30/09/2019
Lost in the mists of time (1/2).
C’est le moment que j’attendais et appréhendais le plus : quand j’ai poussé la lourde porte coupe-feu de la salle de concert de la MJC Ô Totem, à Rillieux, quand, après les salutations d’usage des gens croisés dans l’entrée – qui s’affairaient au marchandisage – j’ai fait la jonction entre ces deux époques tant évoquées, ces derniers jours. Ainsi, trente années de nos vies respectives étaient rattrapées et, pour la première fois – si j’excepte la répétition publique du théâtre de la Mi-Graine, le 22 février 1987 – j’entrai dans l’intimité du groupe en accédant aux balances, fort de mon joli badge backstage aux couleurs des deux groupes, et des deux K7 de l’époque. Les balances – je l’ai suffisamment vécu avec Fergessen - c’est le moment où le trac se transforme en langage codé avec l’ingénieur du son, jusqu’au filage de l’entrée du premier morceau. Je me cale contre le mur du fond, je fais tout pour qu’on ne me remarque pas, mais Muriel m’a vu entrer, me salue, JJ aussi, de ses baguettes croisées. C’est maintenant, ou l’avant-maintenant, je ne sais plus. Je sors d’une bonne heure et demie dans une librairie blindée, à raconter l’histoire d’Aurelia via les questions de Romain, j’ai retrouvé, comme à chaque passage à Lyon des visages amis et bienveillants, l’émotion m’a rattrapé une première fois quand les gros livres rouges ont défilé sur ma table, pour que je les signe et que leurs nouveaux propriétaires partent avec, s’emparent de son histoire. Ce week-end ouvrait à Lyon une faille spatio-temporelle forte, et la rencontre au Tramway n’y a pas manqué. J’ai eu le temps de voir mon fils acheter un livre et s’en aller sans mot dire (je l’ai retrouvé le lendemain, pas de panique), sa cousine me dire qu’elle avait mis la jupe qu’Aurelia. J’ai vu un copain de basket – qui fait lire mes livres par sa femme – s’arrêter devant Thierry Mortamais, immense comédien venu en ami et lui dire qu’ils avaient joué au foot ensemble à Chasselay il y a à peu près quarante-cinq ans. J’ai vu Olga, personnage du roman, entrer dans la librairie sous les traits de Véronique, l’historienne à l’origine du projet, mais pas à sa conclusion. Christian Chavassieux, aussi discret dans l'assemblée qu'essentiel à la réalisation du roman, j'y reviendrai. Des amis, des ex-amants, des curieux, mais pas suffisamment de livres pour tout le monde ! Les 35 exemplaires commandés sont écoulés, ceux qui pourront l’acheter le soir le rétrocèdent à ceux qui ne seront pas du concert, un exemplaire non dédicacé pourrait se vendre sur Ebay au même titre que les places introuvables du Totem. Sur la place, je retrouve des petites grappes de personnes après ma longue séance de dédicaces, c’est drôle de voir des livres rouges sur les tables. C’est le moment où l’on voudrait retrouver une normalité, mais on est encore un peu au centre des débats ; d’autant qu’il ne faut pas traîner, monter vivre le deuxième acte d’une journée folle. Le matin, je confiai à Gaële qui m’interviewait pour Lyondemain.fr* que ma carrière d’écrivain ne m’avait pas mené à une distribution folle de mes œuvres –pérenne, tout de même – mais qu’elle m’avait mené au Bordas pour Tébessa, à Grignan pour « cache-cache », à la Moutète avec Alain Larrouquis et au cœur d’un groupe que j’ai tant aimé pour mon petit dernier. Mon frère, dans sa ville, me conduit au Totem, sur l’esplanade, c’est Xavier Desprat et les techos que je vois en premier, comme un continuum. Je rentre, d’office, on me tend ce badge VIP pour lequel, il y a trente ans, j’aurais pu tuer (des gens que je n’aime pas, hein !). L’espace de vente est très étroit, déjà occupé, pas adapté du tout aux livres que l’éditeur a apportés. On se placera dans un premier temps debout, sur une banque en face, mais l’étroitesse du lieu, la file d’attente du bar nous ramèneront vite, en deuxième période, entre les disques de Simplex Records et les t-shirts d’une héroïne qui n’est plus la mienne, plus tout à fait la leur à eux seuls. On salue les mêmes têtes, Eric Martin, qui a produit tout ça, Stéphane Pétrier et Christophe Simplex presqu’un an après un bon repas pour aborder la question. Au bout du couloir, la salle de concert. J’ai retardé l’instant, mais je sais qu’il faut y aller, maintenant, que c’est l’heure de la jonction. Dans le sas, on n’entend quasiment que les frappes de caisse claire de JJ. Une respiration, et je pousse la lourde porte coupe-feu.
* le son en ligne dans les prochains jours, entre deux retours.
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29/09/2019
Retours d'Aurelia.
Exceptionnellement, il n'y aura pas de note dès ce soir sur la journée incroyable d'hier: je me garde le privilège de nourrir un peu ces souvenirs immédiats. Mais c'était évidemment sublime, peut-être plus encore. J'y reviendrai. Place à la première critique reçue d'Aurelia. Jocelyne est une ancienne journaliste, elle est auteure et vit à Sète, désormais. C'est elle qui m'interrogera à la Nouvelle Librairie Sétoise le mardi 29 octobre. Et ce sont ses mots, livrés tels quels :
Avec la parution d’« Aurelia Kreit », l’écrivain Laurent Cachard signe son 18e ouvrage tous genres confondus.
Son « roman russe », comme il l’appelle, relate par le biais d’un narrateur omniscient la fuite d’Ukraine de deux couples de juifs et de leurs enfants à travers l’Europe de l’aube du XXe siècle jusqu’au début de la Première Guerre mondiale. Des bords du Dniepr à Lyon, et même Saint-Étienne, en passant par Constantinople, Vienne et Paris. Pour connaître la genèse de ce roman que l’auteur a mis dix ans à écrire, il faut se tourner vers le groupe mythique de musique « new-cold wave » de la scène lyonnaise des années 1980 : Aurelia Kreit, la vie de l’héroïne éponyme composait alors le répertoire du groupe éponyme.
Plusieurs niveaux de lecture pour ce pavé de 430 pages. L’épopée romanesque d’abord. Et là, on est face à un véritable « page turner » avec, en particulier, des portraits de femmes tout en nuances qui déclenchent une émotion intense. L’ histoire est bien construite, on y adhère du début à la fin.
Au-delà, on côtoie le développement de la sidérurgie, la question de l’identité ukrainienne et celle de la judéité et on assiste aux premiers pas de la psychanalyse. Çà et là en cours de lecture, on relève aussi quelques références littéraires, essentiellement nizaniennes, privilège de l’auteur qui sème ainsi dans chacun de ses romans.
L’ouvrage n’a pas prétention à être historique, toutefois la grande Histoire est en toile de fond : les pogroms dans ces villes où les anciens serfs ukrainiens étaient venus chercher du travail dans des manufactures à la pointe souvent dirigées par des juifs. L’incapacité ou la réticence des autorités russes à contrôler la violence des cosaques ou des civils. La lutte entre mencheviks et bolcheviks, l’émergence du sionisme politique, les innovations industrielles... tout y est jusqu’à la déclaration de cette guerre qui devait durer quelques semaines et qui ensanglanta le monde pendant quatre ans.
Un seul bémol pour ma part : la partie consacrée à Constantinople traitée presque en totalité en analepse à partir du séjour à Vienne m’a laissée sur ma faim…
« Aurelia Kreit », éditions du Réalgar, est disponible dès le 28 septembre en librairie.
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28/09/2019
Le roman d'Aurelia (89-19 15/15)
Aurelia Kreit, 115 ans, égérie de l’Ukrainité, revient ce soir sur scène, sur disque et en roman.
RENAISSANCES D’AURELIA
Elle n’était pas censée revenir quand ses cinq fondateurs, lassés sans doute des vicissitudes de la scène, ont décidé d’en finir, il y a trente ans. Ont quitté la vie d’un groupe qui a marqué le milieu musical lyonnais par sa singularité et, disons-le, son violon. La culture classique des deux de ses membres, qui équilibre la cold-new wave, Mahler et Joy Division, diront-ils en interview. Ils ont été sélectionnés pour représenter la France à la Biennale de Barcelone, ont ouvert – à la Bourse du Travail – pour le dernier groupe autorisé à sortir de l’URSS. Des repères qui datent, forcément, mais moins, encore, que la date et le contexte de sa naissance, en Ukraine, aka la Petite Russie, juste avant la première Révolution, quand le siècle, le sien, avait quatre ans (si on ne compte pas les intervalles, comme Hugo). C’est que nous révèle sa biographie retrouvée, à Aurelia, ce document que les membres du groupe évoquaient en rencontre, au forum de la FNAC, par exemple, quand ils étaient venus présenter la K7 rouge, dont personne n’aurait imaginé, à l’époque, qu’elle serait, trente ans durant, le seul témoignage musical de ce groupe qui a compté. Dans ce dépliant, il est dit qu’elle meurt à Lyon, à 17 ans, après avoir traversé l’Europe à la recherche de son père. Personne ne savait non plus qu’un fan du groupe croirait tellement à cette histoire qu’il se jurerait de l’écrire, fût-ce différemment. Qu’il devrait pour cela entreprendre une étude historique, politique, culturelle et industrielle d’un pays dont il ne connaissait rien. Aucun lien, de fait, avec le romantisme de la petite héroïne, réelle ou (déjà) fictive, peu importe. Aurelia Kreit, son journal intime, son cœur en croix, la photo datée de 1917 (nom du 1er groupe), tout cela, à commencer par elle, ne pouvait pas mourir. Alors, en pleine ascension littéraire, convaincu que rien ne saurait lui résister, l’écrivain s’y est collé, a lancé son histoire russe sur la grande table d’une maison de campagne à St André-sur-Vieux-Jonc. En 2011… Il faudra huit ans, autant de versions, de chutes et de remontées à cheval pour que le travail soit complet. Parce que raconter une histoire n’est rien, quand elle ne s’ancre pas dans l’Histoire elle-même : celle de la judéité, de la misère, d’un siècle qui bascule déjà. Anton et Nikolaï n’ont pas d’autre solution, pour sauver leur peau et leurs familles respectives, que de fuir les pogroms qui approchent, la haine du Juif qui revient. Nikolaï, cet ingénieur qui a vécu à Paris, qui est revenu sur ses terres, à Iekaterinoslav, sur les conseils de son beau-père ambassadeur, qui voit d’un bon œil les investissements (français, anglais, belges) dans le secteur florissant de la sidérurgie. Ils vont la fuir à deux familles, cette Ukraine que la Grande Sœur voisine ne reconnaît pas comme telle, traverser l’Europe via Constantinople, la Vienne florissante de 1910, Paris, Lyon… Vont passer de la clandestinité à l’apatrie, puis à la nationalité autrichienne, au plus mauvais moment. Ils vont connaître les horreurs d’un monde qui vacille. Aurelia, elle, n’a que quatre ans quand l’épopée se dessine, n’a pas voix au chapitre, mais c’est pour elle qu’ils s’en vont : pour qu’elle ait la chance de vivre, et, qui sait, de revenir. Dans le roman-fleuve, elle est l’infans puis l’égérie, subit les traumatismes puis les combat. On suit l’attelage, les pertes fatales, les défections, les cœurs en croix, on passe – en trois parties, autant d’ellipses – de la fuite à la vie en exil, jusqu’aux Cités du textile à Lyon, la Manufacture d’armes à St Etienne. Il est question de destins, de trahisons – des êtres, des classes – avec, en filigrane, l’inexplicable âme slave, la forme russe de mélancolie, ou de mélancolie russe, on ne le sait pas non plus. Il est surtout question de maintenir en vie une héroïne, quitte à la raviver trente ans plus tard. En grandes pompes, au Totem de Rillieux ce soir, puisque Aurelia Kreit, le groupe, et Aurelia Kreit, le roman, se rencontreront enfin. L’un dix ans après le projet, l’autre trois fois plus. Trente ans après avoir posé le violon, le reprendre et affronter la scène, la mémoire, l’arthrose. Mais voir enfin, comme la gémellité que traite le livre, deux nouveau-nés, puisque Simplex Records, pour l’occasion, édite « Artifical Dream », vinyle flamboyant – rouge, évidemment – compilation de dix titres d’AK, dont les inoubliables « Cœur en croix » et « Jardin d’Ellington », ces morceaux dont on se passait les versions pirates sous le manteau après avoir vérifié que l’impétrant valait le coup. Ils retrouvent ce soir, sur la scène, un groupe qui leur a succédé, dans le genre et dans la place, qui, lui, ne l’a jamais quittée : ça fait 30 ans et des poussières, maintenant, que le Voyage de Noz écume les salles de Lyon et alentours, 30 ans que leur premier CD – un support qu’AK n’aura jamais connu – « Opéra », est sorti, avec comme titre marquant, entre autres, une certaine… « Aurelia ». Eux aussi verront leur K7 bleue ressusciter sous forme de vinyle de la même couleur et peut-être, 30 ans après, leur chanteur viendra-t-il, une fois encore, faire les chœurs dans ce groupe qu’il a lui-même tant admiré. Après 440 pages d’un roman dense, c’est curieux de s’arrêter sur l’adjectif qui orne l’affiche : unique. Quoi, l’événement, le concert ? Les retrouvailles (ah, non, ça ne marche pas) ? Gamine, l’année dernière, s’est retrouvé 30 ans après pour une série de concerts, s’est re-fâché dans la foulée. Peu de chances que ça arrive pour les membres d’Aurelia, quittés bons amis et rentrés au bercail tels quels, mais peu enclins, la cinquantaine passée, d’aller au-delà de l’événement. Pas un simple coup d’un soir non plus : qui peut prétendre pallier, en une soirée, trente ans d’absence avec un concert, un vinyle et un pavé sous le bras, en repartant ? Il y a l’appréhension proustienne du moment qu’on préfère repousser jusqu’à l’extrême limite parce qu’on en devine déjà les saveurs de l’après. C’est un des thèmes centraux du roman, également, la somme des péripéties heureuses, la chance qu'on sollicite et qui répond, à chaque fois, jusqu'à la fin, au moment où elle présente la note. Une addition que la soirée va largement adoucir : l’avantage des personnages auxquels on s’attache, c’est qu’on continue de les faire vivre même quand l’histoire est terminée. C’est ce qui s’est passé pour Aurelia il y a trente ans, à une époque où, là aussi, le monde changeait, Rostropovitch au pied du Mur. Il y a l’idée de la somme, qui effraie un peu, mais il y a surtout un souffle, une fresque. « Des thèmes rares, dit quelqu’un qui l’a surveillé longtemps, ce roman, un vrai atout. Comme l'histoire de la résistance juive en Europe à cette époque, les groupes de défense qui se constituent. » Et, rajoute-t-il, « de nombreux passages émouvants, quand la nostalgie gagne les personnages, dans les méditations, les pensées, les questionnements. » Il est aussi question d’une allégorie finale – un jeune garçon, une colombe et une île déserte – censée incarner la psyché et la résistance d’un pays et d’une culture. Tout ce qu’Aurelia aura mis trente ans à ramener, pas à pas. Esther Rochant
Rendez-vous à 14h30, aujourd'hui, à la Librairie du Tramway (Lyon 3e).
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27/09/2019
Le roman d'Aurelia (89-19 14/15)
Et si Aurelia Kreit avait paru en 89, dans la foulée de la séparation du groupe ? Après tout, je me souviens avoir proposé à mon ami Vincent, dans la foulée du concert de Limonest, la veille de mon 18ème anniversaire, de faire un livre sur le groupe, lui à la photo, moi (déjà) aux textes. Une façon d’approcher le groupe, de m’en approprier une partie, j’imagine. Je n’ose imaginer ce qu’aurait pu donner une écriture de fan contrarié, mais j’ai suffisamment, dans mes tiroirs, de vieux manuscrits pour les remercier aujourd’hui d’avoir attendu trente-trois ans pour que le livre sorte… Il n’empêche, en 1989, on se serait demandé qui était le blanc-bec qui a osé poser des mots sur les leurs, on se serait moqué de son statut militaire (civil mais inavouable), de l’échec de ses études, les amis de l’école Victor Basch – je faisais la cantine et la garderie en maternelle, si, si - seraient venus par solidarité, Estève, avec qui je m’apprêtais à emménager, aurait eu la même présence discrète qu’elle aura samedi, mon père aurait sans doute trouvé une excuse pour ne pas venir (et une occasion pour me parler ensuite de mon vrai boulot), ma grand-mère m’aurait félicité en roulant les r de son accent chantant, la Clo-Clo n’aurait rien dit mais pas moins pensé ; les copains de la Persévérante auraient mis l’ambiance, je n’aurais pas osé aborder Stéphane Pétrier(j’ai attendu encore vingt ans), Christophe Simplex ne serait pas venu pour ne pas se trouver sur le territoire de Serge. On m’aurait demandé – était-ce Anne, déjà, à la librairie du Tramway, existait-elle, d’ailleurs, cette librairie, en 1989 – pourquoi ce choix, j’aurais répondu pour l’héroïne mais en vrai, je le concède, je n’aurais pas eu grand chose à dire. J’aurais dû situer (j’exagère) l’Ukraine sur la carte, répondre à des questions sur les soubresauts de l’époque, l’occasion en or, pour le pays, de s’émanciper de la tutelle de son écrasante aînée. Une goutte de sueur aurait perlé de mes tempes quand je me serais rendu compte qu’on écrit, sur des sujets pareils, qu’en dépassant une connaissance. Pas sûr que malgré mes appels silencieux, le groupe me serait venu en aide : pas leur rôle. Il faut se défaire de ses idoles pour en apprécier la portée réelle, je sais ça depuis longtemps. Mais j’aurais espéré, aussi, que Laurence Gonguet et Dominique Serrière viennent me voir en rencontre, même si je sais que seule Dominique serait venue. Peut-être aurais-je eu droit à une version acoustique de quelques chansons, trente ans avant qu’on y joue les miennes, dans cette librairie ? Au début de cette idée folle, de ce projet insensé, j’avais imaginé que le chanteur des Noz interprète, pour m’accompagner, un ou deux titres des Kreit, comme il les appelle. Parce que les avoir eux, au complet, était sans doute un rêve trop grand. Je l’aurais bien vu reprendre les jardins d’Ellington, comme à l’INSA, a capella, qui sait ?
Qui étais-je en 1989 que j’ai réussi à ne pas trahir trente ans après ? Ça n’est pas une question que Romain s’aventurera à me poser samedi, parce qu’on n’en aurait pas terminé… On avance tous avec nos paires d’accidents (phénoménologiques), dans nos vies chaotiques. Mais il y a parfois de ces failles spatio-temporelles, créées par l’intensité qu’on recherche en permanence, qui nous permettent, même si personne n’est dupe, de recoller avec celui qu’on était. C’est inestimable ; de quoi en reprendre pour trente ans : perpétuité dans l’émotion, avec peine de sûreté.
La photo est du jour, elle est signée Bougnat. Dix ans d'édition sur table, et dans la vitrine du Tramway.
Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.
Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz). Mais ne vous fatiguez pas, c'est complet.
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26/09/2019
Le roman d'Aurelia (89-19 13/15)
Les lecteurs les plus pugnaces auront fait le lien d’eux-mêmes : si l’histoire d’AK est née de l’imagination d’une bande de jeunes qui en ont déduit une matière créatrice, s’ils l’ont exploitée en chanson mais si rien de tout cela n’est vrai ou vérifié, si le mythe qui s’est créé n’a de source que l’élan qu’ils lui ont donné, alors, me serine-t-on gentiment à longueur de journée, jusqu’à ce que ces notes se terminent : mais qui est la petite fille, alors, sur la photo de couverture ? « L’image qu’il s’accordait, c’était Aurelia devenue grande, huit, dix ans, droite devant une table fleurie, cheveux de jais longs jusqu’aux coudes, robe côtelée noire et chemise à fleurs fines, fixant l’objectif de ses grands yeux sombres. Cette image, Anton la tenait d’un cliché – rare – de sa mère, mais quand son esprit s’abandonnait, c’est Aurelia qu’il voyait comme ça. Où cela se situerait-il ? Les fleurs sur la table, le confort d’un mobilier bourgeois, tout prouvait qu’ils réussiraient, Aurelia étant à la fois le risque majeur qu’ils prenaient et l’obligation qu’ils avaient de réussir. » dit le roman, qui retrouve la photographie par le jeu des époques superposées, jusqu’à l’avenir qu’on devine. Le cliché initial la voit en pied, il y a une date : 1917. « Aurelia Kreit » s’achève en 1914, il fallait donc mentir, ou, du moins, arranger la réalité : l’écriture est aussi une affaire de faussaire. La photo a été retouchée, la date effacée et les pieds de la jeune fille, ses chausses solides, qui ont pourtant un temps fait figure de rappel dans la partie supérieure, n’ont pas survécu au choix final, contraint par la définition d’une image dont l’original a disparu, depuis bien longtemps… Alors, qui est cette jeune fille sur la photo ? La question est aussi vaine que légitime : elle revient à demander à l’alchimiste si sa recherche de la panacée avance. Et puis quoi ? Ce serait Rosemary la téléphoniste ou la grand-mère d’un surgé du lycée Saint-Ex de l’époque du groupe que ça ne changerait rien. Ça n’est pas moi qui l’ai mise en avant, pas moi qui en ai fait une affiche, un flyer, un code de ralliement. Personne ne s’est posé la question, dans le premier temps de sa vie : elle était Aurelia Kreit, ça suffisait, comme un Gaffiot dans le métro, pour qu’on se sache entre initiés. « Nous ne sommes pas un groupe à textes, et les mots ne sont là que pour faire chanter la musique », prévenait pourtant Tito, déjà. S’il veut mon avis, rétrospectivement, c’est raté, à part pour la musique. Aurelia, c’était elle, déjà, « voyageuse par obligation, romantique par nature mais aussi timide jusqu’à l’autisme », disait-on. Tout ce qui fait le sel des angry young men que nous étions et que nous sommes en partie restés. La preuve : cette belle photo d’Aurelia ornait les murs du très jeune homme que j’étais, à côté du poster d’Alain Larrouquis ; maintenant, elle occupe une belle place dans ma bibliothèque et, très vite, j’espère, dans celle des autres.
Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.
Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).
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25/09/2019
Le roman d'Aurelia (89-19 12/15)
Elle a été la première du groupe à montrer un intérêt suivi à mon projet, puis à mon travail. A se demander ce qu’allait devenir Aurelia sous ma plume. Elle fut à l’époque l’incarnation de la particularité d’AK, la marque classique dans une formation new-cold wave (je n’ai jamais vraiment compris ce que cela signifiait), celle qu’un imbécile – je m’en souviens – brocardait de la salle avec un jeu de mots pourri et récurrent. Il y avait deux filles dans Aurelia Kreit, l’une était blonde et éthérée, gueule d’ange et d'actrice inatteignable, réfugiée derrière ses lunettes et ses claviers ; l’autre était brune, coupe en brosse post-punk, envoyée au casse-pipe du devant de la scène à chaque fois que son violon entrait en lice. Peu d’images mentales, je l’ai dit, ou alors celles reconstruites par le biais des photos, récemment ressurgies. Sauf que Mumu, puisque c’est elle, a été à la fois la plus pugnace dans le suivi et la plus réservée sur la reformation, au vu du travail dantesque qu’il allait falloir fournir. On ne remonte pas à violon aussi rapidement qu’on réapprend le vélo, surtout quand il s’agit de se produire devant un public qu’on attend nombreux et impatient. J’ai pris la liberté de lui envoyer un message, qu’elle m’explique, sans rien dévoiler, comment les membres comptaient s’y prendre pour reconstituer le combo ; nous avons échangé - comme le faisaient les gens de notre âge par d’autres modes, à l’époque d’AK – elle m’a confié sa joie de retrouver ses amis tels qu’elle les avait laissés, quelques rides en plus, ses craintes liées à la mémoire, à l’arthrose des musiciens ; le refus qu’elle a essuyé quand elle leur a demandé si elle pourrait avoir un pupitre (et tu veux pas jouer assise, pendant que tu y es ?), les réflexes qui sont revenus et, après les échanges numériques entre les uns et les autres sur leurs parties, la première répèt’, comme à la Mi-Graine, mais trente-deux ans après. L’un est à Paris, l’autre un peu partout, il y en a trois sur Lyon, ils ont trouvé une maison de campagne au-dessus de Condrieu (pas folles, les guêpes !), se sont appuyés sur un nouveau membre (Jérôme, qui prend la basse et laisse Tito se concentrer sur la voix) qui joue déjà avec deux des autres dans Nellie Olson. Des décisions de changement de tonalité ont été prises, chacun a bossé chez soi sur les enregistrements d’époque, transposés, pour certains. Il y a eu du réel, du WhatsApp, Raphaëlle a dû apprendre les derniers morceaux joués après son départ, quand une dénommée Sophie – que je n’aurai jamais vue sur scène – l’a remplacée (pas longtemps, de fait). Et Muriel, alors, a repris son violon, sans savoir que ça lui procurerait autant de plaisir. Elle m’a avoué que, quand on lui a proposé une reformation, fût-elle « unique », comme indiqué sur l’affiche, elle a compris que j’étais associé au projet et, dit-elle, tout (s)on être l’a refusé : AK, c’était désormais mon roman, elle avait tourné la page, avec un peu de mépris pour la Mumu d’avant, insouciante, légère et inconsciente. Sont-ce les mots de JJ, ceux de Stéphane qui l’ont convaincue, ou la conscience, justement, qu’on est jamais vraiment que ce qu’on a été et ce qu’on sera. Elle dit vouloir partager ça avec ses filles, de jouer les morceaux d’hier avec ses oreilles d’aujourd’hui ; s’est mise une pression de dingue tout en se disant que rien de ça n’est grave. Elle le sait, depuis qu’ils ont refait corps, ensemble, rien ne peut leur arriver. Quand elle aura fait sa partie, c’est la mienne qui commencera, la lecture des autres et le jugement de l’autre. Où en sera-t-elle du roman, dans le train qui la ramènera à Toulouse, quand il s’arrêtera, à peine le temps de lever le nez, dans la gare de Sète ? Son Aurelia sera venue, de très loin, dans le temps, passer le relais à la mienne : nul doute qu’elles auront encore beaucoup à se dire.
Photo: Lucien Ageron
Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.
Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).
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24/09/2019
Le roman d'Aurelia (89-19 11/15)
Evidemment, il faut faire jouer les intervalles, mais le constat est implacable : Aurelia Kreit paraît alors que j’ai (encore) 50 ans et clôt ainsi un cycle né dix ans (et demi) plus tôt, avec la parution de Tébessa, un roman écrit à 30 ans, édité à 40. Chavassieux, encore lui, avait annoncé 2017 ; vu la masse du roman, il s’est trompé de peu, finalement. Mes 50 ans, ouverts à Ouessant, en pleine tempête, avec Franck Gervaise – on devrait en reparler – fêtés douze mois après avec, entre autres, la finalisation inespérée d’un travail de 5 ans d’âge, celui-ci, repris en main et bouclé, de manière magistrale, par Gérard Védèche. Il ne manquait plus qu’Aurelia au tableau des deux tiers du temps donné pour que la fête fût complète, et elle est là, rouge, imposante et sûre d’elle. Mon quatrième roman, si j’exclus la Girafe, dont je ne sais à quel genre elle appartient vraiment. Une libraire un peu péremptoire m’a dit il y a dix ans qu’on n’était pas écrivain avant dix bouquins, ce qui est aussi absurde que révélateur, a posteriori, d’une certaine forme de rage envieuse, mais ça n’est pas grave : ça n’est pas pour lui plaire que j’ai continué, qu’on m’a parfois reconnu comme tel, et même, oui, pour un bon, quand il le fallait. Ce n’est pas à elle mais à Jean-Paul Dubois que je pense à chaque parution, quand j’itère d’une unité la pile des ouvrages déjà commis, et que j’en mesure la hauteur : avoir écrit 17,4 cm de littérature (dont 3 pour le seul AK) ne me rend pas plus légitime – sans doute ne m’a-t-elle toujours pas lu – mais me permet de me dire que, bon an mal an, je n’ai pas vieilli pour rien. Ce sont des quinquagénaires qui vont se retrouver samedi, certains viendront avec leurs enfants (j’espère croiser le mien à un moment), mais pour une fois, ce ne sont pas des obsèques qu’ils viendront célébrer, mais des retrouvailles, des vraies. Des qui malmènent le syndrome proustien du moment dont on appréhende l’après avant même l’avoir vécu : Esther Rochant vous en parlera bientôt, dans quatre notes. D’ici là, je vais profiter des trois mois qu’il reste de mes 50 ans. Et me dire que si je tiens le rythme d’une Nathalie Sarraute, par exemple, je pourrais – si j’en estimais la nécessité – parvenir aux 30cm de littérature avant de tirer ma révérence. Dans le même temps, je rappelle que Henri-Pierre Roché n’a écrit que deux romans, dont un chef-d’œuvre. Que Jean-René Huguenin n’en a écrit qu’un, qui m’époustoufle toujours. Et que la plaquette de Grignan, sur mon étagère, me rappelle tous les jours, la sentence de Dan Simmons : « tout le monde peut écrire un premier roman. C’est le 2ème qui fait de vous un écrivain ». Il faudrait que j’en parle à la libraire.
Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.
Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).
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23/09/2019
Le roman d'Aurelia (89-19 10/15)
Curieuse dichotomie entre la mémoire profonde et celle, immédiate, qu’on est censé solliciter facilement. Or, je ne me souviens pas de ce que nous avons mangé, l’Inox et moi, le jour de début d’été où il m’a convoqué dans sa cantine des Halles de Lyon, pour me parler d’un projet. Mais je me souviens parfaitement ce que ça a convoqué chez moi, comme le chainon manquant d’une recherche fondamentale. Lui a voulu savoir où j’en étais enfin, et m’a posé une échéance, à un an et demi. Lui comptait éditer, via le label qu’il créait – Simplex Records – les vinyls des deux K7 mythiques de la scène lyonnaise des années 80, la rouge d’Aurelia Kreit et la bleue qui a suivi, celle du Voyage de Noz. Question de permanence, il se posait là, aussi. Mais ce qui n’avait été, jusque là, qu’une espèce de rêve qu’on formule, la reformation du groupe, s’incarnait, pire, prenait date. Il me restait de longues séquences de travail, que j’ai commises dans les murs de mon enfance qu’on allait faire tomber, entouré des arbres qui allaient disparaître. Sans doute sont-ils ceux qui m’ont permis, moi aussi, de finir. Il n’empêche, parler à l’été 2017 de l’automne 2019, ça paraît long pour celui à qui il restait néanmoins à boucler le remastering des pistes, la conception des pochettes et le pressage des disques et, pas la plus mince affaire, l’organisation du concert. Mais le temps de l’édition n’est pas le même et, dans ma tête, ça signifiait choisir une autre voie que l’envoi aux maisons, l’enregistrement, la lecture et, dans un monde idéal, le temps du travail sur le manuscrit. D’un autre côté, je ne pouvais pas ne pas être associé à cet événement. J’ai même pensé, un temps, auto-éditer le roman en nombre limité*, exclusivement disponible le soir du concert ; après tout, l’Inox avait déjà été l’éditeur en soixante-neuf exemplaires du tirage de tête de « Marius Beyle ». Etre de la partie, c’était aussi voir monter le projet, participer à sa fabrique, sortir de la solitude de l’écrivain… Au bout du compte, tout cela se sera limité à un repas avec deux des gaziers et un Mâcon au curieux goût de vin du Jura, mais les verres que nous partagerons samedi feront oublier mon éloignement. Et permettront d’entendre ces chansons inoubliées dans un écrin – son et image – sublime. C’est l’acte de naissance d’un nouveau label – 100% rock, 100% local, 100% vinyl – la réunion de tous les talents et, j’espère, un peu du mien. J’aime autant que tout cela se termine avec une vraie et belle édition, l’espoir que le livre continue sa vie de façon plus large. Il n’empêche, Aurelia Kreit – dans la série les couvertures auxquelles vous avez échappé* – aura été, un jour, un roman bleu-gris, premier titre, jamais sorti, des Editions de l’Irrégulière, jamais référencées.
* Celle-ci est signée Stéphane Pétrier. Oui, le même.
Ces chroniques racontent la genèse et l’édition du roman « Aurelia Kreit », paru aux Editions Le Réalgar.
Présentation du roman le 28 septembre à 14h30 à la librairie du Tramway et à 20h à la MJC Ô Totem de Rilllieux, pour la reformation sur scène du groupe (couplée aux 30 ans du Voyage de Noz).
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