin de la damnation. Le théorème des amours qui se perdent, qu’il s’acharne à résoudre est éloquent à ce titre : c’est un monde parallèle qu’il voit s’incarner devant lui, empli de gens qu’il ne comprend pas, d’autres qui lui sont hostiles, comme les cousins d’Inverness (la cohorte) qui savent qu’il vaudrait mieux éliminer le problème à la source pour que les secrets ne soient pas éventés. Ils retiennent sa sœur, qu’il voit lui parler sans entendre ce qu’elle dit. Lui fête les divorçailles de Thelma le jour même de la cérémonie : c’est l’amalgame des temps superposés et l’imminence de sa fin réelle. Il n’a qu’un temps restreint pour sortir Thelma de son autre monde à elle et l’emmener dans le sien. Dans les récits de chevalerie, on trouve de ces prouesses irrationnelles, les fleuves qu’il faut retraverser avant l’échéance sous peine de rester enfermé à jamais dans ce monde-là et d’y dépérir en ayant échoué : Edinburgh est dans la Brocéliande et Holyrood Park – qui n’est donc pas allégorique ! – pourrait être le val de non retour de la fée Morgane. Maureen n’est pas choisie, mais n’a pas la possibilité, par exemple, de sortir de ce monde auquel elle appartient : pour elle, pas de salut, ni dans la mort (le suicide) ni dans la vie. Bonne Esp’ l’a aimée dans cette réalité-là, mais l’amour qu’il lui a porté ne peut égaler celui qu’il porte à Thelma puisque celui-ci est à la fois intemporel et source de leur pérennité. L’a-temporalité de Bonne Esp’, dont la naissance même côtoie la mort en la surmontant, est un postulat du récit qu’a imaginé Pétrier : il est l’esprit errant condamné à errer entre deux mondes en en portant les malédictions antérieures. Son essence n’est pas maléfique, pourtant on le pourchasse : les mortels, d’un côté, veulent l’empêcher d’atteindre son idéal, le priver de son immortalité ;  de l’autre, il y a le Each Uisge, esprit maléfique des Lochs d’Ecosse qui leur défend toute sortie. Entre les deux, le grand mur, comme l’orée du bois et le petit ru des récits arthuriens. La geste pétrienne est sybilinne, le labyrinthe multiple, jusqu’à la confrontation finale avec ce monstre qui incarne tout ce qui les empêche de revenir en arrière et retrouver le temps parallèle dans lequel ils ne sont rien d’autre que des amants qui vont se marier. Dans un de ces futurs simples de l’indicatif du Pétrier.

On ne sort pas de « Bonne-Espérance » avec les réponses aux questions qu’on se pose en l’écoutant et heureusement : c’est ce qui en fait la force. Il n’y a pas de salut non plus pour les deux personnages, mais Bonne-Espérance lui-même ne s’en offusque pas, une fois la tempête (onirique ?) passée, la mer reprise, dans une autre vie, encore, dans laquelle ils vivront jusqu’à ce que la cohorte (de la morale, du moyen-terme ?) les retrouve et les pourchasse encore. Les damnés de la mer en périple infini, qui se recréent un monde dont les nuits sont étoilées (« alleeeeeeeeeez ! ») et dans lequel la seule règle qu’ils se sont toujours fixée est de ne jamais se lâcher la main. Il faudrait reparler des influences, des images qu’on retrouve empruntées à tel ou tel ouvrage, tel ou tel film dans la narration de cet album remarquable, qu’il faudrait retrouver sur grand écran. A la condition expresse qu’on en confie la réalisation à Pétrier : pour qu’on n’y comprenne pas grand chose de plus que ce qu’on en a  déjà saisi en nous.

http://www.levoyagedenoz.com/index.html

http://www.bonne-esperance-the-story.fr/

 

21:08 Publié dans Blog | Lien permanent

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