05/03/2010
Le don d'hiver à Yverdon
Je n’ai pas, juste avant d’y aller, posé la question du nombre pour la remettre en cause juste après : à Yverdon, après Chessex, j’ai fait face au plus petit comité qu’il m’ait été donné de rencontrer depuis que je suis rentré dans le cercle des rencontres de Lettres-Frontière, mais je dois dire immédiatement que ça n’a altéré ni la qualité de l’accueil ni celle de l’écoute, encore moins, je l’espère, la teneur de ce que j’avais à donner moi. Face à une quinzaine de personnes, dans le coin de la bibliothèque, j’étais venu, à la demande de Pierre Pittet, avec de la matière, de celle qu’on met sous verre : deux vitrines abritaient les œuvres que j’ai commises avec Jean Frémiot et avec Jean-Louis Pujol et des traces de la vie perdue du soldat Gérard Poncet. Des éléments de la matière que je ne jugeais pas utile, juste là, de montrer, mais que j’ai amenés en Suisse justement parce que les Suisses, dans ce type de rencontres, ont un rapport moins passionnel, forcément, avec la Guerre d’Algérie et me ramènent donc moins au biographique, dont Tébessa est exactement, je pense, la démonstration de la façon dont on doit s’en sortir. Le temps que j’installe tout ça, que la libraire installe les exemplaires et les personnes arrivent déjà, on commence en fait sans avoir l’air de commencer, Pierre, l’animateur culturel responsable des rencontres, me présente, avec le professionnalisme de celui qui s’est documenté, allant jusqu’à me questionner longuement au téléphone, préalablement, sur les thèmes que j’allais aborder, les passages que j’allais lire… Il me prêtera toutefois un roman que je n’ai pas encore écrit, sur « le difficile chemin d’Aurélia Kreit », omettant celui dont j’ai commencé à corriger les épreuves dans le train que me menait vers lui, afin de me convaincre un peu plus que c’était bien un écrivain qu’ils attendaient. On commence, j’aborde directement la question du biographique, de l’histoire familiale, de sa re-création. On parle des lieux, bien sûr, de l’universalité de la guerre et de ses corollaires, l’absurde et l’horreur. Je raconte que dans le train en venant, le jeune soldat en uniforme, visage dur et impassible, Famas en bandoulière, m’a convaincu, en plus de me foutre la trouille, que comme Rivière, c’est l’arme et son pouvoir qui auront déterminé l’homme qu’il deviendra, alors que pour Gérard, c’était l’inverse. Je parle d’édition, dis un peu de mal (pardon) de certains de mes congénères, Aragon en tête, beaucoup de bien d’autres, Nizan (bien fait pour Aragon), ceux de LF, ceux de la guerre d’Algérie (pas ceux qui l’ont faite, ceux qui l’ont écrite). On m’interroge, subtilement, sur l’exigence que je porte à l’écriture quand je parle de mon « livre-monstre » et dis que je renoncerais à l’écriture si mes livres devaient seulement se rajouter à d’autres. Sur les références philosophiques à partir desquelles j’ai donné à Gérard la dimension métaphysique qui est la sienne. Je rencontre les mêmes personnes qu’ailleurs, celles que Tébessa a touchées et qui veulent me le dire. J’en rencontre d’autres, qui ne l’ont pas lu mais que j’ai convaincues, alors que, sempiternellement, j’ai le sentiment d’avoir été bavard, dépassant sans doute le temps qui m’était imparti. Mais, comme ailleurs, les gens sont restés, ont eu l’air d’apprécier, c’est toujours une vraie bonne surprise. Je ne me suis pas répété, j’ai lu des passages que je n’avais encore jamais lu et, comme annoncé, j’ai donné en exclusivité aux lecteurs d’Yverdon le premier paragraphe du premier chapitre de « la partie de cache-cache », le roman que j’ai bel et bien écrit et corrigé dans le train. A haute voix, j’en ai entendu les correspondances avec Tébessa, pas seulement dans le monologue intérieur. Je crois rêver quand je m’entends défendre avec passion le personnage sublime de la petite Emilie… A la bibliothèque d’Yverdon, c’est du pré-prime time, à 20h30, je dois laisser les gens partir, ça fait deux heures que j’ai commencé à parler. Et à répondre. Je pars dîner en ville avec Pierre, le tutoiement est désormais de rigueur, ce jeune homme est remarquable d’érudition et de clairvoyance. Je lui dis que, ici comme ailleurs, je reviendrai, même sans Lettres-Frontière. Par chance, je crois même qu’il verrait ça d’un très bon œil. Il reprend son train, chacun son tour, doté d’une chaleureuse invitation à une balade dans la Croix-Rousse du roman. Moi, je dors à l’hôtel du Théâtre, clin d’œil à ma journée commencée tôt à me recueillir religieusement (en bon polythéiste grec) sur des vers de Corneille. Pourquoi est-ce que, en m’endormant, je pense à « l’Amant », de Marguerite Duras ? Parce que dans quelques heures, je prends le bateau et traverse le lac Léman pour aller à Evian. La vie rêvée des écrivains…
10:49 Publié dans Blog | Lien permanent
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