13/07/2014
99.9F° et plus.
Au moins les lecteurs que la régularité des compte-rendus de concert de Murat ou Fergessen agace se réjouiront-ils : elle, je la vois tous les trois mois chaque vingt-sept ans. Elle, qui est venue poser son chapeau claque et ses Converse noires sous le froid chapiteau du Palais des Spectacles de Saint-Étienne, vendredi, une salle coupée en deux, gradins hauts et fosse démesurée. Je restais sur l'intimité partagée à Brooklyn, chez elle, et craignais que la jauge fût trop haute, mais la première surprise fut de trouver un batteur, forte valeur ajoutée au projet : cela libère Gerry, le lunaire guitariste, des boucles de programmation, et puis pardon, mais quel batteur! Doug Yowell impressionne les musiciens qui m'accompagnent, qui se régalent de le voir démonter ses charleys en plein morceau pour trouver d’autres sons. Ceux qui en étaient restés aux titres entendus dans les 80’s s’étonnent de la capacité de ce brin de femme à occuper l’espace de sa voix reconnaissable entre mille. J’ai déjà dit à quel point Suzanne était aussi intemporelle que ses chansons, à quel point le rouge de ses cheveux ramenait le bleu à l’âme et à la mémoire. Elle peut, avec la batterie, rajouter les choeurs sur « Jacob & The Angel », poser la guitare sur davantage de morceaux qu’elle le faisait, même si c’est bel et bien quand elle en joue seule qu’on mesure qu’une chanson qui reste, c’est une voix sur une mélodie. Combien de spectateurs, encore, ont du se dire « Ah, mais c’est elle qui chantait ça », toutoutoudoutoutoutoudoutoutoutoudoutoutoudoudou? La mise en abyme est parfaite, avec le t-shirt Bob Dylan - au début, avec le bandana qui le cachait, j’ai cru à Lou Reed, hommage new-yorkais - trente ans après, c’est la folk-singeuse qu’on imagine un peu casanière en dehors des horaires de tournée, en accord avec la Reine qu’elle vient présenter, venue du tarot, cette Queen of Pentacles, reine d’un monde matérialiste, aussi gentille qu’elle peut être acariâtre : qu’a-t-elle pensé de Saint-Etienne, au lendemain d’un fonds de scène aussi féérique que celui du Facteur Cheval? Mais la question ne se pose pas, puisqu’elle donne un concert complet et généreux, plus long qu’à New-York, avec des moments aussi intimistes - les remerciements pour l’anniversaire qu’on lui souhaite, les quelques mots de français bredouillés - que les deux chansons sur son amour de jeunesse, cet homme de Liverpool (« Gipsy ») qui doit se demander ce qui lui est arrivé pour qu’il laisse partir un amour qu’on chante encore des décennies plus tard. Cette a-temporalité, tout entière contenue dans l'« Horizon » dont je parlai hier avec paresse, elle est venue me la signaler, alors que j’avais déjà fait le deuil du fait qu’elle la chante, cette chanson. Il y a une route, oui, derrière celle que nous empruntons, chacun de son côté, avec l’assurance, parfois vertigineuse, qu’on est tous appelés à se retrouver. « Luka » fait cet effet, d’un temps non écoulé, ou passé en parallèle. Elle finit son concert par « Rosemary", sous-titrée « Remember me ». Quelle ironie, pour quelqu’un qu’on n’arrive pas à oublier. Elle nous fait promettre en partant de lui donner, via Facebook, des nouvelles de nos vies et de nos chiens. Je n’ai pas de chien, mais j’ai de la mémoire.
13:19 Publié dans Blog | Lien permanent
12/07/2014
Contretemps.
C'est l' "Horizon" que je voulais, et c'est hier que c'est arrivé: un horizon de la veille, avouez que ce n'est pas commun.
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11/07/2014
Lépine.
L'homme qui inventera la machine à revenir sur les mauvaises décisions aura à coup sûr son avenir assuré.
18:13 Publié dans Blog | Lien permanent
10/07/2014
Assises (2)
Déclinons : à tel moment de mon existence, on m’invite à prendre un siège, sans rien savoir du champ de mes possibles ; c’est un risque, que ne mesure pas celui ou celle qui m’y invite, parce qu’on ne sort en rien, en apparence, d’une action socialement définie. Pourtant, autour de l’acte lui-même, les incidences sont concentriques ; elles vont dicter un comportement, conditionner une existence : plus que moi qui choisis la chaise, ce serait la chaise qui me choisit ! D’abord parce qu’elle me définit comme appartenant à l’espèce des assis : elle m’intègre et me confère une normalité, au vu des autres chaises. Elle me dessine, ensuite, suivant son degré d’exposition : il y a une sociabilité des chaises, la place qu’elles occupent est parlante ou ne l’est pas, on sait, suivant que l’on est puissant ou misérable, là où on va être assis. Rien n’a beaucoup changé depuis le trône, les ors sont différents mais la crainte demeure : il est des sièges qu’on ne saurait investir sans y être invité. C’est donc avec circonspection qu’on aborde une chaise ; la présentation n’est pas terminée, il va falloir accorder la place qu’on nous donne aux attentes de ceux qui nous la donnent, rester en éveil, s’asseoir prudemment, ne jamais donner l’impression d’être installé : il y a des canapés pour ça. Il y a de la rigueur dans la tenue d’une chaise, c’est à celui qui y prend place de s’y plier : un des préceptes de l’éducation, avec l’apprentissage des libertés, celles que l’enfant peut prendre sur une chaise haute. Le rapport au temps est double, parce qu’il est courant qu’on ressorte pour l’enfant la chaise de bois sur laquelle on a soi-même fait son initiation, moins par nostalgie que parce que les leçons étaient bonnes. Cela relève de l’équilibrisme: il faut veiller à ce que l’enfant ne chute pas, qu’il comprenne que le bon usage de la chaise consiste à y rester jusqu’à ce qu’on soit invité à la quitter...
* Les dessins sont de Jean-Louis Pujol. Spéciale dédicace à Françoise.
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09/07/2014
Assises.
On ne s’est jamais suffisamment demandé pourquoi les chaises s’offraient à nous, pourquoi une place, dans une assemblée, pouvait nous paraître pré-destinée au point de s’y sentir aimanté. Parce qu’il aurait fallu pour cela accepter que tout fût écrit, les lieux, les rencontres, les phénomènes. Qu’une vie pourrait s’écrire au rythme des chaises sur lesquelles on s’est assis, pour s’en relever enrichi d’un autre déterminisme : je peux choisir un siège plutôt qu’un autre, je peux aussi ne prendre que celui qu’il me reste, le fait est que la chaise est là, que je vais m’y asseoir et qu’à partir de là, le charme peut agir.
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08/07/2014
Insulter la littérature.
Ces tombereaux de mots en trop, ces adjectifs qu’on multiplie, les tournures qu’on répète par trilogie – syndrome de l’anaphore – et les adverbes qu’on génocide : tout ce qui est dit doit l’être simplement, et c’est bien là la complexité. Mais la récompense n’est pas loin : à chaque bout de phrase effacé, à la moindre concession qu’on ne fait pas, c’est un peu de sa place dans l’écriture qui se joue. Pas celle qui fait joli, mais celle de l’effet-miroir : on écrit parce qu’on doit écrire, mais ce n’est pas parce qu’on écrit qu’on est écrivain.
NB: aucun rapport avec cette note (!), mais j'ai reçu "la Joyeuse", la nouvelle de Christian Chavassieux éditée par le Réalgar, avec des dessins - superbes - de Windfried Veit. L'occasion, prochainement, de faire un retour sur une collection magnifique, que vous pouvez retrouver là.
15:56 Publié dans Blog | Lien permanent
07/07/2014
In abstentia.
Samantha Barendson souffre d’un déficit d’image positive. Je sais, ça n’a pas de sens, mais ça en fait : voilà que cette poète au beau minois, hyperactive sur une scène poétique lyonnaise riche mais en cercles un peu clos, voilà que cette femme qu’on pensait jusque-là de bonne lignée détruit le mode ami-Ricorée de la famille idéale réunie sous le chêne, dans le jardin. Avec « Le Citronnier », Barendson va plus loin que les jolis poèmes bien troussés qu’elle lit habituellement, plus loin aussi que les tentatives d’auto-enlaidissement stylistique auxquelles elle s’est récemment adonnée : elle reconstitue la figure paternelle, perdue quand elle avait vingt-quatre mois, autant dire rien, si rien n’était pas la conscience inversée d’un Tout. Que le livre recompose, touche par touche, impression par impression, livré à l’imaginaire autant qu’aux marques, maigres, de la réalité, à la mosaïque d’identités et de pays traversés qui font qu’aujourd’hui, on l’invite elle tantôt comme Française, comme Italienne, comme Argentine ou autre. Par strates, courts chapitres d’une courte somme, elle l’imagine in abstentia, révèle le lot de mystères qu’il a laissés, énonce les regrets de la jeune fille puis femme qui ne l’aura pas connu, puis l’utilise comme figure prégnante d’une enquête qui épouse l’époque, les grands événements, de la dictature des Colonels aux Seat 1200 Sport. Le titre, comme espéré, est une allégorie de la place qu’il occupe, ou occupera, depuis qu’elle s’est occupée de régler son absence, une fois pour toutes. Avec une gradation qui explique qu’elle vous interdise de piocher dans le livre, au hasard : comme si elle luttait, une dernière fois, contre la fatalité que ni cet être ni le livre qui lui est consacré lui appartienne, encore.
Ce serait prétentieux de parler de maturité dans l’écriture, mais c’est quelque chose de cet ordre qui s’est joué chez Barendson : la stylistique est affutée, l’absence d’effets, dans la reconstitution comme dans le sentiment, fait la force du récit. Ou de ce poème en prose, c’est selon. Elle se sort de l’exercice compliqué du deuil rétroactif et partagé : ce n’est pas donné à tout le monde. C’est un citronnier qui vaut ceux de Eran Riklis, et c’est une sacrée référence, pour moi.
NB : la fréquentation de ce blog me vaut déjà quelques soupçons de copinages. Je réitère fermement mon postulat, qui est de ne dire du bien que des ouvrages dont je pense qu’ils sont bons. Je tiens à disposition de tous ceux qui en doutent un ou deux messages privés adressés à des auteurs qui insistaient pour que je leur dise ce que j’avais pensé de leur livre.
16:22 Publié dans Blog | Lien permanent
06/07/2014
Who's who.
Jean Lessoeurs, Catherine Buisson, Pierre Lange, Michel Compteur, Karine Sauvage, David Mochenon, Stéphane Pile, Jacques Marron... ©jardin, Simon & Co.
16:03 Publié dans Blog | Lien permanent